ALAIN CHAMFORT

La grâce des seigneurs

Dandy chic de la musique, modèle d’exigence et de discrétion, ayant ouvert la voie de la Pop Made in France à de nombreux artistes, Alain Chamfort aura traversé les décennies, accumulé les tubes et multiplié les collaborations prestigieuses, sans rien perdre de sa superbe, ni de son intarissable talent de mélodiste, défricheur de nouveaux sons et toujours à l’avant-garde. Pour autant, il a sagement choisi de clôturer sa discographie, avec un ultime album, intitulé « L’impermanence », qui se devait d’être à son image plus que parfaite, annoncé par un extrait « La grâce » et un clip-évènement, rassemblant tous ses amis artistes, d’hier et d’aujourd’hui, lesquels lui vouent un immense respect : une belle et émouvante occasion de rencontrer à nouveau, un des derniers grands seigneurs de la chanson française…  

– Pourquoi avoir décidé que cet album « L’impermanence » serait le dernier ?

J’y songeais depuis un moment, bien avant de signer pour mes deux albums chez Pias d’ailleurs. A l’époque déjà, j’observais la façon dont les choses évoluaient. Le streaming était en marche, les playlists aussi. L’idée de sortir un album avec dix ou douze titres commençait à devenir un peu décalée. Je travaillais alors avec le producteur Frédéric Lo, qui pouvait avancer les frais de studio, alors que je n’avais pas de label encore. J’avais commencé à faire quelques chansons, et il y considérait qu’un album était encore un format, une étape, importants pour beaucoup de gens. Il était en connexion avec des maisons de disques, si bien que très vite, on avait accumulé pas mal de chansons, pour faire un album. De mon côté, j’avais plutôt envisagé de proposer des rendez-vous sur Myspace, etc. qui étaient des lieux pour déposer des chansons dans ces années-là, même si aucune économie n’en sortait. J’avais déjà un peu projeté que l’économie se trouverait désormais dans les concerts. L’idée était simplement d’avoir une actualité, un rapport au public, pour lui montrer que l’on continuait à proposer des choses, et le rencontrer ensuite en concert. C’était un peu mon choix en tout cas. De son côté, Frédéric avait commencé à communiquer sur le fait qu’on travaillait ensemble, et il a reçu des manifestations d’intérêt, en particulier celle de Guillaume Depagne, en charge de développer un label chez Pias, dont l’image me semblait très correcte. On a négocié et on est partis sur deux albums, avec tout ce que cela implique de charge à tout niveau. Sorti de chez Pias, après deux albums, je n’ai pas vraiment vu d’évolution me concernant (rires) ! C’était bien sympathique, j’ai été sélectionné aux Victoires de la musique, j’ai reçu de bonnes critiques, mais la maison de disques n’a rien investi, attendant que les choses se passent toutes seules… Tout cela ne m’a pas vraiment donné envie de prolonger la collaboration, et je me suis encore retrouvé à la case départ. Avec Pierre-Do (Pierre-Dominique Burgaud, parolier), on a commencé à écrire des chansons, et il a m’a suggéré l’idée, que j’avais en tête depuis longtemps, d’annoncer que ce serait mon dernier album. On l’a donc conçu ainsi, avec des thématiques qu’on avait déjà approchées sur le précédent disque, « Le désordre des choses », en allant au bout de cette idée de clore le chapitre albums, de l’annoncer, et de s’y tenir.

–  Avais-tu aussi le sentiment d’avoir déjà tout fait, de l’album de duos à l’album symphonique, en passant par l’album piano-voix…

Oui, c’est vrai aussi (rires). L’album symphonique, c’est moi qui l’ai fait, parce que j’avais eu la chance d’être approché par la directrice de l’Opéra de Montpellier, qui avait ce projet-là en tête de me faire venir pour y donner un concert, accompagné par l’orchestre. La préparation nous a pris environ un an. Conscient que c’était un évènement qui ne m’arriverait qu’une fois dans ma vie, j’ai eu l’idée d’en faire une captation, mais la veille du concert a coïncidé avec l’annonce du deuxième confinement. La salle a été interdite d’accès, ce qui a donné une couleur un peu étrange à la captation, sans public en l’occurence. J’ai malgré tout été autorisé à exploiter la captation audio. Je suis allé voir des maisons de disques, mais personne n’en a voulu, si bien que je l’ai sorti moi-même, et organisé tout seul sa diffusion. 

– C’est la première fois que tu n’apparais pas sur la pochette de « L’impermanence », alors que tu nous avais au contraire habitués dernièrement à des close-up…

Ah oui, c’est sûr qu’on ne pouvait pas me photographier plus près que sur les deux précédents albums chez Pias. J’étais plein cadre, je l’assumais et cela collait bien à des chansons comme « Les microsillons ». Mais on avait fait le tour de cette idée. Ne pas apparaitre sur la pochette d’un dernier album correspondait aussi au choix de s’effacer, et la photo des fleurs évoquait aussi celle de l’impermanence. Personnellement, j’y vois un joli tableau.

– Cet album a été précédé d’un maxi avec Sébastien Tellier : pourquoi cette idée, avec des titres qui ne sont pas sur l’album d’ailleurs hormis « Whisky glace »?

Julien Delfaud, un ingénieur avec lequel je travaillais, est assez copain avec Sébastien Tellier. On était en train de terminer l’album, et au cours d’une discussion, Tellier lui a déclaré qu’il aurait adoré être dessus, parce qu’il m’aimait bien, lui reprochant de ne pas lui en avoir parlé avant. Voyant la réaction de Sébastien, Julien m’a appelé et m’en a rendu compte, mais l’album était fini. Cela dit, comme j’aime bien Sébastien aussi, j’ai accepté de le rencontrer et je suis allé dans son studio. J’avais des départs de chansons, que je lui ai montrés, et quelques jours après, il avait déjà avancé avec beaucoup d’enthousiasme. On s’est retrouvés avec ces 4 titres, sans trop savoir quoi en faire. Mais il y avait un espace, le temps de laisser la maison de disques organiser la sortie de l’album, pour revenir avec un projet un peu bizarre, une association un peu inattendue, qui pouvait peut-être susciter de la curiosité, même si au fond, elle se justifie. La maison de disques a été réactive, et on a sorti cet EP rapidement, dont un titre « Whisky glace » a été retenu sur l’album, parce qu’il rentrait dans la thématique générale.

– Tu as également testé quelques chansons nouvelles lors d’un spectacle hors-format au Théâtre de l’Oeuvre, « Le meilleur de moi-même », avec Valli pour partenaire. Qui a eu l’idée de cette formule de la conversation musicale ?

C’est une formule que j’ai prolongée en fait. On m’avait proposé ce format il y a deux ou trois ans, dans le cadre d’un festival belge, l’idée étant de nous réunir Jacques Duvall et moi, afin de raconter notre histoire, la naissance de nos chansons… On a présenté ce spectacle, notamment à Bruxelles, avec un groupe cette fois, mais sans animateur. J’ai dernièrement revendu mon back catalogue Tessland à BMG. C’était notamment une condition à la sortie de l’album. Il avait même été question que le back-catalogue sorte avant l’album dans un premier temps. Avec Marc Thonon qui s’occupe de ma carrière à présent, on s’est dit que ce pouvait être pas mal de me raconter, en plusieurs épisodes. J’ai alors pensé à Valli, que je connais depuis longtemps, pour avoir fait plusieurs émissions avec elle. Je savais qu’elle n’était plus sur France Inter, et puis j’aime bien sa fantaisie. Elle est très rigolote, très expressive. Elle crée un lien très sympathique de connivence avec le public. C’était très agréable, chaleureux et sympa.

– Pourquoi avoir choisi une photo de toi enfant sur l’affiche ?

Je n’avais pas de photo libre de droits, et j’ai pensé que ce spectacle, dans lequel je raconte ma vie depuis la petite enfance, justifiait le choix de cette photo que je trouvais plutôt mignonne. Je me rappelle que je sortais de chez le coiffeur : c’est un souvenir de ma première coupe de cheveux !

– Vas-tu continuer à faire de la scène ? Sous quel format ?

Je n’arrête ni la scène ni les enregistrements. Je serai d’ailleurs au Point Ephémère à Paris le 6 juin. Ensuite, je ferai le Trianon et les Folies Bergère mais avec des musiciens, dans une formule plus classique.

– Lors de ce spectacle, tu as évoqué tes collaborations avec Gainsbourg et Claude François, de façon apaisée, contrairement à tes précédentes interviews ou tu cassais le mythe… Es-tu moins sévère à leur égard avec le recul ?

Je n’ai jamais vraiment été sévère, je m’étais contenté de raconter des anecdotes qui avaient eu lieu, et qu’ensuite on m’a tout le temps remises sur le tapis. Ca a fini pas me renvoyer l’impression que je suis dans une aigreur sans fin (rires).Ce n’est pas moi qui évoquait le sujet, mais on me redemandait sans cesse ensuite si Claude François était vraiment jaloux de moi, sans compter Gérard Louvin qui en remettait des couches de son côté. Ca n’est arrivé que deux fois en réalité que Claude me saborde. C’était intéressant de le signaler, parce que ça racontait aussi ce qu’il était, mais ça ne doit pas occulter le reste : je suis conscient aujourd’hui de lui devoir tellement, que le reste est anecdotique.

– Pour preuve de ton absence de rancoeur envers Gainsbourg, on t’a vu au spectacle collectif d’Alex Beaupain autour de la reprise de « Love On The Beat » …

Oui, j’y ai chanté « Chasseur d’ivoire ». En fait, j’ai rencontré Serge grâce à Jane Birkin, avec laquelle j’ai continué de faire des choses, au-delà de leur séparation. On a fait plein de duos, notamment sur « Taratata », et elle apparaissait en virtuel sur un écran dans un de mes spectacles pour un duo. Je suis aussi allé chanter avec elle pour son spectacle « Arabesque », de reprises des chansons de Gainsbourg en version orientale. Elle a toujours été là pour moi.

– Reconnais-tu en elle une sorte de soeur jumelle ?

C’est vrai qu’on est tous les deux dans la catégorie fragiles. Je lui dois d’avoir posé son regard sur moi, et d’avoir incité Serge à travailler pour moi. Elle s’est aussi montrée très compréhensive quand j’ai refusé certaines choses. Il a intégré tout cela grâce à elle. Sur la fin, quand il est devenu Gainsbarre, il racontait des conneries sur moi, m’appelait Cham-faible, comme il pouvait faire avec Vanessa, quand il disait : Paradis, c’est l’enfer. Ou avec Catherine Deneuve, qu’il qualifiait d’occasion. Il avait toujours besoin de faire ce genre de pirouette, et c’était un peu idiot. Il était au sommet de sa popularité, et je n’avais aucune tribune pour répondre. J’étais allé voir Jane pour lui demander qu’elle lui fasse comprendre que ça me blessait. On n’était pas fâchés, mais bon… Lors d’un documentaire qui a suivi, il a été contacté et dit des choses super gentilles à mon égard, me qualifiant de musicien super fin, etc. Il s’est rattrapé, sans doute sous l’influence de Jane.

– tu as aussi évoqué Dutronc : êtes vous toujours en contact ?

Non, mais pour une raison très simple. Il suffirait que j’aille en Corse pour le voir…

– Et avec Françoise ?

Non, malheureusement, dans son état elle ne veut plus voir personne. Elle souffre beaucoup, c’est une situation difficile…

– Revenons à l’album : as tu écrit beaucoup de chansons pour n’en retenir que douze ?

Avec Pierre-Do, on en a fait deux ou trois en plus, qui sortiront certainement d’ailleurs, dont une en particulier qui été enregistrée, mais qui est dans une tonalité différente, trop bucolique.

– En quoi « l’impermanence » est la chanson qui résume le mieux cet album ?

L’idée d’impermanence a toujours défini ma vie en quelque sorte, mais aussi la vie de tout le monde. J’ai été initié à la religion bouddhiste dans les années 70, et j’y trouvais beaucoup d’échos en moi. C’est normal, car c’est une religion très ouverte. C’est d’ailleurs davantage une philosophie qu’une religion. Je n’ai jamais fait de prosélytisme à ce sujet, m’employant à surtout m’appliquer certains concepts, en travaillant sur mon ego. C’est une religion qui prône la paix, respecte la nature et l’environnement, les animaux et les gens. On est dans le présent, sans aucun conflit. Ce concept de l’impermanence consiste à considérer que tout est en transformation permanente, en mouvement, en action. Rien n’est arrêté, la matière bouge, tout autant que nos cellules et l’univers tout entier. Il en est de même de nos sentiments et de nos pensées. Quand il t’arrive une tuile ou un événement désagréable, cette idée t’aide à accepter les choses. Dès lors qu’on s’inscrit dans un tout, on se dit qu’il n’y a pas de raison d’échapper à cette transformation et que les événements qui font du mal dans une vie y sont liés, et laissent place à autre chose après. Ca n’a rien à voir avec le fatalisme, parce qu’on a une marge de réaction, mais il vaut mieux accompagner les choses. La douleur est plus acceptable quand on l’accepte, que quand on se raidit. Ca me semblait être une belle manière de résumer cet album qui parle de bilan, de la façon dont j’observe l’avenir vers lequel je me dirige …

– Cette chanson fait écho au « Désordre des choses » qui donnait son titre au précédent album…

Totalement. S’acharner à vouloir construire les bases définitive d’une vie figée est à l’origine de tous nos malheurs. C’est comme l’idée de vouloir retenir les choses. Dans le cadre d’une relation amoureuse par exemple, elle génère de la jalousie, de la possessivité, alors que tu ne pourras jamais empêcher quelqu’un de te quitter. Quand ça arrive, il faut l’accepter, comme la fin de toute chose sur cette Terre.

– Le premier clip « La grâce » a impressionné par son casting : comment as-tu choisi les participants ?

Pierre-Do a eu l’idée de ce clip. Il s’agissait initialement de rassembler ce que j’avais reçu des autres, mais me concernant c’était de Chopin, et des grands compositeurs. Or, je ne voulais pas donner l’impression de me valoriser à travers ce qu’il y a de meilleur en musique classique. Ça pouvait tourner un peu au ridicule. On a alors choisi de rester dans notre univers, dans le métier de la chanson. Partant de là, j’ai tout de suite pensé à Françoise, mais je ne lui ai même pas demandé. Je me suis très vite rendu compte que les artistes vivants m’ayant influencé n’étaient plus très nombreux. On n’allait pas ressortir les archives de l’INA… On a donc élargi à plusieurs générations. Avoir déjà Souchon et Voulzy était mon rêve. Ensuite sont venus les artistes qui les ont suivis, qui étaient aussi des marqueurs de ma génération, comme Véronique Sanson et Julien Clerc. Ils ont très gentiment accepté. Et puis, je suis descendu en âge avec des gens dont j’aime et je respecte le travail comme Dominique A, Juliette Armanet, ou Vincent Delerm. Ce sont des artistes dont le cheminement est respectable, qui ont exprimé ce qu’ils sont, sans courir après le succès, chacun dans leur domaine. C’est ce qu’exprime un peu la chanson.

– On y retrouve un peu l’esprit du film « Impromptu au Jardin du Luxembourg »…

C’est vrai (rires).

– As-tu essuyé des refus ?

J’avais aussi demandé à Jean-Jacques Goldman et à Mylène Farmer : je les aime bien, mais ils ont refusé avec des arguments tout à fait acceptables. Jean-Jacques ne veut plus apparaitre. Il a pris cette décision et veut vraiment la respecter. Il a déjà eu la correction de me répondre, ce qui est énorme. Mylène aussi m’a expliqué qu’elle n’aimait pas trop apparaitre dans des projets collectifs, ayant fait le choix de rester dans son univers artistique. Il n’y a rien à redire à cela. 

– Tu t’es fait des ennemis au passage, ceux qui n’y sont pas…

Non, non (rires) ! En tout cas, personne ne m’a appelé pour se plaindre.

– On relève la présence d’Arnold Turboust sur « L’apocalypse heureuse », l’association semble évidente et pourtant c’est votre première collaboration…

C’est vrai et j’ai adoré travailler avec lui pendant le confinement. J’avais le refrain de ce titre et il en a composé les couplets. Nous nous connaissons pourtant depuis longtemps : j’étais allé voir Etienne à Londres, quand ils enregistraient  « Pop Satori », et je l’avais rencontré à cette occasion. Je l’ai revu ensuite avec sa femme Tess lors de ces fêtes que Etienne organisait régulièrement. J’ai toujours aimé son attitude, cette posture un peu en retrait. Il est élu à la SACEM où nous nous sommes souvent vus, et cela nous a rapprochés, et permis de mieux nous connaitre. 

– Avais-tu à coeur de réunir les paroliers qui ont compté pour toi, les deux pierres angulaires de ton répertoire, Jacques Duvall et Pierre-Dominique Burgaud ?

Ah oui ! Au départ, je n’étais qu’avec Pierre-Do. Et puis Jacques m’a contacté, parce qu’il avait écrit une chanson pour Marie-France, « L’amour est innocent », qu’il voulait que je vienne chanter en duo avec elle. J’étais surpris qu’il se remette à écrire. Il m’a répondu que ça lui arrivait encore de temps en temps… Il se trouve que sur la mélodie que je lui ai proposée, Pierre-Do n’y arrivait pas. Il y avait un truc qui bloquait. Ce n’était pas son esprit. J’attendais un texte un peu décalé. Ce ne pouvait être ni une chanson premier degré, ni une chanson trop sérieuse… Il y avait une autre tonalité à trouver. Après plusieurs tentatives, Pierre-Do m’a suggéré de demander à Jacques, qui m’a proposé plusieurs idées, avant ce « Tout s’arrange à la fin », qui correspondait exactement à mes attentes. Je suis très heureux qu’il figure sur l’album au final.

– À son sujet, tu m’avais confié il y a quelques années que grâce à lui, tu passais peut-être pour plus subtil et intelligent que tu ne l’es… Dirais-tu la même chose au sujet de Pierre-Do ?

Oui (rires). Avec Pierre-Do, c’est différent. Nous ne sommes plus dans ces artifices auxquels j’aimais bien me prêter avec Jacques. On est davantage dans une forme d’ouverture, de lâcher prise, moins contrôlée… Mais avec tout autant de talent. C’est aussi un grand travailleur qui m’impressionne beaucoup. Entre Jacques et lui, j’ai été servi sur un plateau en or.

– Tu chantes « Par inadvertance » : as tu le sentiment que les choses sont arrivées un peu par hasard dans ta vie, que tu n’as jamais eu à faire de forcing ?

Oui, beaucoup beaucoup. Cela dit, j’ai eu des discussions assez intenses et tendues, notamment avec le directeur de CBS, qui avait pris la relève de Jacques Souplet, lequel m’avait signé en 1976, mais a pris sa retraite en 1977. Est arrivé un mec arrivant d’Italie, très flamboyant, avec une Rolex au poignet… Enfin, tu vois le genre. Avec Jean-Noël Chaléat, nous devions partir enregistrer mon album « Rock’n’Rose » à Los Angeles, et j’ai reçu un message me demandant de passer par le bureau le jour du départ. On nous a alors repris nos billets et annulé l’enregistrement. Il n’étais pas encore arrivé d’Italie mais avait fait annuler tout ce que son prédécesseur avait décidé. Il m’a laissé en plan pendant trois semaines sans nouvelles. Il est arrivé comme César, pour prendre possession de la boite. Je n’arrivais pas à obtenir de rendez-vous, et j’ai du forcer la porte de son bureau pour le coincer, alors qu’il était en train de regarder un match de demi-finale de coupe du monde entre la France et l’Italie. Il m’a répondu : on en parlera pendant la mi-temps… Il m’a traité avec un mépris pas possible, en me disant qu’il allait écouter mes maquettes, etc. Je lui ai ressorti mon contrat, et ça a été la bataille, aucun de nous deux ne voulant céder. Il a fallu faire intervenir un avocat… Autant je suis conciliant pour plein de choses, autant quand ça concerne mon travail, je suis très tenace. J’avais obtenu dans mon contrat avec Souplet de ne pas avoir de directeur artistique, d’être libre de mes choix, de studios, des musiciens, des orchestrateurs, etc. J’avais des budgets alloués, mais personne à mes côtés pour tout contrôler. Je n’avais pas besoin de cela. Le contrat a toujours été respecté sauf quand il est arrivé…  

– Sur « Vanité vanité » tu explores un phrasé un peu différent, emprunté aux musiques urbaines…

À la lecture du texte, il m’a paru plus évident de le parler que de le chanter. Déjà, la mélodie a tendance a atténuer le sens du texte. Comme les mêmes harmonies revenaient un peu en boucle, tout au long de la chanson, le refrain était moins attendu.

– As-tu rétrospectivement le sentiment d’avoir péché par vanité à certaines époques de ta vie ?

Je n’ai pas toujours eu raison, mais j’ai fait mes choix et je les ai assumés jusqu’au bout. Et puis, je n’ai pas forcément toujours été bien accompagné. A partir du moment où l’on est signé dans une maison de disques, on est désiré par quelqu’un qui veut prouver qu’il a fait un bon investissement. Mais cette situation n’a duré que deux ans, avec Jacques Souplet. Avec tous ceux qui sont arrivés ensuite, j’étais déjà dans la corbeille. Ils avaient besoin de marquer leur passage par des signatures qu’ils pouvaient revendiquer. Avec Alain Levy, ça a été Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman. les suivants respectaient mon contrat et faisaient les investissements prévus, mais il n’y avait pas la même pulsion à mon égard.

– Cet album sort sur le label BMG : au final, tu auras été la fierté de presque tous les labels existants, d’EMI à Pias, en passant par Columbia et Epic, comme un gage de chic et de qualité…

Oui, certainement. Pour la vitrine des labels, c’était chouette… En même temps, j’ai toujours ressenti qu’ils avaient peu d’espérance de succès commercial et cela m’a toujours semblé étrange. J’ai toujours fait des choses sans complication. j’aime les chansons assez populaires qui se chantent, qui se comprennent… J’ai vu des artistes bien plus obscurs que moi vendre beaucoup plus de disques.C’est un positionnement qui n’a jamais été fait. En tout cas, ce n’est pas le cas chez BMG qui en fait un peu plus que les autres labels. Ils voient que l’album a été bien reçu, qu’il y a un enthousiasme autour. Ce n’est pas la simple continuité des albums précédents. Ils sont très présents.

– L’album s’achève sur une note optimiste, « Tout s’arrange à la fin »…

Oui, comme sur toutes les autres chansons d’ailleurs. Même une chanson comme « À l’aune » interroge sur le sens de la vie, savoir si on a fait les bons choix, si on a réussi aux yeux de ses enfants…

– Y a-t-il eu des rendez-vous râtés dans cette discographie exemplaire ?

Oui, avec David Foster, par exemple. Quand on est repartis à Los Angeles pour enregistrer les titres de l’album « Poses », dont « Manureva », on avait fixé la production avec lui, qui par la suite est devenu l’un des deux hommes incontournables de ces années-là, avec Quincy Jones. Il était pianiste à l’époque, et ça ne s’est pas fait. Je l’ai beaucoup regretté. J’ai aussi un autre regret. Jacques Duvall avait fait une adaptation de « « Géant », qui s’appelait « I Love the Pain », que Ray Charles voulait chanter, mais il est décédé avant.

– Rétrospectivement, regrettes-tu de ne pas t’être davantage investi en tant que producteur, comme sur À Caus’ Des Garçons ?

C’était l’époque qui permettait ça ! Le marketing commençait à prendre le dessus sur ce métier. On tentait des choses, à partir d’idées fabriquées et on voyait si ça marche… C’étaient deux amies qui me harcelaient pour absolument faire un disque, bien que n’étant pas musiciennes. Dans le même genre, Caroline Loeb aussi était styliste et s’est lancée dans la chanson. Plein de gens se sont amusés à faire un 45 tours. Ensuite, j’ai écrit pour des artistes, quand ils me l’ont demandé. Ça me fait toujours plaisir, mais je n’ai jamais fait de compétition, pour des comédies musicales ou autres. Je n’aime pas entrer dans des conflits d’intérêts avec plein de gens.

– Avec le recul, quels sont tes albums préférés ?

J’aime beaucoup « Amour année zéro », que je trouve unique dans la réalisation. Il n’a pas vieilli, c’est un marqueur dans ma discographie, qui dépasse même « Manureva » selon moi. Bien entendu, cette chanson a été un phénomène, mais sur « Amour année zéro », l’ensemble est super bien produit. J’aime aussi beaucoup l’album « Neuf ».

– Personnellement, j’ai une affection particulière pour ton tout premier album, « Mariage à l’essai »…

C’st drôle parce que l’autre jour, sur une émission de radio, j’ai redécouvert la chanson « À quelques heures de Nancy » que j’avais peu oubliée et je l’ai trouvée étonnante… J’avais déjà cette envie d’explorer autre chose que le tempo tchik tchik boum boum de l’époque Cloclo.

– Le top 3 de tes chansons préférées ?

Difficile d’en citer seulement trois : j’aime bien « Palais Royal », « Malaise en Malaisie », « Chasseur d’ivoire », « L’ennemi dans la glace », « Sinatra »…

– En qui reconnais-tu une forme d’héritier ?

J’aurais du mal à dire, car l’époque a beaucoup changé. Les jeunes artistes ont intégré tellement de choses qui influent sur leur façon d’essayer de survivre dans ce métier, entre les réseaux, les associations avec les marques, les thématiques choisies… Tout est assez réfléchi et pensé : peu d’artistes sont dans une démarche basée sur la spontanéité. Alors disons que j’aime bien Voyou, pour son personnage lunaire et cette spontanéité justement que j’observe peut-être moins chez d’autres. J’aime aussi beaucoup Maud Lübeck, avec laquelle j’ai fait un duo : « À deux ». 

– Quid de tes enfants ? Ta fille Tess a chanté avec toi et elle est musicienne…

Oui, mais elle a arrêté. Chacun de mes enfants a fait des choix artistiques, mais pas dans la musique.

– Comment vas-tu occuper ton temps à présent ?

Je pars déjà en tournée. J’ai signé avec le tourneur Far Prod et on propose deux formules de spectacle : « Le meilleur de moi-même » avec Valli et un concert  Pop plus classique, dont Adrien Soleiman assurera la direction musicale. Il est justement en train de faire le casting de musiciens. On va répéter au moins de mai, afin d’être prêt en juin. Les dates sont en train d’être calées. Mais ce ne sera pas ma dernière tournée. Le choix que j’ai fait, me déleste du poids du fameux « album de trop », alors que les ventes de disques sont catastrophiques. Alors autant faire un bel album, comme un dernier tour de piste, et sortir ensuite de ce format. À présent, j’ai envie de faire des EP, des collaborations, hors format et en toute liberté.

– On te verra bientôt au cinéma : le début d’une deuxième carrière ?

Je ne sais pas… J’ai tourné effectivement dans un film, «Le tableau volé » de Pascal Bonitzer, avec Alex Lutz et Léa Drucker, qui sort début mai. C’est tiré d’une histoire vraie, autour d’un tableau d’Egon Schiele spolié à une famille juive pendant la guerre, et retrouvé des années après. J’y joue le rôle du papa d’une courtière stagiaire travaillant dans une salle des ventes. J’aime bien apporter une petite contribution comme ça, mais je ne me sens pas de porter tout un film sur mes épaules. J’avais auparavant tourné dans « Don Juan » de Serge Bozon, mais là aussi, c’est le réalisateur qui est venu me trouver. Je n’ai pas d’agent cinéma et ce n’est pas mon métier. A chaque fois, je leur ai dit que c’était à leurs risques et périls (rires) !

Propos recueillis par Eric Chemouny

Photos : Dominique Ricon (DR/BMG)

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