JANE BIRKIN by Friends

L’Autel Particulier

Samedi 3 février dernier, Jane Birkin aurait dû se produire sur la scène de l’Olympia avec son spectacle, sans doute le plus intime, « Oh ! Pardon tu dormais », extension de son album du même nom qu’elle avait réalisé avec Etienne Daho et Jean-Louis Piérot. Et puis, en plein été, un 16 juillet, le destin en a décidé autrement, et l’ex-fan des sixties a rejoint ses étoiles. Charlotte, Lou, « ses amis », les artistes, les musiciens, le monde du cinéma ont tenu à maintenir cette date, comme un ultime au revoir et se sont succédés sur cette même scène pour faire vivre une dernière fois ce tour de chant et honorer son âme. Nous y étions et comme très rarement, nous avons ressenti combien ce concert allait devenir historique.

L’ambiance est étrange quand on s’engouffre dans le grand couloir de l’Olympia. On va voir le spectacle de Jane Birkin… sans Jane Birkin. Son esprit, sa mémoire, sa présence même se font sentir. Quand on entre dans la salle mythique, un grand portrait d’elle domine en fond de scène : elle a ce regard bienveillant, ce sourire si enveloppant et chaleureux, cette pause si nonchalante et si élégante à la fois. Jane Birkin, c’est la classe pour l’éternité… À l’image de ce spectacle qu’elle avait imaginé autour de son album, le dernier, le plus intime sans doute qu’elle ait jamais fait, où elle chante les souvenirs de sa vie jusqu’à la perte de Kate Barry, sa fille. Sur scène, Jane Birkin avait mélangé ces ultimes chansons avec celles de Serge, trimballées toute sa vie, aux quatre coins du monde. Plus que n’importe quelle autre tournée, celle de « Oh ! Pardon tu dormais » était celle qui la dessinait sans doute le mieux. Ce n’est donc pas un hasard si le concert de ce soir-là (enregistré pour l’occasion) en reprend à l’identique le déroulé initial. Pour ce faire, accompagnés par les musiciens originaux (Jean-Louis Pierrot, François Coggio, Colin Russell et Marcelo Giuliani), 21 artistes se succèdent sur scène sans transition, en toute discrétion mais toujours en parfaite élégance.

On le sait, on l’a vu, les concerts que l’on dit « choraux » pour rendre hommage à un artiste ne sont jamais totalement réussis, et mis à part nos affinités pour les uns ou pour les autres, les artistes aux talents trop disparates déséquilibrent l’ensemble et le tour de chant devient trop souvent un passage en force. Il faut reconnaitre que ce concert-là échappe à cette règle fatale et contourne même l’idée du concert de potes venus faire un bœuf avec seulement pour bagage « l’intention qui compte ». C’est mal évaluer le degré d’exigence que la famille Birkin-Gainsbourg a toujours su élever, autant que les « amis » de ce soir, de Etienne Daho à M, de Mario Cotillard à Vanessa Paradis, pour ne citer qu’eux. Du très beau monde pour du très beau travail.

Il est un peu plus de 20h quand Yvan Attal entre en scène, manteau sur les épaules, pour dire quelques mots en guise d’introduction mais surtout d’hommage à sa « très très très belle-mère ». Les mots sont simples, pesés, bouleversants. A peine sorti de scène que le concert commence avec cet instrumental de « Je t’aime moi non plus » qui s’enchaîne avec une version de « Jane B » chantée par Marion Cotillard. Emue et émouvante, la salle est saisie, les larmes coulent sur les joues, certaines persisteront jusqu’au final. Suit le toujours poétique Dominique A avec « Les Murs épais » et sa gestuelle hypnotique, Keren Ann en costume rouge sur « Ta sentinelle », le rare et émouvant Miossec, très applaudi, pour « A marée haute », Mickael Furnon de Mickey 3D sur « Et quand bien même ».

Le premier artiste international qui fait son entrée en scène pour célébrer Jane B. est le chanteur de Pulp, de plus en plus rare, Jarvis Cocker avec une version dandy de « Une chose entre autres » suivi par Eddy de Pretto sur un morceau de choix : « Fuir le bonheur ».  Le chanteur a encore gagné en maturité dans la voix, et on a beau avoir entendu de centaines de fois cette chanson qui reste l’une des plus belles du grand Serge, l’intensité qu’il lui insuffle l’élève encore.

Mais le moment le plus attendu de la soirée arrive : Charlotte et Lou font leur entrée en scène, ovationnées par le public. L’émotion est partout, démontrant s’il en était encore nécessaire, l’inimaginable impact de cette famille dans nos vies, dans notre culture. Il n’y a qu’à voir l’engouement populaire pour la Maison Gainsbourg depuis son ouverture en septembre dernier pour comprendre que Jane, que Lou font partie de cette lignée aux côtés de Charlotte. Aussi quand commence la session autour de l’album mythique de Serge Gainsbourg, « Melody Nelson » (1971), les applaudissements redoublent face à la présence des 2 sœurs, plus liées que jamais pour célébrer quelques chansons de cet album historique : Charlotte chante la « Ballade de Melody Nelson » puis Lou lui succède pour « Valse de Mélody », revient ensuite Charlotte sur « Ah Melody » et Lou clôture cette séquence avec « L’hôtel particulier » que Charlotte avait aussi déjà repris sur sa tournée IRM en 2012.

Après ce moment fort en émotions, le paisible Arthur H en costume blanc, chapeau sur la tête, entre en scène pour le titre « Cigarettes » suivi d’une îcone rare : Beth Gibbons, la chanteuse mythique de Portishead, que l’on n’avait pas revue sur scène depuis environ 10 ans (et qui fera son grand retour à le 27 mai à Pleyel et avec un nouvel album). Elle interprète « Ghosts » avec les intonations de Jane sans jamais bien sûr la copier et c’est très troublant, forcément intense.

Carla Bruni chante « La ballade de Johnny Jane » qui lui va très bien, suivie de -M- qui ose une version très personnelle (très -M- bien sûr) des « Dessous chics », aux sonorités Rock un peu déroutantes. Puis Etienne Daho accompagné de Fanny Ardant fait son entrée sur le titre phare « Oh ! Pardon tu dormais ». La star du cinéma, qui laisse deviner sa silhouette dans une mise en scène en contre-jour, habite le titre aux côtés du Mister Pop de cette voix si reconnaissable. C’est ensuite au tour de Sandrine Kiberlain de venir chanter. Intimidée, elle nous offre « Baby Alone in Babylone » suivie de Catherine Ringer, lumineuse sur « Ex-Fan des sixties » qui réécrit en clin d’œil un passage de la chanson : « Où es-tu Jane Birkin ? » très applaudi. Vanessa Paradis, l’amie de la famille chante « Di Doo Dah » avec sa façon unique de révéler les mots. C’est déjà presque fini : Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon reviennent pour clore le concert (avant les rappels) et chantent en duo « Quoi », tandis que Thomas Dutronc embarque la salle entière avec « Les Jeux interdits », rejoint par tous les invités de la soirée.

Fin du spectacle ? Pas vraiment, puisque la voix de Jane B. résonne et présente les musiciens et les techniciens. Elle est là, elle est partout. Puis les hommages enregistrés pleuvent, de Iggy Pop à Rufus Wainwright, en passant par Marianne Faithfull. Rock et Class.

Déjà comblé par cette succession cinq étoiles d’artistes souvent rares sur scène comme à l’image, toujours classieux, le tour de chant nous offre un rappel qui commence par une magistrale version signée Abd Al Malik  de ce qui est sans doute la chanson la plus difficile du dernier album de Jane : « Je voulais être une telle perfection pour toi » et qu’il habite littéralement.

Charlotte et Lou viennent mettre le point final de cette soirée à la fois exaltante et éprouvante, assurément bouleversante : Lou reprend « Catch Me if You Can » et Charlotte clôture avec « Quoi » en piano-voix avec Jean-Louis Piérot. S’ensuit une longue ovation, par une assistance debout pour dire un ultime au-revoir à l’une des artistes les plus aimées du public mais aussi par ses pairs. Avec la générosité qui la caractérisait, les bénéfices de ce concert ont été reversés aux Restos du Cœur.

Gregory Guyot

Photos : Gregory Guyot (DR/JSM) // Pierre-Olivier Signe (DR/JSM)

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