MYLENE FARMER

La prêtresse du “Jamais plus”…

En disparaissant dans les flammes sur les dernières notes de « L’horloge » dans le final époustouflant de son Live 2019, Mylène Farmer semblait faire ses adieux, bouclant 35 ans d’une carrière exceptionnelle à travers une minutieuse et réfléchie rétrospective discographique classieuse, en résidence dans l’enceinte de la Défense Arena. C’est dire si l’annonce de la tournée « Nevermore » en 2021, en sortie de confinements répétés, a réveillé toutes les passions et suscité toutes les attentes en même temps qu’il annonçait, par son titre, l’inexorable. 2 ans plus tard, cet énigmatique « Nevermore » se dévoilait enfin. Lancé le 3 juin à Lille, ce qui s’annonce (encore) comme la dernière tournée de Mylène Farmer et qui devait durer 2 mois jouera finalement les prolongations pour cause d’insécurité sociale qui a vu ses 2 Stade de France, aussi attendus qu’incontournables, reportés en 2024. En attendant, retour sur cette grand messe monumentale et magistrale…

Certains ont attendu plusieurs heures, voire plusieurs jours pour assister au nouveau show de Mylène Farmer, leur reine incontestée depuis près de 40 ans, qui a su créer un univers unique et un lien indéfectible avec eux, à coup de tubes, de mots littéraires, poétiques autant que sibyllins, de symboles et d’emblèmes. Et c’est l’un d’eux qu’elle a choisi pour incarner totalement cette série d’ultimes rendez-vous : le corbeau et pas n’importe lequel, celui de l’un de ses poètes favoris : Edgar Allan Poe. C’est celui qui trône, royal, au milieu de la scène avant que ne commence le show. Ce corbeau c’est celui du poète qui répète son nom, « Jamais plus »… Nevermore… servant de refrain, symbolisant le désespoir croissant de l’orateur et le sentiment de perte qu’il ressent mais aussi l’inévitabilité (nb : « Dis-moi quel est ton nom de seigneur sur le rivage plutonien de la nuit ! ». Le corbeau répondit : « Plus jamais » »). L’inévitable, c’est le temps qui passe et qui, une fois encore, pose le tempo de cette nouvelle tournée.

En 2019 pourtant, la rousse Reine indétrônable de la Pop française avait réellement décidé de quitter la scène après sa résidence parisienne futuriste et rétrospective qui avait balayé ses 35 années d’une carrière au sommet. Après ce live 2019, le déluge… Pourtant, lorsque s’ouvre le rideau d’images contemplatives et hypnotiques d’un vol de corbeaux hivernal et lorsqu’elle apparaît enfin, dessinée par ces oiseaux fétiches, on pense immédiatement à un diptyque live comme une suite résurrectionnelle, un écho d’entre les morts, un voyage d’Orphée vers un retour à la vie… avant son départ pour un ailleurs.

En effet, après être partie en cendres dans les flammes d’un final à couper le souffle de son live 2019, laissant les fans en pleine spéculation, interrogation, introspection, Mylene Farmer est revenue d’entre les morts pour l’ouverture de ce « Nevermore ». Ange noir surgissant du sol sur le titre « Du temps » (en version remixée de Mico C.) Drôle d’effet miroir alors que « L’Horloge » semblait déjà consumer le point final de tout, du jamais plus : « Du temps » est venu remettre les aiguilles à l’heure et declencher le compte à rebours de cet inévitable « plus jamais »…

Le Show, précédé d’un hommage élégant et pudique à Jean-Louis Murat, disparu le 25 mai dernier avec la diffusion sur l’écran géant central du clip « Regrets », est une exaltation de tout ce qui a construit la légende de Mylène Farmer et sa popularité sans égale, qui agace autant qu’elle séduit : tout est d’une cohérence et d’une réjouissance absolues, macabres et lumineuses, de sa setlist à sa scénographie.

Pour la setlist, personne n’a été en reste, mélangeant habilement les tubes historiques comme « Libertine », « Tristana » ou encore « C’est une belle journée », de vraies surprises comme « Du Temps », « Peut-être toi » ou encore « L’Autre » (qu’elle a imposé dès la 3e date au détriment de « Pas le temps de vivre »), sans oublier les incontournables « Désenchantée », « Sans contrefaçon » et « Rêver » et quelques morceaux réjouissants du dernier album comme « À tout jamais », « Rayon vert » avec Aaron ou encore « Rallumer les étoiles » en final, et d’autres encore couvrant une carrière hors normes constellée de tubes et d’albums qui ont tous assurément marqué l’histoire de la chanson française.

Du côté du Show, fidèle à son savoir-faire en la matière, Mylène Farmer a mis la barre encore plus haute et donne une leçon à ciel ouvert aux productions américaines qui ont occupé les scènes mondiales cet été (comme les très médiatisés shows de Beyonce ou the Weeknd et avant celui très attendu de Madonna).

Mylène Farmer débute son show par 3 titres devant de la scène (l’ouverture sur « Du temps » suivi de « Peut-être toi » et de « Libertine »). Ingénieuse idée d’être d’emblée au plus proche de son public pour son plus grand bonheur, se baladant sur un proscenium en croix mais surtout le survolant, dans des nacelles qui balaient la fosse déchainant son audience. En toile de fond, un écran géant dont les images sont constellées de corbeaux (réalisées par Bordos qui avait travaillé sur l’ouverture de Timeless et sur le Live 2019), splendide leurre pour mieux en révéler ce qu’il cache, lorsque, pulvérisé par la balle du pistolet mythique de « Libertine », il s’ouvre avec majesté pour dévoiler un décor vertigineux et monumental : une cathédrale renversée, renversante, totalement impressionnante, d’une audace sidérante, d’une poésie sombre et envoûtante, d’une inventivité permanente. 60 mètres de long, 24 mètres de hauteur et 22 de profondeur (ayant nécessité 5 jours de montages et mobilisé 200 personnes sur les 800 qui ont travaillé sur la tournée). Le résultat est réellement impressionnant !

Plus encore que cette hallucinante vision hors normes, ce décor mystique imaginé par Emmanuelle Favre propulse définitivement Mylène Farmer au Panthéon des plus grandes artistes françaises tant son tour de maître est d’en avoir fait l’un des protagonistes de son « Nevermore » : de cette sacrée cathédrale, se détachent des éléments de stuc, laissant percer des projecteurs jusqu’aux beaux rayons verts du duo avec Aaron et révèle des écrans gigantesques décuplant l’effet de vertige, dévoilant des images somptueuses occupant l’intégralité de l’enceinte du fond de scène et venant habiller chaque chanson. Un pantin de bois traverse la scène sur « Sans contrefaçon », des loups, des cerfs s’entrecroisent sur « Oui, mais non », il y a du feu, des corbeaux, des étoiles, de la magie qui donne un relief assez inédit aux chansons. Grâce à ces écrans, Mylene Farmer réussit aussi à nous embarquer dans une virée onirique de glace et de feu, sur le très beau « Que l’aube est belle », imaginé par Woodkid l’architecte brillant de son dernier album, dont la patte et l’influence ici sont plus que palpables, et qui a digitalisé sa muse pour la transcender encore sur ce titre.

Rarement, un spectacle aura été aussi convaincant, et si on le doit à ce savant mélange de tubes et d’inventivité scénique, on le doit aussi à tout ce qu’il nous renvoie : ce n’est plus un simple décor, c’est le compteur d’une histoire de rendez-vous entre la chanteuse, la scène et son public, fourmillant en permanence d’éléments artistiques qui distillent des indices emblématiques ayant édifié sa réputation et sa grandeur sur scène. Les croix, l’église et le sacré qui sont chers à Mylène Farmer font écho aux décors de son Live 1989, la statue du corbeau géant (dans lequel elle se réfugie sur « Tristana ») rappelle l’araignée monumentale de son « Live 96 » qu’elle chevauchait, la grande faucheuse voilée (incroyable moment sur le très puissant « Que je devienne ») est un clin d’œil à la statue gigantesque du « Millenium Tour », l’ascenseur final pourrait renvoyer à l’ouverture de « Timeless 2013 » comme à la capsule de celle de’« Avant que l’ombre » et sa trilogie de chansons douces sur le proscenium nous remémorent les moments forts et quasi à l’identique de son live 2019.

Pour parfaire les contours d’un spectacle ahurissant, Mylene Farmer offre encore une collection de chorégraphies emblématiques de ses tubes sur « Optimistique-moi » et « Sans contrefaçon » qu’elle a elle-même conçues, sur « C’est une belle journée » par Christophe Danchaud , sur « Rallumer les étoiles » par Aziz Baki ou encore sur « à Tout jamais » et « Oui mais non » par Parris Goebel qui signe aussi un medley spécial reprenant quelques tubes en instrumentaux sur lesquels les 16 danseurs donnent le meilleur (comme en 2019, c’est une réussite).

Quand vient le final, l’inévitable est face à nous : le temps a filé comme file sa montée aux cieux et sa désagrégation laissant le public sans voix, devinant que la chanteuse, déesse de leur vie, a désormais rejoint leur Panthéon. Elle manque déjà ! Entre son démarrage à Lille et Nice qui devait être son ultime date, 436 000 spectateurs auront assisté au show. Paris manque alors à l’appel, en raison du report des deux dates que l’on apprend quelques minutes seulement avant l’ouverture des portes du Stade. Mylène qui s’exprime peu enverra immédiatement un message : « J’ai rêvé qu’on pouvait s’aimer… J’attendais ce moment hors du temps pour partager avec vous cette émotion, ce vertige unique que vous seuls êtes capables de procurer. Immense tristesse. Je vous aime. »

Et c’est finalement en 2024 que Mylène Farmer nous donnera rendez-vous à Paris, gratifiant au passage la capitale d’une troisième et ultime date en cadeau. Rendez-vous est pris les 27, 28 septembre et 1er octobre 2024.

La production assure que le show ne sera pas modifié, respectant le public parisien. C’est aussi pour les 160 000 spectateurs attendus, que toutes les sorties audio et vidéo ont été décalées à fin 2024, que le film de la tournée (réalisé par François Hanss) sera présenté en salles le 7 novembre 2024 aussi avant son exploitation commerciale. En attendant, dès maintenant, on peut apprécier la sortie du beau coffret anniversaire de son album « L’autre » (1991), sur l’édition instrumentale de « L’emprise » ou encore sur les 3 coffrets des singles de l’époque 1985-1997 disponibles pour la première fois en 45 Tours Pictures Disc (Vol 1 : De “Plus grandir” à “Sans logique” / Vol 2 : De “À quoi je sers”… à “Que mon coeur lâche” / Vol 3 : De “My Soul Is Slashed” à “Ainsi soit Je” … Live ’96 )

Et après ? Nul ne sait. Invité cet été sur France Info, Thierry Suc, son producteur a peut-être eu le mot de la fin : « Tout le monde peut se poser à un moment dans sa vie, dans sa carrière l’idée : « Est-ce que c’est le moment d’arrêter ou pas ? » Je peux me la poser. Mylène, comme tout le monde, peut se la poser. Mais, je n’ai pas la réponse, elle lui appartient et je ne suis pas sûr qu’elle l’ait aujourd’hui. »

En tout cas, ne jamais dire « Jamais plus »…

Gregory Guyot

Setlist : Prologue / Du Temps / Peut-être toi / Libertine / Optimistique-moi / À tout jamais / C’est une belle journée / Tristana / Medley instrumental : Dégénération – Beyond my control – Je t’aime mélancolie – Rolling Stone – Pourvu qu’elles soient douces / Rayon vert (avec AaRON) / Rêver / Pas le temps de vivre (Lille, Nantes) L’autre (Genève, Lyon, Bordeaux, Marseille, Bruxelles, Nice) / Que l’aube est belle / Sans contrefaçon / Oui mais… Non / Interlude (Ode à l’apesanteur – Instrumental) / Que je devienne / XXL / Désenchantée /  

Dates : Lille le 3 juin (45 000) / Nantes les 9 et 10 juin (60 000) / Genève le 17 juin (35 000) / Lyon l’ez 23 et 24 juin (89 000) / Marseille le 8 juillet (48 000) / Bordeaux les 14 et 15 juillet (84 000) / Bruxelles 22 juillet (40 000) / Nice le 29 juillet (34 834) + Paris les 27 et 28 septembre et 1er octobre (160 000)

Photos : live officiel Claude Gassian (DR) / Marcel Hartmann (DR) / Robin (DR) // photos Corbeau et « Regrets » Gregory Guyot (DR/JSM)

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