MAISON GAINSBOURG

L’esprit Serge For Ever

La mythique adresse du 5 bis rue de Verneuil où a vécu Serge Gainsbourg avait refermé ses portes le jour de sa disparition, le 2 mars 1991. Lieu resté vivant grâce à ses murs d’enceinte respirant l’amour et l’admiration, parés de mots, de dessins, de photos, de témoignages interrompus d’inconnus se chevauchant sans cesse, elle est restée le fantasme de tous ceux dont la perte de l’artiste a bouleversé leur vie à jamais. Théâtre du réel de scènes de familles télévisées, cabinet de curiosité inspiré ou alcôve intime et bien gardée, la petite maison des Gainsbourg était le membre immobile d’une famille volubile. 32 ans plus tard, cette adresse devenue rapidement légendaire aux quatre coins du monde ouvre enfin ses portes, orchestrée par Charlotte Gainsbourg, tandis qu’on n’osait plus y croire. C’est dire si sa visite aujourd’hui, qui surfe entre rêve éveillé et réalité inespérée, est un moment privilégié et précieux…

Dédiée à la transmission de l’œuvre de Serge Gainsbourg, la Maison Gainsbourg est la dernière institution culturelle française qui propose au public une expérience sur deux sites distincts rue de Verneuil à Paris. Dès la mise en vente des billets, dû à son exiguïté et à la volonté de Charlotte de ne rien changer de « sa » maison, la maison Gainsbourg affiche en quelques minutes « complet » et sature le site. Forcément privilégiés de pouvoir enfin visiter ces pièces maîtresses, chargées de vie et d’émotions, témoins des plus belles pages de la chanson française, nous déambulons le long de ses murs noirs, guidés par la voix de Charlotte. Cerise sur le gâteau (ou l’inverse), la maison s’enrichit d’un musée retraçant le parcours artistique du grand Serge, d’un bar exprimant l’esprit des lieux et d’une boutique déjà iconique.

Depuis toujours, dès que l’on tournait dans la rue de Verneuil, l’esprit de Serge était déjà là comme il est resté toujours aussi présent, encore aujourd’hui. Ce mur si emblématique est resté le lien quasi-épistolaire avec lui, constellé de mots mais aussi de dessins, de photos, d’affiches collées, de mosaïques, de petits objets entièrement dédiés à l’artiste mais aussi à Jane qui l’a rejoint pour toujours le 16 juillet dernier. Mais aujourd’hui, ce n’est plus seulement le mur qui nous rappelle à l’artiste, c’est sa maison toute entière qui ouvre ses portes au public au compte-gouttes, on pourrait dire au compte-larmes tant l’émotion grandit au fur et à mesure que l’on nous confie un casque, dans lequel vont résonner souvenirs et sons, offerts par Charlotte Gainsbourg et qu’on nous dirige vers l’entrée de la maison. On y entre deux par deux, en réalité on est 3 avec Charlotte Gainsbourg, chaleureuse et douce dans le casque, qui nous guide dès l’ouverture de la porte d’entrée et durant 30 minutes, va nous raconter quelques anecdotes personnelles, terriblement émouvantes, dans un réalisme ahurissant, une prouesse que l’on doit au studio Soundwalk Collective. L’émotion est palpable et viscérale et nous suspend dans un espace-temps suspendu tout au long des centimètres révélés des 130 m2 de légende.

Au fil des pas, Serge est là, Jane aussi. Il semble apparaître sur le canapé où il avait l’habitude de s’asseoir, les plis sont encore là, la célèbre mallette « pleine de billets de 500 francs » est posée juste là, à côté… A gauche, un portrait de Charlotte signé Guy Bourdin, à droite, une photo de Brigitte Bardot sculpturale, devant, un échiquier, une araignée, un cendrier, on entend le piano à côté de la collection d’insignes bien ordonnée ; dans la cuisine, on imagine Kate disparaitre dans la chambre murée, la télé tourne en boucle, les verres tintent ; en haut, c’est Jane qui s’isole dans la chambre des poupées, c’est Bambou qui s’endort, c’est Serge qui tape à sa machine, c’est le portrait de Marilyn qui nous sourit, c’est Charlotte qui se réfugie dans la bibliothèque… La maison est bien vivante encore et nous invite sur la pointe des pieds à un moment extrême d’intimité. Vertige d’un passé qui n’est plus, fragments d’une mémoire collective et personnelle à la fois, la Maison Gainsbourg est bien plus qu’un lieu, elle est la cassette décadenacée que l’on veut remplir de nos propres souvenirs. Elle est une expérience immersive absolument unique et avouons-le, bien au-delà de nos attentes et des rumeurs qui l’avaient précédée.

Fantasmée depuis 1969, année érotique en laquelle Serge Gainsbourg s’y installe, la Maison Gainsbourg a suscité tous les sentiments d’impatience, alimentés par de nombreuses rumeurs répandant l’information que le 5 bis rue de Verneuil à Paris n’ouvrirait jamais ses portes, entre histoires personnelles, règlements juridiques, impossibilité du lieu de le transformer en musée, etc… Pourtant dans un quasi-secret, le projet prenait forme jusqu’à devenir réalité, tandis qu’on n’y croyait plus. Charlotte Gainsbourg l’avoue : « Parfois j’entends des murmures venant de la rue. Ces gens, ces fans, qui ont fait le chemin jusqu’ici, qui défilent devant les graffitis, qui écrivent et dessinent à leur tour. Ce public, j’ai tout de suite imaginé le faire entrer. Leur ouvrir la porte. Comprendre le plaisir qu’ils auraient à découvrir ce décor. Cette envie, je l’ai dès le début, en 91, mais je suis confrontée à des mesures de sécurité trop compliquées pour envisager un lieu public. La maison est si petite. » Et puis, elle concède : « Avec du recul, je pense que le projet n’était pas assez mûr dans ma tête. Cet écrin, ce jardin secret, il était à moi toute seule. J’avais sans doute besoin de ces trente et quelques années pour réellement me faire à l’idée de « le » partager… »

L’attente a donc été à la hauteur de l’expérience !

« J’espère proposer au public, une expérience à part, qui donnera peut-être une nouvelle écoute à son œuvre. Une expérience si possible à la hauteur de ce qu’il nous a laissé. ». Pour qui s’est laissé bercé par « La Javanaise », pour qui a fui le bonheur de peur qu’il ne se sauve, pour qui a laissé Baby alone in Babylone, pour qui a dit « je t’aime moi non plus » à des amours défuntes, il est incapable de ressortir intact de cette déambulation hagarde autant qu’ébahi dans les couloirs sombres, habillés de photos, de coupures de journaux, de disques d’or, de livres, de tableaux où se mêlent des mannequins, les trophées, les mégots de Gitanes, quelques vêtements usés iconiques et des objets devenus historiques figés depuis 32 ans par la volonté de Charlotte Gainsbourg.

Même si elle pourrait se suffire tant l’émotion qu’elle suscite nous submerge, la Maison Gainsbourg étend son expérience, un peu plus conventionnelle cette fois-ci mais pas moins passionnante, en face, au numéro 14 de la rue Verneuil, dans le musée retraçant la vie et la carrière de l’artiste et qui se visite plus facilement.

Le musée nous donne l’impression d’être encore dans la maison en reproduisant quasi à l’identique l’univers et l’atmosphère de la maison du 5 bis rue de Verneuil : murs noirs, carrelage, tentures d’une allure folle. Il propose une plongée d’une durée d’environ 1h dans l’œuvre et la vie de Serge Gainsbourg. Nous pénétrons dans une longue galerie composée d’œuvres emblématiques ou inédites qui forment la collection permanente de la Maison Gainsbourg. De ses débuts à sa disparition, les partitions, les manuscrits, les photos, les objets, les dessins, les journaux, les bijoux, les œuvres uniques se chevauchent et se révèlent.

Face aux vitrines foisonnantes, des écrans diffusent par période des images souvent rares ou emblématiques du parcours de l’artiste, star de la télévision dont il a suscité plusieurs éclats. Au total, 1200 extraits forment une rétrospective chronologique de cinquante minutes subtilement séquencées. Au bout de la Galerie, la sculpture iconique de Claude Lalanne, l’homme à tête de Chou, est assis, royal.

Au sous-sol, le musée accueille également en fin de parcours de petites expositions temporaires thématiques destinées à mettre en lumière certains événements clés de sa carrière. Pour l’ouverture, c’est « Je t’aime moi non plus » la chanson sulfureuse de Serge Gainsbourg qu’avait enregistrée Brigitte Bardot avant de se rétracter, reprise avec Jane Birkin en 1968.

L’expérience se termine au Gainsbarre puis à la boutique. En réalité, longtemps après, lorsque la rue de Verneuil est déjà loin, l’esprit des lieux continue de nous parler et de nous chanter ces “Dessous chics” enfin révélés…

Gregory Guyot

Pour en savoir plus sur les secrets de la Maison Gainsbourg, (re)découvrez la grande interview de Tony Frank que nous avions rencontré à l’occasion de la sortie de son livre “5bis Rue de Verneuil”. L’ami et photographe intime de l’artiste nous avait révélé quelques secrets qui résonnent davantage aujourd’hui pour le public avec cette ouverture historique. Cliquez ici.

Photos Maison Gainsbourg (DR) : Serge Gainsbourg par Tony Frank / Charlotte Gainsbourg par Jean-Baptiste Mondino / Intérieur Maison par Pierre Terrasson / Musée par Alexis Raimbault

En application de l’article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle : « Toute reproduction ou représentation d’une œuvre faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite ». Ainsi aucune autre utilisation n’est permise, aucune publication ne pourra être faite sur des comptes tiers, ni sur d’autres sites web ou autres support de quelque nature, ni sur une nouvelle publication sur le même site. Aucune altération de l’image ni détournement de son contexte ne sont autorisés. Aucun transfert de cette autorisation à un tiers n’est possible, et la photo ne peut pas être utilisée à des fins professionnelles, commerciales ou promotionnelles, ni à des fins de propagande politique ou autre.