L’interview « à livre ouvert »

de BARBARA CARLOTTI

Depuis le temps qu’elle flirte avec la littérature et la poésie au fil de ses albums, tous salués par la critique pour leur exigence et leur haute qualité d’écriture, il était évident que l’auteure-compositrice-interprète et réalisatrice Barbara Carlotti serait tentée un jour par l’écriture d’un premier livre. C’est aujourd’hui chose fait avec le courageux et effronté « L’art et la manière », un recueil d’histoires, illustré par l’ami Philippe Katerine, entièrement consacré au désir charnel et au plaisir féminin sous toutes ses déclinaisons, évoqués ici avec poésie, sensualité, délicatesse, mais aussi parfois de façon plus crue et frontale. En treize histoires racontées avec audace et sans filtre, Barbara dresse le portrait kaléidoscopique et troublant de la femme d’aujourd’hui, évoquant son rapport au sexe comme un langage secret, avec ce qu’il exprime d’une personnalité intrinsèque et de son rapport au monde extérieur. Histoire de fêter cette nouvelle réussite à son palmarès et son entrée majestueuse en librairies, nous avons parlé « à livre ouvert » avec la grande lectrice qu’est aussi Barbara … Elle sera le 15 avril en lecture musicale à la Maison de la Poésie à Paris.

– Enfant, quel est ton premier souvenir de lecture ?

Mon premier souvenir, c’est ma mère qui nous lisait « Les contes des mille et une nuits », avant d’aller nous coucher quand nous étions enfants, avec mon frère et ma sœur. Nous nous endormions toujours avec une histoire, après quoi, à l’adolescence, j’ai lu passionnément de la science-fiction et de la poésie. 

– Le dernier livre que tu as acheté ?

« Question de Méthode », un recueil de 11 onze nouvelles de science-fiction de Philippe K. Dick, qui toutes nous confronte à des choix moraux et éthiques, dans un monde riche d’imagination qui se déploie souvent dans les futurs. J’ai découvert son roman « Ubik » récemment, et ça m’a donné envie de lire tout K. Dick. Ce génie de la science-fiction a irrigué tout le cinéma du 20 ème siècle, de « Blade Runner » à « Total Recall », qui sont des adaptations de ses œuvres.  Dans « Ubik » les protagonistes ont des pouvoirs fascinants dont on aimerait tous disposer, comme la télépathie et la prémonition, ou encore ralentir le temps, contrer les pouvoir psychique des autres ou encore guérir les blessures. Ce qui est incroyablement réussi chez K. Dick, c’est sa capacité à créer des intrigues palpitantes, tout en remettant en question la nature de la réalité.

– Le dernier livre qu’on t’a conseillé ?

Je parlais récemment à mon attachée de presse de mon adoration pour Eve Babitz dans « Jours tranquilles, brèves rencontres », et elle m’a offert « Sexe et rage », l’histoire de Jacaranda qui grandi près de l’océan à Los Angeles et qui n’est autre que la biographie fictionnalisée de l’auteure : une jeune femme libre et indépendante, qui vit à Los Angeles dans les années 1960. Jacaranda est belle, intelligente, sarcastique et passionnée, mais elle a du mal à trouver sa place dans le monde. Elle tombe amoureuse d’un musicien célèbre et charmant nommé Stoney, qui l’entraîne dans une vie de fêtes, de drogues et de sexe. Mais malgré leur relation passionnée, Jacaranda ne peut s’empêcher de se sentir aliénée et seule. Le roman est un portrait poignant de la vie dans les années 60 à Los Angeles, avec une prose crue qui dépeint les joies et les peines de la jeunesse, de la sexualité et de la recherche de soi.  Babitz capture l’essence de l’époque et écrit une ôde à la jeunesse et à la liberté, à la recherche de soi et à l’amour.

– Ton livre de chevet ?

« Orlando » de Virginia Woolf, que j’ai découvert à 19 ans et adoré. Ce grand roman, en forme de fausse autobiographie parodique, a été publié en 1928 et raconte l’histoire du personnage éponyme, Orlando, sur 400 ans d’existence. Orlando passe de l’identité d’un jeune homme noble, tout à tour au service de la reine au 17 ème siècle puis ambassadeur à Constantinople, mais dont l’âme de poète se désintéresse totalement de la politique, et ne s‘intéresse qu’à la littérature et à l’amour. À la faveur d’une longue sieste après une mutinerie à Constantinople, il va se trouver métamorphosé en femme bohémienne dans les montagnes turques, puis de retour en Angleterre, s’acclimater à la vie d’aristocrate  puis à celle de femme moderne écrivain, devenant célèbre en écrivant un poème, mesurant tout au long de sa vie de femme, les différences de traitement entre les genres et les injonctions sociétales. Ce chef-d’œuvre de la littérature moderne met en lumière les contradictions et les limites de la société de genre et de la norme dominante. C’est une critique sociale acide. Son style parodique et son sens de la narration en font un des romans les plus trépidants et drôles  que j’aie jamais lus.

– Celui que tu n’as jamais réussi à terminer ?

Trop, car j’en commence plein en même temps, mais celui que j’ai recommencé au moins 4 fois sans réussir à aller au bout c’est « Ulysse » de James Joyce. Je ne m’avoue pas vaincue.

– Es-tu amatrice de biographies de célébrités ? laquelle, par exemple ?

J’aime beaucoup les bios de musiciens : j’ai lu avec plaisir celles de Robert Wyatt, de Léonard Cohen, de Philippe Katerine, et je m’apprête à lire celle de Quincy Jones.

– Ton genre de livres préféré (policier, roman, SF, philosophie, BD…) ?

Aucun genre en particulier, je suis très éclectique mais j’ai une passion pour la BD : Charles Burns notamment, après avoir découvert « Black Hole ». Et puis, j’aime les romans graphiques.

– Ton endroit favori pour lire ?

À la terrasse d’un café, au soleil.

– Es-tu plutôt papier ou numérique ?

Papier, définitivement ! Les écrans c’est pour scroller ou répondre aux mails.

– Plutôt plusieurs livres en parallèle ou un seul à la fois ?

En général, j’essaie de m’en tenir à un seul, sinon je perds le fil.

– Plutôt Fnac/Amazon ou libraire de quartier ? Une adresse à conseiller ?

Librairie de quartier : je vais chez Libralire, rue Saint Maur à Paris dans le 11ème, qui est très agréable et les libraires sont sympathiques. 

– Quel est ton écrivain classique préféré ?

Je ne lis pas beaucoup de littérature classique. Pour moi, « Virginia Woolf » est le new classique.

– Ton philosophe préféré ?

Je lis peu de philosophie, j’aime surtout la fiction, mais il y a 2 ans, j’ai lu Frederick Nietzsche, dont j’adore « Ainsi parlait Zarathoustra ». 

– Ton poète préféré ?

Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, comme dans ma chanson « l’idéal ».

– Ton dessinateur BD préféré ?

Charles Burns, et Christophe Blain bien sûr, avec qui j’ai fait la BD Musicale « La Fille ».  

– Plutôt Françoise Sagan ou Marguerite Duras ? Un titre ?

« Détruire dit-elle » de Marguerite Duras, mais j’aime aussi beaucoup « Bonjour Tristesse » de Françoise Sagan.

– Plutôt Guillaume Musso ou Marc Lévy ?

Je ne les ai jamais lus.

– Quel est le poète dont tu aimerais mettre en musique un texte ? Un poème en particulier ?

J’ai déjà mis un extrait de « Manfred » de Lord Byron en musique dans ma chanson « Lord Byron », que j’avais composée pour mon spectacle « Nébuleuse Dandy ».

– Quel est ton film préféré adapté d’un roman ?

“Short Cuts” de Robert Altman, qui est d’adaptation de l’ adaptation de plusieurs nouvelles écrites par Raymond Carver, les nouvelles « Neighbors », « They’re Not Your Husband », « Vitamins », « Will You Please Be Quiet, Please ? », « So Much Water So Close to Home », « A Small, Good Thing », « Jerry and Molly and Sam », « Collectors », « Tell the Women We’re Going » y sont habilement entremêlées. Robert Altman a réussi à tisser ces différentes histoires ensemble pour créer un portrait complexe de la vie à Los Angeles dans les années 80. Mort, famille, sexualité, amour, trahison sont les thèmes majeurs qui se déploient avec une grande intelligence.

– As-tu commencé l’écriture d’un nouveau livre ? Si oui, quel en est le thème ?

J’ai beaucoup d’idées, mais je vais déjà accueillir la sortie du premier… 

– Tiens-tu un journal intime ?

Oui, depuis l’âge de 9 ans.

– Si tu devais publier une autobiographie, quel en serait le titre ?

« La liberté ».

Propos recueillis par Eric Chemouny

Photos: Astrid di Crollalanza (DR)

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