L’interview « Premières fois »

de SEBASTIEN DELAGE

Révélé au sein du duo Hollydays dont nous avions beaucoup aimé le premier album « Hollywood bizarre » (2018), Sébastien Delage a choisi de se remettre en question, tant humainement qu’artistiquement, de faire cavalier seul et de tout porter sur ses épaules, en solitaire ou presque : création de label (Drama Queen Music), écriture, composition, arrangements, chant (une première pour lui !). C’est dire si cet album « Rien compris », suite logique de l’ EP « Fou » (inclus l’excellent « Les garçons de l’été » servi par un clip animé très original), est l’exact miroir de l’homme et de l’artiste complexe et multiple qu’il est aujourd’hui, tout à la fois sombre et solaire, comme ce sentiment de dualité qui l’habite et le fracture. Sur des mélodies organiques tour à tour Rock et nerveuses, ou plus apaisées et confidentielles, il nous ouvre son journal intime d’une voix douce et chaleureuse, où se mêlent avec la même intensité les souvenirs de son enfance dans les Pyrénées, ses obsessions, ses démons, ses rêves, ses amours éphémères et/ou multiples… À l’occasion de la sortie de ce premier opus qu’on adore, si percutant de fraicheur et de vérité, Sébastien s’est rappelé ses « premières fois » pour Je Suis Musique, balayant au passage tous les clichés sur la communauté gay et ses supposés goûts musicaux…

– Quelle est la première chanson qui t’a marqué ?

J’ai toujours été sensible aux groupes à guitares, mais j’ai pris ma première claque avec « Paranoid Android » de Radiohead quand j’étais ado : je réalisais qu’on pouvait faire du Rock autrement que de façon «classique», car j’avais découvert le Rock avec des groupes comme The Rolling Stones, que mon père écoutait beaucoup. J’ai été fasciné par l’approche de Radiohead complètement différente, ce qui m’a amené évidemment par la suite à Queen, The Beatles et Bowie…


– Le premier album que tu as acheté avec ton propre argent ?

J’ai du acheter quelques CDs 2 titres avec mon argent de poche, mais je me rappelle surtout avoir acheté mes premiers albums au lycée : « Comme on a dit », deuxième album très sous-estimé de Louise Attaque et « Origin of Symetry » de Muse.


– Le premier chanteur que tu as aimé ?

Je m’en souviens très bien. C’était l’année où j’ai habité chez ma grand-mère, Bijou, dans les Pyrénées. J’avais 4 ans, nous écoutions Georges Brassens du matin au soir.


– La première chanteuse ?

Je vais tricher, car c’est je pense la première chanteuse que j’ai détestée – au départ. Ma mère adorait Veronique Sanson. Je détestais sa musique. Et puis en grandissant, j’ai pris le temps de découvrir et je ne peux pas le nier, c’est sublime. J’ai la chair de poule chaque fois que j’entends « Bahia ».


– Le premier groupe ?

Je reviens à Radiohead, Thom Yorke m’a immédiatement fasciné. Il y avait un live acoustique avec Johnny Greenwood qui a été capté pour Arte au Réservoir pour la dernière émission de MusicPlanet2Nite. On sent que c’est peu répété, assez imparfait, mais la sincérité désarmante de cette voix comme un violon, et les arrangements nus des ces chansons, m’ont fait immédiatement tomber en amour pour ce groupe que j’aime aujourd’hui toujours autant.


– Ton premier souvenir de télévision ?

Je me souviens, comme si c’était hier, de la première fois que j’ai vu le générique de la série animée « Batman » (à l’époque, sur France 3), quand j’étais enfant. C’était d’une noirceur et d’une direction artistique à toute épreuve, sur un thème épique de Danny Elfman. J’ai découvert plus tard que cette adaptation était par ailleurs supervisée par Tim Burton, un réalisateur dont le travail des débuts m’a longtemps bouleversé.


– Le premier héros de ta vie ?

C’est une héroïne, il s’agit de ma grand-mère de cœur, Bijou, qui m’a élevé pendant le divorce de mes parents en 1991, dans les Pyrénées. Je lui ai écrit une chanson sur mon album, « L’Ossau ». C’est quelqu’un d’une modernité, d’une ouverture d’esprit et d’une culture qui m’a toujours inspiré, et pour qui j’ai un respect infini. J’espère vraiment qu’il y aura un livre ou un film sur sa vie ! 


– Le premier film que tu as vu au cinéma ?

Nous n’allions pas au cinéma avec ma mère, mais j’ai eu l’habitude d’y aller à Paris avec mon parrain, le mercredi après-midi, après être rentré au collège. Je ne me rappelle pas les premiers films que nous avons vus ensemble, mais je me souviens du premier film que je suis allé voir sans adultes avec seulement des copains, c’était « Princesse Mononoke » de Myazaki et ce fut un tel choc, un tel coup de foudre, que j’y suis retourné deux fois. 


– Le premier concert  de ta vie ?

Ce n’était sans doute pas le vrai premier concert de ma vie, car j’ai dû voir des fêtes de village avant, mais en 6ème, je suis allé voir Louise Attaque à la Cigale (qui tournait justement pour leur deuxième album). Il y avait ce morceau très expérimental façon Rock progressif de 18 minutes qui s’appelle « La Ballade De Basse », qu’ils ont joué et qui m’a mis une claque. J’ai d’ailleurs commencé la musique au lycée par la basse. On ne réalise pas assez le pouvoir émotionnel de cet instrument.


– La première chanson que tu as conseillé d’écouter ?

Je pense qu’adolescent, j’ai essayé de convaincre mon entourage d’écouter tout Radiohead (avec peu de succès, je me sentais marginalisé de ne pas écouter de Rap, ou bien la musique à la mode de l’époque, qui ne me touchait absolument pas). Mon rapport à la musique était finalement pour moi assez solitaire, néanmoins je me rappelle avoir fait découvrir « Désert » d’Émilie Simon à ma meilleure amie de l’époque. Le fait qu’elle ait aimé quelque chose que j’aimais aussi, a été une petite victoire.


– Le premier album que tu as recommandé ?

Je pense que j’ai offert « Kid A » de Radiohead en tellement d’exemplaires, que c’était sans doute plus un cadeau de moi à moi, en vivant totalement par procuration !


– Le premier titre qu’on t’a conseillé d’écouter ?

Marianne était animatrice à l’école primaire de banlieue, où je suis arrivé après mon séjour chez Bijou. J’ai été pas mal emmerdé à l’école et elle m’a beaucoup protégé des brutes de la cour de récréation. Nous avons développé une relation extrêmement privilégiée et elle m’a initié à l’adolescence à beaucoup de musiques que ma génération n’écoutait pas, en particulier Bjork ou Jay-Jay Johanson. Je me rappelle encore l’émotion que j’ai pu ressentir la première fois que j’ai entendu « Bachelorette » (magnifiquement reprise par Sandra Nkaké récemment par ailleurs).


– Le premier album qu’on t’a recommandé ?

Grégoire, mon ami du lycée, m’a initié à la basse et à beaucoup de musiques. Je me souviens qu’il m’avait conseillé d’écouter l’album « In a Bar, Under The Sea » du groupe belge dEUS. J’avais trouvé ce disque hallucinant de créativité.


– La chanson souvenir de ton premier amour ?

J’ai été profondément amoureux d’un garçon de Montpellier qui vit toujours place de la Canourgue (si vous avez écouté « Les garçons de L’été » ça vous dira peut-être quelque chose…) et nous passions des heures à écouter Archive et Massive Attack en fumant des pétards sur son toit. Alors je ne peux pas citer une chanson mais plutôt un album entier, et s’il fallait choisir je dirais « Mezzanine » : c’est un disque qui transpire la sensualité de la première à la dernière seconde.


– Le premier titre qui t’a fait danser ?

C’est là que je le bât blesse, car je ne danse pas. J’ai d’ailleurs écrit une chanson intitulée « Jamais dansé » sur mon album ! Je suis plutôt sensible au Rock, à des choses assez sombres et torturées. Néanmoins, au lycée j’ai découvert une version plus Punk et Rock de la musique dansante : LCD Soundsystem, c’est le titre « Daft Punk is Playing At My House » qui a été le plus proche de me faire danser.


– Le premier titre qui t’a fait pleurer ?

Ce n’est pas le premier morceau qui m’a littéralement mis la chair de poule, ceux-là sont bien trop nombreux, mais le premier qui m’a fait pleurer à chaudes larmes (je m’en souviens, car j’étais enfant) c’est « Jack’s Lament » de Danny Elfman et interprétée par lui-même dans la comédie musicale « Tim Burton’s Nightmare Before Christmas » (« L’Étrange Noël de Mr Jack »). En tant qu’enfant queer qui grandissait en banlieue, et parce que je subissais du harcèlement scolaire, pour l’ensemble de ces raisons, je me souviens avoir été ému aux larmes par ce personnage qui ne se sentait pas à sa place. Les accords me dressaient et me dressent toujours les poils.


– La première personne qui t’a encouragé dans ce métier ?

C’est le créateur d’Ami, Alexandre Mattiussi, avec qui j’ai eu une formidable histoire d’amour au début de sa marque, Il venait de passer le cap de se lancer en solo, je vivais à Londres pour bosser dans l’enseignement, j’allais passer le CAPES et je voulais tout plaquer pour faire de la musique. Alexandre m’a poussé, encouragé et soutenu à faire ce qui me rendait heureux. J’ai donc fondé Hollydays et vécu 8 ans d’une très belle histoire de groupe, avec un album chez Polydor dont je suis toujours très fier.


– La première reprise que tu as chantée ?

Avant 2020, je n’avais jamais chanté (du moins sérieusement), la première fois que j’ai sauté le pas étant sur la chanson de mon ami Pierre Lapointe, « La plus belle des maisons », un morceau sublime et brut.


– La première chanson que tu as écrite ?

Je n’avais jamais chanté, mais jamais écrit non plus (en français en tout cas), mais après avoir été diagnostiqué bipolaire, j’ai écrit la chanson qui donne le nom à mon premier EP : « Fou ». C’était à la fois un besoin et une thérapie.


– La première chanson que tu as chantée en public ?

C’était en août 2021, Chez Ollie, un adorable café de Biarritz (n.d.l.r : Ollie a fermé ses portes depuis). C’était l’été, j’étais mort de trouille, et je commençais mon set par « Banlieue » qui est sur mon EP.


– Ta première « première partie » ?

Sous mon projet solo, c’était en octobre 2021 au 106 à Rouen, en ouverture de Lilly Wood And The Prick. C’était la première fois que je faisais face à tant de gens, pour chanter ces chansons où je me mets vraiment à nu. J’avais l’impression de l’être réellement sur scène. Au fur et à mesure du set, cette vulnérabilité est devenue une force et un souvenir que je n’oublierai jamais. Moi qui n’avais jamais été seul sur une scène pour chanter, j’ai eu la confirmation que c’est ce que je voulais faire le plus au monde.


– Ta première chanson passée en radio ? 

La première chanson qui est sortie était « Les garçons de l’été ». Elle est passée sur FIP et c’était une grande fierté, car c’est sans doute une des seules radios que j’écoute, avec France Inter.


– Le premier titre qui te vient à l’esprit pour Je Suis Musique ?

Depuis que je connais le groupe Big Thief, il n’y a pas un jour où je ne les écoute pas, le songwriting de « Not » est pour moi parfait en tous points.

Propos recueillis par Eric Chemouny et Grégory Guyot

En concert aux Trois Baudets à Paris, le 9 février 2023.

Photos ; Laurent Humbert (DR)

En application de l’article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle : « Toute reproduction ou représentation d’une œuvre faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite ». Ainsi aucune autre utilisation n’est permise, aucune publication ne pourra être faite sur des comptes tiers, ni sur d’autres sites web ou autres support de quelque nature, ni sur une nouvelle publication sur le même site. Aucune altération de l’image ni détournement de son contexte ne sont autorisés. Aucun transfert de cette autorisation à un tiers n’est possible, et la photo ne peut pas être utilisée à des fins professionnelles, commerciales ou promotionnelles, ni à des fins de propagande politique ou autre.