PIERRE DE MAERE

Le beau mariage.

Avec le tube « Un jour, je marierai un ange », qui lui vaut deux nominations aux prochaines Victoires de la Musique (le 10 février prochain à la Seine Musicale), Pierre De Maere est entré en fanfare dans la cour des grands de la chanson francophone ! Auréolé de son premier album, « Regarde-moi », il scelle avec éclat un beau mariage, celui de la France qui l’a adopté avec sa Belgique natale, de la sophistication d’une Pop anglo-saxonne ultra produite avec une chanson hexagonale plus traditionnelle (celle qui roule les « r »), tout comme il cristallise la réconciliation de l’ange et du démon qui cohabitent en lui, de l’exubérance juvénile qu’il affiche sur scène et de la grande maturité dont témoignent ses chansons romantiques et profondes, l’alliance du son parfait et de l’image soignée à laquelle il est très attaché en tant qu’esthète féru de photographies de mode. Attentifs depuis ses débuts à son parcours et à sa fulgurante ascension, nous avons rencontré un garçon équilibré, drôle et chaleureux, animé d’une saine ambition et d’une lucidité étonnante sur son métier. Notre flamboyant nouveau « bel-ami” de la Pop s’est raconté avec une franchise, une simplicité et une gentillesse qui vont droit au coeur, comme ses chansons…

– Dans quel environnement as-tu grandi ?

Je suis né à Bruxelles, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de dix ans. En grandissant, la maison n’étant plus assez spacieuse pour nous, mes parents ont décidé d’aller s’installer à la campagne. Trouver une plus grande maison dans Bruxelles-même était devenu inabordable. On a donc atterri à Walhain, un petit village à 30 km de la capitale, en pleine campagne. Il n’y avait pas grand chose à faire… Si bien, que j’ai vécu la deuxième partie de ma jeunesse dans cet environnement plutôt calme et serein. J’ai souvent parlé d’ennui à propos de cette époque, même si mes parents n’aiment pas que je dise cela. Mais c’est vrai qu’il n’y avait pas de lieux de sorties, ni de gare à moins de 45 minutes à pied… De fait, je n’avais rien d’autre à faire que rester chez moi après les cours, n’étant pas du genre non plus à aller voir les copains. Je me suis vite trouvé une occupation qui était de faire de la musique.

– Quels étaient tes goûts musicaux et tes idoles, pendant cette période d’apprentissage ?

Je vivais avec mon époque et j’étais bercé par les tubes du moment. Dès l’âge de 8-9 ans, j’ai découvert une femme merveilleuse en la personne de Lady Gaga, dont je suis d’abord tombé amoureux, avant qu’elle ne devienne une sorte de mère spirituelle pour moi. Il y a eu aussi « Life in Cartoon Motion » le premier album de Mika que j’ai saigné à mort, les albums « Cheese » et « Racine carrée » de Stromae. J’avais 12 ans quand ce dernier est sorti. Je l’ai reçu comme une claque qui m’a montré que la musique francophone pouvait aussi être quelque chose de bien. Avant cela, je trouvais que c’était ringard, de la « variété », qui ne me touchait pas. Et cet album est arrivé avec sa production à l’américaine, qui n’avait rien à envier aux autres. Beaucoup plus tard, vers 15-16 ans, en prenant de la maturité et en devenant un peu moins bête, j’ai commencé à accorder un peu de crédit aux goûts de mes parents. Mon père adorait la chanson anglo-saxonne, Supertramp, Queen, Genesis, Arcade Fire… Quant à ma mère, elle aimait la grande chanson française comme Jacques Brel, ou des artistes plus populaires comme Jean-Jacques Goldman, Francis Cabrel, France Gall, Françoise Hardy… Enfin, dernière inspiration majeure, celle de mon grand frère qui a fait une école d’ingénieur du son, et m’a initié à des choses plus expérimentales au synthé, à des musiques d’une précision millimétrée, qui plaisent à de rares initiés. Le mélange de tout cela a construit mon ambition de faire des tubes, des chansons qui combinent une certaine recherche, tout en restant accessibles au plus grand nombre, tout comme l’a fait Stromae.

– À quoi te destinais-tu, si tu n’avais pas été happé par la musique ?

J’ai fait un an de photographie aux Beaux-Arts, et avant cela, beaucoup de photos par moi-même. Je dois avouer que je ne crois pas beaucoup en l’enseignement dans les écoles d’art. On n’y apprend pas grand chose, et c’est souvent une perte de temps. En ce qui me concerne en tout cas (rires). Aux Beaux-Arts, on avait une vision très contemporaine, très berlinoise des choses. On se complaisait à aimer des choses moches, à prendre en photo des choses moches, en essayant de construire toute une histoire autour. A mon sens, c’était du grand n’importe quoi ! Je ne me sentais pas concerné par cette approche. Par contre, je faisais beaucoup de photographie pour mon plaisir, en particulier de la photo de mode. J’ai commencé en faisant des photos de ma soeur, puis de copines à moi, et enfin je suis monté d’un cran en faisant poser des mannequins. Là, je me suis retrouvé à prendre en charge la direction artistique, allant du maquillage, en faisant appel à un make-up artist, jusqu’au stylisme. J’allais moi-même chercher des fringues chez Zara, que je rendais dès le lendemain des shoots. Ma passion pour la photographie de mode est née comme cela. J’ai appris à habiller les autres, avant d’apprendre à m’habiller moi-même à peu près correctement. Je suis revenu à la musique en 2020, vers 18-19 ans, et en Français cette fois. Parce qu’au début, j’avais commencé à chanter en yaourt, puis en Anglais, mais on m’a vite fait remarquer que mon Anglais étai atroce et qu’il valait mieux que j’essaie le Français. Sur le coup, j’étais vexé, mais c’était un bon conseil. Je me suis lancé, et j’ai écrit « Potins absurdes », mon premier morceau, sorti sur les plate-formes en mars 2020, pendant le premier confinement. J’étais encore aux Beaux-Arts, et je n’ai démarché personne, considérant que c’était trop tôt pour aller voir les pros, avec un seul titre en ligne en Français, l’autre étant en Anglais.Il se trouve que les étoiles se sont alignées pour moi : Théo mon actuel directeur artistique chez Cinq 7 / Wagram m’a repéré à travers les playlists algorithmiques de Spotify… C’était vraiment de la pure chance ! Il est tombé sur le projet qui lui a plu. Je pense qu’au-delà de la musique, car le titre n’était pas fameux, il a vu en moi une image assez travaillée. Ce n’est pas un effort que je fournis, c’est assez inné chez moi de soigner l’image. Il m’a vu posé dans une baignoire vintage aux carreaux rose un peu kitsch, celle chez mes grand-parents, avec un téléphone filaire à l’ancienne et une chemise Valentino fripée… Il a perçu de ma part une démarche visuelle, en plus de la chanson, qui sans être terrible, laissait entrevoir une signature vocale, un phrasé avec les « r » qui roulent, les envolées dans les aigus… Voilà comment l’aventure a commencé. J’ai abandonné mes études, et le fait d’être signé en maison de disques a rassuré mes parents : j’étais pris en charge par une structure, y compris financièrement avec une avance qui me permettait de voir venir…

– Justement d’où te vient ce phrasé réaliste d’une autre génération ?

Ce n’était pas prémédité : ces « r » qui roulent sont arrivés comme ça. Stromae a été une inspiration, Piaf que j’écoute un peu aussi. Brel également, même si je connais moins bien son répertoire. Je tiens toujours à ce que le résultat soit fluide et musical, et ça en fait partie. Quand je fais des chansons, je pense en premier à la musicalité, même si les textes ont leur importance aussi. Une chanson est un terrain de jeu pour moi. J’aime jouer avec la prod’, le phrasé en créant des césures, là où on ne les attend pas forcément, malmener les mots pour les faire rentrer dans la mélodie que j’imagine.

– « Make Me Famous » est l’injonction qui a contribué à te faire connaitre : quelle est la part de vérité et de provocation dans cette ambition décomplexée ?

Cette phrase était très clivante et elle a irrité pas mal de monde, de gens qui ont vu en moi un sale con… En fait, il y avait en moi une réelle envie de percer, comme n’importe quel artiste qui commence dans la musique. On ne peut pas dire le contraire : tout le monde a envie que sa musique soit écoutée. Même les artistes les plus indés, s’adressant à une niche, n’ont pas envie de faire 37 écoutes le premier jour ! Dans mon cas, ce n’est pas tant la célébrité qui m’intéresse, mais la popularité. J’ai envie d’écrire des chansons qui soient populaires. Je n’y pense pas quand je les écris, ce serait trompeur et ça fausserait mon processus. Mais j’aime l’idée qu’une chanson, un texte, fédèrent beaucoup de monde. Je n’écris pas pour un petit microcosme parisien qui se regarde entre soi. Ça ne m’intéresse pas. Je pense que ce n’est pas propre aux chanteurs : pour réussir, il faut avoir de la détermination, mais j’ai l’impression qu’en France, on a un peu de mal avec cette idée… L’ambition est toujours suspecte, alors qu’aux Etats-Unis, Madonna ou Lady Gaga ne s’en sont jamais cachées. Ça n’a rien de malsain à mes yeux.

– Pour le coup, « Un jour, je marierai un ange » est un tube populaire connu de tous : as-tu inventé cet anglicisme volontairement ?

Non (rires) ! Je pensais écrire en bon français, quand la chanson est née, il y a deux ans. Je me suis inspiré de l’anglais : « I will marry »… Ça me semblait évident, alors que c’est une faute de français. Mais au final, elle donne du caractère au refrain, comme une punchline. « Une jour j’épouserai un ange » n’aurait pas été très joli à l’oreille, et n’aurait peut-être pas eu le même impact. Comme je te le disais, la musicalité passe avant toute chose pour moi. Dans l’introduction de la chanson, « Les oiseaux », je dis : « ma tête est mise à mort ». Or, on dit plus généralement qu’une tête est mise à prix, ou qu’un être humain est mis à mort. Mais c’est la beauté des mots qui prime. Une chanson doit être fluide. J’aime les chansons qui coulent de source, donnent envie de faire de la musique, et paraissent simples et faciles à leur écoute, même si ce n’est pas le cas en réalité. Quand tu écoutes un tube de Queen ou de Supertramp, tu oublies tout le travail et les efforts qu’il y a derrière. J’aime que dès la première écoute, on se laisse emporter, comme sur une autoroute. Tout comme quand au tennis, on regarde un Nadal jouer, on a envie de s’emparer d’une raquette, tant son jeu semble simple et évident.

– Le titre a mis beaucoup de temps à entrer en playlists, un peu comme « La grenade » de Clara Luciani …

Ce titre a eu trois vies. La première, à sa sortie. En réalité, ça partait plutôt bien, puisqu’un mois et demi après, dès janvier 2022, Virgin Radio, RTL2, France Bleu, et quelques radios nationales ont commencé à le rentrer, si bien que sans être un tube, le titre était connu de pas mal de monde. En streaming, il a cumulé plus de six millions d’écoutes, ce qui n’en faisait pas un tube, mais pas un échec non plus. Tout a commencé comme ça. J’étais plutôt content, sans que ce soit la folie non plus. Puis, en juillet, un certain Nardo a repris le morceau sur Tiktok, dans une version très douce, très planante, et qui rendait un peu justice à la tendresse de la chanson. En piano-voix, on prête forcément plus d’attention au texte, qui s’en est trouvé sublimé par le gars qui le chante. Il n’avait que 400 abonnés, donc ça n’avait aucun sens, mais le truc est rentré dans les algorithmes et a fini par faire 7 millions de vues en 4 jours. La France se l’est appropriée, et 100.000 videos ont été créées à partir de là : c’était ouffissime ! C’était génial, mais en même temps, il fallait remettre les choses à leur place, et que les gens sachent qui chante vraiment ce morceau, et en écoutent l’original. Mon Label m’a incité à me mettre enfin à Tiktok, ce que j’avais refusé de faire jusqu’ici. J’ai donc débarqué pour me présenter et expliquer que j’étais celui qui avait écrit cette chanson-là, en faisant un peu d’humour au passage. Ca a bien fonctionné aussi, et on a réussi stratégiquement à faire revenir les gens sur la version originale de la chanson. J’ai fait venir à moi un public plus jeune, parce que jusqu’ici, j’avais beaucoup de darons et de daronnes, ainsi qu’un public de gays, donc assez ciblé. On est allé chercher un peu de jeunesse, et je me rends bien compte en jouant sur des festivals par exemple, que le public s’est élargi depuis. C’est très agréable à observer. Après avoir fait son ascension sur Tiktok, le titre est entré dans les charts, et d’autres radios ont suivi, comme NRJ…

– En parallèle de cette ascension, tu devais être rassuré par le fait que tes concerts à la Cigale et au Trianon se soient vite remplis …

Oui, les concerts ont affiché complet rapidement. C’était hyper excitant et plutôt bon signe pour la suite des évènements. Mais disons que le petit coup d’accélérateur m’a fait plaisir, et m’a permis de réunir trois ou quatre fois plus de monde que prévu. C’était fou de voir toutes ces personnes qui m’attendaient au stand merchandising après le concert. Je me dis que je dois correspondre à un profil d’artistes qui créent des liens de fidélité avec le public…

– Avant même la sortie de l’album, tu étais nommé deux fois aux Victoires de la Musique : comment l’as-tu reçu ? Est-ce une source de pression ?

C’est très flatteur et merveilleux d’être en compétition pour la chanson de l’année avec des artistes que j’écoute depuis 5 ou 10 ans.  C’est presque irréel pour moi d’être sur le podium avec un Stromae par exemple. Je n’en éprouve aucune pression : au contraire, c’est très porteur et je le vis comme un rêve éveillé. Pour être honnête, je reste très serein sur pas mal de choses, sauf sur les lives en télé ou en radio. J’ai conscience de ne pas être un « vocalist ». Ce n’est pas ma plus grande force. A la Cigale, j’ai eu quelques faussetés, mais j’ai été plus juste au Trianon. Il y avait heureusement une bonne énergie dans la salle qui a compensé. Je sais bien que ça donne un côté humain de chanter faux et que le public aime bien quand ça dérape, mais j’ai envie de chanter juste. Aux Victoires, c’est la performance live qui me préoccupe le plus, et pas tout ce qui se passe autour. Evidemment, j’ai très envie de repartir avec une Victoire… Celle de la chanson de l’année, je n’y crois pas trop, mais j’espère avoir celle de la Révélation masculine. Il faudrait que j’incite les gens à voter pour moi d’ailleurs, et je ne l’ai pas encore fait…

– En parallèle, tu es aussi très sollicité par les marques de luxe. Ça semble être une composante incontournable du métier d’artiste aujourd’hui… 

Oui, et j’adore ça ! C’est merveilleux ! Me concernant, c’est un rêve, mais il y a aussi des artistes très populaires qui n’en ont rien à faire des marques. J’étais au défilé Saint-Laurent, il y a trois jours, et j’y ai vécu une des plus belles journées de ma vie. C’était exceptionnel : j’étais logé dans un bel hôtel, ma chambre faisait 80 m2, bien plus grande que mon appartement… J’ai découvert un univers très différent du mien et qui me fascine depuis toujours, auquel je n’avais pas accès jusqu’ici. Des maisons que j’adore comme Saint-Laurent ou Gucci me sollicitent de plus en plus, me prêtent des fringues, me font des cadeaux, m’invitent à l’hôtel… C’est un grand bonheur, et par dessus tout, la haute-couture, c’est de l’art à part entière. Ce n’est pas si étonnant finalement, si certaines marques se retrouvent dans l’univers musical d’un artiste et inversement. Il y a des correspondances évidentes. Mais il va falloir que j’arrête de papillonner et que je fasse un choix, un jour ou l’autre, le rêve ultime étant d’avoir un contrat… (rires).

– Quel est le rôle exact de ton frère Xavier dans ta carrière ?

Il a un double rôle. Il est ingénieur du son et producteur. Mais il a aussi un rôle humain de psychologue et d’accompagnateur. Il contribue beaucoup à mon équilibre. Il garde les pieds sur terre, il est très sérieux et c’est un grand bosseur.

– A sa manière, est-ce qu’il vit son rêve artistique à travers toi ?

Il n’est pas en quête de « fame », de reconnaissance à tout prix, donc il n’y a pas de compétition sur ce plan entre nous. À la base, il se contentait de mixer, mais avec le temps, il s’est impliqué comme ingé son et producteur. En quelques mots, le process de création est toujours le même. J’écris mes chansons, je fais mes maquettes, en assurant 80% de la prod’. J’aime faire les batteries, les basses, alors que Xavier est très fort en synthés. On se complète très bien. Une fois que mes maquettes tiennent la route, je me rends chez lui, et il me donne son avis. Il a une oreille scientifique, de par ses études, et son expérience. Il me donne son avis technique sur les basses, la batterie… Ca porte souvent sur des détails mais qui ont leur importance au final. Ensuite, on se remet à travailler à deux sur les titres et on les fignole ensemble. C’est parfois source de conflits, quand on n’arrive pas à finaliser quelque chose, quand on galère sur un mix ou une prise de voix. L’avantage c’est qu’il est sincère et ne compte pas ses heures… Il est aussi impliqué que moi. C’est une chance inouïe, de bénéficier de sa patience et de son investissement. Avec n’importe quel autre ingé son payé à l’heure, je n’aurais pas ce luxe !

–  Tu es très extraverti en concert, alors que tu sembles plus réservé et discret au quotidien : vis-tu la scène comme un exutoire ?

Je suis toujours moi-même sur scène, ce n’est pas un alter ego, mais je pousse simplement tous les curseurs à fond ! Le phrasé, la façon dont je marche, avec ce déhanché que j’accentue, tout est différent. Je deviens grandiloquent et flamboyant pour vendre du rêve, comme le faisait un Freddie Mercury en son temps. Ce n’est pas un personnage inventé, il est au fond de moi. Dans la vraie vie, j’essaie juste d’être plus simple (rires).

– Pourquoi avoir choisi de reprendre « Mourir sur scène » de Dalida ? Par clin d’oeil à la frange gay de ton public ?

Ah ah ! Je ne connais pas tout le répertoire de Dalida, mais j’adore ce morceau que j’écoute depuis très longtemps. Ma mère me l’a fait découvrir. J’adore ce qu’il raconte et surtout le côté hyper-dramatique. C’est exagéré à mort, et j’aime  les extrêmes. Ce côté diva qui s’allonge et meurt sur scène est vraiment rigolo. C’est très bien écrit, l’envolée est géniale, et j’ai essayé d’insuffler ce même esprit baroque, théâtral et exagéré, dans mon album. J’ai besoin de passion : quand je parle d’amour, c’est d’amour à mort. Quand je raconte une histoire dans la vraie vie, je suis aussi comme ça, pour rendre l’histoire intéressante. On n’est pas nombreux dans ce registre, il me semble. Je suis un maximaliste, à la façon d’un Gucci qui met des broches de partout et des couleurs sur ses créations, alors que tout le reste est noir et cintré.

– Penses-tu avoir ouvert la porte à des artistes comme Oete ou Marius, jouant aussi de leur théâtralité et de leur androgynie ?

Je ne pense pas, je suis trop jeune pour cela, et ils font de la musique depuis longtemps. Peut-être l’époque est-telle simplement plus réceptive à ce format d’artiste qu’il y a dix ans ? La société évolue et se montre plus tolérante envers les garçons « fragiles ». Je pense que c’est surtout De Pretto qui a ouvert la voie, avec une forme d’exhibitionnisme des sentiments, que je partage aussi.

– A ton sujet, on évoque systématiquement ta « belgitude » : qu’avez-vous de si différent, vous les artistes belges  ?

les journalistes aiment bien les formules, classer les gens par catégories et créer une sorte de mythe autour des artistes belges. Je suis plutôt flatté par tout ça, parce que la nouvelle génération d’artistes belges est effectivement très belle. Mais je n’arrive pas à trouver de point commun entre nous, sinon une certaine fraicheur. A quoi l’attribuer ? Je ne sais pas, peut-être au fait qu’on ne se prend pas au sérieux. On est assez décomplexé, et on affiche volontiers une forme de naïveté. On ne souffre pas d’un poids culturel aussi lourd qu’en France, si bien qu’on n’a pas à cocher toutes les bonnes cases, comme ici les artistes français. Quand j’arrive avec un morceau absurde comme « Ta mère est folle », dont la prod’ part dans tous les sens, je ne me pose pas de questions.

– Faut-il y voir un clin d’oeil à « Maman est folle » de William Sheller ?

Non, on m’en a parlé hier encore. J’aime beaucoup William Sheller, et des chansons comme « Un homme heureux », mais je ne connaissais pas ce titre.

– J’imagine que tu t’es impliqué dans le choix de la pochette de l’album : le col roulé remonté est-il une référence à la fameuse photo de James Dean ?

Ah, ça aurait pu, mais je n’y ai pas pensé une seule fois ! Belle référence, en tout cas. Je me suis effectivement beaucoup impliqué dans cette pochette : c’est moi qui ai choisi le photographe, Marcin Kempski, un polonais qu’on est allé trouver à Varsovie pour réaliser cette cover. J’adore ce type et ça fait longtemps que je le suis. Il a aussi shooté la cover de l’album de Yelle, « L’ère du verseau », que je trouve très belle. Il n’est ni français, ni américain, et cela se ressent dans son oeuvre. Il y a dans cette image un grain, et un coté surréaliste qui renvoient à l’univers de Kraftwerk. J’ai aussi imposé les coloris, le rouge et le violet, qui sont très présents dans les collections de Valentino aujourd’hui, avec Pier Paolo Piccoli à la direction artistique. J’aime ce côté italien, baroque et tape-à-l’oeil.

– As-tu écrit beaucoup de chansons pour n’en retenir que 12 au final ?

Non, j’ai écrit très peu de chansons. Je ne fais pas partie de ces artistes qui écrivent plein de chansons et font du tri ensuite. J’en ai abouti 14 au total, et j’en ai retenu 12.

– Y-aura-t-il une réédition de « Regarde-moi » avec des bonus ?

Je n’aime pas trop cette idée, mais je pense que je vais être contraint de le faire (rires) ! C’est l’époque qui veut ça. Il y a un rythme de sorties qui m’effraie, et m’emmerde en réalité. J’aime faire les choses bien. Déjà pour l’album, j’ai du en repousser plusieurs fois l’échéance, pour arriver à rendre quelque chose dont je sois fier. Comme tout le monde, j’aurais aimé avoir plus de temps encore, mais il faut bien s’arrêter à un moment donné.

– Après un premier tube, le choix du deuxième single est toujours un casse-tête : as-tu hésité avant d’opter pour « Enfant de… » ?

Non, il s’est imposé avec évidence. C’est un titre très autobiographique. Un vieux dicton dit qu’en amour, les contraires s’attirent, et je le vérifie assez bien avec l’histoire d’amour de mes parents. Leur relation ne fait aucun sens, mais j’en suis très heureux, puisque j’existe grâce à elle. Mes parents n’ont rien à faire ensemble, et pourtant ils sont toujours en couple et sont très heureux. Ils s’adorent et je les adore. Mon père n’a strictement rien de romantique. Il a ses passions, son foot, sa planche à voile, etc. Il est très casanier, alors que ma mère rêve d’un explorateur qui lui ferait visiter le monde. Elle est assez douce et romantique. C’est rigolo de les voir ensemble malgré tout, l’un et l’autre faisant des efforts pour cela. C’est la définition même de l’amour. C’est ce que raconte la chanson…

– Un couple d’artistes est donc incompatible à tes yeux ?

Je ne sais pas. Le problème avec ma précédente relation était justement qu’on n’avait pas assez en commun. J’ai envie d’un garçon qui ait un attrait pour l’art, une certaine sensibilité artistique, même si ce n’est pas spécialement pour la musique. Cela pourrait être la littérature ou la video. Par contre, il ne faudrait pas que ce soit un autre chanteur… Ce serait l’enfer en termes d’ego (rires) !

– Quel a été ton rôle dans la conception du clip de « Enfant de » ?

Il a été réalisé par Edie Blanchard (n.d.l.r : la fille aînée de Philippe Katerine), qui avait aussi signé celui de « Un jour, je marierai un ange ». J’en suis encore plus fier. Il est beaucoup plus soigné, avec ce petit côté « british » qui me plait beaucoup. On s’émancipe un peu de la poupée Barbie, lisse et posée dans un décor. J’y reprends un peu le contrôle de moi-même, en étant moins face caméra, avec une plus grande liberté de mouvement… Edie a scénarisé le clip, mais on s’est beaucoup vus la semaine précédant le tournage pour discuter de plein de choses, et mettre au point les derniers détails. Je me suis beaucoup impliqué, en essayant de ne rien laisser au hasard. Il y avait des stylistes, mais le choix de la tenue de rugby est de moi, de même que j’ai trouvé le t-shirt rouge de style Gucci qu’on voit à un moment. Je m’investis dans le processus visuel, tout autant que dans la musique, simplement parce que ça me passionne.

– Le titre « Regarde-moi » semble renforcer l’idée d’une ambition assumée …

C’est une interprétation possible, et je le comprends, mais dans mon esprit, il s’agit davantage d’inviter l’autre à trouver la beauté qui est en moi. C’est plutôt un cri du coeur, comme un appel désespéré, à l’attention d’une personne et d’une seule. La chanson est l’histoire d’un artiste, inspirée de celle de Lady Gaga. En interview, elle a raconté que quand elle a commencé à chanter dans les bars sous son vrai nom, un jour qu’elle faisait du Jazz au piano, elle s’est mise toute nue, pour attirer l’attention, pour que tout le monde la regarde enfin, et l’écoute surtout. C’est passionnant et rigolo comme anecdote, et je la comprends. Sans en être arrivé moi-même à cette extrêmité, j’ai déjà donné des showcases privés pour des marques, pendant lesquels personne ne me regardait… On se sent alors considéré comme le dernier des bouffons de la cour, mais c’est une très bonne école. Et puis, heureusement c’est généralement bien payé, et tout le monde le sait. Dans ces situations, on cherche désespérément un regard, un sourire au premier rang, comme une bouée de sauvetage, une porte de sortie… Donc en résumé, « Regarde-moi » est un appel à l’aide. Il y a dans le texte un passage que j’adore et qui se termine par  : « ce soir je strip et je tease », par référence à Lady Gaga.

– Quel sens donner à « J’aime ta violence » ?

J’y endosse le rôle, non autobiographique je précise, d’un jeune homme faisant de la coke sa meilleure amie et sa sauveuse, parce qu’il vit une vie qui n’est pas trépidante dans une ville comme New-York. Il fait de la drogue une sorte de béquille. La chanson commence comme ça : « je pourrais faire la guerre à n’importe quoi, je pourrais faire l’amour à n’importe qui », pour exprimer le sentiment de toute puissance que la drogue lui procure. Plus la chanson avance, plus on se rend compte que sa vie n’est pas si terrible que ça, puisqu’elle se clôture par le bruit des sirènes. On comprend alors qu’il a fait une overdose. J’aime me glisser dans la peau de personnages, dont j’imagine la vie, et m’en imprégner, d’autant que je n’ai pas l’âge et le vécu suffisant pour écrire tout un album autobiographique.

– Tu chantes « Mercredi » : es-tu nostalgique de l’enfance ?

Sans en être nostalgique vraiment, il y a en moi une part d’enfance qui refuse de grandir, d’arrêter de croire en ses rêves, ou de laisser libre court à son imaginaire. J’ai peur d’être un jour blasé de tout. Avec mes chansons, j’invite les gens à rester connectés avec leur imaginaire et à rester déraisonnables. Ca passe aussi par cet amour de l’extrême et du drame.

– As-tu déjà une idée de ce que seront les prochains singles ?

Je me pose la question aussi. « Enfant de » est bien rentré en radios et a une belle vie devant lui. Pour la suite, je pense que « Jour – 3 » a une dimension populaire, qui peut toucher le public. J’aime le up-tempo de « Mercredi » qui pourrait plaire en radios. Pourquoi pas aussi « Les animaux », qui est assez fédératrice ? Tout ceci est le travail du label qui y réfléchit. Mais personnellement, mes trois préférées de l’album sont « Enfant de », « Bel-ami » et « J’aime ta violence ».

– Dans les medias, les qualificatifs fusent à ton sujet : quel est celui qui te correspond le mieux ?

 Je donne beaucoup et je me réjouis de plein de choses. Je suis curieux de nature, et j’aime expérimenter. J’ai conscience d’avoir beaucoup de chance, si bien que je suis très heureux de tout ce qui m’arrive ! Je dirais donc… enthousiaste !

Propos recueillis par Eric Chemouny

En concert à l’Olympia de Paris le 12 mai 2023

Photos : Hugo Lardenet – Label Cinq 7 – Wagram / DR

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