FEU! CHATTERTON
L’élégance de l’incandescence
En moins de 10 ans, les 5 garçons prodiges de Feu ! Chatterton se sont imposés comme des pierres angulaires d’une culture française, littéraire sans être intellectuelle, une culture de l’instinct sans être déraisonnée, une culture de la modernité sans être incomprise. Prônant la musique comme socle de leur contributions, Arthur, Clément, Raphaël, Antoine et Sébastien sont des touches-à tout, de l’art de la scène à la photographie, du cinéma à la télévision, de la littérature aux performances, en passant par les albums des autres, raflant prix et distinctions. Avec « Palais d’Argile », leur 3e album studio (après « Ici le jour (a tout enseveli) » en 2015 et « L’Oiseleur » en 2018) auquel il faut ajouter 2 tout premiers EP déjà prometteurs (en 2014 et 2015) et 2 opus live (en 2019 et 2022), ils sont partis sur les routes « de France et de Navarre » comme on dit pour répandre leurs bonnes paroles. Au passage, ils ont enregistré l’un des concerts de ce « Palais d’Argile Tour » au Zenith de Paris, sorti en novembre dernier. Mais c’est à l’Olympia qu’ils ont décidé d’offrir le bouquet final de cette belle histoire.

Pour ceux qui ont découvert les versions en concert de ce « Palais d’Argile Tour » sur le très propre et généreux album live sorti en novembre dernier, la setlist n’aura réservé que peu de surprises lors des 3 soirées sold out à l’Olympia les 16, 17 et 18 janvier dernier. « Fou à lier », « Cristaux Liquides » et « Souvenir » manquent à l’appel au profit d’un long rappel constitué de la reprise de Kraftwerk « Trans-Europe Express » et « Porte Z ». Si leur album live est l’un des meilleurs de ces dernières années, la richesse de leur proposition lorsqu’on les voit sur scène redonne une ampleur méritée à chacun de leurs titres : des chansons comme des histoires de cinéma, des morceaux comme des courts-métrages intimes, où chaque titre est porté par une construction à la fois textuelle et musicale absolument maitrisée, à l’instar de leur tout premier titre « La mort dans la pinède » sorti en 2014. Leur éducation, leur culture, leur curiosité, leur instinct, leur fibre artistique hétéroclite hyper studieuse ont indéniablement contribué à ce remarquable exercice de style, qui d’un bout à l’autre, nous envoûte insidieusement et nous emporte en permanence dans cet univers d’argile, de fer et feu aussi.

Mélangeant les styles et les sonorités, modulant les graves et les aiguës de cette voix parfaitement éraillée, qui semble avoir déjà beaucoup vécu, témoin du temps présent qui semble provenir d’un temps (un peu plus) lointain, Arthur Teboul, le charismatique chanteur à la moustache impeccable balance un swing animal, sensuel et habité, indomptable coquin et obsédé textuel, dandy félin décomplexé.
Dès leur arrivée sur la scène de l’Olympia, sursaut d’une fin de tournée triomphale sur « Compagnons », Arthur Teboul scande un « Allez, débout ! » mais il faut reconnaître que dès ces premières mesures, la voix, le texte nous embarquant d’emblée, nous fait oublier l’injonction qui sera souvent répétée ! Aucun des titres suivants ne viendra déstabiliser cette fascination pour cet infernal mariage des sons et des mots, appuyé par un jeu de lumière général (qui oublie parfois le chanteur, souvent dans le creux des poursuites).

L’extrême sobriété d’un maniérisme naturel et constamment élégant du groupe finit de lier ces chansons dont le tour de chant marquera la salle mythique et fait entrer Feu ! Chatterton dans la grande famille des légendes, de celles dont ils se réclament et qui ont foulé cette scène, dont on entend les échos dans leur setlist : le flow engagé de Léo Ferré bien sûr dont ils reprennent « L’affiche rouge », le phrasé habité de Jacques Brel qui se retrouve dans plusieurs titres comme « Laissons filer » ou encore « L’homme qui vient », la noirceur mélancolique et pop d’Alain Bashung du grand tube « La Malinche », la furie écorchée d’un Bertrand Cantat des débuts comme sur l’intense « Côte Concorde » , ou l’âme apaisée d’un Mano Solo sur « Cantique ». En réalité ce sont tous ces artistes-là qui se mélangent dans la voix d’Arthur Teboul : ils ont été des parties infimes de chaque grain de sa voix, ils lui ont permis de rejoindre leur cercle fermé des poètes incandescents, témoins révolutionnaires de leur temps.

Transcendant la voix d’Arthur, les 4 autres garçons dans le vent déploient une énergie retenue au service de leur musique. Ils nous offrent un voyage aux confins des mots et des sons, dans un éventail atemporel qui magnifie par exemple le mariage parfait entre rockabilly et techno party, à l’image du vertigineux « Libre ».
Rarement autant d’éléments n’auront convergé vers la perfection simple et sans artifices dont le point culminant sont les deux derniers titres avant le rappel : « Un monde nouveau » et « La Malinche » dans une version longue jubilatoire. « C’est le dernier concert, on veut profiter de vous ! » lance Arthur !

Les rappels changent de ton et offrent 5 titres plus intimes mais pas moins intenses, parmi lesquels la reprise bouleversante de Léo Ferré, « L’Affiche rouge », qui laisse le public sans voix mais avec quelques larmes, et celle de Kraftwerk, « Trans-Europe Express » où le groupe est rejoint par Arnaud Rebotini et qui renoue avec ce grand tube fondateur de la musique électronique.
A la sortie de l’Olympia, quittant ce Palais d’Argile, résonnent encore la voix et la musique de Feu ! Chatterton nous laissant penser qu’il y avait longtemps qu’un groupe français n’avait pas atteint un tel niveau, inscrivant en lettres rouges un monde nouveau dans la chanson française.
Gregory Guyot
Setlist du 18 janvier 2023 à l’Olympia : Compagnons / Côte Concorde / Laissons filer / Boing / Ecran Total / Cantique / Avant qu’il n’y ait le monde / La mort dans la pinède / Libre / Monde Nouveau / La Malinche // Rappel 1 : L’Affiche Rouge (reprise de Léo Ferré) / L’homme qui vient / Trans-Europe Express (Reprise de Kraftwerk, avec Arnaud Rebotini) / Porte 2 // Rappel 2 : Sari d’Orcino.
Photos : Gregory Guyot (DR/JSM)
En application de l’article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle : « Toute reproduction ou représentation d’une œuvre faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite ». Ainsi aucune autre utilisation n’est permise, aucune publication ne pourra être faite sur des comptes tiers, ni sur d’autres sites web ou autres support de quelque nature, ni sur une nouvelle publication sur le même site. Aucune altération de l’image ni détournement de son contexte ne sont autorisés. Aucun transfert de cette autorisation à un tiers n’est possible, et la photo ne peut pas être utilisée à des fins professionnelles, commerciales ou promotionnelles, ni à des fins de propagande politique ou autre.

