YANN RABANIER

Le beau bizarre

Véritable pierre angulaire de la très classieuse agence parisienne Modds, il y a longtemps que nous admirions le travail précis, inspiré et terriblement original de Yann Rabanier, et que nous voulions lui rendre l’hommage qu’il mérite. Celui dont le talent, unanimement reconnu et désiré par toutes les grandes figures de la musique, du cinéma ou de la politique, n’a d’égal que la discrétion et l’humilité, se distingue avec élégance par une démarche artistique ambitieuse et un travail minutieux, s’apparentant à une perpétuelle quête du beau bizarre. Il s’est raconté en exclusivité pour JSM, avant de nous offrir un généreux florilège de ses photographies au style unique …

Yann Rabanier / Modds

– Dans quelles circonstances êtes-vous venu à la photographie ? 

Par hasard et assez tardivement. J’ai commencé par le dessin et la musique. C’est vers 23 ans que j’ai fait ma première image lors d’un voyage. J’ai tout de suite trouvé ce support très ludique. Un oncle passionné par la photo, m’a dit en rigolant que je n’avais pas d’avenir dans ce milieu : ça m’a piqué, et je m’y suis mis intensément.

– Quels ont été vos premiers modèles ou sources d’inspiration ? 

Je n’avais pas de culture photo à proprement parler. Au cours de mes études de dessin et de musique, j’ai « appris » l’histoire de l’art en général, mais très peu celle de la photographie. J’ai d’abord été touché par le noir et blanc, et donc par Josef Koudelka, Robert Frank, Richard Avedon, Irving Penn, Man Ray… Puis en couleur, par Jeff Wall, Alec Soth, et bien d’autres. Pour les inspirations, je ne sais que dire. J’ai l’impression que les peintres John Singer Sargent, Michael Borremans, Lucian Freud, Edward Hopper, Picasso, Dali, la période de la Renaissance, les surréalistes, ou bien les cinéastes Jim Jarmusch, Wes Anderson, Dziga Vertov, Kore Eda, Naomi Kawase, m’ont davantage nourri. En règle générale, je ne suis pas très photo.

– Quel a été la première personnalité publique photographiée ? Des souvenirs de la séance ? 

Pour ma première commande, j’étais encore étudiant à l’école de photographie de Toulouse, l’ETPA. En troisième année, des professionnels de renom venaient nous donner un workshop dans leurs domaines. Pour le portrait, ce fut Alain Duplantier. Peu de temps après sa venue, il m’a appelé afin de le remplacer, pour une commande qu’il ne pouvait honorer. C’était Yann Arthus Bertand. J’étais tétanisé, non pas parce qu’il était photographe, mais parce que je devais ramener une bonne image vis-à-vis d’Alain, et que j’étais tout à fait conscient de la nécessité de ne pas me rater, pour avoir l’opportunité d’enchaîner sur d’autres commandes. Je tremblais tellement. Très gentiment, il avait essayé de me rassurer.

– L’approche d’artistes musiciens ou chanteurs est-elle spécifique, comparé aux acteurs ou politiques notamment ? 

Je n’ai pas établi de protocole spécifique à une typologie de personne. Cependant, en amont, je me renseigne le plus possible sur le sujet que je dois rencontrer. Puis, je cherche des idées qui pourraient coller avec la représentation que je me fais d’elle ou de lui, et je fais ensuite des croquis de ces idées.

MC Solaar

– Quels sont vos goûts personnels en matière de musique, et en quoi influent-ils sur vos choix de modèles ? 

Tout d’abord, c’est très rare que je choisisse mes modèles. Il n’y a que dans des sujets personnels que le casting m’incombe. La plupart du temps ce sont les rédactions qui sont motrices de mon travail et me proposent une rencontre. Je m’adapte à l’offre. Et très honnêtement, cela me convient tout à fait. J’essaye de garder la vanne de la curiosité musicale grande ouverte afin, le plus possible, de découvrir de nouveaux artistes, donc peu importe ce qu’il fait, je suis toujours heureux à l’idée de photographier un musicien. J’essaye le plus possible de détacher l’artiste de l’humain derrière son travail ; le portrait de la personne pour moi étant plus intéressant que le portrait, à un moment donné, pour une promo donnée. Je suis beaucoup plus touché par le vécu de quelqu’un, ses expériences de vie, que par son travail. Quand je débute une conversation par des questions sur le travail ou l’œuvre de mon sujet, c’est un peu comme si je parlais de la météo avec un coiffeur, c’est pour entamer la discussion sur quelque chose de simple et digeste. Je suis beaucoup plus curieux des épreuves qu’ils ont vécues, et de comment ils les ont vécues.

– Avez-vous déjà réalisé des affiches ou pochettes d’albums ? 

Oui, deux, pour L (Raphaële Lannadère) et Toto la Mempoza. J’aimerais pouvoir en faire plus. Il m’arrive d’écouter la musique sur vinyles. Les pochettes d’un 33T sont un des espaces les plus intéressants. La période des années 40-50-60 dans le Jazz fut tellement prolifique et libre esthétiquement.

Raphaële Lannadère

– Quels artistes disparus auriez-vous aimé photographier ?

Bowie, Prince, Les Beastie Boys au complet, Pastorius, Miles Davis, Barbara, John Lee Hooker. Il y en a tellement !

– Y-a-t-il eu des rendez-vous manqués ?

Il y a dû avoir des rendez-vous manqués, mais je ne m’en souviens pas. 

– Préparez-vous vos séances en amont avec vos modèles ou laissez-vous une part d’improvisation ou de hasard ? 

Les deux ! Cela dépend de la personne que je dois rencontrer. Mais il m’arrive très souvent de faire des croquis comme je disais précédemment. Prévoir fait moins stresser… 

– Aimeriez-vous passer à la réalisation de clips ? 

Oui, bien sûr, le support vidéo m’intéresse tout particulièrement. Le fait de pouvoir exposer une histoire en se basant sur une narration précise me réjouirait ! J’essaye dans mes images d’installer une ambiance, de raconter quelque chose de personnel, donc continuer en images animées me séduit profondément !

– La dernière séance photo, c’était avec… ? Et la prochaine ? 

Ariane Ascaride, du bonheur !!! Un être humain exceptionnel. Là, je me dis que j’ai la chance de faire ce travail. La prochaine, une philosophe-journaliste. Vive la diversité !!!

Sébastien Tellier / Renan Luce

– Quel est votre rapport au numérique et à la retouche ? 

Très bon, je m’entends bien avec le numérique et vois la retouche avec une certaine distance. Je travaille comme en argentique, fais peu d’images et ne regarde jamais sur l’écran de mon boîtier. Je fais très peu de retouches, seulement les chromies, contrastes et 2 minutes de retouche peau si nécessaire ! Je n’ai rien contre le numérique ni la retouche, il faut savoir que du temps de l’argentique il y avait des retoucheurs d’une dextérité folle. Ils étaient capables avec un pinceau extrêmement fin de faire disparaître une voiture, des arbres… La retouche abusive a quasiment toujours existé, ce ne sont pas les logiciels numériques qui l’ont inventée, ils n’ont fait que la démocratiser.

– Quels sont vos maîtres, vos références, en matière de photographie ? 

Je ne sais que répondre, à part les surréalistes. Le principe d’expérimenter, d’être dans le questionnement constant, tout en prenant un plaisir intense, reste la quête ultime à mes yeux.

– Si vous deviez choisir la photo dont vous êtes le plus fier entre toutes, ce serait… ?

C’est difficile à dire pour moi, parce que très sincèrement je ne ressens plus vraiment de fierté face à mon travail. À mes débuts, j’étais fier de mes parutions. Désormais, j’arrive à être en adéquation avec un portrait, parce qu’il semble représenter la rencontre entre l’idée que j’avais de la personne et mon univers personnel. Et d’ailleurs, cette sensation est plus agréable à vivre pour moi qu’un sentiment de fierté générée par mon travail.

– Quels sont vos projets ? Un livre, une exposition ? 

Simplement continuer de réussir à vivre de mon métier, peu importe le support final !

Propos recueillis par Eric Chemouny

Photos : Yann Rabanier (Modds / DR)


Retrouvez les portrait de Yann Rabanier dans notre Galerie JSM. Cliquez ici pour commencer la visite.

En application de l’article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle : « Toute reproduction ou représentation d’une œuvre faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite ». Ainsi aucune autre utilisation n’est permise, aucune publication ne pourra être faite sur des comptes tiers, ni sur d’autres sites web ou autres support de quelque nature, ni sur une nouvelle publication sur le même site. Aucune altération de l’image ni détournement de son contexte ne sont autorisés. Aucun transfert de cette autorisation à un tiers n’est possible, et la photo ne peut pas être utilisée à des fins professionnelles, commerciales ou promotionnelles, ni à des fins de propagande politique ou autre.

© les auteurs, les photographes, les artistes et JE SUIS MUSIQUE. L’utilisation et / ou la duplication non autorisée de ce matériel sans l’autorisation expresse et écrite de l’auteur et / ou du propriétaire de ce site est strictement interdite. Des extraits et des liens peuvent être utilisés, à condition que le crédit complet et clair soit donné aux auteurs : Photos à droits gérés © YANN RABANIER / MODDS