L’interview “Voyage, Voyage”
de FISHBACH
Fraichement débarquée des Caraïbes et de New-York, et juste avant qu’elle ne s’en aille donner un concert à Toronto, c’est à Montréal, dans le cadre des Francos, où elle s’est produite au fameux Club Soda du Boulevard Saint-Laurent, carrefour de toutes les cultures et de toutes les communautés, que nous avons rencontré la belle et mystérieuse Fishbach. Alors qu’elle vient de publier un somptueux deuxième album « Avec les yeux », qui confirme son immense talent et son style si singulier empruntant ses codes et ses références au meilleur de la variété des années 80, la troublante Flora s’est prêtée pour Je Suis Musique, au jeu de l’interview « Voyage Voyage »… Et pour finir, elle a tout naturellement pris la pose en exclusivité pour nous, sous le soleil de Montréal exactement, en attendant de la retrouver en tournée française et d’aller l’applaudir à l’Olympia de Paris le 30 novembre …

– Dans quelle ville, quel pays es-tu née ?
Je suis née en France, très précisément à Dieppe en Normandie.
– quel est le premier pays que tu as visité ?
Je dirais que c’est la Belgique, puisque c’est le pays frontalier de là où j’habitais avec mes parents, dans les Ardennes.
– Le dernier pays visité ?
J’étais dernièrement aux Etats-Unis, à New-York, même si j’ai l’impression que cette ville est un pays à part entière. J’y suis allée pour jouer avec des copines, des rockeuses new-yorkaises un peu post-Punk. Je les ai rencontrées au Texas, il y a quelques années. Quand elles viennent en France, je leur organise des concerts, et elles m’ont rendu l’invitation, à New-York cette fois. C’était un concert à part, totalement en dehors de ma tournée française et des sentiers battus.

– Celui où tu rêves d’aller ?
Il y en a énormément, parce que le monde est vaste et intéressant, mais j’ai une petite attirance pour l’Amérique du Sud, et le Mexique en particulier, d’où beaucoup de gens m’écrivent bizarrement. À ce sujet, j’ai aussi des messages de gens qui vivent en Turquie. Ce sont deux pays aux cultures très différentes, très singulières qui m’attirent énormément, mais qui ont aussi en commun d’avoir une jeunesse chez laquelle je sens qu’il se passe quelque chose, notamment dans l’ouverture à l’autre.
– Ton plus beau souvenir de voyage ?
Il est peut-être lié à la première fois où j’ai pris l’avion. Ce n’est pas si vieux. C’était en juillet 2016 et j’avais 25 ans : j’étais invitée pendant le Fashion-Week berlinoise à chanter pour un show donné à l’occasion du défilé du styliste Augustin Teboul. J’y ai chanté « Mortelle » et quelques autres chansons. C’était vraiment cool !
– Ton pire souvenir de voyage ?
Je ne sais pas. j’ai tendance à oublier les trucs horribles… Ou sinon, j’y repense avec un grand sourire, parce qu’au fond, ça fait partie de l’histoire. Même si c’est horrible sur le coup, ça reste une aventure. On se dit qu’on a vécu des choses et tout ça finit par nous endurcir.

– Quelle est ta ville préférée au monde ?
Pas facile comme question ! Je reviens de New-York, et c’est vrai que c’est une ville assez électrique où les gens se rendent pour retrouver une certaine liberté. Je logeais dans un quartier soi-disant pas très « safe place », à l’Est de Brooklyn, à Ocean Hill très exactement, un quartier plutôt défavorisé et qui a mauvaise réputation. Et franchement, tout le monde a été super gentil et bienveillant avec moi : toujours un petit mot sympa, etc. J’avais le sentiment qu’il y avait moyen de rencontrer l’autre en tout cas. Rien à voir avec les quartiers difficiles de Paris dans lesquels j’ai pu vivre…
– Le pays, la ville, dans lequel / laquelle tu aimerais vivre ?
Franchement, vivre en France est une grande chance. J’adore parler anglais, mais pour les traits d’esprit et la connivence qu’on peut avoir avec les Français, je suis heureuse de vivre ici. Je vis dans les Ardennes désormais, et je m’y sens très bien. Sinon, j’avoue que Corse m’irait bien aussi…
– Côté gastronomie, ta cuisine préférée ?
Désolée d’être encore très Cocorico, mais c’est la cuisine française ! J’aime aussi la cuisine libanaise. En revanche, je ne pourrais pas pas vivre en Thaïlande, parce que je n’aime ni la coriandre, ni la citronnelle, ni les cacahuètes… Un ami m’a dit dernièrement que j’avais le profil aromatique d’un petit garçon de 4 ans, et c’est vrai que je suis déjà très contente avec un purée- jambon ! (rires).
– En vacances, es-tu plutôt découvertes ou farniente ?
Découvertes ! Je suis allée dernièrement aux Caraïbes, où j’étais invitée à chanter. C’était super ! En revanche, à la différence de ma manageuse et de l’ingénieur du son qui adoraient faire du farniente sur la plage, je me suis vite ennuyée… Ne rien faire en plein cagnard me déprime totalement. En plus, je n’arrive pas à lire, parce qu’il fait trop jour. Bref, rien ne va ! J’ai besoin d’activités, de culture, de visiter des châteaux, d’apprendre comment les gens vivent sur place. C’est tout cela qui m’intéresse en voyage…
– Plutôt « La mer » (Charles Trenet) ou « La montagne » (Jean Ferrat) ?
En Corse, on a la chance d’avoir les deux. La mer, c’est merveilleux si on est sur un bateau, si on fait des jeux, etc. La mer est inspirante, c’est vrai, mais j’ai la thalassophobie : j’ai peur des profondeurs. Je ne peux me baigner que lorsque j’ai pied. En même temps, la montagne, c’est fort, c’est beau… Vraiment, je ne saurais pas choisir.


– Plutôt « il voyage en solitaire » (Gérard Manset) ou « les jolies colonies de vacances » (Pierre Perret) ?
Encore une fois, difficile de choisir. J’aime bien partager le bonheur en vacances. Mais j’aime tellement Gérard Manset, que sa chanson me parle aussi. Je me sens bien seule, sans avoir à subir cette fameuse inertie de groupe qui consiste à devoir attendre les autres en permanence pour faire des choses. Ça m’agace assez rapidement. L’intérêt de voyager seule est aussi l’opportunité de rencontrer et de discuter avec des locaux, des inconnus. C’est mon grand plaisir… Au sujet de Manset, j’ai appris qu’il avait dernièrement ré-enregistré et re-mastérisé toutes ses anciennes chansons. Je trouve fou qu’il ait fait cela, comme s’il n’assumait plus ce qu’il a fait dans sa jeunesse, alors qu’il a écrit des morceaux magnifiques.
– Quelles langues étrangères pratiques-tu ?
Je pratique le Français, le Belge, un peu l’Anglais et en ce moment, j’apprends le Russe. Je sais bien que ce n’est pas trop le moment et que je n’aurai pas l’opportunité de pratiquer sur place à court terme, mais j’espère bien que cette guerre va finir un jour. Ce sera génial de pouvoir enfin renouer le contact avec eux, de se rendre visite, et reprendre nos échanges entre nos deux cultures qui s’aiment tellement en réalité. En attendant, il y a beaucoup de Russes en France avec lesquels échanger. Il faut bien avoir conscience que Poutine ne représentent pas tous les Russes : j’ai des amis en Russie qui n’approuvent pas du tout sa politique, et se sentent victimes collatérales de cette guerre. Il y a toute une jeunesse, pas forcément élitiste, mais qui grâce à Internet s’ouvre à des concepts plus occidentaux et plus libertaires… J’ai une grande tendresse pour elle.
– Celle que tu aimerais apprendre ?
L’Arabe, je trouve que c’est vraiment beau. J’ai déjà chanté une fois en Arabe, parce que j’étais très bien accompagnée par Bachar Mar-Khalifé (n.d.l.r : « Ajmal Logha », adaptation de « Un beau langage »). C’est un Arabe libanais très particulier, une langue très chantante, très gutturale…La prononciation arabe est très belle, très compliquée aussi. En fait, je crois être attirée par les langues dont l’alphabet n’est pas le même que le nôtre. Le cyrillique est fascinant par exemple, tout comme la prononciation slave est fascinante.
– Dans combien de langues as-tu déjà chanté ?
J’ai chanté en Anglais. J’ai aussi chanté « Un beau langage » en Japonais, que j’avais faite traduire avec Kumi Solo. Et puis, j’ai un projet en Italien qui est tombé à l’eau, mais que je garde au fond de ma poche pour le ressortir un jour.

– Dans quels pays as-tu déjà chanté ?
En France, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Italie, au Japon dans le cadre d’un échange avec la Magnifique Society. Je suis aussi allée une fois au Maroc, mais c’était pour composer avec mon ami François Atlas, qui avait une maison là-bas. Ça compte ? (rires).
– Celui où tu aimerais chanter ?
J’aimerais beaucoup aller en Corée. Ça a l’air cool… Ne serait-ce que pour la bouffe ! En puis aussi en Turquie et au Mexique. Je réalise que je ne voyage que pour la musique en fait. La seule fois où j’ai pris l’avion en dehors du contexte professionnel, c’était pour aller au Maroc rejoindre François. Et c’était encore un voyage musical… J’aime bien cette idée déculpabilisante, de ne prendre l’avion que par nécessité liée à la musique. J’ai énormément d’éco-anxiété, et j’ai aussi le syndrome du colon. En général, quand on parle de tournée internationale, on ne joue que dans des pays occidentaux, dans des pays assez riches et dans des conditions assez confortables… J’ai cette culpabilité-là. Il faut vraiment explorer cette possibilité de s’ouvrir à d’autres pays…
– Ton plus beau souvenir de tournée ?
j’en ai plein, c’est toujours fantastique. Même si malheureusement en tournée, on est dans une ville différente chaque jour, et on a peu de temps pour se poser et découvrir cette ville. J’ai vu hier mes amis de Kids Return qui vivent la même chose en jouant chaque soir dans une ville différente des Etats-Unis. Ça m’attriste de chanter à Limoges et de ne pas en connaitre, le centre-ville par exemple. Quand dans une ville, des locaux prennent le temps de nous faire visiter la cathédrale, ou un petit bistrot du coin, c’est un vrai plaisir. Pour répondre à ta question, je dirais que c’est lorsque je suis allée à Austin, au Texas. C’est là que j’ai rencontré les copines qui m’ont invitée à jouer à New-York. C’est le plus grand festival de musiciens amateurs. On y voit des milliers de groupes qui viennent du monde entier pour jouer dans une multitude de lieux. Les musiciens viennent une semaine et font jusqu’à trois ou quatre shows par jour. C’est un délire total ! Il faisait une chaleur épouvantable, mais j’y ai vu des musiciens polynésiens incroyables par exemple. C’était une expérience magnifique et je rêve d’y retourner.
– Ton pire souvenir de tournée ?
J’avoue que ça s’est très mal passé au Japon. J’y suis restée à peine cinq jours, et pour commencer, j’ai très mal vécu le jetlag. Ensuite, le concert aussi s’est mal passé : les gens n’ont pas du tout compris ce que je faisais. Je suis de nature très expansive sur scène, et je me suis retrouvée face à un public qui n’a pas du tout réagi. J’étais très gênée : plus le concert avançait, plus je me décomposais… Je suis sortie de scène en pleurant, c’était horrible… J’aurais peut-être du me renseigner davantage sur le comportement du public japonais, anticiper et adapter mon set à la mentalité locale. J’étais certainement très fatiguée, et au final, ça n’a pas matché. Je suis très rentre-dedans et le public était, à l’inverse, très réservé. Comme je suis restée sur cette petite frustration, je pense y retourner un jour. Je l’espère, en tout cas.


– Le festival que tu n’as jamais fait et que tu aimerais faire ?
Il y en a plein. Rock en Seine a l’air super cool, mais ça tombe toujours en même temps que le Cabaret Vert qui est le festival de mon coeur, parce qu’il se tient dans ma ville (n.d.l.r : du 17 au 21 août à Charleville-Mézières dans les Ardennes). C’est aussi un très gros festival. En fait, j’ai envie d’aller dans tous les festivals où je n’ai pas encore joué, parce que je suis curieuse de nature.
– En tournée, es-tu plutôt « tour bus » ou « relais et châteaux » ?
À ton avis (sourire) ? Je suis une grande passionnée de châteaux et de patrimoine. Après, c’est vrai que grâce au Printemps de Bourges, l’année où j’ai gagné le prix des Inouïs, je me suis vue offerte une semaine de tournée en Tour Bus. Et j’avoue que je ne m’attendais pas à apprécier une telle qualité de sommeil et de sérénité dans un Tour Bus. On s’y sent un peu comme dans un cercueil mais ça finit par bercer, et c’est très agréable. C’était une belle expérience à vivre…
– L’artiste étranger avec lequel/ laquelle tu aimerais faire un duo ?
Il y en a plein, mais il y en a un en particulier ! Je le cite dans toutes mes interviews, et nous sommes justement en train de faire un duo, c’est l’australien Kirin J Callinan ! L’Australie est aussi un pays ou je rêve d’aller …
– Si tu devais faire une reprise, plutôt « Voyage Voyage » (Désireless) ou « Puisque vous partez en voyage » (Françoise Hardy / Jacques Dutronc) ?
Je me sens tellement plus proche de Desireless, que je dirais spontanément « Voyage Voyage ». Elle a certes une carrière moins importante que Françoise Hardy, mais son tube est plus impactant que tous les morceaux de Françoise Hardy à l’International. Après toutes ces années, on continue d’entendre « Voyage Voyage » partout dans le monde. C’est une dinguerie, on ne s’en lasse pas ! Après, je pense que ce serait plus intéressant pour moi de reprendre une chanson de Françoise Hardy, qui est très loin de moi, parce que justement, je pourrais en faire quelque chose de très différent. En reprenant du Desireless, j’en suis tellement proche artistiquement, que ça ne pourrait être que moins bien qu’elle. Le morceau est déjà tellement parfait dans sa version originale… Je ne ferais peut-être pas mieux que Françoise Hardy, mais différent… Et s’il fallait choisir un titre dans son merveilleux répertoire, je choisirais « J’écoute de la musique saoule »… J’adore ce morceau !


Propos recueillis (à Montréal) par Eric Chemouny
Photos : Jules Faure (DR / Entreprise / Sony Music) // à Montréal : Eric Chemouny (DR/JSM)

