NIKOS ALIAGAS

Genre humain

De la Star Academy à The Voice, en passant par 50’ Inside, il est l’un des animateurs télé préférés des Français, mais aussi des artistes qui fréquentent assidument ses prestigieux plateaux. Pour autant, avec son regard plein de sensibilité et d’humanisme, Nikos Aliagas a réussi à se forger une solide réputation de photographe et de portraitiste, que s’arrachent désormais les plus grands noms de la musique et du cinéma. Alors qu’il expose actuellement à la Seine Musicale une généreuse série de portraits géants en noir et blanc de ses amis musiciens, chanteuses et chanteurs francophones, il nous a fait l’honneur de nous confier quelques unes de ses oeuvres pour illustrer la galerie JSM de ce numéro, et de nous raconter en exclusivité, son itinéraire de photographe en marge des sentiers battus…

Nikos Aliagas

– Comment est née ta passion pour la photographie ?

Elle remonte à l’enfance, à l’interrogation qui a été très tôt la mienne autour de la notion de temps. Ce qui m’a très vite intéressé avec la photographie, c’était de pouvoir figer le temps. Tout est parti de ce postulat de départ : un jour, je suis  tombé sur des photos de mes parents plus jeunes. J’ai pris conscience du temps qui passe et je me suis interrogé : dans ma tête d’enfant, je pensais que mes parents avaient et auraient toujours le même âge pour toujours. J’ai réalisé par le biais de la photographie que même mes grands-parents avaient été jeunes, et que finalement tout le monde était appelé à vieillir, et donc à mourir. L’histoire a commencé comme cela, avec ce sentiment que quelque chose nous échappe… J’ai essayé de retenir ce quelque chose, de le reconnaitre en tout cas. Mon père m’a offert un petit appareil, un Kodak Instamatic, quand j’avais neuf ans, et à partir de ce moment-là, j’ai n’ai jamais cessé de photographier. La photographie a toujours fait partie de ma curiosité et cristallisé mes préoccupations.

– Quels étaient tes premiers modèles ?

Je photographiais tout ce qui m’entourait, les membres de ma famille, les paysages de mon enfance… Curieusement, je me suis très vite attardé sur les mains. Les gens ne comprenaient pas pourquoi je photographiais leurs mains (rires) ! Mais les mains racontent beaucoup de choses et elles ne trichent pas. Et puis, c’était mon référentiel familial : j’ai grandi dans une pièce à Paris, dans laquelle on dormait tous. J’y ai regardé mon père, tailleur, travailler pendant de longues journées. C’était mon décor quotidien, mon spectacle… Je regardais ses mains, comme de personnages, qui cousaient, repassaient les tissus… Les mains d’un artisan comme mon père, sont celles de la transmission, de l’héritage…

Charlotte Le Bon . Tim Burton

– Avais-tu déjà opté pour le noir et blanc ?

Non, pas au départ. Je faisais encore de la couleur en argentique. Le noir et blanc est arrivé comme un choix lié à l’émotion : il faut choisir son noir et blanc. Ceux qui ont été déterminants dans ma quête et mon amour de la photo sont ceux de Doisneau, ou de Cartier-Bresson, qui ne sont pas des sepias, mais des noirs et des blanc bien affirmés, d’une grande simplicité. La photo humaniste d’après-guerre est celle qui m’émeut le plus.

– Quel a été le premier modèle célèbre à te faire confiance ?

Je crois que c’était Marc Lavoine, mais je ne me suis jamais posé la question en fait, il faudrait que je remonte le fil dans mes archives. Mais en y réfléchissant, je dirais que celui qui m’a fait confiance pour la première fois, c’était Léo Ferré. J’avais 18 ans et j’étais allé le voir au théâtre Déjazet pour une dépêche à la radio. Je n’étais pas encore journaliste, mais je me suis pourtant présenté comme tel. Je suis allé à sa rencontre et il m’a proposé de l’attendre dans la salle après le concert. Je l’ai attendu, assis dans la salle vide. Il est finalement venu me rejoindre : je lui ai posé une seule question, à laquelle il répondu pendant une heure sans interruption. Un peu comme dans « lettres à un jeune poète ». Il m’a raconté sa vie, me parlant de choses et de gens que je ne connaissais pas… Je me rappelle qu’à l’époque, il en voulait beaucoup à un chorégraphe, Roland Petit… En même temps, je voulais prendre une photo avec un clic-clac, mais finalement je ne sais plus trop comment, ce sont les personnes qui m’accompagnaient qui l’ont prise. On y devine dans la pénombre un vieux monsieur avec sa chevelure imposante et si reconnaissable, face à un tout jeune homme. Quand je regarde cette photo, bien qu’étant moi-même dans le cadre, j’ai tellement photographié cet instant mémorable dans ma tête, que j’ai l’impression de l’avoir faite moi-même. Un peu comme si mes plus belles photos, je les avais prises mentalement sans appareil, d’instants comme celui-ci où j’aurais tellement aimé sortir un appareil, mais je n’osais pas…

– Certaines séances se sont-elles mal passées ?

Non, franchement ça n’est jamais arrivé parce que si je sens que les gens n’ont pas envie, je n’y vais pas. Je ne travaille pas à la commande. Ce n’est pas mon métier d’être photographe pour des magazines, même s’il m’est arrivé de le faire pour Paris Match ou pour Gala. Mais c’était toujours optionnel, donc toujours dans le plaisir. Je n’ai jamais travaillé dans l’obligation. Il m’est arrivé en revanche de ne pas sortir l’appareil photo. Je me rappelle d’une rencontre avec une actrice qui n’était pas maquillée comme dans ses films ou sur ses affiches, la lumière n’était pas idéale et le contexte ne s’y prêtait pas. Elle savait que je voulais la photographier, mais j’ai lu dans ses yeux qu’elle avait peur ou qu’elle n’était pas disponible, donc je n’ai pas insisté. Je n’insiste jamais.

– Quelle est la part d’improvisation lors de tes séances photos ?

Totale ! Elles ne sont pas du tout préparées. C’est toute l’histoire des regards-miroirs, fil conducteur de mon exposition. Tout se joue à trois clics, à la fin d’une rencontre à la radio ou à la télé, ou encore lorsque je vais voir un artiste en concert. Après, il y a des poses plus naturelles que d’autres, parce que les séances durent parfois moins d’une minute.

Taylor Swift & Mika par Nikos Aliagas

– De Sylvie Vartan à Vincent Niclo ou Annie Cordy, ces jeux de miroirs d’artistes face à eux-mêmes constituent un peu ta marque de fabrique comme photographe… 

Ce sont des clins d’oeil au malentendu de la notoriété. Miroir, mon beau miroir ! On connait tous l’histoire… J’ai toujours photographiés les artistes, mais jusqu’ici, je ne les avais jamais exposés. J’ai fait une trentaine d’expositions qui n’avaient aucun rapport avec tout cela : ma préoccupation était le temps qui passe et elle le reste toujours. Alors par extension, ces jeux de miroirs prolongent cette quête, si on considère qu’ils se regardent vieillir. Qui regarde qui ? C’est un thème qui me parle beaucoup. L’idée de faire une expo n’était pas préméditée. J’avais juste le souci de garder un souvenir de ces rencontres avec ces artistes. Ensuite sont arrivés les réseaux sociaux, que je devais alimenter et c’est devenu un réflexe sans jeu de mot, de poster des photos de mes rencontres diverses, pour les gens qui me suivent. Au point qu’on me le fait remarquer parfois quand je fais pas de photos. Au fil des années, je me suis rendu compte que je disposais de photos intéressantes comme celle d’un Kendji avant la notoriété, datant du premier jour où il a mis les pieds sur un plateau de télé, ou celle d’un Marc Lavoine datant d’il y a 25 ans. On a grandi ensemble en quelque sorte. Les photos ont accompagné nos chemins de vie respectifs. J’ai toujours été fasciné par les expos de photographies comme Jean-Marie Périer ou David Bailey, qui ont eu la chance de photographier les Stones depuis les années 60, avant qu’ils ne soient connus, ou encore Françoise Hardy toute jeune, et déjà iconique. C’est très intéressant de les voir progressivement devenir stars au fil des succès devant leur objectif. Avoir la primauté de cette innocence, cette vérité, d’avant la lumière est quelque chose qui me fascine. C’est difficile de l’obtenir avec des artistes confirmés, comme un Daniel Auteuil. C’est un peu l’idée de les confronter à leur miroir en leur demandant : qui vois-tu ? A cette question, tous me répondent : je n’aime pas me voir ! C’est normal, les vrais artistes sont dans le doute, le questionnement… Ils portent tous un masque protecteur, celui de l’acteur ou de l’artiste, ce visage que connait et aime le public…

– As-tu déjà photographié Johnny Hallyday ?

Très peu, je n’ai du faire que deux ou trois photos « sérieuses » de lui. J’entends par « sérieuses » des photos avec un appareil photo, pas avec un portable, même si on fait des choses sympas avec un portable. J’en avais même fait un book il y a une quinzaine d’années.

– A propos de vérité, as-tu déjà shooté des artistes sur scène et aimes-tu cet exercice radicalement différent de celui du portrait ?

Je l’ai fait, mais je n’en suis pas totalement satisfait. J’ai photographié les Stones, ou encore Julien Doré, il y a quinze jours, à sa demande. C’est un autre métier. je suis admiratif des gars qui réussissent dans ce domaine. C’est très délicat, et en même temps, ce n’est pas ce qui m’excite le plus. Je sais que c’est un exercice difficile, mais hormis l’accident, lié à un jeu de lumières où à une goutte de sueur qui rendra la photo intéressante, c’est toujours un peu la même histoire. Moi, ce qui m’intéresse davantage, c’est le tête à tête avec un artiste, le moment exclusif… Même si parfois, on a l’artiste en face de soi et on ne sait pas par quel angle l’attraper… Quand tu pointes un appareil vers quelqu’un, c’est un acte pour moi. Il ne faut pas que ce soit une agression, donc il faut le faire bien. Parfois, je me rate, beaucoup même…

Vincent Niclo par Eric Chemouny

– Y-a-t-il des artistes disparus que tu regrettes de n’avoir pas photographiés, ou encore des artistes vivants qui manquent à ton palmarès ?

Il y en a plein… Je regrette de n’avoir jamais photographié Ray Charles, avec lequel j’ai passé beaucoup de temps dans ma loge, quand il est venu sur la Star Ac’. Je me souviens qu’on a beaucoup discuté, mais comme il était non-voyant, je n’ai pas osé lui demander de poser pour moi. Parmi les artistes encore vivants, il y en a beaucoup, et d’ailleurs, il y en a des centaines que je n’ai pas pu mettre dans l’expo. A un moment, il faut faire des choix. Alors disons que j’aimerais beaucoup photographier Alain Delon. Je ne l’ai photographié qu’avec mon portable dans les couloirs de l’élection de Miss France, quand nous étions ensemble dans le jury. Il avait dit à Mireille Darc à mon sujet : tu me branches ? (rires). Je sais qu’il m’aime bien et il compte beaucoup pour moi, car mon père avait confectionné ses costards dans le film « Borsalino ». C’était son titre de gloire, et il le racontait souvent au repas du dimanche. Delon le sait et me considère encore comme « le fils du tailleur ». J’aimerais tellement faire son portrait… Il est resté superbe. Même si je sais qu’il est fatigué et forcément plus âgé, j’aimerais beaucoup photographier ses mains, qui doivent raconter toute son histoire à elles seules. C’est quelqu’un de très important pour moi, au point que quand Jean-Marie Périer a posté une photo de lui avec Belmondo, je l’ai appelé pour le féliciter et lui proposer de l’acheter. Il a eu l’élégance de me l’envoyer : c’est une photo magnifique à mes yeux, parce qu’elle me rappelle mon père…

– Aimerais-tu réaliser la pochette de l’album ou l’affiche de spectacle d’un artiste en particulier ?

Je l’ai déjà fait pour Frédéric Lerner, ou dernièrement Gautier Capuçon, et « Emotions », son avant-dernier album, dont j’ai fait la pochette. Nous avions passé deux ou trois heures dans Paris, sans logistique trop lourde. Il était à peine maquillé pour éviter d’avoir la peau qui brille, mais pour le reste, c’était du Live, en lumières naturelles. Nous sommes devenus très copains ensuite, et il m’a sollicité sur d’autres projets. A l’inverse, certaines photos sont devenues des couvertures, sans que ce soir prévu initialement. J’ai eu l’occasion de rencontrer Idir une seule fois dans ma vie. J’en ai fait quatre portraits, et l’un d’entre eux a été retenu pour la couverture d’un livre qui lui est consacré et qui vient de sortir. C’est arrivé aussi pour un autre livre, dédié à Florent Pagny et sorti il y a deux ans. Dans ces cas-là, quand on me le propose, j’appelle l’artiste pour avoir son aval. C’est tout. Je ne suis pas demandeur, n’ai pas fait ces photos pour les vendre, mais pour les partager. Si quelqu’un les veut, en général, j’en verse les droits à une association…

Jean Claude Van Damme . Dany Boon

– Exposer à la Seine Musicale était un choix symbolique ?

C’était déjà étonnant de le faire. Au départ, j’avais envie d’exposer, mais je ne concevais pas la Seine Musicale comme un lieu d’exposition. C’était, avant tout, pour moi l’endroit où je présente des émissions. Mais il se trouve aussi que c’est un lieu où j’ai énormément photographié des artistes, dans les coulisses de mes émissions. Donc, quand on m’en a fait la proposition, j’ai dit : pourquoi pas ? Et la rencontre avec Ibrahim Maalouf, qui est un copain, s’est imposée comme une évidence pour mettre à profit l’écran géant extérieur. On a eu l’idée de faire une création ensemble, qui serait un montage de mes photos et d’une improvisation d’Ibrahim avec un orchestre de musique classique. Le résultat donne une autre dimension à l’histoire : elle s’offre au passant de la rue, celui qui ne sait pas… C’est un juste retour des choses, car la photo vient de la rue. Et celui qui s’y intéresse de plus près peut prendre le temps de voir une trentaine de photos d’artistes à l’intérieur, dans le hall. J’ai aimé cette expérience qui m’a donné d’autres idées.

– J’imagine aussi que tu avais à coeur que ce soit une exposition gratuite et populaire, offerte au plus grand nombre, alors que tu aurais pu exposer dans une galerie plus institutionnelle des beaux quartiers parisiens …

Bien sûr, je viens de là. Depuis mes débuts, j’accompagne les gens dans leur vie quotidienne, ces gens qui m’ont fait confiance. Je suis de la deuxième génération de personnes issues de l’immigration, je ne l’oublie pas. J’ai fait mon chemin à l’école de la République, alors je tiens à ce que les choses restent simples, gratuites et dans le partage…

Alicia Keys

– Passer de l’image statique à la réalisation de clips ou même d’un film est dans tes projets ?

Curieusement, je viens de là : quand j’ai fait mes débuts à la télévision, au débuts des années 90, je réalisais des documentaires pour Euronews. Quand on me demande comment j’ai appris l’ouverture d’un objectif, ou à régler la vitesse d’un appareil, je réponds que ça n’a rien de surprenant puisque je viens de la vidéo. J’étais présentateur, mais je partais aussi parfois sur le terrain. Alors oui, c’est quelque chose qui me travaille depuis des années, de prolonger ce travail de photographie en noir et blanc, par un film. Ce n’est pas irréalisable, même s’il m’arrive de penser parfois que c’est un objectif trop ambitieux. Mais en même temps, la vie est trop courte, alors pourquoi ne pas essayer ?  Je ne cherche pas forcément la reconnaissance à travers tout cela, car je connais le jeu sournois de la notoriété et ses limites. C’est un jeu dangereux et j’ai fait le tour de la question depuis longtemps. Ce n’est pas le plus important : ce qui compte aujourd’hui à mes yeux, c’est le lien qui se crée avec celui auquel je propose mes photos, et ensuite de me demander ce que j’ai à lui dire, et quel est mon propos à travers ces photos… 

Propos recueillis par Eric Chemouny

Photos : Nikos Aliagas (DR) sauf reportage à la Seine Musicale : Eric Chemouny (DR / JSM)