JULIEN DORÉ

“Aimée” d’Amour

Sorti en septembre 2020, le 5e album studio de Julien Doré, “Aimée”, a dérouté les fans de la première heure et réjoui dans le même temps toute une nouvelle génération qui avait découvert Julien Doré et son panda et impatiente de le voir sur scène pour leur toute première fois. Il aura fallu s’armer de patience et arriver à surmonter les crises sanitaires successives pour enfin entrer dans l’univers scénique d'”Aimée”. Lancée le 26 février dernier à Aix en Provence, sur ses terres natales, cette nouvelle tournée, qui à déjà parcouru une bonne partie du territoire, s’est arrêtée pour 3 soirs archi-complets à l’Accor Arena, les 8, 9 et 10 avril dernier. Tandis que nous étions déboussolés à la sortie de cet album fait “d’amour et de pastaga”, Julien Doré nous a encore cueillis, comme une pomme d’amour dans un stand de fête foraine, tant ce retour à la scène est une réussite. Il nous a accordé l’exclusivité des photos prises lors de son second rendez-vous avec un public de plus en plus fervent.

A voir le public qui se presse bon enfant entrer dans la salle de l’Accor Arena, il y avait fort à parier que pour les plus jeunes d’entre eux, c’est leur premier concert, avec cette excitation unique des premières fois trahie par des yeux brillants d’émerveillement de chaque instant. C’est à travers eux que l’on reconnait un artiste qui dure, qui marque le temps et déjà les générations. Pour leurs parents, c’est un bonheur de retrouver les salles de concert et assurément Julien Doré dont la tournée “&” avait terminé sa route fin 2017 dans cette même Arena, apogée d’un triomphe remarquable, et dont “Aimée” semble prendre le chemin identique.

Entre l’univers bleuté et estival du “& tour” et la ouate rosée qui baigne son “Aimée tour”, Julien Doré n’aura jamais vraiment cessé d’entretenir avec son public une relation presque intime, leur offrant de nombreux messages rigolos et bien sentis sur les réseaux sociaux, ponctuant de visites surprises chez des fans un emploi du temps finalement assez calculé, et proposant même une tournée acoustique “Vous & moi” pour garder ce lien qui lui semble si vital, avant de s’enfermer dans les Cévennes pour nous livrer “Aimée”, s’engageant même dans une relation fidèle avec son plus grand fan club, le JDWL aux fervents et louables membres dévoués.

Julien Doré cultive à la fois le mystère d’une vraie star et la proximité d’un homme simple, il est un paradoxe en même temps qu’une évidence. Il est l’ami de la famille, l’ange gardien des bambins, le gendre idéal, l’homme parfait, le sain, le drôle, le droit, l’engagé, l’amoureux des animaux, l’amuseur public numéro un, le chanteur de charme autant que le GO fantasmé du Club Med, le troubadour des colos comme le crooner des Ephad, le copain farceur comme le papa tendre et discret. Il chante pour tout le monde, en toute circonstance, forçant le respect de tous même dans ses pitreries… Julien Doré, aujourd’hui, c’est tout ça, Tintin de la chanson française tant il réussit l’exploit rare et très envié de ses pairs de plaire aux 7 comme aux 77 ans, parfois plus, parfois moins. C’est sans doute assez unique dans le paysage français d’avoir un artiste qui parle à la fois aux Inrocks comme au Journal de Mickey en faisant une pose chez Psychologies. Et s’il a laissé les puristes de ses chansons mélancoliques et rocks des débuts sur le bas-côté de sa route, il a considérablement élargi son public tout en conservant toute sa crédibilité artistique.

C’est dans ce contexte et cet état des lieux d’un chanteur qui semble libéré de toute contrainte, que son “Aimée Tour” a divisé les fans, entre ceux qui le voient s’éloigner de plus en plus, voire définitivement de ses concerts les plus sombres et profonds comme le “Love Tour”, et ceux qui glorifient le Panda de “Coco Caline” ou les “Waf” de Jean Marc et Simone, craquant pour cette Annie Cordy au masculin, survitaminée et totalement assumée. Ainsi, ceux qui s’attendaient à voir et entendre les variations de ses “Sombres archives” sur un “Piano Lys” auront forcément été déçus.

Mais tout cela étant dit, que reste-t-il de cet “Aimée”, parfois mal-aimée? Et bien, il faut admettre et reconnaître que cette direction ultra-populaire et consensuelle que prend le Julien Doré, que l’on a connu aussi subversif et rebelle à la Nouvelle Star, fait de son spectacle, contre-pied de ses spleens idéaux désormais passés, une réussite totale.

Fête foraine musicale, conte visuel pour enfants ébahis, grand barnum acidulé pour adultes émerveillés, constellation d’images oniriques diffusées par l’écran géant panoramique, show télévisuel que n’auraient pas renié les Carpentier, la proposition artistique de Julien Doré n’a qu’une seule ambition ; créer de l’Entertainment à l’état pur, produire du rêve et du fun, à coup de tubes qui ont marqué 15 ans d’une carrière exemplaire et sans aucune fausse note. Une féérie sonore et visuelle augmentée d’artifices malins et jubilatoires pour lesquels le chanteur n’a lésiné sur aucun moyen. On passe d’un karaoké géant à un interlude météo irrésistible, d’un tapis volant magique à un piano manège, du désormais célèbre Panda au dinosaure en mousse, tandis que sur l’écran défilent Simone et Jean-Marc, ses deux chiens stars, entourés de papillons, une arche de Noé digitalisée, des galaxies multicolores, des planètes, des étoiles, des paysages déconstruits, des couleurs pastels aux faisceaux lasers dans une dynamique euphorisante. Il n’y a pas à dire : “Aimée” fait du bien.

Les chansons de ce 6e album qui a tant divisé prennent ici une toute autre dimension, totalement illuminées et transcendées par une scénographie immersive, comme sur “Waf”, “Kiki”, “Nous” ou bien “La fièvre”, son premier single qui ouvre le show aux couleurs rosées de l’album et qui se termine sur la pointe des pieds avec “Barracuda II”. Eddy de Pretto sur “Larmes fatales” (samedi 9 avril) et Clara Luciani sur “L’île au lendemain” (vendredi 8 et samedi 9 avril) viennent compléter cette collection de nouveaux titres avec élégance et simplicité sur la scène de l’Accor Arena aux côtés d’un Julien Doré.

Et puis, il y a les succès de ses précédents albums présents au rendez-vous, comme les empreintes de sa vie, des chansons qui sont devenues ses hymnes : “Le lac” second titre de cette setlist (après “La fièvre”) marquant un grand coup et dont la portée est encore aujourd’hui immense, jusqu’au rappel “Paris Seychelles” qui transforme chaque soir toute la salle en chorale géante. Entre les deux bien sûr, il faut compter sur “Coco Caline”, “Chou Wasabi”, “Kiss me Forever” ou encore le premier single de son album “Ersatz” (“Les Limites”) pour embarquer la foule en folie, et la caresser aussi avec le très attendu “Sublime et Silence”.

Pour les déçus de l’être “Aimée” et de son côté guimauve pastelle de fête foraine , Julien Doré leur offre deux moments totalement exceptionnels et fous, deux morceaux d’anthologie à couper le souffle : “Porto Vecchio” dans sa mise en abîme visuelle hypnotisante et vertigineuse d’une nature dystopique, entre ciel et mer, accompagne une partition intense et “Corbeau Blanc” qui reprend l’arrangement du “Love Tour” (sans le pont final) et son déferlement progressif et apocalyptique de guitares et de voix et qui nous laissent atomisés.

Le chanteur populaire complète sa setlist par un exercice auquel il aime se plier : reprendre les chansons des autres. Et son “Aimée tour” est également très généreux à cet égard : à la surprise générale (pour ceux qui n’auront pas été spoilés), Julien Doré rend hommage à ses débuts avec “Moi Lolita”, reprise de Alizée écrite par Mylène Farmer et Laurent Boutonnat , “Les sunlights des tropiques” de Gilbert Montagné, “Aline” de son ami Christophe et le temps d’un soir, unique et presque irréel, “Dieu m’a donné la foi” rejoint sur scène par l’iconique Ophélie Winter. Avec cette démonstration bon enfant, il reboucle finalement avec une évidente envie de variété, dans le sens artistique du terme comme dans celui d’une expression de diversité.

Ainsi, durant plus de 2 heures d’un concert de pop d’Amour, Julien Doré a revisité ce qui a construit sa carrière : des tubes, des reprises, du rock, de la variété, du rire et des larmes, une folie animale autant qu’une profonde humanité, du spectacle populaire autant que de la confession intime, et surtout beaucoup beaucoup d’amour et d’envie d’être… Aimé.

Gregory Guyot


Setlist : La fièvre / Le lac / Kiss Me Forever / Coco Caline / Chou wasabi / Les limites / Waf / Porto Vecchio / Moi Lolita / Les sunlights des tropiques / Aline / Larmes fatales (avec Eddy de Pretto) – le 9 avril / Sublime et silence / L’île au lendemain (avec Clara Luciani) – les 8 et 9 avril / Dieu m’a donné la foi (avec Ophélie Winter) – le 10 avril / Nous / Kiki / Corbeau blanc / Rappel : Paris Seychelles / Barracuda II

Photos : Gregory Guyot (DR/JSM) – avec l’autorisation de Julien Doré et de son équipe.