MARC LAVOINE
L’enfance au coeur
Avec « Adulte jamais » qui marque l’apogée de 40 ans d’une carrière exemplaire, constellée de tubes populaires, élégants et intemporels, Marc Lavoine signe un de ses plus beaux albums, mais aussi un de ses plus intimes, tant il s’y raconte au plus près de l’homme qu’il est devenu, à l’aube d’une nouvelle décennie. Plus que jamais attaché à ses racines et à cette enfance en banlieue parisienne qui ne le quitte pas, l’acteur-chanteur-écrivain et coach de la nouvelle saison de « The Voice », y décline plus que jamais ses immuables valeurs humanistes et son amour inconditionnel pour une certaine poésie du quotidien. À cette occasion, l’artiste protéïforme, boulimique de travail, a pris le temps de nous recevoir chez lui, dans son chaleureux appartement-musée du Quartier Latin, aux murs animés de ses dessins, photos et collages rendant hommage aux grands noms qui l’ont inspiré. Nous y avons redécouvert Lavoine sous les traits d’un homme nouveau, plus serein et concentré sur l’essentiel, mais toujours aussi généreux, altruiste, passionné, curieux et avide de nouvelles émotions artistiques : le secret sans doute de son éternelle jeunesse…

– Ce qui frappe d’emblée sur ton nouvel album, « Adulte jamais », c’est cette photo de toi adolescent : de quand date-t-elle ?
Il faut savoir que j’ai été gros jusqu’à âge de 12-13 ans, juste avant de prendre 20 centimètres en une année. D’un seul coup, je me suis retrouvé tout mince. Quand j’ai commencé à perdre du poids, j’ai eu mal partout, car je grandissais. Cette photo remonte à la période qui a suivi : j’avais la raie des cheveux au milieu, donc je dirais que j’avais autour de 15 ans, presque 16 ans. Elle a été faite par mon frère Francis, et on l’a mise en page en reprenant les codes de la première compilation de Bowie. On a repris la même typo et la même bande rouge dans le livret.
– Quel souvenir gardes tu de cet ado ? Qu’aurais-tu envie de lui dire aujourd’hui ?
Je me garderais bien de lui dire quoique ce soit : je n’aime pas trop donner des conseils. Même dans The Voice, ça me met mal à l’aise. Disons simplement que si j’étais son copain ou son frère, j’essaierais de le mettre tout de suite en situation. Je l’inviterais à construire quelque chose ensemble, comme écrire un texte, faire du théâtre ou un film. D’ailleurs, on avait fabriqué un film à cette époque, que j’ai toujours et qui s’appelle « Le cancre ». Je devais avoir 16 ans, et le thème de Pasolini qui a inspiré la chanson « Adulte jamais » y était déjà présent. Quand on ne se retrouve pas dans une société, comme souvent à l’adolescence, on se met en mouvement et on se prépare pour le voyage, celui de la vie… J’habitais alors dans une banlieue, proche de celles des films de Jacques Higelin ou de Jacques Tati, comme « Mon oncle », un endroit où cohabitaient des fermes avec des vaches, et les premiers HLM.
– Avais-tu conscience de ta ressemblance avec Mick Jagger à l’époque ? Jouais-tu de ton pouvoir de séduction naissant ?
Pas du tout, j’étais très complexé au contraire. J’avais un ami, Fabrice, que je vois toujours, tout comme j’ai gardé contact avec la plupart de mes amis au fil du temps. Il venait d’être exproprié de son immeuble à Paris, où devait être construit l’hôtel Sheraton à la place, dans le quartier de Montparnasse, où habitaient d’ailleurs beaucoup de bretons comme lui. Il a débarqué dans ma banlieue vers l’âge de 9 ans. J’étais très introverti, je ne parlais pas beaucoup, je me balançais tout le temps. Je n’aimais pas le soleil, je n’aimais pas mon corps, les maillots de bain, les plages… Bref, je n’aimais pas ce que j’étais, alors que lui était très doué pour tout. C’était une sorte de fanfaron comme Vittorio Gassman, très poétique, très beau, alors que moi, j’étais très timide, et j’avais besoin de quelqu’un comme lui pour me sortir de cette réserve. Je n’ai jamais dragué, je ne sais toujours pas comment faire. J’ai été élevé par des femmes et je les ai entendues parler. Je voyais bien qu’elles étaient différentes dans leur façon d’aborder les choses. Si bien que petit, j’étais fasciné par la Vénus de Milo, et tout ce qui touche à la mythologie : de mon point de vue d’enfant, c’était un des seuls endroits où les filles et les garçons, d’Aphrodite à Apollon, se partageaient les plaisirs et les responsabilités à égalité. Je trouvais cela très intéressant. La question du partage, chez mes parents ou mes grand-parents était très forte et très présente. Et puis mon père ayant été un grand séducteur, la séduction m’a toujours fait peur, parce que j’avais conscience qu’elle pouvait engendrer des catastrophes. C’est une forme d’addiction et je pense que c’est un symptôme très fort de la solitude, de l’incertitude, du doute, de l’anxiété et je dirais même, de la fracture intérieure, un sorte de gel au fond de soi.
– Penses-tu à des évènements particuliers concernant ton père ou ton grand-père ?
Oui, pour mon grand-père avec la guerre de 39-45, comme pour mon père avec la guerre d’Algérie, quelque chose s’était cassé en eux quand ils en sont revenus. Ce sont des générations qui ont vécu dans une utopie dont ils sont morts, d’une certaine manière. C’est d’ailleurs pourquoi, j’ai arrêté de boire il y a 3 ou 4 ans, à la fête de l’Huma. J’y ai chanté « Le déserteur » devant 150.000 personnes, et j’ai alors pensé à mes parents, en particulier au mal que l’alcool avait fait à mon père ou à mon grand-père. On m’a tendu un verre comme toujours quand je sors de scène, que j’ai refusé. Et je n’ai pas repris cette habitude, même si je n’ai jamais bu beaucoup. Je ne dirai pas que je ne boirai plus une goutte d’alcool de ma vie, parce que j’ai beaucoup de respect pour le monde de la vigne. Mais au début on se marre, et puis à la longue, ça devient plus approximatif et violent, donc l’alcool me fait peur. Il faut dire que je sors de moins en moins aussi, hormis quelques exceptions…
– Par exemple ? Qu’est-ce qui t’a fait sortir de ta tanière récemment ?
Dernièrement, je suis allé voir « Seule ta terre est éternelle » le film documentaire de François Busnel sur l’écrivain américain Jim Harrison, qui parle des voix qu’on n’entend pas. j’ai écrit une chanson sur le même thème, sur ces gens réduits au silence. C’est important, d’écrire pour brûler la censure. Dans la salle, pendant la projection de ce film, on prend son temps tous ensemble et c’est très agréable. Il ressemble à notre désir d’être dans cette société nouvelle, qui interroge sur le sens de la vie. Je suis aussi allé voir les expos de Sophie Calle et celle d’Othoniel, et j’irai sans doute voir celle d’Eva Jospin que j’aime énormément. J’ai adoré Barbara Schulz au théâtre dans « Comme il vous plaira »… Son rôle dans cette pièce de Shakespeare lui permet d’explorer toutes les facettes de son métier d’actrice. Je vais aussi beaucoup à la librairie acheter des livres, notamment de poésie. Je vais dans quelques restaurants où on vous sert de la poésie à table. Ma vie extérieure se résume à ce qui se passe d’intéressant artistiquement, à voir du beau. C’est réconfortant. Le reste, je ne sais plus faire.

– Revenons au disque, pourquoi avoir abandonné ton prénom Marc sur la pochette ?
Tu es le premier à le remarquer ! Je ne sais pas vraiment pourquoi d’ailleurs. Ce que je sais, c’est que ce disque est un album charnière pour moi. J’ai ouvert un nouveau cycle, commencé avec « Je reviens à toi », qui marquait déjà un virage. Pour celui-ci, je voulais être le plus simple possible. Il me semblait que mon nom suffisait. Ce n’était pas de la prétention, juste une économie de mots, de la même façon que dans mes textes de chansons aujourd’hui, j’essaie de trouver des thèmes et de les developper dans une certaine forme de simplicité, tout en étant poétique.
– Pourquoi avoir éprouvé le besoin de renouveler ton équipe de compositeurs après avoir beaucoup travaillé avec Fabrice Aboulker ou Christophe Casanave, principaux artisans de tes tubes ?
Ce n’est pas nouveau, je le fais régulièrement, mais il n’y a pas d’obligation non plus. Ce n’est pas une offre d’emploi ou un appel d’offres. Il n’y a rien de prémédité, ni de calculé commercialement. Je travaille actuellement sur une nouvelle chanson avec mon fils Simon, et mes amis compositeurs, mais ce n’est pas parce que je travaille avec de nouvelles personnes, que j’ai écarté les anciennes. Je travaille avec Fabrice Aboulker sur un nouveau projet autour de Joséphine Baker, après avoir fait « Les souliers rouges » et « Je reviens à toi ». Christophe Casanave est aussi un personnage très important pour moi. On a dernièrement écrit une chanson ensemble sur la Factory que j’aime beaucoup. Pour cet album, les nouvelles rencontres sont arrivées un peu par hasard. Il se trouve que je suis parti en tournée avec les musiciens de Julien Doré, et je les ai trouvés formidables. Mon producteur de scène, Charles Bensmaine (n.d.l.r : créateur de Auguri productions) m’avait proposé de renouveler l’équipe pour rajeunir un peu l’affaire. Je ne savais pas comment le prendre, mais au final, j’ai découvert des gens merveilleux et j’ai appris notamment que Darko, le guitariste, avait fait pas mal de chansons avec Julien, dont « Paris Seychelles ». Comme c’est quelqu’un d’assez discret, il ne me l’avait pas dit. Je lui ai proposé d’essayer d’écrire des chansons ensemble, et on a fait « Coeur d’occasion ». Par ailleurs, dans le même temps, j’ai reçu un appel de mon amie Charlotte Valandrey, que j’ai connue dans les années 80, à l’époque ou avec Laure Marsac ou Mathilda May, elle était une des vedettes montantes du cinéma. Je la croisais pas mal au Palace et je l’aimais beaucoup. Elle me proposait alors d’écouter une chanson et de la chanter en duo avec elle sur son album. J’ai oublié de la rappeler, mais j’en ai ensuite parlé à la télévision chez Naulleau, disant que j’étais disposé à enregistrer ce duo. Au moment de l’enregistrer, j’ai rencontré son compositeur, Johan Czerneski, qui a composé « Le train », ou « Nuages blancs ». C’était un pur hasard, lié à cette rencontre, de même que j’en ai confié la réalisation à Mathieu Pigné, le batteur du groupe et à Darko, lesquels m’ont fait rencontrer le producteur Etienne Caylou, qui avait produit le précédent album d’Eddy de Pretto, que du coup j’ai aussi eu l’occasion de rencontrer. On a repris ensemble « Rêver », une chanson de Mylène Farmer pour Taratata et on s’est très bien entendus. C’est quelqu’un de très drôle, de très intelligent et de brillant musicalement. J’adore son disque et notamment la chanson « Parfaitement » que je me repasse en boucle. Ma première épouse, (n.d.l.r : Denise Pascal, maman de son fils Simon, décédée en 2017), était très branchée Rap, c’était une black Panther. Elle a vécu ces années-là, avec Tommie Smith, et le geste du poing levé du « black power »sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Elle m’a imprégné de Rap, même si j’étais déjà très concerné politiquement par la question noire.
– Que t’inspire justement l’omniprésence des musiques urbaines dans le paysage musical actuel ?
On dit souvent que les artistes de cette scène ne s’expriment pas bien. C’est tout le contraire et ils sont très littéraires. C’est le cas de garçons comme Vald ou Josman. Je dirais même qu’il y a quelque chose de Nougaresque chez Eddy de Pretto. j’adore leur culture et leur façon très belle de répondre à la violence du monde. Elle me rassure. Ce sont des artistes qui perpétuent le goût de la poésie : or, c’est la seule chose qui rende le monde beau et acceptable, en dehors de vivre. Ce sont des poètes et je suis heureux qu’ils existent en plein jour, parce que depuis les années 80, avec Les Rita Mitsouko, Etienne Daho, Mylène Farmer, Daniel Darc, ils se faisaient moins nombreux, même si des gens comme Benjamin Biolay ont émergé depuis bien sûr. On revient un peu au métier du spectacle, en s’éloignant du show-business, comme disent les américains, et ça me va bien.
– Comment expliques-tu qu’on soit, malgré ce renouvellement d’équipe, en terrain connu dès les premières notes du disque ?
En terre inconnue ou en terrain connu (rires) ? Le seule contrainte que j’impose en studio, c’est la liberté. Je veux que chacun se sente responsabilisé. Quand on travaille en groupe, je veux que chacun suive ses envies. On fait des maquettes, et c’est ensuite que j’interviens. Ce qui compte pour moi, c’est le propos. A partir du moment où la musique accompagne le propos, tout le reste est superflu pour moi. La seule chose que l’on doit trouver, c’est la poésie musicale. Et c’est ce qu’ils ont fait, parce qu’ils sont très intelligents, et très sensibles. Or le propos parlé vient de moi : donc l’environnement autour peut changer, le propos reste le même. Les Rita Mitsouko par exemple, reste un groupe majeur qui ne ressemble à aucun autre, et a imposé un style unique, car Catherine et Fred avaient le même propos. Qu’ils chantent « Andy », « Les histoires d’A », « Le petit train » ou « Marcia Baila », toutes les chansons portent leur signature. Je pense qu’après un certain temps, cela s’applique aussi à mes chansons. J’ai réécouté dernièrement mes anciennes chansons, produites par Michel Coeuriot ou Tony Visconti, et j’ai réalisé que j’ai eu la chance d’être accompagné par des gens qui avaient des personnalités incroyables, et qui ont accepté de travailler avec moi. Ma voix y est aussi peut-être pour quelque chose, de même qu’on identifie immédiatement une chanson de Mylène, Etienne ou Daniel… Mais au fond, je n’en sais rien. C’est plutôt à toi de me le dire…

– Pourquoi avoir eu envie de proposer le spectacle « Dans la peau », composé de reprises des grands mythes de la chanson et de la poésie à l’Olympia, juste avant la sortie de cet album ? Il n’y avait pas d’urgence puisque tu sortais d’une tournée …
Aucune, mais je suis à un âge où je dois multiplier les projets en musique, au cinéma, au théâtre, ou encore en écriture. L’équation était difficile. Il ne s’agissait pas de faire un show de music-hall, un peu poussiéreux. Il ne s’agissait pas non plus de me faire plaisir ou d’être ému, mais de faire en sorte que les gens soient émus. J’adore écrire des chansons et j’en écris tout le temps. Je ne fais que cela en continu, sinon je crève. J’ai aussi besoin de peindre, de dessiner, en quête de poésie… « Dans la peau » est simplement né de mon amour des poètes. Après, je me suis interrogé de savoir si mes chansons allaient tenir le coup au milieu de celles de tous ces artistes. Pascal Nègre et d’autres m’avaient conseillé de laisser tomber, mais au final, ils ont aimé. C’est un spectacle qui raconte mon histoire. J’ai rencontré la plupart des poètes dont je parle et que je chante. Je les ai au moins placés à l’Olympia quand j’étais ouvreur. Et puis, c’est un spectacle que je pourrais rejouer sans fin, et dans lequel je pourrais demain remplacer une chanson de Sheller, de Murat ou de Jonasz par une autre.
– C’était pour toi l’occasion de redécouvrir le plaisir de n’être qu’interprète pur…
Hormis sur mes chansons, c’est exact. Sur « Le petit garçon » de Reggiani, ou « La chanson d’Hélène » de Dabadie par exemple, j’ai aussi plaisir d’être acteur, en essayant de leur apporter une autre dimension. Je ne voulais que ce soit racoleur ou cabot, auquel cas c’était raté. La meilleure critique au sujet de ce spectacle est celle d’un journaliste qui a écrit : « je suis venu à reculons, je reviendrai en courant ». Le plus important était de trouver la bonne lumière et le bon son. J’ai pris un ingénieur du son venant du Rock et un mec aux lumières que j’avais repéré sur un concert de Dominique A. au Casino de Paris et avec lequel j’avais envie de travailler depuis des années. Tout cela a contribué à faire un spectacle inattendu, je crois. Je me suis rappelé en cela celui de Nougaro avec Maurice Vander, intitulé « Dix doigts, une voix », et que j’ai vu à l’Olympia.
– L’Olympia reste une salle fétiche pour toi, même si tu t’es produit dans beaucoup d’autres salles parisiennes, de la Seine Musicale à Bobino…
Oui, et j’en ai rêvé encore dernièrement : j’ai revu Roland Blanche, Philippe Khorsand, Maxime Le Forestier et toute une bande qui traînait dans ce quartier-là. C’était le début du Rose Bonbon avec Daniel Darc et Indochine. J’ai quand même eu beaucoup de chance de démarrer comme ouvreur à l’Olympia à 16 ans : je ne travaillais pas n’importe où. D’ailleurs, en travaillant dans un théâtre, je n’avais fait que suivre les conseils de mon père…
– Tu as consacré une chanson, « Rose bonbon » à Daniel Darc… Quel souvenir en gardes-tu ?
Je l’aimais beaucoup. C’était quelqu’un de vrai avec lequel je partageais une certaine difficulté à vivre le mensonge, l’imposture de ce monde. J’adorais son écriture, son style, ses textes, cette façon minimaliste de raconter des histoires. De même que Modiano ne finit pas ses phrases, Daniel Darc s’exprimait un peu comme ça, avec peu de mots. C’était un mec extraordinaire… J’ai eu la chance d’écouter son album « Crève coeur », avant même qu’il ne trouve une maison de disques. Je l’avais emporté avec moi, à l’autre bout du monde pour tourner le film de Marc Esposito, « Toute la beauté du monde ». Je l’écoutais tout le temps, et je continue d’ailleurs. J’ai avec Darc ce même rapport à la voix qu’avec Jimmy Scott. Je me rappelle ce rendez-vous avec lui et Frédéric Lo et Egidio (Alves Martin) mon directeur artistique chez Mercury, dans une brasserie de la rue Soufflot : je regardais son bras tatoué, et lui m’observait sans rien dire. Au bout d’une demi-heure, il s’est tourné vers moi en me demandant mon avis, s’il devait signer avec Edigio ou pas. Je lui ai conseillé de le faire, et il a signé dans la foulée. C’est un de ses meilleurs disques en solo, avec cette chanson écrite pour Dani, « Rouge Rose ». Par la suite, il m’a écrit deux chansons, « Désolé » que j’ai chantée en duo avec Jenifer Ayache, et « Ne m’en veux pas de t’en vouloir », en solo. J’adore… Ce n’est pas de la nostalgie, mais je repense parfois à cette cérémonie pour ses obsèques, avec Johnny Cash à fond dans l’église. C’était quelqu’un de très religieux, il allait beaucoup à l’église. De temps en temps, je dessine son portrait à la craie sur les murs. C’est facile à faire, avec ce visage un peu accidenté, très anguleux, les cheveux en bataille, ces deux grands yeux presque asiatiques, un nez inversé et une grande bouche…Et pour finir, tu peux lui rajouter des ailes ! (n.d.l.r : Marc dessine Darc sur un carnet à mesure qu’il parle).
– Ce dernier spectacle « Dans la peau », à l’Olympia, a justement été l’occasion de découvrir tes talents de dessinateur…
Je ne sais pas si j’ai du talent, mais j’aime beaucoup Reiser, Sempé, Gotlib, sans vouloir me comparer à eux. D’ailleurs, je ne sais même pas si je suis dessinateur : tout dépend du support. Selon que je travaille au crayon dans un café, avec un feutre ou encore à l’encre de Chine, les résultats sont différents. De même, quand je fais des collages, les rendus sont différents selon qu’ils sont en couleurs ou noir et blanc, ou en fonction des produits utilisés. Je ne dessine pas bien, mais je me débrouille…
– Là encore, l’essentiel était le propos : celui de rendre hommage aux artistes qui t’ont aidé à te construire artistiquement, Gainsbourg, Barbara, Ferré, Brassens…
Absolument. Je me rappelle d’un jeune autiste qui dessinait très très bien et auquel on demandait souvent de faire un dessin. Il répondait : « je ne fais pas de dessins, je dessine quelque chose ».

– As- tu écrit beaucoup de titres pour n’en retenir que 12 sur cet album « Adulte jamais » ?
Oui, j’en ai notamment écrite une que je n’ai pas mise sur l’album, de crainte qu’elle prenne toute la place en raison de son thème. Je pense qu’il y aura une édition limitée avec des bonus, car j’écris des chansons tous les jours…
– Tu parlais de ton intérêt pour les musiques urbaines : comment s’est passée la rencontre avec Grand Corps Malade pour le duo « Adulte jamais » ?
Je l’aime beaucoup, depuis longtemps. J’avais écouté son premier album avant qu’il ne sorte, dans les bureaux d’Universal, avec Frédéric Zeitoun et Pascal Nègre. J’étais très impressionné, et j’écoutais beaucoup le disque en voiture, en tournée. Je l’ai souvent rencontré depuis, mais on n’avait jamais travaillé ensemble. J’ai aussi beaucoup aimé ses films, comme ceux d’Orelsan d’ailleurs. On a une histoire en commun : son père est communiste, et il vient de la banlieue Nord, comme je viens de de la banlieue Sud. D’ailleurs, entre parenthèses, je pense bientôt quitter Paris et m’installer en banlieue. Je lui ai envoyé trois chansons, dont « Adulte jamais », « Comme des mouches » et « Faits divers ». Il a choisi celle-ci, et il a bien fait. Je lui ai envoyé une version avec les espaces qu’il devait compléter en écrivant ses parties de texte. Il semble que l’idée de « Adulte jamais », en référence à Pasolini, lui a parlé. J’aime beaucoup Pasolini et ce n’est pas la première fois que je m’y réfère : c’est lui qui m’a aussi donné envie d’écrire « Parking des anges ». Quand il a été assassiné, mon père m’avait dit : « tu verras, ils mentent dans les journaux. Il ne s’est pas fait tuer par passion amoureuse. Il y a autre chose derrière tout ça… C’est un garçon qui refusait le mensonge et on l’a tué pour cela ». Ça m’avait frappé, cette idée que mon père décrypte l’actualité. On était dans les années 70, il n’y avait pas eu ce documentaire sur sa vie, et on n’avait pas encore compris que Pasolini avait découvert des choses dangereuses sur le plan politique. Et puis, pour écrire la chanson, j’ai repensé aussi à un film qui se passait dans un cimetière de voitures, avec Robert Redford et Jane Fonda. Tous les films américains de ces années-là sont très importants pour moi.
– justement, la chanson « Manhattan » renvoie à ce climat cinématographique des années 70, aux premiers films de Woody Allen, Sydney Pollack ou Coppola…
Totalement. Le cinéma est un langage important à mes yeux. Sydney Pollack fait partie des gens, comme Nicholson ou Trintignant qui comptent beaucoup pour moi. J’aime beaucoup les actrices et les acteurs. Ils ont repassé dernièrement son film, « Le cavalier électrique », et j’ai appris que c’était aussi un des films préférés de Sandrine Kiberlain, une autre actrice que j’adore. On était très émus quand on en a parlé au téléphone après l’avoir revu. Il se trouve que j’ai rencontré Pollack une fois, de façon incongrue, dans une pharmacie. Il ne s’exprimait pas trop mal en français, mais il avait du mal à trouver un produit, et je l’y ai aidé… Il a fait des films incroyables, avec une distance et un humour dingues.
– Tu chantes « Jusqu’à ce que l’amour nous sépare » avec une autre actrice, Virginie Ledoyen…. Comment expliques-tu qu’elles soient toutes autant attirées par la chanson ?
Virginie est pour moi une actrice qui peut tout jouer : c’est une femme extrêmement brillante. Beaucoup d’actrices et d’acteurs chantent en effet, parce qu’elles ont un phrasé. Quand on écoute Jean-Pierre Bacri dans « On connait la chanson », ou quand on écoute André Dussolier sur scène, ce sont des gens dont la voix chante naturellement. Les plus grands acteurs sont ceux dont la voix porte en elle une musicalité. Depardieu ou Tchéky Karyo chantent très bien. Je chante aussi souvent avec Trintignant. Quand je vais lui rendre visite, on parle tout de suite de chanson, de poésie… Chez Gaston Miron, chez Prévert, chez Desnos, la poésie chante immédiatement. La langue chante.
– « Coeur d’occasion » est le nouveau single : quelle est la part d’autobiographie de ce titre ? Comment aborde-t-on une nouvelle histoire d’amour avec un coeur d’occasion ?
La notion d’autobiographie ne veut pas dire grand chose, tout le monde vit les mêmes histoires en réalité. L’amour est une chose qu’on ne connait pas, qui nous dépasse complètement et qu’on essaie simplement de comprendre. Il est partout, il est tout, sinon il n’y pas de vie. La mort, la vie, l’amour : c’est le seul fil conducteur tangible à l’existence, qui essaie de donner un sens à ce que nous sommes. Depuis que je suis petit, je ne rate aucun poème, aucun film qui parle d’amour… Quand j’ai tourné « Liberté » le film de Gatlif, je me suis retrouvé dans une chambre sans scénario, je lui ai demandé ce que je devais tourner le lendemain. Il m’a répondu : demain tu enfonces un porte ! Toi, tu es un mec qui enfonce les portes ! Je lui ai alors demandé en quelle année on était dans la scène, car selon qu’on était en 1941 ou en 1942, je ne pouvais pas me comporter de la même façon, sachant que des trains entiers partaient. J’avais alors trouvé un bouquin qui était un recueil de lettres d’amour de gens déportés. C’étaient bien plus que des lettres, c’étaient des poèmes d’amour. L’amour est le dernier cri révolutionnaire, la seule révolution qui vaille la peine, le reste n’est que de la littérature à deux balles, de la connerie. La seule vérité de ce monde, et de ce que nous sommes, c’est l’amour. Il n’y a rien d’autre d’intéressant dans la vie.
– Quelle est ton actualité comme acteur ?
J’ai tourné une série avec Jeremy Minui (n.d.l.r : fils de Nicole Calfan et François Valéry), pour TF1. Elle a été écrite par Jean-Christophe Grangé, un très bon scénariste, et s’intitule « I3P », du nom de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de Paris. Quand on croise des gens dans la rue qui ne vont pas bien, c’est l’endroit où on les conduit, avant de les diriger ailleurs. J’y tiens le rôle du psychiatre, médecin chef du service, et j’y suis entouré de Barbara Schulz, Tchéky Karyo et Nicole Calfan. Dans ce métier, il y a des cinéastes, des réalisateurs, et des metteurs en scène. Il arrive que les trois soient réunis chez la même personne. Cela donne naissance à de grands cinéastes comme Tony Gatlif, Sergio Leone ou Pasolini, à la différence de ceux que je considère comme des DJ’s du cinéma, parce qu’ils se contentent de recycler des références. Les autres ont une vision du monde et c’est fantastique. J’ai eu la chance d’en croiser quelques uns dans mon parcours, comme Schlöndorff ou Chabrol. Je considère que Jeremy Minui en fait partie. L’autre projet, est un film avec Gérard Jugnot, un artiste que j’adore. J’ai regardé tous ses films, et je trouve qu’il n’a pas la reconnaissance qu’il mérite. On ne réalise pas le cinéaste qu’il est réellement : dans « Scout toujours », le sujet de la pédophilie est au coeur du film, mais personne n’en parle. Dans « Pinot, simple flic », il y a une fille qui se fait violer dans par des flics dans un commissariat, et on l’a oublié. Ce n’est pas rien pourtant. Dans « Une époque formidable », « Monsieur Batignolles » ou « Meilleur espoir féminin », il place toujours son personnage entre deux mondes, celui d’un mec faible et ordinaire, au coeur de sujets brûlants qu’il dénonce. En cela, il a réalisé le film, mais le scénario aurait très bien pu être écrit par lui. Il s’intitule « Le petit Piaf », et j’y suis entouré de Jugnot bien sûr, mais aussi de Stefi Celma, Philippe Duquesne et le petit Soan qui a remporté The Voice Kids, avec Amel Bent. Les trois enfants du film sont fantastiques d’ailleurs. Ça se passe à La Réunion et c’est important : en la survolant sur le plateau des Cordes, j’ai compris que c’est un pays qui s’est construit sur rien, pour en faire un tout universel, où cohabitent beaucoup de communautés, sans éluder les problèmes, notamment celui de la question noire.

– Tu parlais aussi d’un projet musical sur Josephine Baker avec Fabrice Aboulker : comment est née cette idée ?
J’ai grandi entouré de femmes qui ont été héroïques pendant la guerre, comme ma grand-mère, ma tante ou encore ma mère. J’ai rencontré Cordier, le secrétaire de Jean Moulin que j’ai interviewé pendant des heures, et j’ai beaucoup appris à son contact. Je lui ai demandé pourquoi il s’était comporté ainsi, et il ma répondu : « parce que j’ai fait ce que j’avais à faire : je me suis vu le faire. Je n’avais pas peur. Il n’y a aucun héroïsme à cela ! ». Il m’a pourtant raconté qu’ils n’étaient qu’une petite centaine dans la Résistance en 42. La question de savoir dire non, n’est pas un sujet qui appartient au passé. Elle reste d’actualité et le restera encore demain. Tous les gens entrés au Panthéon ont osé dire non. Ils ont été exilés, bafoués, maltraités, déportés… Grâce à un documentaire historique, que j’ai vu, « Paris, années folles », j’ai réalisé qu’il y avait un parallèle évident entre ces années 20 et notre époque. J’ai donc voulu concevoir un spectacle sur ces années, vues dans les yeux de Josephine Baker. Elle a connu Jean Gabin, Man Ray, et toutes les grandes figures de l’époque. C’était aussi le temps des garçonnes, et tu remarqueras que la question du genre refait surface aujourd’hui. J’ai joué d’ailleurs « Le poisson belge » sur le sujet de l’identité et du droit à la différence, avec Geraldine Martineau qui a été récompensée par un Molière. Ca m’intéresse aujourd’hui de savoir si l’histoire peut bégayer, car les années folles sont mortes à l’âge de dix ans finalement. Et puis, son histoire croise celle de la question noire, et elle est franco-américaine, comme mon fils Simon. Bref, après « Les souliers rouges » qui s’est brutalement stoppée à cause du Covid, on s’interrogeait avec Fabrice sur la suite à donner, et on a eu plusieurs idées de projets. On s’est arrêté sur l’histoire de cette femme noire, qui rentre dans la Résistance et qui n’a pas peur et dit non, alors que d’autres ont dit oui. Ces gens-là aujourd’hui sont importants. J’en ai eu l’idée bien avant qu’elle n’entre au Panthéon, ou j’avais d’ailleurs eu la chance d’être invité par la famille de Simone Veil lorsqu’elle y est entrée. Ces gens marquent nos valeurs et nos principes contre ceux qui saisissent la faiblesse d’une société pour la retourner contre elle-même, provoquer une sorte de guerre civile, qui opposent les faciès, les genres… On ne peut pas vivre comme cela, dans un monde où un homme frappe une femme par exemple. C’est insupportable. Je ne prétends pas changer le monde, mais quand on raie le nom de quelqu’un sur un mur, on obscurcit l’avenir. On ne peut pas se contenter du monde du pouvoir et de l’argent. Ce n’est rien, puisque rien ne nous appartient réellement. La grande richesse est de ne rien posséder : voir la Joconde ou une toile de Basquiat, c’est plus important que de l’avoir chez soi. On se fout d’avoir Guernica à la maison, l’essentiel est que des millions de gens puissent le voir. Tous les artistes que j’ai cités jusqu’ici participent à la réflexion, et à la beauté du monde. Il ne faut pas salir la réalité du rêve que nous vivons : celui de simplement vivre…
– Est-ce que « Les souliers rouges » reverra le jour sur scène ?
Je l’espère, car il y a eu un tel boulot avec la chorégraphe Marie-Agnès Gillot… Les personnages étaient forts, parce qu’ils s’appuyaient sur un conte d’Andersen, ce qui n’est pas le cas du spectacle sur Josephine Baker.
– Tu as aussi pour projet de porter à l’écran ton roman à succès, inspiré de la vie de ton père, « L’homme qui ment »…
Oui, le scénario est écrit, mais je n’ai pas pu le faire jusqu’à présent. C’est un film qui parle des travailleurs, des classes populaires. Je ne veux pas le faire dans des conditions de riches. Je vais me démerder pour le faire avec trois bouts de ficelles. Pour le casting, j’ai deux solutions…
– Dont celle de t’attribuer le rôle principal ?
J’ai deux solutions (sourire).
– As-tu un autre livre en préparation ?
Oui, il s’intitule « Quand arrivent les chevaux », et sera dédié à ma mère. C’est un livre surréaliste, sur le lien que j’ai entretenu avec elle et le souvenir que j’en garde. Ma mère est morte mal, et un peu à cause de moi. J’essaie de réparer cela. J’estime qu’elle n’a pas eu une mort à la hauteur de sa vie. On me demandait récemment si je croyais en la vie après la mort. J’ai répondu que je croyais en la vie pendant la vie (rires). Donc, j’aimerais la faire revivre un peu à travers ce livre.
– Tu es coach dans la nouvelle saison de The Voice : as-tu hésité avant de dire oui ?
Ca fait quelques années que Pascal Nègre m’en parlait, mais j’ai toujours refusé. Je ne me sentais pas à la hauteur. D’autre part, j’avais fait plusieurs réunions avec l’équipe de The Voice, des gens que j’aime beaucoup, mais j’avais toujours mieux à faire entre les tournées, le théâtre, l’écriture du roman, l’écriture du film… Et puis un jour, au bout de quatre propositions, juste avant le confinement, j’étais dans le bureau de Pascal, et il me dit : « je crois qu’il faut que tu fasses The Voice ! ». Il savait pourtant très bien que c’est un exercice difficile pour moi de donner mon avis, d’avoir raison ou tort, de dire à quelqu’un de faire ceci ou cela, surtout à l’égard d’autres artistes. Je n’avais jamais produit un disque de ma vie. J’ai une tante qui a été prof toute sa vie, et elle savait faire cela, mais pas moi. En rentrant chez moi, le soir dans la cuisine, j’en ai parlé à Line (Papin). Elle ne voyait pas pourquoi je refuserais, considérant que c’était un travail. J’ai appelé Aboulker, puis mon ami Fred (Domenech) qui m’ont fait la même réponse. j’ai consulté dans ma tête mon petit Panthéon personnel, de ma mère à Simone Signoret, pour savoir ce qu’elles auraient fait à ma place. Une demi-heure après, j’ai accepté de le faire et je ne le regrette pas, car c’est finalement cohérent avec les idées que je porte. Comme je te disais, je suis très attaché à donner la parole aux voix que personne n’entend. les porte-paroles ont beau exister, ce ne seront jamais que des porte-paroles. J’ai rencontré sur le show une femme de ménage qui était analphabète, et qui grâce à la chanson et à la poésie, a retrouvé le chemin de la société. Il y a dans cette émission une caisse de résonance, où tout le monde est dans la même recherche de l’excellence, à tous les échelons du show. Et puis, quoiqu’il arrive aux candidats à l’issue de l’émission, ils auront vécu une aventure extraordinaire, même s’ils ne feront jamais ce métier. Ils chanteront toute leur vie, et cela leur donnera des ailes en cas de coup dur. La poésie est d’un secours formidable : sans la poésie, comme survivre à un chagrin d’amour, ou à la perte d’un être cher ?

– À tes débuts, aurais-tu tenté l’expérience ?
Je n’en sais rien. Je n’ai jamais aimé les castings. C’est sans doute à l’origine de mes doutes sur ma participation. Et pourtant, j’ai oser appeler Serge Rousseau qui était à l’époque l’agent de Dewaere, de Depardieu ou de Marie Dubois, pour lui demander de venir me voir dans la salle de billard de l’Olympia, et me faire passer une audition. J’ai lu plusieurs textes, du Sartre, du Molière, du Garcia Lorca, des extraits de « la putain respectueuse », « Les noces de sang », « Le cocu imaginaire », si je me rappelle bien… Je me souviens très bien des mots qu’il m’a dit et qui m’ont beaucoup aidé. Quelques semaines après, j’ai tourné dans « Pause café ». J’avais 17 ans. Cette demande de participer à The Voice m’a rappelé cette époque : j’ai repensé à ces voix qui m’ont parlé et qui m’ont donné la parole et un visage, moi qui n’étais rien, venant d’une petite famille de travailleurs… je n’intéressais personne à part Dominique Besnehard qui me trouvait bien et me prédisait une carrière.
– C’est aussi lui qui a découvert Florent Pagny, l’autre coach de cette saison…
Oui, j’ai des liens fraternels avec Florent. Je le connais depuis si longtemps, que je ne savais plus trop pourquoi ni comment on était devenus si proches. Quand on a enregistré « Les gens du Secours » avec Pascal Obispo, j’ai mieux compris pourquoi. La réaction de Florent a été extraordinaire. Il a accepté de le faire à une condition incontournable, sans laquelle il refusait de participer au projet : il voulait voir dans le clip, et entendre dans la chanson, les femmes de ménage qui s’occupent des malades à l’hôpital. On avait tous pensé à presque tout le monde, mais pas à elles. J’ai compris alors pourquoi nous étions si amis, et depuis si longtemps. Il a ce souci-là. C’est formidable de le retrouver dans ces circonstances, sur le plateau de The Voice. J’ai découvert encore beaucoup de choses sur lui à travers l’émission, dans la façon qu’il a de considérer les candidats. J’adore aussi Amel Bent à laquelle j’ai demandé décrire une lettre pour Le cartable connecté (n.d.l.r : conçu par l’association Le Collectif, un outil numérique permettant à des enfants hospitalisés de suivre une scolarité à distance), comme je l’ai demandé à d’autres artistes. Elle m’a envoyé un texte et j’étais en larmes à sa lecture, tant la syntaxe était extraordinaire, mais surtout en raison du courage avec lequel elle l’avait écrit. Finalement, je réalise que je fréquente les gens d’ou je viens dans The Voice : des familles d’espagnols, d’algériens, de bretons, qui ont tous des histoires qui m’intéressent. Pourquoi écrire, si ce n’est pour des gens et pour se réunir ensemble, ailleurs, au même endroit ? Au début, j’allais dans le bus avec les handicapés parce que je m’y sentais mieux, que je retrouvais en eux mes propres handicaps, mes propres angoisses. En cela, contribuer au journal Le Papotin m’a ouvert au monde.
– Quel est ton rapport à la célébrité aujourd’hui ?
Ce qui compte pour moi, ce n’est pas d’être une vedette, de faire la une d’un journal, même si je suis heureux et reconnaissant quand ça arrive… Comme disait Anouilh au sujet de la Légion d’Honneur : la notoriété, je ne la demande pas, je ne la refuse pas quand elle arrive, mais je ne la porte pas. Aujourd’hui, je ne lis pas ce qu’on écrit sur moi, mais quand on me rapporte un article négatif sur moi, ça me fait rire. J’ai atteint ce point où je trouve touchant qu’un type prenne sur son temps pour écrire du mal sur moi, en se croyant drôle. Je me dis qu’il ferait mieux d’écrire sur quelqu’un qu’il aime : de mon point de vue, défendre ce qu’on aime, c’est lutter contre ce qu’on n’aime pas. Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle à dire du mal. C’est assez propre à notre époque, mais je ne comprends pas le mépris, ni le cynisme. Ce n’est pas dans ma nature.
– Tu vas fêter tes 60 ans, dont 40 ans de carrière : qu’est ce que ça t’inspire rétrospectivement ?
J’enregistre des disques depuis 40 ans, et c’est miraculeux pour moi de passer encore à la radio, car beaucoup de gens de mon âge n’ont plus cette chance. C’est peut-être lié au fait que j’ai toujours besoin de travailler avec de nouvelles personnes, pour me régénérer. Si je passe des heures à regarder les oeuvres d’Othoniel c’est aussi pour me renouveler, tout comme le cinéma me ressource : j’ai écrit « J’habite en jalousie » après avoir tourné « L’enfer » avec Chabrol, par exemple. Malgré tout, j’ai l’impression qu’il y a dans mes chansons, une certaine continuité qui au bout du compte raconte mon histoire, cette histoire que l’on retrouve aussi dans le livre sur mon père et qui a été déterminant pour comprendre mes choix. (il désigne une photo sur le mur, visiblement prise dans les années 80 ). Tu vois cette photo, c’est celle de la fille qui a inspiré « Les yeux revolver ». Elle a un petit côté Bowie, non ? Elle en était fan. Tu es le seul auquel j’ai montré cette photo jusqu’ici. C’est une fille fantastique que je vois peu, mais avec laquelle je garde un contact téléphonique de temps en temps. Je m’en veux tellement de travailler tout le temps et de ne pas être disponible pour les autres, autant que je le voudrais…
Propos recueillis par Eric Chemouny
Photos : Laurent Humbert (DR)
