LA MAISON TELLIER

De l’importance d’être constant

La Maison Tellier fête cette année leurs 15 ans de carrière coïncidant avec la sortie de leur septième album, « A7LAS », un voyage musical qui pourrait bien faire franchir une nouvelle étape à ce groupe normand dans une discographie déjà remarquable. Ce secret de longévité réside peut-être dans la constance absolue de cette fratrie imaginaire. A l’instar de cette invitation au voyage proposée par les chansons de ce nouvel album, nous avons parcouru la cartographie de ces routes qui ont mené à cet « A7LAS » en compagnie de Helmut Tellier, pilier charismatique de cette Maison Tellier qui continue, hors des sentiers battus d’une industrie musicale dont il se sent libéré, à marquer une vraie singularité. C’est davantage les étapes de cette odyssée artistique qui ont mené au sommet de ce mont « A7LAS » que ce point d’arrivée lui-même qui a passionné notre dialogue avec lui, garanti sans langue de bois : de ses chemins de traverse aux sentiers balisés, foulés de rencontres et d’aventures, Helmut Tellier nous a confié les pleins et les déliés de son groupe, lucide et sans concession et qui n’a jamais rien perdu de son authenticité, entre création, inspiration et connexions.

D’« A7LAS », vous dîtes que c’est « le premier album que vous aviez toujours rêvé de faire ». Pourquoi ?

Parce qu’on a maintenant plus conscience de ce qu’on fait, de la façon de faire et du savoir-faire que ça implique. A force d’écrire des morceaux, on a fini par développer quelque chose de plus « conscientisé » dans la manière de les écrire, sans dire qu’on se censure ou qu’on se regarde au point de se paralyser. Il y avait un côté plus instinctif dans le premier album où on se dit « OK, j’ai cette intuition-là, que ce morceau-là, va être bien ; je le fais et puis tiens, en plus, il se trouve que c’est bien et c’est cool ! ». Là, maintenant, comme c’est plus en conscience, on sait qu’avant même d’avoir le résultat fini, ou avant même d’entrer en studio, que ça sera cool, que l’image qu’on a en tête de la chanson à venir est proche du résultat final et de ce qu’on entendra. C’est comme quand tu apprends à dessiner : le mouton, tu l’as très bien dans la tête, ça ressemble à rien au début. Et puis au fur à mesure, entre ce que tu vas réussir à créer par rapport à ce qu’il y avait dans ta tête, l’écart se rapetisse.

Et est-ce que cela veut dire que créer un morceau aujourd’hui, va plus vite pour toi ?

Ça peut aller plus vite, oui. Après, l’inspiration, elle va et elle vient. Ce que je voulais exprimer, c’était aussi cette espèce de magie intacte qui est une des choses les plus frappantes pour moi avec cet album et après 15 ans de tournée avec les mêmes gars. C’est toujours aussi fascinant d’être toujours aussi heureux de voir une chanson naître sous nos yeux… et nos oreilles.

Au début de ce processus de création, as-tu déjà en tête tous les instruments ?

Justement, c’est ça qui est magique dans notre façon de procéder : je ne peux pas connaître à l’avance ce que les garçons vont proposer comme arrangements ou variations. Donc soit ça va me toucher ou ça va venir encore plus souligner l’idée de la chanson, soit ça va pouvoir me heurter. Tout est possible car il n’y pas de façon de procéder unique. Pour certaines chansons, je sais très bien ce que je veux dans l’orchestration et pour d’autres, c’est libre cours à la créativité de tout le monde.

Dans votre formation, il y a un ingrédient musical assez singulier, les cuivres. Les avez-vous aussi en tête ?

Exactement. Sur les cuivres, je peux dire que j’entends quelque chose qui pourrait me faire penser à un type de musique, à du Otis Reding ou à du Ennio Morricone et puis Leopold Tellier se l’approprie et essaie d’interpréter ce que j’attends. Puis il en propose sa propre version. Mais la plupart du temps, c’est lui qui sait le mieux. Je ne suis absolument pas en mesure de lui dire quelque chose, de lui apprendre ou de lui expliquer ce qu’il doit faire.

Est-ce que Leopold emmène tes compositions-là où tu souhaites ? 

Oui. C’est aussi ce que je trouve d’intéressant dans le nouvel album : la rythmique induit quelque chose d’assez soul et folk, et je trouve que, dans ses trompettes, il a suivi un peu ce mouvement et a rejoint ce courant musical qui moi, m’a toujours accompagné : la funk, la soul, etc. Et ça, ce n’était pas voulu à la base. Je ne me suis pas dit « tiens, on fait un disque de folk-soul » mais à l’arrivée tu te dis que ce mariage de deux courants est assez marrant, d’une part avec une musique typiquement afro-américaine et d’autre part, avec une autre musique très très blanche, très très whitetrash. On s’est autorisé à écouter nos envies musicales et à les réunir, involontairement en plus… Léopold est un arrangeur et un cuivre de grand talent et donc il est en mesure de le faire donc on lui a dit « vas-y, mec ! ».


Cet album, « A7LAS » sort après 2 ans de pandémie. Est-il né intégralement pendant cette période si spéciale ?

Oui. Mais il y a toujours des bouts qui traînent, des bribes de paroles, de musique qu’on va aller rechercher à droite à gauche dans nos tiroirs. Mais le gros du boulot a commencé au printemps-été 2020 au moment où on s’est décidés et on a fait l’enregistrement en décembre 2020.

Qu’est-ce que cette pandémie a changé dans le processus d’enregistrement ?

Rien. On vit déjà à distance les uns des autres donc on a l’habitude de bosser en empilant chacun ce qu’on enregistre dans notre home studio. On fait des brouillons, on maquette pour dessiner des directions tout en s’autorisant bien sûr à changer des choses au moment de l’enregistrement.

As-tu gardé tous les titres prévus pour cet album  ?

Je crois qu’il y en a une ou deux qui n’ont pas franchi la dernière étape mais c’est aussi pour respecter une certaine durée de l’album. « A7LAS » est déjà plutôt long pour un album de 2022 (rires).

Est-ce que le fait d’avoir enregistré cet album dans des conditions “live” dans la salle de La Sirène à La Rochelle vous a aidé à préparer la tournée ?

Je ne suis pas sûr que ce soit ce qu’on avait en tête. On s’était plutôt dit que les salles de concerts étaient fermées, que c’étaient des espaces vides et inutilisés. Et ça nous fendait le cœur de ne plus avoir accès à des lieux qui constituaient le cœur de notre boulot. Et on s’est autorisés à aller l’occuper nous-même, en fait.

En enregistrant “live’, recherchais-tu aussi un son particulier pour « A7LAS » ?

Oui aussi, parce que tu te retrouves à faire des prises dans une salle qui est faite pour les concerts donc il y a un son qui va être beaucoup plus ample. Il y a plus d’air que dans un studio, qui est un endroit rarement haut de plafond. Donc cela a produit quelque chose d’assez naturel finalement.

En quoi, dirais-tu que cet album est différent des autres ?

C’est un album plus apaisé et serein. Le précédent, « Primitifs Modernes » était plus en colère, il y avait plus de moyens, une artillerie plus lourde. Et là, avec « A7LAS », il y a plus de simplicité. On s’est dit qu’on allait voyager léger et pour autant, ce n’est pas un voyage anodin.

Sur « A7LAS », y a-t-il un titre que tu préfères ?

La chanson « Atlas », je ne m’en suis pas encore lassé… On l’a déjà pas mal jouée sur scène (ndlr : avec les concerts du duo « 1.8.8.1. »). C’est un morceau que je pourrais mettre dans la liste de ceux qui sont importants pour moi, dans notre carrière. Dans ce qu’il dit, dans la façon de le dire et c’est un morceau pour lequel je suis relativement fier.

C’était le premier extrait et ensuite, vous avez choisi de dévoiler « Un Beau Salaud » qui est un titre doux-amer réunissant en sous-texte deux thèmes fort chez vous : l’adolescence et la difficulté d’être adulte

Oui. On est tous le beau salaud de quelqu’un et puis les beaux salauds dans notre vie changent, c’est pas toujours les mêmes. C’est vrai que sur ces thèmes, il y a une forme de…désenchantement.

… que vous aviez chantée en reprenant Mylène Farmer. Est-ce qu’on peut dire que “désenchanté” est l’adjectif qui caractérise le mieux La Maison Tellier ?

(Sourire) « Désenchanté » nous va bien, c’est vrai. C’est quelque chose qu’on nous dit souvent car c’est une réalité, je l’accepte carrément. J’essaie toujours de me figurer des artistes qui chantent en français ou des groupes qui seraient dans quelque chose de joyeux dans leurs paroles, sans parler de musique… avec un truc de qualité qui nous plaît. Et j’en viens à me dire que c’est la langue française aussi qui ne s’accommode pas vraiment du « youpi tralala». C’est une langue qui amène à la gravité, et c’est pareil dans la poésie. Regarde Baudelaire, Rimbaud, René Char par exemple… Est-ce que les Français ont tous le blues depuis toujours ? Ou est-ce que c’est notre langue qui veut ça ?…

Y trouves-tu néanmoins des exceptions ?

Oui. Higelin. Il a réussi à faire des textes profonds dans la joie et qui n’étaient pas craignos. Il y a forcément d’autres exemples, mais c’est vrai qu’en France, ce n’est pas la norme.

Penses-tu que les plus belles chansons ne sont des chansons tristes ?

Une histoire qui se passe bien, tu as peut-être envie de la partager… autour de toi. Mais si tu veux faire résonner quelque chose dans le cœur d’un maximum de gens qui t’écoutent, les chansons tristes passent bien…

Où situerais-tu La Maison Tellier dans la cartographie de la chanson française ?

Je crois que justement « A7LAS », de par son nom, de par son visuel et de par ce que ça raconte essaie d’inventer une géographie et un folklore qui sont les nôtres. On ne s’inscrit pas dans quelque chose de déjà existant parce que c’est très compliqué finalement. Dans la musique que l’on fait, il n’y a pas vraiment de famille mais on y retrouve des représentants comme Moriarty, Emily Loizeau, Baptiste W. Hamon, Murat…

Ce sont des références pour toi ?

Oui. Concernant Murat, on a travaillé avec Pascal Mondaz à la réalisation et à la prise de son de « A7LAS » qui avait bossé avec lui sur l’album « Babel » (ndlr. Sorti en 2014) avec le Delano Orchestra. Il voulait marier des musiques très ancrées en Amérique avec un langage très ancré en France et plutôt fin de 19e. Et ça, ça me touche beaucoup. Chez Murat, il n’y a pas forcément de constance, et c’est normal depuis le temps qu’il fait des albums, mais par contre, il y a des éclairs de pur génie : il y a des trouvailles qui me mettent par terre, quelque chose de très, très brillant qui me touche en plein cœur. Je trouve qu’il n’y a pas tellement d’équivalent dans la chanson française quand il produit cet éclair de génie.

Entouré de cette famille-là d’artistes, vous aviez décidé de fêter les 50 ans de « Harvest » de Neil Young sur la scène du CENTQUATRE à Paris en février dernier, Emily Loizeau, Albin de la Simone, Baptiste W. Hamon, Arman Melies entre autres et cela n’a pas pu se faire. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Oui nous avons dû annuler cet événement à cause d’une grève du personnel du CENTQUATRE mais je dois dire que même si c’est dommage, qu’on n’aurait pu trouver une solution ailleurs, on a voulu rester très solidaires des intermittents du 104 dans leur grève et leurs revendications. Je n’aurais pas pu me regarder dans la glace autrement, me dire que moi je joue, je travaille et pas eux. On a respecté cela même si cela n’a pas été facile mais cela fait partie de nos valeurs. Pour le moment on est en train de voir pour reprogrammer une date.

Comme ces artistes, dirais-tu que La Maison Tellier appartient à une famille de « grands artistes voyageurs » avec ses propres codes ?

Je pense que quand un artiste fait du hip hop par exemple, il est obligé de s’inscrire dans un certain nombre de codes, quitte à les transgresser ou les tordre mais ils existent. Chez nous, je pense qu’il n’y pas tant de codes que ça, on n’a pas envie de suivre ceux de la country, par exemple, avec des chapeaux de pailles et des boots pointues…

C’était pourtant la pochette de votre 2e album ?

(rires) Oui bien sûr, c’est vrai ! Mais cette pochette d’album était une manière de s’approprier cette mythologie-là, en la transférant dans le bocage normand.

Est-ce que la notion de codes et de passages obligés influe sur votre raison d’être en tant que groupe ?

Le fait de choisir d’être un groupe mais en même temps de faire de la chanson française, le fait de s’inscrire dans la musique folk et country mais en refusant dans le même temps le côté chemise à carreaux et chapeau de cowboy, est d’une certaine manière un refus complet des codes. Et ce n’est même pas conscient ! On n’est pas contre ça d’ailleurs mais si on y réfléchit, on admet qu’on est en dehors des codes. Comme Émilie Loizeau ou H-Burns… Le sillon est à creuser et tout cela reste à inventer.

Penses-tu que c’est positif ou négatif ?

Je trouve que c’est une position intéressante quand tu suis la carrière d’un artiste. Je suis allé voir une expo de de Baselitz au Centre Pompidou qui a commencé dans les années 60 et tu vois une évolution dans son travail, c’est fascinant. Il y a des périodes qui font chier mais tu sais que ces périodes-là vont t’amener à monter une autre marche, puis une autre pour t’emmener vers d’autres périodes plus intéressantes, pour toucher le public différemment. Je trouve ça très intéressant. Nous, notre matériau c’est la musique et il faut intégrer en plus le paramètre d’être plusieurs donc c’est mouvant. Mais on a une colonne vertébrale et une direction même si cela peut varier selon les albums.

La Maison Tellier fête cette année ses 15 ans et pour les néophytes qui veulent vous découvrir, par quel titre devraient-ils commencer ?

Je vais choisir un titre du dernier album : « B.A.U. ». C’est une quintessence… Il y a un texte plutôt narratif sans être non plus trop guidé, le banjo, l’envolée de trompette, le mid-tempo, les thématiques de choses qui peuvent rejoindre un peu la nostalgie mais sans le côté pathos, quelque chose de doux, quelque chose de serein… C’est la chanson qu’on n’avait pas vu venir. On est dans un monde où on attend de la part des chanteurs ou des groupes qu’ils produisent des tubes, donc des trucs longs et creux, et du coup, nous, quand ça arrive c’est par accident mais globalement, on ne sait pas trop faire ça.

Dans cette industrie musicale, il y a les faiseurs de tubes et les faiseurs d’albums. Est-ce que ce n’est pas une plus noble position de faire partie de cette seconde catégorie ?

Des tubes, j’aimerais bien en avoir, c’est pas la question, ça nous faciliterait bien la tâche, des fois. Mais en même temps, on a la carrière qu’on a. Et on l’a aussi parce qu’il n’y a pas d’autre réalité que celle qu’on vit, c’est comme ça.

Penses-tu que « B.A.U. » pourrait être ce tube populaire que tu aimerais bien avoir ?

Quand tu écoutes l’album et que tu réfléchis à quel morceau, tu vas mettre en avant, « B.A.U. » n’était pas forcément dans la liste de ces candidates. Mais depuis la sortie de l’album où les gens ont pu prendre le temps d’écouter toutes les chansons, on se rend compte que « B.A.U. » a effectivement un petit truc spécial. Mais ce sont les radios qui, au final décident, en tout cas, celles qui acceptent de nous passer. Ce sont elles qui font leur choix de chansons.

Est-ce-tu que les autres titres demandent plus de temps pour les apprécier à leur juste valeur ?

C’est notre problème. Oui, il faut prendre un peu de temps. Et aujourd’hui, on vit dans un monde qui ne prend pas le temps. Nous, on joue sur du plus long terme.

Est-ce que tu penses que « A7LAS » constitue ce grand moment de carrière chez vous, dont tu parlais tout à l’heure au sujet de Baselitz ?

Je ne sais pas. Il y a déjà le fait qu’on a un nouveau batteur qui vient d’arriver, qu’il se passe aussi des choses dans nos vies Persia font que j’ai envie d’imaginer cela comme le début d’un nouveau cycle, une autre manière d’envisager la musique et la vie, une manière plus sereine, moins injonctive où il faudrait se dire qu’il faut faire un morceau calibré pour pouvoir passer sur telle et telle radio. Mais… C’est pas qu’on s’en fout… mais ça nous facilite la tâche. Mais ce n’est pas ce qu’on a envie de faire forcément. C’est vrai que quand tu as un partenariat avec France Inter, tu t’en rends vite compte, tu le vois dans la fréquentation des concerts par exemple. Mais en même temps, je me demande si ce n’est pas ça pour chaque album…

Vous avez eu les fameuses 4 clefs « Télérama » pour « A7LAS », marque de reconnaissance et gage de qualité que tout le monde voudrait avoir (ndlr. après “Beauté pour tous” en 2013). Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

C’est bien, mais aujourd’hui, soyons clairs : certains organes de presse vont rechercher la future sensation, ils veulent absolument être les premiers à en parler, etc. Nous, clairement, on n’est pas les perdreaux de l’année, on n’est pas une priorité éditoriale mais bon, ils nous acceptent, ils nous mettent dans un petit coin (rires), justement parce qu’on n’est pas forcément très identifiables, on ne fait pas partie d’une famille.

A propos de famille, votre arbre généalogique compte aussi tes projets Animal Triste et 1.8.8.1. Ou encore ceux de Leopold. En quoi nourrissent-ils ceux de La Maison Tellier ?

De manière très concrète, le chant dans Animal Triste m’a fait évoluer, il a élargi ma palette d’intention de voix et il y a certaines choses que j’ai pu ramener dans La Maison Tellier et que je ne m’autorisais pas quand je chantais en français (ndlr. Il chante en anglais sur Animal Triste). Le fait de timbrer un peu la voix, de la pousser un peu plus… Après c’est plus…ésotérique : sur la conception du groupe, sur la façon d’envisager la musique de manière purement… joyeuse et comme un acte gratuit.

Est-ce que c’était déjà comme ça que tu voyais les choses avant ?

Oui. J’ai besoin de faire de la musique dans ma vie, j’ai la chance de vivre dans un pays où on peut en vivre mais si ce n’était pas le cas, je ferais de la musique quand même. Je la ferais différemment mais je la ferais quand même…

Est-ce que tu préfères chanter en français ou en anglais ?

Les deux sont très naturels en fait. Ce que je trouve de plus beau c’est que j’ai l’impression de marcher sur deux jambes. Avec Animal Triste, je l’ai découvert, plus en termes d’expression, de créativité, de joie d’être en vie : c’est un pendant indispensables à La Maison Tellier. Il y aura probablement d’autres projets encore mais le temps passe et il faut faire vite.

Malgré vos 15 années de carrière et forcément plus de maturité, on ne ressent aucune lassitude chez vous. Avez-vous un secret ?

Je pense que si tu fais un album en trainant les pieds, tu ne peux pas le cacher et je pourrais pas le faire ou ne pas le montrer dans mes paroles. Si tu prends « Copie Carbone », c’est un morceau un peu désabusé mais personne n’est dupe… Mais ce qui reste cool, ça reste de la création et ça, c’est très excitant ! Ça chatouille le cerveau, comme là, de parler artwork avec des personnes comme Yann Orhan par exemple.

Yann Orhan est aujourd’hui LE photographe incontournable de la musique et son apport sur cet album est immense puisqu’il signe l’artwork, la photo, le graphisme, il a aussi trouvé les masques et il va sans aucun doute contribuer à vous faire franchir ces étapes dont tu parlais. Comment s’est passée votre collaboration ?

Déjà, je le connaissais sans le connaître mais on ne s’était jamais rencontrés. C’est quelqu’un qui a une créativité sans limite. C’est rare de rencontrer des gens qui comme lui, qui en ont autant. Il a proposé plein d’idées, très facilement, et cela a donné plein d’échanges passionnants avec lui. En plus il est adorable ! Le projet a pris forme au fur et à mesure, jusqu’à la citation d’Alexandre Vialate avec l’art, le folklore (ndlr : « L’art est le folklore d’un pays qui n’existe pas ») et puis les masques, etc. Tout s’est empilé. C’est là que ça devient excitant de faire un album. Du coup, c’est pas juste un disque de plus ! Pour nous, c’est notre moyen d’expression, c’est ça qu’on utilise pour dire aux gens « regardez à l’intérieur de nous, on vous ouvre une petite porte et maintenant, on vous invite à y rentrer. Et si vous y sentez bien, tant mieux. ».

A quel stade du projet est-il arrivé ?

On lui a dit qu’on voulait bosser avec lui. On avait quelques lignes directrices mais des choses assez floues : par exemple le « 7 » dans « A7LAS », on voulait de la couleur ocre aussi… et partant de cela, il a déroulé le fil. Puis il a ramené l’idée des masques. De son côté, comme ce n’est pas quelqu’un qui est blasé de son boulot malgré la pression sur certains albums, je crois qu’il a trouvé dans notre projet de la fraîcheur et du sens aussi. Et puis l’objet en tant que tel, nous et ce qu’on représente en tant que groupe, sans casserole, avec notre carrière sans gros tubes, ce qu’on est humainement, le fait qu’on n’ait pas à rougir de ce qu’on a fait etc. a sans doute influencé son envie de travailler avec nous, même si on n’a pas eu le même chéquier que les artistes avec qui il travaille d’habitude. Il y a trouvé du sens aussi et de fait, il s’est déplacé.

Il y a dans l’artwork final de cet album, cette grande photo en noir et blanc des racines d’un arbre qui contrecarre le concept ocre. Pourquoi ce choix ?

Une chanson comme « Atlas » parle des racines, de filiation et au-delà de ça, il y a l’idée d’appartenance au torrent de vie qui coule depuis les débuts de l’humanité. Ces racines évoquent un peu tout ça. Et puis c’étaient les racines de l’arbre sous lequel j’étais assis pour la séance photo, on a passé deux jours juste à côté. Et sans dire que tu deviens ami avec l’arbre, cela fait sens à un moment. Et puis ça ressemble à des veines aussi. J’avais aussi l’impression que c’était un peu un arbre à palabres aussi comme tu peux trouver en Afrique ou dans certaines mythologies. Et tout cela mis ensemble semblait cohérent. Et puis ça rejoint aussi l’idée de « Copie Carbone », qu’on est tous de la poussière d’étoiles. Et le fait que l’arbre soit fait de carbone finalement… Ce sont des échos à tout ça. J’aime bien les échos.

Est-ce que le fait d’avoir créé votre propre label vous a rendus plus libres ?

Tu y gagnes parce que tu es en circuit court : il y a moins de maillons dans la chaîne de décisions. Typiquement, ici, entre le moment où on se dit qu’on aimerait bien bosser avec Yann Orhan et le coup de fil pour lui demander de bosser avec nous, tu ne passes pas par mille intermédiaires. C’est pour ça qu’on a quitté notre maison de disque précédente : j’avais l’impression de m’épuiser, d’épuiser ma créativité en devant expliquer les choses tout le temps, les justifier. A présent, les deux seules choses qu’on se demande c’est si on a le pognon ou pas et si l’idée nous semble bonne à tous les cinq. C’est là qu’on y va !

L’une des contreparties est de moins être exposés dans les médias que d’autres artistes. Est-ce que cela t’affecte ?

Non. Et je pense que c’est la meilleure chose qui puisse nous arriver en vrai. Et si je vais encore plus loin, c’est probablement un petit peu voulu de notre part. C’est-à-dire que je ne me suis jamais donné les moyens d’aller vivre à Paris, pour être là où il fallait quand il le fallait ; je n’ai pas été obligé de devoir virer des musiciens au début de ma carrière, quand on me disait que je serais mieux en solo; je n’ai pas voulu moins voir ma famille, ma femme, mes gosses ; je voulais les voir grandir, etc. Les sacrifices que certains font pour arriver jusqu’aux Victoires de la Musique, je ne suis pas sûr que j’étais prêt à les faire.

Est-ce que finalement votre succès ne résiderait-il pas dans cet équilibre que vous avez tous choisi ?

En tout cas, le fait est que 15 ans après, on est tous encore là et qu’on a tous envie d’y être encore ! Tout le monde ne peut pas dire ça, et encore moins les groupes. Il y a plein de groupes qui ont eu un succès énorme, incomparable à nous bien sûr, mais qui ne sont plus là pour le raconter. Et je pense que chacun d’entre eux ont sans doute aussi vécu une super vie mais aujourd’hui, ils font d’autres choses, ailleurs. Quand tu montes trop haut, ça devient dur d’accepter de descendre. Nous, on sait qu’il va y avoir encore des gens qui vont acheter notre album en quantité suffisante pour venir nous voir en concert qui vont nous permettre de faire ensuite d’autres concerts et de nouveaux disques. Et le jour où ça ne sera plus possible, je ne m’attarderai pas à dire que ce monde est merdique et qu’on mérite mieux.

As-tu conscience d’une forme de respect assez unanime vous concernant ?

Oui, on est un peu hors du truc mais d’un autre côté, cela va restreindre de facto notre périmètre. Il faut balancer des messages simples : la subtilité ne s’accommode pas trop du rythme des réseaux sociaux. Il faut être punchy et ça, on ne sait pas faire. Il y a des artistes qui le font très bien et je trouve ça admirable, des artistes qui se retrouvent aux Victoires de la Musique et qui ont réfléchi à leur truc pour remporter le succès plus vite. Je ne méprise pas ça du tout mais moi, je ne sais pas le faire et j’ai pas envie de le faire. Au final, il y a de la place pour tout le monde.

Comment résumerais-tu ces 15 années passées de La Maison Tellier ?

Il y a une formule dans la chanson « Kim Jong X » : « Parti de rien, arrivé nulle part » mais entre les deux il peut se passer plein de choses…

As-tu réellement ce sentiment d’être arrivé nulle part ?

On n’est pas arrivés encore (rires) donc je ne sais pas. Mais on arrive tous nulle part en vrai…

Finalement, est ce que « faire l’album que vous aviez toujours rêvé de faire », ne veut pas déjà dire « être arrivé quelque part » ?

Evidemment. Car ça va avec le fait de dire aussi qu’on est « partis de rien ». Je pense qu’on n’a pas toujours ce qu’on mérite en termes de notoriété, et je le dis franchement sans aucune aigreur car sincèrement, c’est un fait. Mais par contre, on mérite tout ce qu’on a.

Propos recueillis par Gregory Guyot

Photos : Yann Orhan (DR) / Live à la Fnac : Gregory Guyot (DR/JSM)