MICHEL DELPECH
Il était une voix…
Cet automne est sorti, dans une relative discrétion et contre toute attente, « Photos souvenirs », un album posthume de Michel Delpech : au menu de cet opus, dix reprises de ses confrères (Hallyday, Berger, Clerc, Jonasz, Gainsbourg, Souchon, Chatel…), dont cinq déjà parues dans des collections de CDs avec fascicules thématiques vendus en kiosques, comme c’était l’usage dans les années 90, mais surtout cinq autres inédites retrouvées par son épouse Geneviève et son fils Emmanuel, le tout complété par une version luxueusement revisitée de son inaltérable « Chez Laurette ». Cinq ans après sa disparition, l’ensemble, très réussi et terriblement émouvant, donne à mesurer combien, au-delà de l’immense chanteur populaire au sourire ravageur et collectionneur de tubes, Delpech était un interprète hors-pair, hyper sensible et tout en finesse, dôté d’une voix magique et d’un goût très sûr pour choisir ses chansons, comme en témoigne encore la présente sélection de reprises parmi les plus belles chansons du répertoire français… Nous l’avions rencontré en 2007, alors qu’il effectuait un formidable come-back grâce à un album de duos transgénérationnels, adoubé qu’il était alors par toute la nouvelle scène française, de La Grande Sophie à Clarika, Barbara Carlotti, ou Bénabar, pour ensuite ne plus quitter le haut de l’affiche. Histoire de lui rendre un dernier hommage, nous voulions vous offrir cette interview collector d’un artiste si emblématique de l’âge d’or de la variété française et qui reste pour beaucoup, un modèle de carrière et de résilience …

– Votre album de duos est actuellement en tête des ventes : auriez-vous imaginé un tel retour ?
C’est une très grande joie pour moi de me retrouver à nouveau en tête des vente, trente ans après. Mon dernier numéro 1 remonte, je crois, à 1978 avec « Le Loir et Cher ». C’est formidable après un si long break. Symboliquement, c’est autre chose que d’avoir un simple succès.
– Au-delà de la qualité de vos chansons et de votre popularité, à quoi attribuer ce succès ?
C’est assez difficile pour moi de l’évaluer. Les choses paraissent peut-être plus évidentes, vu de l’extérieur. Rencontrer un très grand succès, comme traverser une période pendant laquelle on n’est même pas écouté, relève pour moi de l’irrationnel, de l’excessif. je dirais qu’il y a une combinaison de plusieurs facteurs : d’abord, une très longue absence, donc comme un appel d’air. Quand on reste dans la mémoire collective, grâce à des chansons, comme j’ai eu la chance d’en chanter, il se produit une sorte de démangeaison au sein du public, qui recommence à s’intéresser à vous, à tendre l’oreille. Et puis, le fait d’enregistrer ces chansons en duo avec des gens dans l’air du temps, dont la voix est familière du public aujourd’hui, a aussi contribué à ce succès. Tout cela est une question de timing, qui nous échappe un peu… Je crois aussi que ce succès n’est pas une génération spontanée. Il remonte à plus loin… Par exemple, mon album de 2004, « Comme vous », qui n’a pas été un succès commercial gigantesque, a été en revanche un formidable succès critique, qui m’a sans doute exposé d’une autre façon. Et puis, il y a toute une série de choses, qui ne sont pas de mon fait, mais qui ont mis un coup de spot sur ma carrière, comme la sortie du film de Xavier Giannoli, « Quand j’étais chanteur ». Voilà, c’est mon explication.
– Comment expliquez-vous que les albums de reprises rencontrent actuellement un tel engouement ?
Je pense qu’on réalise que les mélodies de ces chansons d’hier étaient extrêmement mémorables, chantables par tout le monde. Les chansons d’aujourd’hui sont beaucoup moins mélodiques, ce qui ne signifie pas qu’elle sont moins bien. Elles sont simplement d’une autre nature, racontent des histoires d’une autre façon. Or, le public doit éprouver le besoin de revenir à ce qui est le but même d’une chanson : être fredonné dans la rue.
– On imagine que vous prenez aussi beaucoup de distance avec ce retour en force : êtes-vous désormais méfiant à l’égard du succès, dont on pourrait penser qu’il vous a fait autant de mal que de bien, dans le passé ?
Méfiant n’est pas le mot juste. Disons que je suis simplement averti que tout cela va et vient. D’ailleurs, le succès ne n’a jamais fait de mal. Les choses dont j’ai pu souffrir dans le passé n’avaient rien à voir avec le succès, ni même le métier. C’est intéressant de vivre tout cela à trente ans d’intervalle, de façon complètement différente. C’est une expérience de vie formidable. Je connais le prix et la valeur de ce succès, et aussi sa fugacité, son côté éventuellement éphémère et passager. Tout est possible (sourire).
– Selon vous, le fait que des artistes comme Bénabar, se réclament de vous, a-t-il modifié le regard des médias sur vous ?
Beaucoup, bien sûr. Je dois mon retour à des gens comme lui, qui ont toujours parlé de moi avec beaucoup d’affection et même d’admiration. C’est très positif.

– Ce n’est pas vraiment nouveau, puisqu’en 1994, les Francofolies de la Rochelle vous rendaient déjà hommage avec « La fête à Delpech » sur la grande scène…
C’est vrai, j’y ai chanté avec Pascal Obispo, Alain Chamfort, Jil Caplan, Gérard Berliner… Ça reste un souvenir formidable. J’ai toujours senti cette bienveillance de la part des autres chanteurs. Il y a quelques années, j’avais aussi fait la Cigale avec CharlElie, Louis Chédid, Alain Chamfort et quelques autres. J’ai aussi chanté au New Morning, avec plein de jazzmen très importants. Au niveau de mon travail, même dans des périodes de creux absolu, j’ai toujours ressenti une estime aussi bien de la part des medias, que de mes amis musiciens, chanteurs. Même dans certains milieux au-delà de la chanson, comme celui de la musique classique et du Jazz, je savais que j’étais apprécié.
– On semble redécouvrir le formidable parolier que vous êtes : ça vous amuse ?
C’est vrai, mais si on commence à parler de cela, je tiens à associer les trois personnes qui ont joué un rôle capital dans toute ma vie d’auteur et de chanteur : Roland Vincent et Michel Pelay, avec lesquels j’ai fait le plus de chansons, et qui m’ont fourni des mélodies sublimes, et puis Jean-Michel Rivat, avec lequel j’ai écrit des textes à une époque. Ils ne sont pas pour rien dans ma carrière…. Je suis heureux de les associer à tout ce qui se passe aujourd’hui.
– Ces dernières années, viviez-vous comme une injustice que vos concurrents comme Sardou ou Clerc par exemple, n’aient pas connu de creux de la vague ?
Je n’ai jamais vécu cela comme une injustice, parce que bizarrement, je savais que je reviendrais. Je n’ai même jamais eu de sentiment d’amertume. J’ai toujours pensé que chacun avait sa route. Bien sûr, je ne peux pas dire que je suis resté serein pendant vingt-cinq ans. J’ai aussi connu des moments de découragement, mais il faut relativiser. Je n’ai jamais été non plus au fond des catacombes. Je continuais à donner des concerts prestigieux pendant cette époque. Je n’ai jamais chanté sur des tréteaux en plein champ de labour, en train d’essayer de convaincre trois personnes devant moi. Ça allait… Je sentais simplement que dans tout ça, je n’occupais pas une place logique, ce qui me confortait dans l’idée que les choses allaient changer. Il y a toujours une logique à tout ça : quand on sait qu’on est apprécié, qu’on suit son chemin, et qu’on garde l’énergie, il n’y a pas de raison de douter profondément. Tôt ou tard, les choses arrivent. C’est juste un peu pénible à vivre sur le moment, parce qu’on a soif.
– C’est une belle leçon d’espoir pour les artistes en désamour avec le succès…
Oui et aussi une leçon d’humilité. Il ne faut jamais s’avancer à déclarer quelqu’un comme mort. saut si on est assez bien placé pour voir ce que la personne a au fond de sa tête, de son coeur… Si elle a abandonné le combat, alors là, c’est sûr, c’est fini. Mais si elle reste en osmose avec le monde dans lequel elle vit, et qu’elle a au fond de soi, l’envie de sortir d’une situation malsaine, alors elle doit arriver à sortir du marasme.
– Après « Ce lundi-là » album live et diverses compilations, n’aviez-vous pas de réticences à exploiter encore vos anciens succès en duos, alors que le dernier album « Comme vous », avait connu un joli succès critique ?
Non , aucune réticence. Universal a récupéré l’ensemble de mon catalogue, et cette année devait être consacrée à la réédition de presque tous mes albums, dont de nombreux n’étaient sortis qu’en vinyle. Cet hiver est sorti un coffret de 100 chansons, et un best of de 22 titres sort au printemps prochain. J’étais donc voué à être dans la compile toute l’année (rires). Quand on m’a proposé cette idée, je n’ai pas tilté tout de suite, ni mesuré l’importance qu’allait prendre ce projet. J’ai juste pensé que c’était un disque qui serait amusant à faire, pour accompagner toutes ces rééditions. Au fil du temps, quand j’ai commencé à y réfléchir, à le bâtir, je me suis dit que ce pouvait être un projet sympa, certes, mais avec un vrai contenu artistique. Avec Jean-Philippe Verdin qui l’a réalisé, quand on est allés cherche des chansons des années 60, pas forcément très connues, on a alors commencé à visualiser ce qu’allait être ce projet, avec ce mélange de tubes et de non-tubes. Certaines chansons très connues nous sont ainsi apparues comme dépassées ou obsolètes, ou encore ne se prêtant pas au duo. Les choix artistiques se sont affirmés au fur et à mesure. Cela n’aurait pas été intéressant de choisir douze ou treize stars pour chanter à temps perdu mes plus grands tubes, en s’envoyant les bandes à distance pour que chacun puisse enregistrer tranquillement chez lui. Ce n’est pas du tout ce qu’on a fait : tout le monde est venu en studio et on vraiment chanté en duo. Francis Cabrel est même venu avec sa propre guitare. C’était très amical et je crois que cela se ressent.

– Comment s’est fait le choix des interprètes, dont certains comme Hubert Mounier sont sur le même label que vous ?
En effet, certains artistes du label m’ont été suggérés, mais je n’ai accepté que ceux qui me paraissaient bien vus. Je voulais avant tout que chacun se sente bien dans ses pompes. On a presque le sentiment que certains titres ont été écrits pour eux comme « Le Loir et Cher » pour Cabrel, ou « Le chasseur » pour Julien Clerc. Je sais que certaines critiques ont trouvé les duos trop attendus, mais cel me semblait plus intéressant que d’essayer d’essayer d’être à contre-courant ou de tordre les choses. C’est avant tout un disque d’évidence, destiné à faire plaisir aux autres. C’est moi d’ailleurs qui ai tenu à inviter des artistes de ma génération, ou qui sont arrivés juste après, comme Julien qui a émergé en 68, dans un climat de pleine rupture. Il existe d’ailleurs des photos de nous deux recevant des prix à cette époque, avec aussi Serge Lama. Dans l’esprit d’Universal, je crois qu’ils voyaient plutôt un projet avec des jeunes, un peu comme un « tribute » mais ça ne m’intéressait pas. C’est comme la Légion d’honneur ! Je voulais avant tout faire un album qui plaise aux gens.
– Pierre Vassiliu fait-il partie de ces artistes que vous avez sollicités ?
Pas exactement. Pour être tout à fait honnête, c’est Jean-Philippe Verdin qui tenait à ce titre, « Pour gagner des sous », dont il voulait qu’on fasse une Bossa et pour lequel j’ai pensé à Pierre. Je n’y aurais pas pensé de moi-même, mais j’ai été ravi de cette idée. J’adore Pierre avec lequel j’ai fait des spectacles quand j’étais plus jeune. C’était marrant d’aller le chercher.
– Clarika et surtout Barbara Carlotti sont méconnues du grand public : était-ce un choix de votre part ?
Absolument. j’ai rencontré Clarika par l’intermédiaire de son producteur Max Amphous. Je connaissais assez bien son travail. Elle est assez connue dans un certain milieu des festivals, et jouit en plus d’une certaine côte. En revanche, Carlotti était totalement inconnue au bataillon. Ma maison de disques n’avait même jamais entendu parler d’elle. J’ai du leur prendre la tête avec cette idée, parce que je lui trouve un chic extraordinaire. Elle est très spéciale, complètement ailleurs, non loin de Saint-Germain des Près… Elle a un mélange formidable de timidité, à la limite du rougissement, et de sex appeal. Sur scène, elle dégage un truc franchement érotique, très ambigu. La première fois que je l’ai vue, c’était justement sur scène, lors d’un festival, le trophée France Bleu à Périgueux en 2005. On m’avait demandé d’en être membre du jury, le genre de choses que je ne fais jamais d’ailleurs ! Je l’ai vue arriver avec son groupe, comme un pavé dans la mare, au milieu de gens qui grattaient leur guitare, de façon assez classique. Elle avait un style dingue : c’était une sorte d’égérie des années 60, entre Françoise Hardy et Juliette Gréco. Je me rappelle avoir lutté pour qu’elle gagne le premier prix, mais en vain. Je l’ai gardée dans un coin de ma tête, et au moment de faire cet album, il s’est trouvé que très peu de filles étaient disponibles pour enregistrer. J’avais notamment demandé à une de mes bonnes amies qui n’a pas pu. Je me suis tourné vers Barbara en lui proposant plusieurs titres, et c’est elle qui a choisi « Et Paul chantait Yesterday », une chanson peu connue.

– Justement, on ne retrouve aucune chanteuse de votre génération : cette bonne amie à laquelle vous faites allusion, est-ce Véronique Sanson ou France Gall, qui vous ont, l’une et l’autre, soutenu pendant vos années difficiles ?
Vous êtes malin (rires) ! Effectivement, j’ai invité France à venir chanter en duo. Elle était très touchée, mais jusqu’à nouvel ordre, elle ne souhaite plus chanter. De même, j’ai invité Véronique Sanson, qui n’a pas pu pour des raisons personnelles. Elle n’avait pas la tête à cela (n.d.l.r : Véronique prenait soin de sa maman souffrante, et décédée quelques temps après). J’aurais évidemment adoré que l’une et l’autre soient là. S’il y en a deux qui se devaient d’être aux premières loges, c’étaient bien France et Véronique !
– Inutile de vous demander si vous avez essuyé d’autres refus ?
Effectivement, d’autant que j’ai appris, après coup, qu’un artiste dont je pensais qu’il avait refusé mon invitation, n’avait même pas été contacté. Pour être précis, c’est arrivé à Patrick Bruel, auquel personne n’avait passé le message. J’avais souhaité qu’il soit là, et demandé qu’on lui fasse suivre ma proposition. J’avais fait le choix de ne pas prendre mon téléphone personnel pour inviter les artistes, de façon à ce que chacun soit libre de refuser, sans se sentir aucunement « obligé » de venir chanter sur mon disque. Je peux tout à fait comprendre qu’on ait plus ou moins d’affinités avec moi Il peut aussi y avoir tout un tas de raisons de planning ou de carrière. Quoiqu’il en soit, le message n’a pas été relayé auprès de Patrick, et je ne l’ai appris que dernièrement, lors d’une télé commune. On s’est mis à discuter tous les deux et on a découvert que personne ne l’avait contacté. C’est extrêmement désagréable. Dans les maisons de disques, comme au sein des managers, tout n’est question que de petits arrangements. Donc, je ne veux pas donner davantage de noms d’artistes qui auraient refusé, parce que je ne suis plus très sûr qu’ils ont été contactés.
– Etes-vous curieux de nouveaux talents ? En qui verriez-vous un héritier ?
je suis curieux en effet, mais sans plus. Je n’ai pas pour objectif de tout écouter dans la nouvelle génération. Il y a simplement des choses qui retiennent mon attention. Quant à identifier un héritier, je ne vois pas trop. On me parle souvent de filiation avec Bénabar, mais ce n’est pas flagrant. Son style est très différent. Ce qui est intéressant chez lui, c’est d’abord sa personne. C’est quelqu’un de vraiment très agréable, sympathique, joyeux, positif, percutant. C’est un homme de scène extraordinaire, un type qui sait raconter des histoires comme personne. Mais à part le fait d’être un peu des « photographes » tous les deux, je ne vois pas trop de points communs entre nous. Son style est très différent, plus réaliste, plus baroque.

– En plus de mélanger les générations, on a le sentiment que vous vous êtes attaché à alterner des titres graves avec d’autres plus fantaisistes : aviez-vous peur de passer pour quelqu’un de sombre ou mélancolique ?
Oui, je ne voulais pas que ce soit un album plombant, mais quelque chose de simple et heureux. Pour de gens de 30-35 ans, comme Verdin, « Pour gagner des sous » ou « L’amour en wagon-lit » sont des chansons d’une fraicheur absolue, alors que pour moi, elles appartiennent au passé. C’était intéressant de laisser exprimer ce regard différent.
– L’album s’ouvre sur « Quand j’étais chanteur » : par chance, la chanson est encore d’actualité, Mick Jagger et Sylvie Vartan étant toujours en activité…
Oui, je ne vous dit pas le pot que j’ai (rires) ! C’est pareil pour « Que Marianne était jolie » ! Avec la sixième République qui nous pend au nez, je vais bientôt être obligé de la retirer de mon tour de chant. Ceci dit, il était évident pour moi à l’époque de « Quand j’étais chanteur », que Mick Jagger et Sylvie Vartan allaient faire de longues carrières.
– Comment avez-vous réagi quand Xavier Giannoli en a fait le titre de son dernier film ? Qu’avez-vous pensé de la version de ce tube par Gérard Depardieu ?
Ça m’a fait très plaisir évidemment ! Le fil m s’ouvre et se termine avec une de mes chansons. C’est très flatteur. J’étais bien loti dans cette affaire (rires) ! Ce qui m’a surtout épaté, c’est la formidable justesse avec laquelle Depardieu a fait tout cela. Il est exactement comme il fallait être dans ce rôle de chanteur de bal. Sans illusions, juste un peu désabusé. Il est parfait.
– Qu’aviez-vous pensé de celle de Florent Pagny sur « Récréation » , son album Electro de reprises ?
C’est déjà plus ancien. Je ne suis pas objectif parce que c’est toujours flatteur et sympa d’être repris par un plus jeune. Je suis incapable de juger une chansons sous un autre éclairage.

– Curieusement, votre plus gros tube, « Les divorcés » manque à l’appel dans cet album de duos !
C’était un choix volontaire de ma part. Certaines filles souhaitaient pouvoir chanter cette chanson. Mais en duo, ça devenait quelque chose de très terre à terre, de l’ordre du marchandage, comme s’il s’agissait d’un couple dans le bureau d’un juge. Alors qu’en solo, quand le type prend à son compte toutes les projections de ce que va être leur vie de divorcés, c’est son point de vue à lui. Rien de plus.
– De même certains tubes comme « Ces mots-là », « Vu d’avion un soir », ou « J’étais un ange », ont été écartés, alors qu’ils figurent un peu systématiquement sur toutes les compiles…
Ouin chacune pour des raisons diverses a été écartée. D’autres nous ont paru plus amusantes à faire. C’est Clarika, par exemple, qui a repêché « L’amour en wagon-lit ». Elle apporte beaucoup à la chanson. On l’a traitée dans un esprit années 30, ce qui était malin puisque le thème n’a plus court aujourd’hui, n’étant plus au temps des trains omnibus. Ce côté Charleston lui donne presque une couleur cinématographique.
– Fort de ce succès, allez-vous essayer de faire redécouvrir sur scène des albums boudés par le public comme « Les voix du Brésil », « Le roi de rien », « Cadeau de Noël », ou acceptez-vous le destin de ces disques ?
Vous savez, quand le train est passé, il n’y a souvent pas grand chose à faire. Ils sont tous réédités à l’exception de « Oubliez tout ce que je vous ai dit » (appartenant au catalogue EMI). Il est possible qu’a la faveur de tel ou tel événement, j’en refasse un titre ou deux, mais c’est tout. En revanche, je continuerai à défendre « Comme vous » que j’aime beaucoup. C’est un de mes grands regrets que le public n’ait pas eu davantage d’informations sur cet album. Il a eu de formidables critiques en presse écrite qui m’ont comblé, mais on n’a pas été relayé par la radio et la télévision.
– Pensez -vous que l’écoute sera différente pour votre prochain album ?
Je n’en sais rien. On est à une époque très particulière, où rien n’est acquis, même quand on sort d’un succès. J’espère quand même qu’il y aura une oreille plus attentive, mais l’affaire n’est pas dans le sac pour autant (rires).

– L’album « Le roi de rien » marquait votre collaboration avec Obispo et Murat : savez-vous que ce dernier n’était pas satisfait du traitement de ses chansons ?
Non, je l’ignorais, mais s’il s’en était occupé, elles auraient peut-être été mieux ! J’aurais préféré qu’il me dise son mécontentement, plutôt que de s’en plaindre à la presse. Cela aurait été plus efficace. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il est capable de donner des chansons et de les reprendre aussitôt. Ce fut la cas de « Cartier Bresson ». Avant même que la chanson ne sorte sur mon album, il en donné sa propre version à Télérama, ce que je n’ai pas forcément apprécié.
– Parallèlement à votre album est sortie une biographie, « Mise à nu » de Pascal Ouvrier. On vous sait pourtant très pudique…
Je l’ai accepté quand j’en ai rencontré l’auteur. Il m’a d’abord envoyé un courrier vraiment très courtois et gentil. J’étais un peu réticent et méfiant. J’ai demandé à des personnes de mon entourage de le rencontrer pour essayer de savoir dans quel état d’esprit il avait l’intention d’aborder le sujet. Il m’a tout de suite rassuré, en me disant qu’il souhaitait parler de mon travail, tout autant que de ce que avait été ma vie. Quand on s’est rencontrés, j’ai senti qu’il ferai un portrait sans complaisance et sans agressivité. C’était un bon postulat.
– Le risque était de revenir sur ces années noires dont vous avez déjà longuement parlé dans votre livre « L’homme qui avait bâti sa maison sur le sable »…
C’est aujourd’hui un sujet qui ne ne me pose aucun problème. On ne peut pas parler de ma vie sans évoquer cet immense entracte. Il m’a tout de suite dit que ce n’était pas forcément ce qui l’intéressait en moi, même si’l n’était pas questions de l’occulter non plus. Il a enrichi son récit de références historiques qui ont jalonné quarante années de carrière. La construction est très habile. Je lui ai accordé plusieurs entretiens, et lui ai ouvert mon carnet d’adresses pour qu’il puisse recueillir des témoignages. Il a aussi fait pas lal de recherches à l’INA. Mais à aucun moment, il n’y a eu de familiarités entre nous. Les rapports sont restés courtois et chaleureux, à la juste distance.
– C’est la première fois que votre femme et votre fille témoignent : redoutiez-vous leur regard ?
Non, je savais qu’elles n’allaient pas se répandre en confidences trop intimes. Vous savez, l’exhibition, ce n’est pas trop le genre de la famille. On assure le service minimum. On avait une séance photo pour Gamma, qui a fait l’objet d’un reportage dans Paris Match, mais ensuite basta : on ne va pas passer notre vie à faire du people.

– Votre belle-fille Pauline Delpech publie un premier roman « Sous la neige noire » : ce hasard de calendrier pourrait la discréditer…
Je suis d’accord. Ce n’est pas très bon pour elle. Elle est jeune et inexpérimentée, et on connait les éditions Michel Lafon. J’ai accepté de faire l’émission de Drucker avec elle, mais c’est tout. Si on les écoutait, on passerait notre vie ensemble sur les plateaux TV. Cela dit, son livre marche bien, elle a été 14ème meilleure vente à la FNAC.
– Êtes-vous sévère à l’égard de son travail ?
J’ai lu son roman en cours de route, mais pas encore dans sa forme définitive. Je m’en suis très peu mêlé, en fait, parce que j’étais super occupé par mon album, mais j’ai trouvé assez rapidement que ce n’était pas forcément une bonne idée de le sortir maintenant.
– Quel souvenir gardez-vous de votre récent passage au Stade de France ?
C’est un bien grand mot ! Je me suis contenté de chanter en ouverture d’un match de rugby. D’abord, la scène n’était pas la même que lors d’un concert. Il y avait juste un podium, d’une centaine de mètres carrés au milieu de la pelouse. Sur scène, j’avais une sono considérable, ce qui était assez agréable. Et puis, c’était un public venu pour pour le match. On ne savait pas trop s’il secouait les drapeaux pour nous ou dans l’attente des joueurs. C’était tellement énorme que ça a annulé un peu l’émotion. Je l’ai vécu comme un épisode, un bon moment, mais sans en garder une impression inoubliable. Je n’ai pas trop réalisé ce qui se passait. C’était très sympa, mais j’étais un peu dans ma bulle…
– A la télé, vous êtes un habitué des bêtisiers de fin d’année avec ces images de vous sur un play-back d’Eddy Mitchell, suite à un mélange de bandes en régie…
Quand je sais qu’un bêtisier est programmé, je sais que je vais y avoir droit ! C’est sans doute que la séquence est assez drôle et sympa (rires).
Propos recueillis par Eric Chemouny (Paris, février 2007)
Photos : Fabrice Aboulker (DR / UM)

