INDOCHINE

Live For a Dream, le concert test

Depuis près d’un an et demi, la culture est à l’arrêt sur les scène de France et même de Navarre. Après une timide tentative à la rentrée dernière, entre deux confinements et à travers les gouttes de pluie d’un couvre-feu sans dérogations pour les concerts et les spectacles, à l’aube d’un été qui s’annonce enfin plus lumineux, l’heure est la réouverture. Si concerts et festivals ont repris sous certaines conditions, tout le monde est suspendu aux conclusions du grand concert-test qui a été organisé à l’Accor Arena le 19 mai dernier. C’est donc en éclaireurs qu’Indochine a opéré ce show de la nouvelle chance où les spectateurs chanceux ont suivi un protocole sanitaire très strict et des engagements de compte-rendu qui vont décider du plein avenir du retour en salles. Un live pour un rêve… réalisé : retrouver le chemin des spectacles et des concerts et « vivre, vivre encore plus fort ». Nous y étions, on vous raconte…

En dehors des chaînes de télévisions qui avaient investi les lieux pour quelques émissions avec un public saupoudré, L’Accor Arena n’avait pas retrouvé la foule des grands soirs… au moins une partie, au moins une ambiance, au moins une envie et une certaine humanité. C’est ce lieu-là qui a été choisi pour le concert-test déterminant pour la totale reprise des concerts en France, éclaireur d’un retour espéré à la normale, d’une nouvelle normalité en tout cas même si bon nombre d’artistes a déjà repris la route. A l’instar de villes précurseurs européennes comme Barcelone, Paris a déployé cette expérience live à son tour avec la même jauge : 5000 personnes répondant à un profil bien précis pour venir applaudir un groupe vraiment pas comme les autres pour un événement pas comme les autres, Indochine, encadré par l’association Ambition Live Again et dont les résultats ont été communiqués le 8 juillet dernier*.

Avant que le groupe n’arrive sur scène aux alentours de 18h30, l’Accor Arena accueille un invité de marque : Etienne de Crecy, qui vient brillamment assurer la première partie. Le public ne le sait pas forcément quand l’homme en noir arrive sur scène en toute discrétion, caché derrière ses platines, mais ils ont devant eux une star, l’un des vétérans de la French Touch des années 90, artiste éclaireur d’une génération bercée par l’électro, ayant entre autres signé l’un des albums fondateurs de cette House à la française, « Super Discount », référence absolue pour les générations futures, l’un des plus gros hit makers du genre avec Dimitri Von Paris, Bob Sinclar ou encore les Daft Punk qui ont explosé en même temps que lui. Et il le prouve en quelques secondes de mix seulement, puisqu’il réussit à faire bouger et même se laisser déchaîner un public plutôt venu pour écouter du Rock que de l’Electro, prouvant au final, que ce qui nous réunit tous, c’est bel et bien la musique, quelle qu’elle soit.

Et comme pour prolonger l’univers de De Crecy, résonne une version remixée et électro de « 3Sex », celle revisitée avec Christine and the Queens sortie l’an passé pour annoncer l’arrivée attendue d’Indochine. Le titre n’est pas encore terminé quand le groupe entre en scène. Et ils vont nous servir une setlist absolument parfaite et jubilatoire pour ce concert pas comme les autres, d’une extrême intelligence pour cet événement historique qui prouve que le choix de ce groupe n’ést pas non plus anodin et même hautement symbolique.

En 40 ans de carrière, qu’Indochine devait fêter avec grandeur cette année sur les routes de France, force est de reconnaître que le groupe n’a rien perdu de son aura, de son style, de sa singularité avec une ligne pourtant mainstream et populaire : il a traversé les années sans prendre une seule ride et mieux encore, il s’est amélioré, il s’est renouvelé, il s’est rajeuni, signant probablement un pacte avec ce temps qui passe, tel un témoin poétique des blessures que celui-ci creuse.

En effet, contrairement à la majorité des groupes et des artistes, Indochine n’a jamais vieilli, pourtant né dans une décennie de Hit Wonders aux sons datés qu’ils ont réussi à dépasser, n’est jamais passé de mode tout en maintenant le cap d’un Rock à la française dont ils sont aujourd’hui les maîtres et les référents, n’a jamais transigé sur le temps qui a passé, même s’il en a absorbé tous ses maux, toutes ses angoisses, toutes les douleurs d’une société désenchantée qu’il a retranscrit dans ses chansons, et c’est sans doute pour cela que c’est probablement l’un des rares exemples de carrière où chaque nouvel album est à chaque fois meilleur que le précédent, tant dans ses mots que dans ses mélodies. En résulte une collection impressionnante de tubes depuis 40 ans qui ont été compilés dans deux coffrets élégants sortis à la fin de l’année dernière, vitrine des 13 albums studios que le groupe a publiés depuis 1982.

Il y avait donc l’embarras du choix pour constituer cette playlist historique mais Indochine a intelligemment su extraire 16 titres pour mettre immédiatement tout le monde d’accord dans l’enceinte de l’Accor Arena et déclarer officiellement ouvert le (possible) retour à la scène tant attendu. 16 titres qui s’enchainent et se déchainent qui font la part belles à 3 grands moments de leur carrière remarquable, à défaut de la couvrir totalement : premièrement, les tubes de leurs débuts, ceux de leurs premières rencontres avec leur public (« Miss Paramount », « Tes yeux noirs », « 3 nuits par semaine », « 3ème Sexe » et bien sûr l’incontournable « L’aventurier » en rappel, mâtiné pour l’événement d’un mash up avec « Love will tear us apart » de Joy Division) ; deuxièmement, les chansons de la renaissance avec l’album « Paradize » sorti en 2001 qui ancre définitivement le groupe dans le succès et la reconnaissance (avec en tête « J’ai demandé à la lune » écrite par Mickaël Furnon de Mickey 3D, reprise ici en chœur par le public dans une version courte épurée mais aussi « Marilyn » et « Electrastar » le morceau en hommage à Stéphane, le frère de Nicola disparu en 1999) ; troisièmement, leur dernier album en date, « 13 », dont ils interprètent 5 des 6 singles (« Station 13 » qui ouvre le show, « Un été français », « La vie est belle », « Song for a Dream » et « Karma Girls » le titre écrit par Jean-Louis Murat qui clôture cette setlist sans faute, racontant une histoire d’amitié indéfectible, tout un symbole pour s’ouvrir à nouveau au monde et à la scène). Il reste peu de place alors pour balayer le reste des tubes de leur carrière, égrener les albums du groupe, mais suffisamment pour y imposer « Nos Célébrations », single star éclaireur des deux coffrets de leurs 40 ans, sorti le 26 mai 2020, « Alice & June » sorti en 2005 qui prolongeait le succès de « Paradize » et l’un de leur plus grands succès (mais aussi l’un des plus controversés), « College Boy » (extrait de « Black City Parade » en 2013)

On pourra toujours rechigner et dire qu’il manque des tubes (et des longues périodes) tant il est difficile de balayer 40 années d’une carrière aussi riche en seulement 1h30 mais la méticulosité de Nicola Sirkis fait ici mouche et on peut y lire, au-delà de leur symbolique et de leur popularité, la cartographie des grands thèmes abordés par le groupe depuis ses débuts, soulignant ses positions sur les grands sujets sociaux, signes d’une intégrité jamais écorchée au fil de ces chansons devenues des hymnes pour les stades : l’homosexualité et le harcèlement à travers « College Boy » dont les images signées Xavier Dolan diffusées sur le grand écran de la scène continuent de nous glacer le sang, le racisme et l’apartheid sur « Station 13 », l’extrême-droite dénoncée sur « Un été français » qui baigne la salle d’un éclairage bleu-blanc-rouge fier et patriote renvoyant aux attentats du 13 novembre 2015, la vie belle et cruelle jusqu’à la violence et la maladie sur « La vie est belle » ou encore le sujet cher au groupe de la question des identités et des genres (« 3ème sexe » bien sûr), de la liberté sexuelle et de la tolérance (« 3 nuits par semaine ») et un goût prononcé pour des personnalités fortes et hors du commun sans que jamais ne se ressente l’ombre de donneurs de leçon (« Marilyn » par exemple). A ces prises de paroles en musique s’ajoute la raison de leur présence ce soir quand Nicola interpelle le public : « Faites du bruit pour les soignants et les disparus« . Enfin, et le public ne s’y trompe pas, il y a beaucoup d’amour aussi quand Nicola descend dans le public pour chanter « Tes Yeux noirs », leur tube romantique de 1985 (clippé à l’époque par Gainsbourg avec une jeune débutante, Héléna Noguerra) ou quand sur le grand écran, un couple originel et sensuel s’aime et s’accouple sur le sublime « Song for a Dream » tourné au Chili.

Pour qui a déjà vu Indochine sur scène, on admettra qu’on était très loin ici de la folie collective qui s’empare de chacun de ses concerts, de cette magie assez indescriptible que le groupe crée entre lui et un public qui lui est toujours resté fidèle, générant cette ferveur bienveillante et uniforme, qu’ils performent devant 100, 1 000, 5 000 ou 80 000 personnes. Mais ceux qui, préférant l’idée d’un concert-test avant même le choix d’un groupe qu’ils ne connaissaient pas plus que ça, et qui se sont retrouvés dans la salle de l’Accor Arena sans plus de conviction et de dévotion, auront eu un aperçu de l’immense pouvoir d’attraction envers lui. Car, ironie du sort, le protocole excluait les plus de 44 ans, ces fans de la première heure, ceux-là même qui rendent chaque concert extraordinaire en transmettant à leurs voisins plus novices cette Indomania et à qui finalement cette démonstration sanitaire était directement destinée. Car Indochine c’est toujours une communion, autant qu’une transmission. Il nous a manqué ce soir ce public originel mais on sait maintenant que les retrouvailles sont proches et nos célébrations.

Gregory Guyot

* A l’heure où nous bouclons ce numéro, les résultats de l’étude SPRING du concert-test sont tombés et ont démontré l’absence de sur-risque d’infection par le SARS-Co-2 chez les participants au concert. Pour en savoir plus et découvrir tous les résultats, accédez au communiqué de presse de l’assistance publique et hôpitaux de Paris en cliquant ici .

Crédit Photos : Anthony Ghnassia (DR) // Gregory Guyot (JSM / DR)

Setlist : intro musicale 3e Sex Remix (2020) / Station 13 (2017) / Marilyn (2002) / Electrastar (2002) / Miss Paramount (1983) / Un été français (2017) / La vie est belle (2017) / Tes yeux noirs (1985) / J’ai demandé à la Lune (2002) / Nos Célébrations (2020) / College Boy (2013) / Song for a dream (2017) / Alice et June (2005) / 3e sexe (1985) / 3 nuits par semaine (1985) / Rappel : L’aventurier (avec un extrait de « Love will tear us apart » de Joy Division ) (1982) / Karma girls (2017).