JERÔME BONNET

La vie en couleur

Photographe de presse français spécialisé dans le portrait de célébrités du monde de la musique, du cinéma et de la culture en général, Jérôme Bonnet excelle dans l’art de concevoir des images intenses et colorées, qui font régulièrement la une de magazines prestigieux. Son regard, toujours original et décalé sur les artistes, lui vaut d’être un homme d’image parmi les plus sollicités du moment. Il a néanmoins trouvé le temps de se raconter à JSM, avant de nous confier quelques unes de ses œuvres déjà iconiques, pour illustrer la galerie virtuelle de ce numéro…

– Comment êtes-vous venu à la photographie ? Quel a été votre itinéraire ?

J’ai découvert la photographie à 19 ans, grâce à un ami qui était inscrit dans un club photo. Je n’y étais pas inscrit moi-même, car l’inscription  était conditionnée par l’achat d’un agrandisseur. J’en ai malgré tout acheté un, mais que j’ai installé dans ma salle de bain, et j’ai ainsi commencé à faire des photos. C’étaient essentiellement du reportage, des photos de voyages, et plutôt en noir et blanc afin de pouvoir les developper. J’étais à la fac à l’époque et j’étais complètement autodidacte. J’ai quand même fait des stages dans une agence lyonnaise Editing, qui travaillait notamment avec Libé Lyon. Dans son sillage, il y avait toute une série de photographes, installés à Lyon. Cette agence a ensuite disposé d’un bureau à Paris. J’ai voulu faire un stage dans un journal et ce fut à Télérama, en 1995. J’ai eu beaucoup de chance, parce qu’ils cherchaient alors un assistant icono. Ca m’a permis de monter m’installer à Paris et bosser pour eux trois jours par semaine. Mon boulot consistait à faire venir des photos des diverses agences pour remplir les programmes télé. Télérama a toujours eu des moyens pour les photos, et ils préféraient toujours en avoir d’autres que celles fournies par les chaînes et que l’on retrouvait ailleurs, dans les autres magazines télé. Je faisais plein de recherches le lundi, je mettais des photos dans de grandes enveloppes le mardi pour les maquettistes, et le mercredi j’avais fini mon travail. Parallèlement, je faisais beaucoup de photos dans Paris, des petits reportages comme tout le monde faisait un peu à l’époque, en noir et blanc. Et puis, tout cela s’est terminé parce que le chef du service photo à Télérama a considéré que ce n’était pas un avenir pour moi. Je me suis alors lancé comme photographe, mais cela a duré peu de temps, parce qu’on m’a re-proposé du travail et après quelques péripéties, je me suis retrouvé au service photo de Libé. J’y ai travaillé 9 mois comme remplaçant volant, passant d’un service à l’autre. Selon les services, mon travail consistait à chercher des photos en agences, ou à envoyer des photographes sur un évènement particulier. C’était très intéressant, parce que j’étais en contact direct avec les photographes. Mais j’ai fini par arrêter, parce que cela demandait trop d’investissement. Les bouclages étaient tardifs, il fallait rester jusqu’à 21heures tous les soirs… C’était passionnant à condition de ne pas avoir d’ambition de photographe, sans quoi cela devenait frustrant. J’ai laissé tomber, pensant que je n’aurais pas trop de mal à retrouver du boulot si ça ne se passait pas bien. En 1999, je me suis vraiment lancé comme photographe, et mes premières commandes sont venues assez vite. Télérama Paris m’a confié d’aller à la conférence de presse de Daniel Bouton, dirigeant de la Société Générale.

– Quels ont été vos premiers modèles ?

Je me souviens que j’ai photographié trois jeunes censés représenter l’entrée des Rave Parties dans un cadre légal, moins bordélique. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. A Télérama, on me les avait presque présentés comme des businessmen de la Défense, organisateurs de free parties. La réalité était toute autre : ils avaient 20 ans et m’ont reçu dans un entresol mal éclairé. D’ailleurs, juste après, j’ai acheté de la lumière pour faire des photos correctes. Sinon, parmi les premiers portraits qui m’ont vraiment marqué, je me rappelle celui d’Anna Mouglalis.

– Vous photographiez indifféremment des gens du milieu du cinéma et de la musique, quelle est votre préférence ? L’approche est elle différente d’un univers à l’autre ?

Je n’en ai pas et je ne pourrais pas être aussi général. Cela dépend vraiment des artistes. Je serais aussi heureux de photographier David Lynch que Nick Cave par exemple, sachant que j’ai déjà photographié l’un, mais pas l’autre. C’est une question de personne, et de l’intérêt qu’on leur porte. Je dirais simplement qu’il y a souvent plus de fragilité chez les acteurs, quand ils n’incarnent pas un personnage. Les musiciens ont davantage conscience de l’image qu’ils veulent renvoyer. Ce n’est pas nouveau. Il suffit de regarder les photos des Stones dans les années 70, d’observer leur attitude, leur look. Leurs personnalités sont déjà très fortes et affirmées. Les acteurs ne sont des personnages que lorsqu’ils jouent, si bien qu’on peut capter chez eux des instants de fragilité. Chez les chanteurs que j’ai photographiés récemment comme Clara Luciani, Lous and The Yakuza ou La Femme, je constate qu’ils arrivent avec une idée visuelle assez précise de ce qu’ils incarnent et une attitude qui va avec. C’est le cas aussi chez Eddy de Pretto, Hervé ou Fishbach, qui maitrisent très bien l’image qu’ils veulent renvoyer et adoptent un comportement en conséquence. Les gens du Hip-Hop sont caricaturaux de cette attitude : ils sont dans des personnages très codifiés. Un acteur donnera une disponibilité beaucoup plus grande, dans le meilleur des cas. 

David Lynch © Jérôme Bonnet / modds 

– Quel est votre rapport personnel à la musique ?

J’écoute plein de choses. Quand je dois photographier des artistes, j’écoute ce qu’il font. Actuellement, j’écoute les derniers albums de Booba, Raphaël, Chaton ou La Femme…

– Avez-vous réalisé des pochettes d’albums ou des affiches ?

Très peu à la différence d’Antoine Le Grand, Richard Dumas, ou Matthieu Zazzo, par exemple. J’ai simplement fait la pochette du Quatuor Modigliani, que je connais un peu personnellement, et celle de Kyle Eastwood.

– Comment préparez-vous vos séances ? Quelle est la part d’improvisation ?

La part d’improvisation est très grande, sauf quand il s’agit de faire la couv de Télérama, ou une séance photo pour laquelle je dispose de plus de moyens.

– Quid de la 4ème de couv de Libé ?

Ce sont généralement des portraits extrêmement libres. Je sais, par exemple, que je dois me présenter à 17h00 chez Sylvie Vartan, point barre. C’est de l’improvisation totale sur place, ce qui ne m’empêche pas d’avoir une idée en tête. En revanche, pour une couv Télérama, Laurent Abadjian, chef du service photo, et Loran Stosskopf, directeur artistique, peuvent arriver avec des idées. Pour Philippe Katerine, ce sont eux qui ont apporté des fruits et légumes. Pour Christine and The Queens, ils avaient prévu l’idée d’une photo avec des blocs, et moi celle avec le miroir qui brille par terre. C’est intéressant pour moi d’avoir un brief plus ou moins contraignant, même si j’ai la liberté de faire d’autres choses aussi. Pour Clara Luciani, j’avais l’idée de photos avec des reflets de couleur dans un miroir, même si on a fait d’autres poses plus en mouvement, lors de cette séance qui a duré deux heures.

Kirsten Stewart © Jérôme Bonnet / modds 

– Avez-vous conscience que vos portraits peuvent parfois durcir un visage et surprendre certains modèles habitués à être très lissés et retouchés ?

Non, je n’en ai pas conscience (rires). Cela ne m’a jamais occasionné de problème, en tout cas. La post production reste retenue quand même. J’essaie de ne pas trahir les modèles. Quand j’envoie les photos à Processus pour les retouches, je veille à ce que trop de défauts ne soient pas enlevés. Je suis très vigilant sur les cernes, par exemple. Bien entendu, il ne s’agit pas de les accentuer, ce ne serait pas gentil envers les gens. Mais les supprimer totalement enlève de l’intensité au regard. D’une manière générale, on peut atténuer les choses, à condition de rester fidèle à l’impression que j’ai eue pendant la séance, face à la personne. Il faut que ça reste assez réaliste. D’ailleurs, mes photos étaient beaucoup plus dures avant…

– Vous arrive-t-il de refuser des séances ? Sur quels critères ?

Non, je ne trie pas du tout. Je ne suis ce genre de photographe à refuser de faire des photos de Patrick Bruel, parce qu’il n’écoute pas ses disques. Y compris avec des politiques, je me dis qu’il y a toujours un moyen de s’en sortir, et de trouver un interêt à la séance. Il y a toujours une bonne photo à faire, ce qui ne m’empêche pas de me demander si je suis la bonne personne pour le faire. Je considère que la notoriété est interessante en soi. Le seul critère qui pourrait me faire refuser et le manque d’interêt pour une personne que je ne connais pas. Sinon, j’y vais ! Et puis, je pense aussi qu’une commande est toujours une responsabilité partagée en cas de contre-emploi et d’échec de la séance. Si on ne prend pas de risques, on se répète immanquablement… Il faut trouver le bon équilibre entre la prise de risques et l’efficacité.

– Certains modèles vous ont-ils laissé des souvenirs particuliers ?

J’ai un rapport particulier aux gens que je photographie. Je ne me vante jamais d’avoir photographié untel ou untel. Je n’ai jamais le sentiment de les avoir rencontrés personnellement, dans la mesure ou les artistes eux-mêmes racontent avoir rencontré le photographe de tel ou tel journal. Quand ça se passe bien ou mal, c’est souvent lié au rapport de ces personnes avec le journal en question. J’ai heureusement la chance de travailler avec de bons journaux, comme Libé ou Télérama, donc les gens sont généralement contents de me voir, mais je ne le prends pas trop personnellement. Après, comme beaucoup de photographes, j’adore photographier Charlotte Rampling, Clotilde Hesme…

– Certains demandent-ils à vous avoir pour photographe attitré ?

Non, je n’ai pas ce genre de rapport de proche collaboration avec les gens. Et cela se voit sur mes photos, je pense… (rires). D’ailleurs, je sais qu’il y’a de plus en plus d’étapes de validation, notamment dans les magazines féminins, mais j’essaie de m’en mêler le moins possible. Il y a peut-être une exception à cette règle pour Xavier Dolan, que j’ai photographié plusieurs fois, parce qu’il a un côté très sympathique et très touchant. C’est un réalisateur qui n’est pas uniquement dans un rapport narcissique à lui-même. C’était intéressant… Mais tout cela est compliqué à gérer, tout en restant loyal.

– Quelles sont vos influences en matière de photographie ?

Je disais récemment à des stagiaires en Arles, que lorsqu’ils se sentaient perdus, il leur suffisait de revenir aux photos les plus simples de grands photographes comme August Sander, Richard Avedon, Irving Penn, Diane Arbus… Ca donne une idée assez large de ce qu’on peut faire en matière de portrait. Après, de manière plus technique et pragmatique, quand j’ai commencé à travailler dans les années 90, il y avait une sorte fossé entre une photographie américaine, que pourrait incarner Annie Leibovitz et l’école Vanity Fair, et d’une autre côté, une photographie française très « auteur », avec Ludovic Carème, Richard Dumas… Je trouvais que la photographie américaine était un peu neu-neu, limite « corporate », et que la photographie française se racontait un peu des histoires. On peut toujours dire qu’une photo floue, avec un fond noir et une silhouette dégage une atmosphère dingue, mais tout le monde n’est pas Richard Dumas, qui est un magicien dans ce domaine, quand d’autres faisaient simplement des photos sombres et sans intérêt. A mes débuts, j’ai commencé à bosser avec des flashes, et mon idée était de naviguer entre ces deux courants. C’était contradictoire et finalement très fécond comme démarche. J’en ai gardé cette aptitude à ne pas enfermer les gens dans des cases, comme être capable de photographier un écrivain comme une Rock-star…

Ryan Gossling © Jérôme Bonnet / modds 

– Comment qualifieriez vous votre travail très identifiable au premier coup d’oeil ?

C’est difficile à dire, car il a beaucoup évolué. J’ai travaillé pendant 15 ans avec des flashes, mais j’ai arrêté depuis 4-5 ans… Je travaille de façon beaucoup plus légère, notamment parce que les boitiers ont beaucoup changé. Un photographe qui fait des portraits pour la presse a forcément à sa portée un certain nombre de dispositifs pour faire des photos dans toutes les conditions. Ça fige un peu sa manière de faire, parce qu’il a une solution pour tout, qui s’avère être toujours la même, et il finit par toujours faire la même photo. Du coup, j’essaie de contrebalancer cela pour faire d’autres choses… Je ne dis pas que j’ai raison, mais j’essaie de ne pas m’ennuyer, de sortir des rails. Je pense que le style d’un photographe se définit avant tout par ce qu’il ne fait pas.  

– Le choix de couleurs fortes tient une place très importante quand même… 

C’est venu progressivement. La première fois, c’était à l’occasion d’une photo de Charlotte Rampling pour le magazine Elle. Ils voulaient quelque chose de très coloré et joyeux. l’Idée de mettre un fond rose ou vert pour la photographier m’ennuyait. J’ai préféré jouer avec des lumières colorées. Cette idée est revenue plus souvent ensuite. Il y a un côté cinématographique avec les lumières bleues, un peu nocturnes, qui me plait bien. Ce n’est pas une stratégie, juste une envie de pousser l’expérience un peu plus loin.

– Quelle est la dernière personnalité que vous avez photographiée ?

Florian Zeller, qui vient de recevoir un Oscar.

– Celle que vous aimeriez photographier ?

L’acteur Grégoire Colin, que j’adorerais photographier, d’autant qu’il est de plus en plus rare au cinéma. Je le trouve génial, mais je sollicite rarement les gens moi-même.

– Le disparu que vous regrettez de ne pas avoir immortalisé ?

Il y en a plein. A chaque disparition, je regrette de ne pas avoir photographié la personne. J’aurais beaucoup aimé photographié Bashung, qui a beaucoup été photographié pourtant quand j’étais à Libé, et il n’y a eu quasiment que des bonnes photos de lui. Il dégageait quelque chose d’hyper fort. On parle beaucoup de Gainsbourg en ce moment : j’aurais trouvé incroyable de le photographier aussi.

– Avez-vous des projets de livres ou d’expositions ?

Aucun, en dehors d’un projet au long court, sur Alex Descas, un acteur que j’aime beaucoup, qui a notamment beaucoup travaillé avec Claire Denis, mais je n’ai pas d’éditeur. Et puis, je me suis toujours dit qu’un jour, je ferai un livre de portraits, mais c’est très délicat à faire, et je m’en suis pas encore donné les moyens. Ça me ferait très plaisir évidemment.

Dennis Hopper © Jérôme Bonnet / modds 

– Quels sont selon vous vos « tubes » en matière de portraits, ceux qui resteront dans l’iconographie populaire ?

Je pense à celui de David Lynch, puisque la photo a fait la couv’ de son livre, à la photo de Dennis Hopper qui a été primée, il y a très longtemps, celle de Michael Fassbender avec le rouge à lèvres qui a beaucoup tourné et reste très identifiable. Et peut-être le portrait de Clara Luciani, qui a fait la couv’ de Télérama : un stagiaire me disait dernièrement qu’il adorait cette photo. C’est peut-être le signe qu’elle a marqué et restera…

Propos recueillis par Eric Chemouny

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Crédits photos : © Jérôme Bonnet / modds // portrait de Jérôme Bonnet par Emmanuelle Firman (DR)

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