L’interview
« Comme un garçon »
d’ENZO ENZO
Depuis près de trois décennies, des « Yeux ouverts » à « Juste quelqu’un de bien », Enzo Enzo nous enchante de sa voix si singulière et son charme discret. Pour notre plus grand bonheur, la dentellière de la chanson française est de retour avec « Eau calme », un nouvel album très réussi aux 14 chansons élégantes et ciselées (signées par Enzo elle-même, mais aussi Kent, Romain Didier, Allain Leprest, Marie Nimier, Art Mengo…), magnifiées par une interprétation toujours au plus près de ses sentiments et de sa vérité de femme et d’artiste. Avec son drôle de double prénom, sa silhouette gracile et sa coiffure à la Jean Seberg, celle qui excelle dans l’art de la délicatesse était l’invitée idéale pour notre interview « Comme un garçon »…

– Étais-tu « Garçon manqué » (La Maison Tellier) dans ton enfance ?
Pas du tout ! J ‘étais au contraire une petite fille très discrète et très douce, et j’avoue que j’en étais bien contente. J’écrivais des petits poèmes et je passais beaucoup de temps dans les livres. Je dévorais la bibliothèque rose, la bibliothèque verte, et celle rouge et or. Il faut savoir que petite fille, j’étais la cadette d’une sœur malade. Du coup, j’étais très sage et surtout toujours soucieuse de rendre service à ma sœur. Nous habitions Paris, dans le quartier des Ternes, dans le 17ème arrondissement. Je suis une vraie parisienne, c’est rare !
– Jouais-tu plutôt à « Toi le Cowboy, moi l’indien » (Zazie) ou « Barbie, tu pleures » (Lio) ?
Plutôt aux Cowboys et aux Indiens. Petite, j’avais une cousine adorée, avec laquelle nous partions en weekend à la campagne, ainsi que pendant les grandes vacances. C’était une petite blonde aux allures de garçon manqué. Son frère, en revanche, était très efféminé. Ils avaient échangé leurs nature en quelque sorte, en tout cas les traits de caractère auxquels on pouvait s’attendre à l’époque, de la part d’une petite fille et d’un petit garçon. Nous jouions beaucoup ensemble. Quand on est enfant, l’imaginaire est très puissant : on aime surtout jouer et se glisser dans les deux rôles du cowboy et de l’indien, selon les moments, du moment qu’ils n’attaquent pas et restent pacifistes !
– T’arrive-t-il de te dire «Si j’étais un homme… » (Diane Tell) dans ton métier de chanteuse ? Dans quelles circonstances ?
Déjà, je n’aimerais pas du tout être un homme dans la vie tout court. J’aime beaucoup le fait de pouvoir donner la vie et être mère. Je pense que les hommes de la génération de mon grand-père, de mon père ou même de mon compagnon se font une image de l’homme assez dure, assez raide. Or, j’ai eu la chance de porter et d’élever un fils, à travers lequel j’ai découvert qu’un petit homme pouvait être doux et délicat. J’étais stupéfaite, parce que dans ma vie de femme, j’avais imaginé les hommes comme toujours brutaux et physiquement plus forts. J’avais l’image du papa qui gronde, des garçons toujours en bande, dont il fallait se méfier quand j’étais jeune fille. La vie m’a appris, notamment avec mes amis garçons, que la réalité est toute autre. Malgré tout, je n’ai jamais eu envie d’être un garçon. Dans mon métier non plus. Et pourtant, j’ai été roadie et j’ai commencé comme bassiste dans un groupe, Lili Drop. C’étaient des métiers d’hommes : à part Tina Weymouth, la bassiste des Talking Heads, et Corine Marienneau, de Téléphone, nous n’étions pas nombreuses à porter un instrument, en tout cas pas dans ce milieu Pop-Rock. C’était une petite particularité de ma jeunesse. Quant au pseudonyme que j’ai choisi, je le considère davantage comme un diminutif que comme un prénom masculin. Je n’avais pas du tout envie de me produire sous mon prénom, Körin, que je n’aime pas trop, ni mon nom de famille, Ternovtzeff, que j’aime bien pourtant. Alors, je me suis fait plaisir en choisissant Enzo Enzo, sans me douter que je le porterais aussi longtemps…
– Si tu étais un homme malgré tout, quel chanteur français serait ton modèle ?
J’aurais adoré être Johnny Hallyday, ou dans un autre registre, Philippe Jaroussky .
– Quel chanteur international ?
Caetano Veloso.
– Ferais-tu un style de musique différent ?
J’imagine que je serais plus exubérante. Je le suis dans l’intimité et je suis quelqu’un de très facétieux, au point d’épuiser mon entourage avec ma part d’enfance. C’est un aspect que j’ai beaucoup exploré au quotidien, mais pas tellement dans la musique. Je pense que je l’aurais davantage exprimé si j’avais été un homme.
– Dans les 60’s, aurais-tu été davantage séduite par la sexy Sylvie (comme Johnny), ou la cérébrale Françoise (comme Jacques) ?
Par un mélange des deux : elles ont été des jeunes femmes tellement belles, et elles le sont toujours. Elles sont très différentes, déjà parce que l’une est auteure, l’autre interprète. Je me sens peut-être plus proche de Françoise pour la mélancolie, et plus proche de Sylvie pour la légèreté populaire, quoique j’ai appris que Sylvie était très liée à Barbara. J’ai d’ailleurs découvert dans son répertoire des chansons extraordinaires. Je suis très amie avec Laurent Viel, avec lequel nous avons fait un spectacle, « Chacun sa famille », lequel est absolument fou de Sylvie. Alors que nous étions en voiture pour partir en répétitions, il m’a fait écouter des chansons de ces femmes qu’il adore, comme Barbara, et je suis tombée sur Sylvie chantant « Les yeux ouverts ». Ça m’a scotchée… J’ai voulu aller à sa rencontre pour lui dire combien j’étais flattée après un de ses concerts, mais je n’ai pas pu la rencontrer au final. J’ai pensé dernièrement à elle, car je voulais lui faire écouter ma nouvelle version des « Yeux ouverts » sur mon dernier album. Il faudrait que je retourne la voir en concert… Si elle était d’accord pour faire un duo avec moi, je dirais oui !

– Avec quelle chanteuse aimerais-tu enregistrer un duo d’amour sulfureux comme «Je t’aime moi non plus » (Gainsbourg / Birkin) ?
Catherine Ringer.
– Et dans la peau de Gainsbourg, quelles actrices actuelles aimerais-tu faire chanter ?
Virginie Efira, une excellente actrice, toujours très surprenante, Cécile de France qui est pour moi d’une beauté rare et la joie incarnée, Karin Viard, que je trouve franche et forte, et Bérénice Bejo, si douce et si secrète.
– Accepterais-tu de changer de sexe pour les besoins d’une pochette comme Gainsbarre sur « Love on The Beat » sans craindre pour ton image ?
Evidemment, d’autant que j’adore jouer la comédie et m’amuser. D’ailleurs, je l’ai déjà fait pour l’album « Clap ! ». On s’était amusé à créer des personnages en mélangeant les costumes de figures comme Charlie Chaplin, Mary Poppins ou la Belle au bois dormant. On avait beaucoup ri ! Je me rappelle aussi qu’à l’époque des émissions de Patrick Sébastien, il m’avait déguisée en vieille peau milliardaire, au prix de plusieurs heures de maquillage, mais j’avais beaucoup aimé ça.
– Si tu devais faire une reprise jouant sur l’androgynie aujourd’hui, plutôt « Comme un garçon » (Sylvie Vartan) ou « Sans contrefaçon » (Mylène Farmer) ?
Je ne trouve pas que « Comme un garçon » joue sur l’androgynie, c’est davantage une petite farce selon moi. Quant à « Sans contrefaçon », il y a trop de sexe dans cette chanson, et je n’ai pas envie d’explorer ça de façon aussi frontale. Je ne suis pas sensible à cette chanson que je trouve éthérée et ultra-provocatrice : elle ne me ressemble pas en tout cas. Il me semble que Mylène joue davantage la provocation que l’androgynie sur cette chanson, non ? Nous avons commencé à la même période, mais étrangement, je ne l’ai jamais rencontrée, même si elle était plus accessible à ses débuts. Alors si on réfère à la vérité de ma jeunesse, j’aurais tendance à choisir la première. Petite, j’avais le 45 tours de « Comme un garçon », et je chantais en dansant dessus. Mais les choses ont tellement changé aujourd’hui, que j’aimerais être moins légère que dans la chanson sur un tel sujet. Bref, au final, je ne saurais laquelle choisir…
– Et dans la peau d’un séducteur, plutôt « Femme des années 80 » (Michel Sardou) ou « Femmes, femmes, femmes » (Serge Lama) ?
Serge Lama, parce qu’il y a une forme d’exaltation dans cette chanson. On a fait un duo ensemble, « D’aventures en aventures », il y a quelques années. Je l’ai conservée à mon répertoire ensuite : quel bonheur de chanter cette chanson ! J’ai trouvé que c’était un homme très touchant, très vrai, intense et entier. Il a un côté viril qui n’est pas si courant : il a été très protecteur et très charmeur avec moi. Il est plus qu’attachant, avec ses qualités de fantaisie et de séduction, un peu « old school », qui m’ont beaucoup plues. Et puis, il a une voix incroyable, un vrai Baryton ! Par la suite, il m’a écrit une chanson que j’ai beaucoup aimé chanter, « Mi-forte, mi-fragile », sur une musique de Daniel Lavoie.
– Plutôt « Un homme heureux » (William Sheller) ou « Un homme debout » (Claudio Capéo) ?
Disons « Un homme heureux », puisqu’il s’agit d’un piano-voix. Je sais que cette chanson a rencontré un très gros succès, mais ce n’est pas une chanson sur laquelle j’ai beaucoup accroché en réalité. Je la choisirais quand même, en retenant le côté positif des choses : s’appliquer à être heureux est tout à fait dans mes cordes. Un proverbe rwandais dit qu’il suffit de parler du soleil pour en sentir les rayons… Cette philosophie de vie me parle. Il y a toujours une façon de voir les choses qui permet de retenir le côté positif des choses qui se présentent à nous, ou qui sont en nous.
– Au registre gay-friendly, plutôt « Comme ils disent » (Charles Aznavour) ou «Kid » (Eddy de Pretto) ?
Eddy de Pretto est un chouette artiste, mais je suis davantage touchée par la chanson d’Aznavour, parce qu’il joue à nous raconter son histoire dans cette chanson. Dans tout son répertoire, comme dans tout le répertoire d’une certaine école de la chanson française, on nous raconte une vie dans laquelle on peut se projeter, parce que le sentiment y est très présent. C’est ce qui est beau et ce qui me donne des ailes pour défendre un certain type de chansons françaises. Pas uniquement parce qu’elles sont en français, mais surtout parce qu’elles témoignent d’une façon d’aborder les choses, d’une époque, de la nature d’une relation… Le sentiment y tient toujours une place importante.

– Si tu devais chanter « Je suis un homme », ce serait la chanson de Polnareff ou celle de Zazie ?
De façon générale, je n’aime pas condamner les hommes. Et d’ailleurs, je ne pense pas que les femmes valent mieux. Chacun fait du mieux qu’il peut. Alors, je préfère la chanson de Zazie, non pas pour les reproches faits aux hommes, mais pour son sens de l’observation de l’espèce humaine. Zazie est une auteure qui a l’art de savoir aborder les sujets.
– Quelles devraient être les qualités de la femme idéale ? Plutôt « je serai douce » (Barbara) ou « Libertine » (Mylène Farmer) ?
Plutôt douce… A mon sens, en plus de la douceur, une femme idéale doit aussi faire preuve de légèreté, de courage, de fantaisie, de sincérité et de tolérance…
– Quel type de femme n’aurait aucune chance de te séduire ?
Une séductrice à 100% justement.
– Accepterais-tu d’être un homme au foyer, si ta compagne était artiste, par exemple ?
Bien sûr. C’est souvent le cas lorsqu’on vit avec une artiste. On se doit d’être un soutien pour l’autre, en particulier lorsque sa compagne est idéalisée par son public. Sa position peut flatter l’ego de l’homme, mais sa popularité peut aussi conduire l’homme à se sentir diminué, tenu à l’écart. Je pense que ce n’est agréable pour personne d’être madame Chaplin ou monsieur Gréco, de ne pas être considéré en dehors de cela, même si ce n’est pas grave en soi. Il faut savoir faire la part des choses. J’ai d’ailleurs chanté « Femme d’artiste », une chanson écrite par Kent. Après, sur le plan financier, je pense que pour un homme, avoir des revenus moins importants que sa compagne, peut encore être vécu comme quelque chose d’extrêmement dérangeant. On est encore dans un phénomène sociétal, même si les choses évoluent.
– Épouserais-tu sans problème une femme de 20 ans ta cadette, comme beaucoup de Rockstars ?
Comment résister à la beauté ? La beauté de la jeunesse, est comme celle de la nature, ou d’un animal, c’est absolument fulgurant. La jeunesse est fascinante. Beaucoup de Rockstars sont effectivement avec des femmes beaucoup plus jeunes pour cette raison, d’autant que beaucoup de jeunes femmes les assaillent… Je me rends compte en vieillissant qu’un couple qui s’aime depuis très longtemps, sait passer de la fusion et de l’exaltation physique, à une relation de tendresse. Mais je comprends aussi qu’un homme ou une femme plus âgée, puisse être attiré physiquement par la jeunesse.
– Et de 20 ans ton aînée ?
C’est plus choquant, mais pourquoi pas ? J’ai connu un ami artiste qui avait une femme plus âgée. C’est une histoire qui a duré mais qui n’est pas allée jusqu’au bout. A partir du moment où on aime, tout est possible. La seule chose pénible est que la personne plus âgée a 20 ans d’expérience en plus, et par conséquent refait les choses pour vous faire plaisir. On ne partage pas le plaisir de la découverte à deux, ce qui peut être barbant pour la personne plus jeune. Ca m’est déjà arrivé d’ailleurs d’être la compagne d’un homme qui avait 15 ans de plus que moi.
– Quelle est pour toi la plus belle déclaration d’amour, jamais chantée par un homme à une femme ?
J’adore « La muraille de Chine », la chanson d’Henri Salvador, écrite par Benjamin Biolay. Je suis très sensible à la voix d’Henri… J’aime aussi beaucoup « My Song of You », une chanson très chou de Laurent Voulzy. Et je t’avoue que la chanson de Kent, « Notre amour », que j’ai reprise sur mon album, est une chanson que j’adore. C’est très rare qu’un homme parle de la durée et de la constance d’une relation. Quand j’ai entendu Kent la chanter sur scène, j’ai été bouleversée et j’ai eu envie de la chanter à mon tour, même si j’ai bien conscience que dans la bouche d’une femme, cette chanson est moins forte. Entendre un homme dire « tu es la femme de ma vie, ma chérie, mon amour… », est une déclaration d’amour inédite et magnifique.
– Quelle chanson du répertoire masculin est « la chanson de ta vie » ?
Je ne sais pas si c’est la chanson de ma vie, mais j’adore « Lucille » de Michel Jonasz. Je l’ai tellement écoutée et aimée…
– Celle que tu trouves inchantable par une femme ?
« La danse des canards » (rires) !
– question subsidiaire : dans la peau d’un garçon, que dirais-tu à Enzo Enzo, pour la séduire ?
Des mots tout simples comme « bien sûr, mon coeur ! »
Propos recueillis par Eric Chemouny
Crédits photos : Sophie Boulet (DR)
