CALOGERO

Celui d’en haut.

En près de 20 ans de carrière solo, à force de travail et d’exigence, Calogero s’est véritablement imposé comme un des plus grands noms de la chanson française et un compositeur très convoité par ses pairs. À l’occasion de la sortie de son 8ème album solo « Centre ville », comptant déjà quatre extraits (« On fait comme si », « La rumeur », « Celui d’en bas » et « Centre ville »), venant s’ajouter à une longue liste de tubes, l’artiste s’est livré pour JSM sur la conception de cet opus, mais aussi sur l’évolution de son métier et du milieu de la musique, avec une gentillesse, une bienveillance et une humilité qui font la griffe intemporelle de ceux d’en haut !

– Dans quelles circonstances est né ce nouvel album, « Centre ville » ?

Tout a débuté dans mon salon, en mars dernier, pendant le premier confinement. Mon studio Ennio (en référence à Ennio Morricone) n’étant pas terminé, les mélodies sont nées chez moi, sur mon piano et mon synthé. On retrouve leur son d’ailleurs sur l’album. La chanson « On fait comme si » a été le point de départ de tout. Je suis quelqu’un d’angoissé de nature, si bien de me retrouver dans ce climat bizarre, avec des jours ressemblant tous à des dimanches, les rues vides, les gens applaudissant sur leur balcon à 20 heures, était une situation très étrange pour moi. J’ai eu besoin de l’exprimer en musique, et je crois avoir été le premier à le faire. Après avoir reversé les fonds de la chanson à la fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France, j’ai eu envie de continuer sur ma lancée, d’explorer cet évènement inattendu de la vie, comme dirait Edgar Morin. Et comme je suis quelqu’un d’optimiste aussi, j’ai eu envie d’insuffler de la joie dans cette période. Et l’évolution de la situation semble me donner raison avec la découverte du vaccin. C’est quand même incroyable d’en être là, après si peu de temps ! Je me suis donc installé un mini home-studio chez moi, avec aussi un petit saxophone, et j’ai commencé à composer « Celui d’en-bas », mais aussi des mélodies plus positives. Les textes sont arrivés les uns après les autres, et les choses se sont mises en place comme ça, au fur et à mesure…

– As tu écrit beaucoup de chansons pour n’en conserver que 12 ? 

Non pas vraiment, mises à part quelques chansons que je n’ai pas finies, écrites par Benjamin Biolay et Dominique A, avec lequel d’ailleurs, j’ai une connection très forte. Dans mon répertoire, les chansons faites avec Dominique comptent parmi les plus importantes et les plus réussies pour moi. J’ai pu faire des tentatives avec d’autres auteurs, qui ont débouché sur de belles chansons, mais qui n’ont pas autant marqué, alors qu’avec lui, « La fin de de la fin du monde », « Le passage des cyclones » ou « J’attends », ont vraiment laissé une empreinte très forte.

– Ces chansons en gestation pourraient-elles voir le jour sur une édition limitée ?

Je pense plutôt qu’elles figureront sur un prochain album. Je suis perfectionniste et je travaille comme un orfèvre. Je n’ai pas encore réglé mon horloge comme je le voulais sur ces chansons.

– La pochette est très sophistiquée avec son ambiance nocturne : aimes-tu aussi les belles voitures et le sport automobile comme Benjamin ?

Non, elle n’a rien à voir avec le domaine automobile. On a voulu davantage exprimer quelque chose d’onirique, restituer une ambiance de centre ville, comme la place Stanislas à Nancy, ou la place Grenette à Grenoble. Cette notion de centre ville n’existe d’ailleurs qu’en Province, même si les photos ont été prises à Paris, sur le Pont Neuf avec Laurent Humbert, un super photographe. Le centre ville, c’est le lieu de vie rassurant, avec son bruit de klaxons. C’est là où l’on sort le soir sans savoir ce qui va se passer… On est livré au hasard de la nuit et j’adore cette idée. Quant à la voiture, elle renvoie à une autre époque. On avait aussi l’idée de faire venir un cheval, qu’on a abandonnée finalement.

– Je crois savoir que tu n’aimes pas trop poser : pourrais-tu publier un jour un album sans photo de toi, à la façon d’un Cabrel ou d’un Goldman ?

Ah non, au contraire, j’aime bien faire des photos. Je suis de la culture d’un Bruce Springsteen, qui a toujours mis sa tête sur les pochettes. En revanche, je suis mal à l’aise en télé. La caméra me bloque, et je n’arrive pas à être aussi détendu et bavard qu’en interview… Heureusement, ma timidité me sauve et ça passe bien.

– Le stylisme de cette pochette est particulièrement soigné avec ces mocassins impression panthère qui font forte impression…

Ahah (rires) ! Et bien tu noteras que je le dois à Rita, ma fille, qui a 4 ans ! On a disposé les vêtements et les chaussures, et c’est elle qui a choisi ce que je devais porter pour cette séance. Je n’ai pas eu d’autre choix que de m’exécuter…

– Comment as-tu travaillé avec Benjamin Biolay, comparé aux autres auteurs, dans la mesure où il est aussi auteur-compositeur et interprète ?

D’abord, Benjamin est une personne extrêmement gentille et bienveillante. C’est important pour moi. Je me sens à l’aise avec lui, autant qu’avec Dominique A. Quand j’ai du expliquer à celui-ci que sa chanson ne figurerait pas sur l’album, il s’est montré tellement gentil que ça n’a pas été un problème entre nous. Avec Benjamin, c’est pareil. Tous les deux ont ces qualités humaines qui n’appartiennent qu’aux grands. Je n’aime pas quand les auteurs ont un ego mal placé, c’est insupportable. Au-delà, une vraie connection est née entre nous : Il avait déjà joué de la trompette sur « Circus ». Je lui ai envoyé un SMS pour lui dire que j’étais en plein processus de création et pour lui proposer d’essayer de faire une chanson ensemble. Il m’a appelé pour me dire qu’il était partant, sans condition. J’étais en train d’endormir mon fils, quand j’ai pris ma guitare et je lui ai joué la mélodie. Je lui ai ensuite envoyée, et me suis couché. Le lendemain matin, il m’envoyait le texte de « Mauvais perdant ». L’alchimie s’est produite immédiatement ! Du coup, on a fait 6 chansons ensemble… J’aime beaucoup l’angle choisi pour traiter de la difficulté à rompre. On sent qu’il y a du vécu dans cette chanson… 

– L’album s’ouvre sur « C’était mieux après » : fais-tu partie de ceux qui remettent à demain ?

Non, au contraire, je suis dans l’action et j’ai toujours agi comme ça, depuis mon plus jeune âge. Je me suis toujours donné les moyens de faire les choses et d’aller au bout de mes projets. En cela, je n’agis pas comme un enfant capricieux, mais plutôt comme un adulte déterminé. C’est ce que j’essaie de transmettre aussi à mes enfants… Je ne leur demande pas forcément d’être comme moi, mais peut-être que de m’observer dans l’action influera sur leur caractère.

– Tu chantes « Celui d’en bas » : quelle est la part d’autobiographie de cette chanson ?

Elle renvoie à un magnifique amour de jeunesse que j’ai vécu. Avec cette fille, nous sommes restés ensemble pendant deux semaines, et puis elle m’a quitté. C’était un vrai choc pour moi. J’ai éprouvé alors un sentiment d’abandon, comme souvent les adolescents dans ces circonstances. Ce jour-là, je m’étais bien habillé, j’avais mis les dernières baskets à la mode, les Ilie Nastase d’Adidas, mais lorsque je suis passé devant elle, elle m’a ignoré… Ce sentiment a duré 4 ans, et j’ai commencé ensuite la musique, sans doute en partie pour l’impressionner. La situation est un peu romancée dans la chanson, parce qu’en réalité, nous venions tous les deux d’en-bas, mais c’est une histoire qui m’a beaucoup marqué… Je voulais lui rendre hommage car elle a été déterminante pour la suite de ma vie. Et puis, j’avais envie d’un vrai solo de saxo sur ce titre, comme j’avais commencé à le faire avec « Elle me manque déjà », sur l’album « L’embellie ».

– Il y est question de deux personnes venant de milieux sociaux différents : quel est ton rapport à l’argent aujourd’hui, toi qui viens d’en bas justement ?

Je viens effectivement d’un milieu ouvrier très modeste. Nous étions quatre enfants, et ne vivions que sur la petite paye de mon père. Mais mes parents faisaient très attention, et on n’a jamais éprouvé de manque. Quand je suis monté à Paris, je n’avais pas un sou en poche, mais ça n’a jamais été un problème pour moi. J’ai toujours fait en fonction de mes moyens. J’avais la recette de pâtes de ma mère, qui m’a permis de toujours recevoir des amis à la maison. Quand j’ai reçu ma première Sacem, j’ai trouvé ça génial ! J’ai pris conscience que je pouvais gagner de l’argent avec ma musique, comme mon père avec ses chantiers. Malheureusement, la situation n’est plus la même pour les jeunes aujourd’hui : le modèle économique est tellement désastreux que c’est devenu un métier qui fait moins rêver. C’est dommage… Pour ma part, j’ai un rapport très simple à l’argent : je suis toujours du côté des gens qui souffrent et qui sont dans la difficulté, parce que je reste au fond de moi un fils d’ouvrier. C’est pourquoi j’ai repris « Mon bleu », la chanson de Renaud. Je ne culpabilise pas de l’argent que j’ai gagné avec mon travail et ma musique. J’en suis très fier au contraire, et j’espère que mon parcours donnera de l’espoir aux derniers de la classe. C’est le sens de la chanson « Stylo vert ». Je suis la preuve que socialement, on peut s’élever grâce à son métier. Evidemment, je n’ai pas fait ce métier pour pouvoir me payer une piscine, mais parce que c’était mon rêve d’être chanteur avec une guitare, et d’être reconnu musicalement.

– Malgré tout, beaucoup de jeunes artistes n’ont pas d’autre ambition que de devenir riches et célèbres rapidement…

Oui, avant que mon studio soit terminé, j’ai été très gentiment hébergé par Zach, l’homme qui a fondé le studio du Palais des Congrés et qui dispose à présent de plusieurs petits studios à Neuilly. Je suis arrivé avec mes guitares et je me suis retrouvé entouré de plein de mômes qui faisaient des musiques urbaines, avec un ordinateur pour seul instrument. Je les entendais discuter entre eux, et j’ai été frappé qu’ils n’aient qu’un seul mot à la bouche, le mot oseille ! J’ai repensé à mes premières séances studio pendant lesquelles on pouvait parler pendant des heures d’une caisse claire ou d’un accord de guitare. Tous ces jeunes étaient charmants, mais je me suis dit qu’on était vraiment dans un milieu qui change… A mon époque, on ne parlait pas d’argent. J’étais le premier surpris quand j’ai touché mes premiers droits d’auteur. C’était génial ! J’étais tellement heureux que j’ai tout dépensé et j’ai  eu des problèmes avec les impôts, direct ! (rires) En même temps, je suis rassuré par l’émergence de plein de jeunes talents, notamment des femmes, comme Clara Luciani, ma préférée (n.d.l.r : Clara assure mes choeurs sur « centre ville »), qui est celle qui restera entre toutes. Je suis très heureux aussi de ce qui arrive pour Barbara Pravi. Je me rappelle d’une discussion avec elle au restaurant, elle était encore pleine de doutes… Je pense aussi à Juliette Armanet et plein d’autres. Parmi les hommes, j’adore Vianney, Lomepal…

– Comment travailles-tu avec tes paroliers ? Leur suggères-tu des thèmes ou te laisses-tu surprendre par leurs propositions ?

Très souvent, je leur propose des thèmes, mais l’inverse est possible, comme avec Benjamin par exemple, que j’ai laissé libre de me proposer un thème. Ça fonctionne dans les deux sens.

– Tu partages plusieurs d’entre eux, comme Marie Bastide, Paul École ou Bruno Guglielmi, avec Julien Clerc : as-tu conscience d’assurer une certaine descendance avec lui ?

Oui, on me le dit souvent et j’en suis fier. Il fait partie pour moi des grands artistes français. Il est lui-même le fils spirituel de Bécaud… Quand je travaillais sur son album « À nos amours » et qu’il venait me présenter ses chansons au piano chez moi, je me pinçais pour réaliser ce que j’étais en train de vivre. C’était très impressionnant…

– Ta compagne Marie Bastide a signé pour toi la chanson « Cinq heures et quart » : es tu plus exigeant avec elle qu’avec les autres auteurs ?

Non, pas spécialement, je fais la part des choses. Marie me fait lire des textes que j’adore très souvent, et je les mets en musique. Je travaille avec elle de la même façon qu’avec Paul ou Bruno… Et puis, elle s’émancipe actuellement et travaille sur son propre projet, avec de nouveaux compositeurs. Je trouve cela génial !

– As-tu été victime de « La rumeur » à un moment de ta carrière ?

Non, pas du tout. C’est davantage une chanson sur les dérives des réseaux sociaux qui peuvent parfois me faire peur. L’anarchie et la vitesse avec laquelle les informations se propagent est effrayante. Et puis, tout le monde se mêle de tout ! Et du coup, on a totalement occulté la notion de présomption d’innocence. En deux secondes, une personne soupçonnée d’avoir commis un délit est condamnée par la tribunal populaire !  Le pire étant les politiques : je n’attends pas d’un homme d’Etat qu’il communique sur twitter par exemple. Je ne veux pas entrer là-dedans ! Alors est-ce une position de vieux con, ou suis-je avant-gardiste ? Je ne sais pas.

– « Stylo vert » renvoie au thème de la transmission du savoir : es-tu un papa attentif à la scolarité de tes 4 enfants, surtout en ce moment ?

Oui, j’y suis très attentif et je veille à ce qu’ils fassent leurs devoirs, sans forcément être tout le temps derrière eux. J’essaie de faire de mon mieux. Un directeur d’école avait dit à ma mère que je ne ferais jamais rien de ma vie. C’est une phrase qui m’a traumatisé, et j’en ai beaucoup voulu à cette personne… Aujourd’hui, je la remercie car elle m’a donné l’envie de plus en plus aider les jeunes en situation d’échec scolaire, tous ces jeunes auxquels on dit qu’ils sont incapables, parce qu’ils ont des difficultés en maths, ou dans une autre matière. Je pense que je peux être un exemple pour eux, même si on n’est pas tous obligé de faire de la musique dans la vie. Je veux simplement les aider à retrouver la confiance en eux, leur prouver que même si on est un adolescent rêveur avec des difficultés de concentration, on ne va pas rater sa vie pour autant… Je réfléchis actuellement à la forme que cet engagement pourrait prendre, peut-être celle d’une association… Ce n’est pas encore finalisé.

– Cette chanson fait écho à « Peut-être » qui ouvre toutes les perspectives d’une vie…

Oui, il y a toujours un domaine dans lequel un enfant trouvera sa voie, d’autant qu’aujourd’hui, les jeunes peuvent se faire aider.

– Tu chantes « Le temps » : quel est ton rapport au temps justement ?

Grâce à la musique, je ne le vois pas passer, mais je ne suis pas serein pour autant, malgré les apparences. Je suis un faux-calme, mais j’apprends à gérer mes bouillonnements intérieurs, en faisant du sport par exemple.

– Quel regard portes tu sur le jeune Calogero quand tu tombes sur des images, des vidéos des Charts ?

J’ai un regard plutôt tendre. L’époque des Charts a été extrêmement importante dans ma vie. J’y ai fait mes classes et elle me renvoie à plein de bons souvenirs, à mon arrivée à Paris… Après, c’est évident que j’ai préféré mes années en solo, d’autant que j’ai été très heureux et épanoui dès le premier album. Au sein des Charts, j’étais jeune, et je faisais une musique qui ne me ressemblait pas à 100%. Je me cherchais encore… Après en revanche, j’ai fait totalement la musique que j’aime.

– Comment travailles-tu avec ton frère Gioacchino ? Qu’est-ce qui détermine sa contribution à une mélodie ?

En réalité, le fait qu’il soit mon frère ne compte pas. Il se trouve que le seul compositeur auquel je fais appel quand je compose mes musiques, c’est lui, simplement parce que c’est le meilleur. Je lui dois le refrain du « Portrait », celui de « Fondamental », celui de « Stylo vert », etc. Ce n’est pas rien… Sur chaque album, il participe à trois ou quatre mélodies, dont je ne veux pas me priver parce qu’elles sont magnifiques. À la limite, je serais plutôt du genre à être gêné de le solliciter parce qu’il est de ma famille. En pratique, on ne travaille jamais dans la même pièce. Sur « Le temps » par exemple, j’étais sur un quai de gare, en partance pour un week end à Londres. J’avais envie de lui rendre visite, parce que je ne l’avais pas vu depuis longtemps. J’étais dans un petit appartement avec un piano quand j’ai eu l’idée du couplet du « Temps », quand mon frère est arrivé avec un refrain que lui avait composé dans l’Eurostar. En associant les deux, il se trouve que ça collait parfaitement. La chanson est née comme ça, comme par magie ! On l’a jouée ensemble, moi à la guitare, et lui au piano : à ce moment-là, on était super heureux de se voir, et aussi de savoir qu’on tenait quelque chose de joli, même si par pudeur, on ne l’a pas exprimé sur le coup, préférant parler de l’endroit où on allait diner dans la soirée… C’est exactement comme cela que je travaille avec lui. On pratique par collages. Et mon directeur artistique Eric Lopez, qui nous connait bien tous les deux, m’appelle souvent pour me dire qu’il a repéré un couplet de Gio et un refrain de moi qui pourraient fonctionner ensemble.

– As-tu été déçu des résultats de l’album de Maëlle sur lequel tu t’es beaucoup investi ?

Oui, très clairement. J’ai surtout été déçu par la maison de disques. C’est la première fois que je peux en parler. Ce qui est arrivé est assez symptomatique du développement des artistes aujourd’hui. Maëlle a un très gros potentiel d’interprète. Elle ressemble à Romy Schneider, c’est une fille magique ! Je suis extrêmement fier du premier single « Toutes les machines ». Je l’ai réécouté dernièrement à la radio et je trouve que la prod’ est très réussie. Je pense que c’est une chanson qui restera. Je regrette simplement que la maison de disques n’ait pas suffisamment insisté et qu’elle ait abandonné après seulement deux singles, par manque de conviction et pour des raisons économiques. Je me suis mis à la place de Maëlle, c’est terrible pour elle… Cela dit, je crois en elle et elle fera son chemin avec d’autres gens, elle en a tout le potentiel. Sur mon premier album, les choses ne sont pas venues toutes seules, mais j’ai eu la chance d’être soutenu et qu’on croit en moi. Le premier single «Prendre racine» n’a pas fait des étincelles, et le succès n’est venu que huit mois après… Le problème c’est que si le modèle économique a changé, le développement d’artistes reste le même. Heureusement, il reste quelques personnes de ce métier, comme Vincent Frèrebeau, qui ont l’amour des artistes et les accompagnent, comme il l’a fait avec Vianney… Ça fait toute la différence.

– Cette déception t’a-t-elle découragé à écrire pour d’autres ? As-tu des projets en ce sens ?

Non, pas du tout. J’adore ça, et puis la vie n’est pas faite que de succès. De toutes mes collaborations, je retiens que j’ai été très fier, par exemple, d’écrire une chanson pour Françoise Hardy et l’album « Vieillir avec toi » pour Florent Pagny, qui s’est vendu à 800.000 exemplaires. D’ailleurs, Florent va fêter ses 60 ans l’année prochaine et il m’a appelé pour composer et produire son prochain album, sur des textes de Paul Ecole, Marie Bastide, Serge Lama et Barbara Pravi. Et pour la première fois, j’ai composé une musique avec Julien Clerc. Nous avons procédé comme lorsque je travaille avec mon frère : Julien en a écrit le couplet, et moi le refrain. Nous sommes en plein enregistrement. L’album sera terminé en mai et sortira vraisemblablement en septembre… J’adore Florent, c’est comme un grand frère pour moi. Il m’a fait confiance avec « Châtelet-les-Halles », une chanson très importante pour lui, comme pour moi… Non vraiment, je ne me décourage pas du tout, au contraire. J’aime plus que tout faire des albums. Cette période est d’autant plus propice à l’écriture et à la composition d’albums, que je n’ai pas envie de donner des concerts dans les circonstances actuelles, devant un public masqué.

– J’imagine aussi que tu es sollicité comme coach pour The Voice ?

Oui, on m’a déjà sollicité. Je trouve très bien cette émission, en tant que spectateur. Mais personnellement, j’ai un problème avec la télé, comme je te disais. Je ne m’y sens pas bien et je perds totalement ma répartie et mon tac-au-tac. Je n’y arrive toujours pas, alors que ça fait quasiment trente ans que je fais ce métier. J’ai trouvé Zazie, Marc ou Vianney supers dans leur rôle de coach, mais ce n’est pas mon truc !

– Que penses-tu de la démarche de Pascal Obispo et de son application All Access ?

C’est courageux de sa part. Il va pouvoir être libre artistiquement et proposer des albums de plein de styles différents. C’est très bien. Mais personnellement, je ne suis pas sûr de ce modèle-là comme réponse au fond du problème, qui est purement économique, en réalité. La réponse à cette question passe selon moi plutôt par un rééquilibrage du streaming, afin que le système soit moins opaque. C’est une question de justice, parce que ce n’est pas admissible que la musique soit devenue plus ou moins gratuite. Je ne parle pas pour moi, qui suis un privilégié, mais ce métier ne fait plus rêver les jeunes qui n’arrivent plus à en vivre. Je suis fils d’ouvrier et j’ai du respect pour les ouvriers, mais j’ai voulu faire autre chose et m’élever. Il y avait dans les grandes années des maisons de disques une folie des grandeurs qui faisait rêver. On se sentait privilégié d’entrer dans ce milieu grâce à son talent. Tout cela est terminé et c’est hyper triste.

– Quelles sont, selon toi, tes 3 chansons préférées du public ?

Je dirais peut-être « Le portrait », « Si seulement je pouvais lui manquer » et « Face à la mer »…

– Et celles que tu préfères ?

Je les aime aussi, même si j’aime bien parler des chansons qu’on connait moins. Personnellement, j’aime beaucoup « Un jour au mauvais endroit ». Ma préférée sur le dernier album est « C’était mieux après ». Je pense aussi qu’une des chansons les plus réussies de ma carrière est « Le temps »….  On verra si elle rencontre le public et si l’avenir me donne raison. En tout cas au fil des chansons, je crois que si j’ai réussi quelque chose dans ma carrière, c’est d’avoir un style identifiable : c’est ma force, il me semble…

Propos recueillis par Eric Chemouny

Crédit photos : Laurent Humbert (DR / Polydor / UM)

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