JOËL SAGET

l’œil de l’A F P

Photographe emblématique de l’Agence France-Presse (AFP), Joël Saget a tiré le portait de toutes les personnalités qui font l’actualité et construisent un peu de notre histoire contemporaine. Politiques, écrivains, acteurs, musiciens, ou simples anonymes, tous ont capitulé devant son talent et accepté de lui abandonner un peu de leur mystère et surtout, beaucoup de leur humanité. Nous avons voulu rencontrer ce grand artiste de l’image et lui dédier notre galerie JSM, en mettant l’accent sur les chanteurs et chanteuses qu’il a éclairés de son regard bienveillant… 

Joel Saget / AFP

– Comment es tu venu à la photographie ?

J’ai eu un parcours assez particulier, comme beaucoup de photographes sans doute. À l’âge de 16 ans, je me suis retrouvé dans un foyer, Pour faire une préformation d’ouvrier en métallurgie, bien que n’ayant aucune prédisposition dans le domaine. Ça ne correspondait pas du tout à mes attentes, si bien qu’à 17 ans, je suis entré dans l’armée, où je suis resté 5 ans. Ensuite, je suis parti en Amérique du Sud, où j’ai bourlingué dans différents pays. J’ai notamment vécu dans des communautés indiennes, parce que j’avais envie de faire des photos et du reportage. J’avais un Nikon, avec deux zooms… Ce n’était pas terrible comme équipement, mais j’ai commencé comme ça à faire des photos. En rentrant en France, j’ai essayé de les vendre, en passant par des circuits classiques d’agences, etc. Je n’avais pas de contacts particuliers ou de relations dans le monde de la photo. Je ne savais pas comment tout cela fonctionnait, à tel point que j’avais mis certaines diapos à l’envers dans la pochette de présentation. Mais ces premiers pas ont été encourageants : les gens trouvaient que j’avais « un oeil » et le sens du cadrage. Je pense que d’avoir lu beaucoup de bandes dessinées quand j’étais très jeune, m’a pas mal aidé en cela. Le fait de dessiner un peu m’a aussi appris à composer une image. J’aimais particulièrement le dessinateur Hermann qui a créé la série « Jeremiah ». Ses mises en page étaient très proches du cinéma, de la photo… Inconsciemment, il m’a beaucoup influencé. J’ai ensuite commencé à faire des piges ici et là, en essayant de placer des photos. J’ai bricolé avec Sygma, Gamma…

– Etaient-ce déjà des portraits de personnalités ?

Non, pas du tout, je n’étais pas encore dans ce trip. C’étaient davantage des reportages sur l’actualité, notamment dans le domaine du social. J’avais une certaine forme de naïveté, à penser que mes photos allaient dénoncer des injustices. J’avais cette vision du journalisme et je pensais que l’image avait ce pouvoir. J’ai proposé des reportages sur l’exclusion, les gens de la rue… On ne parlait pas encore de SDF, mais de clochards. C’étaient des sujets qui me touchaient. Tout cela remonte à plus de 30 ans…

Lonnie Corant Common Sense ©Joel Saget / AFP

– Comment es-tu ensuite entré à l’AFP ?

Comme c’est le cas de beaucoup de photographes qui finissent par être « staffés » par l’AFP, j’ai commencé comme pigiste en Normandie, à couvrir un peu tous les sujets, du fait divers au social… J’ai fait cela pendant des années, avant de venir sur Paris. On m’a alors ouvert la possibilité de couvrir l’International. J’ai commencé à toucher à différents sujets, du lancement de la fusée Ariane en Guyane aux Jeux Olympiques, sans compter des séjours au Kosovo, à Gaza, en Irak, en Tchétchénie, en Afghanistan, où le fait d’avoir été ancien militaire a facilité les choses. Bref, j’ai travaillé sur des sujets très variés. J’ai même du faire une quinzaine de tours de France avec des motards, sans avoir eu une sensibilité particulière pour le cyclisme. C’était pour moi l’occasion de construire des histoires autour d’un sujet donné… Le rédacteur en chef de l’époque m’avait confié ce reportage parce que j’avais justement un regard décalé sur le sport. C’était pour lui le gage d’avoir un regard différent. C’étaient les années Lance Armstrong, avec ces fameuses photos où on le voit couper à travers champs… J’ai eu la chance d’être le seul à faire une série sur cet instant historique du sport cycliste. J’ai ensuite beaucoup couvert l’actu parisienne, avec les politiques, les manifs…

– Qu’est-ce qui t’a conduit à te spécialiser dans le portrait ?

Après avoir fait différents sujets, on s’est dit à l’AFP, qu’il y avait peut être quelque chose à developper autour du portrait. L’idée est restée en gestation. A l’époque, faire le portait d’une personnalité pour l’AFP se limitait à le placer sur un mur, à l’éclairer correctement et l’affaire était réglée en quelques minutes. Parfois, on se retrouvait avec un rédacteur qui avait l’opportunité de faire une interview d’une personnalité, et nous laissait ensuite entre 3 et 5 minutes, à la fin de son entretien, pour faire un portrait. On a tiré les carences de ce genre de fonctionnement, et on a pensé à monter une cellule portraits, en essayant d’en faire quelque chose d’intéressant, mais il fallait s’investir et proposer une approche nouvelle. Je me suis rappelé que quand je dessinais, je privilégiais des visages, des gueules, et j’ai voulu traduire cet interêt en photographie. On s’est donc lancé avec des séries, en commençant par une série sur les femmes en politique, puis une autre sur les avocats, etc. 

James Mc Bride ©Joel Saget / AFP

– Tu photographies indifféremment des politiques, acteurs, chanteurs, personnalités … que préfères-tu ?

Quand, je me suis mis au portrait, je pensais que c’était quelque chose d’assez facile, mais avec le temps, j’ai réalisé qu’on touchait au domaine de la psychologie. Toucher à l’image des gens est très compliqué. Aujourd’hui, ça passe par une vraie conversation photographique entre eux et moi. Il faut observer, chercher à comprendre, pour finir par dégager quelque chose de fort chez la personne. On entre assez rapidement dans une vraie intimité.  Au final, ce qui compte pour moi, au delà des domaines d’activités, des uns et des autres, ce sont les rencontres… Avec les politiques, il arrive que les discussions soient assez personnelles et surprenantes, et ce qui se passe dans le studio reste ensuite dans le studio. Mais avec eux, on sait qu’on est dans un exercice un peu convenu : ils sont toujours un peu pétris de conseils de communicants, qui heureusement n’assistent jamais aux séances. Pour les hommes d’affaires et les grands patrons, c’est un autre rapport qui s’installe. Ils ont réellement du pouvoir, lié à leur statut et à l’argent, et ils ont l’habitude de dominer les gens et le monde. La première chose à faire est d’essayer de casser ce type de comportement. La photo est importante pour eux, mais un peu accessoire aussi. Avec les écrivains, qui ne sont pas des gens d’image et qui n’ont pas nécessairement envie de se montrer, il y a une autre forme d’intimité à trouver. Le dernier bouquin qu’ils viennent de publier sert souvent de passerelle pour trouver une approche. Quant aux musiciens, il y a tous les cas de figure, mais j’ai réalisé qu’il y a de plus en plus de normes et de codes, dont certains seulement arrivent à se détacher. Quand on regarde les photos de Jean-Marie Périer, c’est extraordinaire ce qu’il arrivait à faire avec les artistes. Il jouissait d’une telle liberté ! Sa relation personnelle avec eux devait jouer, mais le recul des artistes qui n’étaient pas encore formatés par des managers ou des maisons de disques, était génial : c’est inimaginable aujourd’hui de voir des artistes prendre le contre-pied de leur image, par simple plaisir du jeu et de l’amusement.

– As-tu le souvenir de des rencontres privilégiées avec certaines personnalités ?

Il y a effectivement des personnalités avec lesquelles je continue de correspondre après la séance. Je me rappelle d’une séance avec Thomas Dutronc. Ca n’avait pas super bien commencé. Il était fatigué par la promo et l’ambiance était un peu tendue à cause de la Covid. On a commencé la séance, qui s’est bien passée finalement. À la fin, on a discuté de BD et il y a quelques semaines, il m’a envoyé un texto pour me dire qu’il aimait mes photos qu’il suivait sur les réseaux sociaux… Il est arrivé aussi que d’autres veuillent prolonger la séance sur divers projets, mais ça met du temps à se mettre en place. L’approche du portrait me permet d’avoir des facilités pour mener à bien d’autres travaux. Tout est encore histoire de rencontres…

Thomas Dutronc ©Joel Saget / AFP

– Certaines t’ont-elles impressionné ?

Je mettrais dans une case à part les comédiens, qui sont habitués à l’exercice, de jouer avec leur image. Ça leur est naturel. Mais je me rappelle surtout l’ancien secrétaire des Nations Unies, Kofi Annan. Il se trouve que j’ai pour habitude de tutoyer les gens dans 99% des cas pendant les séances. On s’est serrés la main et le courant est tout de suite passé entre nous. Il s’est installé, assez détendu et très classe. Il dégageait quelque chose de fort. Il est décédé près d’un an après. Un copain m’a appelé pour me dire que pour les obsèques, de grandes bâches avaient été installées sur les immeubles avec les portraits que j’avais faits de lui… J’en étais très fier et heureux. Cet homme dégageait un tel magnétisme… C’est pareil avec Forrest Whitaker : il suffit de le regarder, pour voir que son visage raconte quelque chose. On pourrait presque faire la photo avec un iPhone, le résultat serait aussi fort. Je ne photographie pas que des gens que j’aime, ni pour lesquels j’ai de l’admiration, loin de là. J’essaie de faire abstraction de cela. Je sais que la plupart du temps, les gens ont un gros problème d’ego. J’essaie d’escamoter cette question, de m’en déconnecter pour ne pas être influencé dans la façon de les aborder et d’échanger avec eux. On n’est pas à l’abri d’une bonne surprise, dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs. Certaines personnes ont la réputation d’être très cools et peuvent s’avérer très chiants, et inversement. A chaque fois, on ne sait pas à quoi s’attendre, mais il m’est très rarement arrivé d’être impatient que la séance se termine… En général, les gens partent en me remerciant, parce qu’ils sont contents d’être photographiés, à l’exception peut-être des comédiens dont c’est le quotidien… Mais je peux comprendre : ils arrivent souvent comme on va chez le médecin, avec l’appréhension d’apprendre une mauvaise nouvelle, parce que ça touche à leur image. D’autant que l’AFP est une grosse caisse de diffusion. Ensuite, l’image leur échappe et elle part dans le monde entier sur plein de supports. La photo reste rarement confidentielle…

– As-tu des maîtres dans le domaine de la photo, ou du portrait en particulier  ?

Je découvre les choses avec le temps. Dans l’art du portrait, il y a différentes approches. Pour moi, le plus important reste le sujet. Même si au fil du temps, on finit pas identifier mes photos, il ne s’agit pas de me mettre en avant. C’est pourquoi j’utilise souvent des fonds gris ou noirs. C’est sans doute lié à mon histoire personnelle, de partir d’un fond sombre, parce que j’ai un regard sur la vie assez noir, que je compense par l’humour (rires). Mon but est de révéler une personnalité, ce qui tourne autour d’elle. On peut guider, discuter en amont, mais ce préalable est surtout pour moi l’occasion d’observer le positionnement de la personne, afin de m’en servir ensuite et de glisser dessus. Je ne sais jamais quoi faire avant, j’improvise en fonction de ce que j’observe dans l’ensemble. Donc, je ne cherche pas à m’inscrire dans une école particulière lorsque je fais des portraits. Je me suis penché dernièrement sur le travail d’un photographe très académique, Yousuf Karsh, qui a photographié des milliers de personnalités de son époque, notamment Winston Churchill. C’est devenu une telle institution… Son travail me parle forcément. Et comme je le disais précédemment, j’envie Jean-Marie Périer pour la liberté de ton qu’il avait avec les artistes. Je retrouve rarement cet esprit aujourd’hui : quand j’ai photographié Joey Starr, il portait des lunettes. C’était une séance à la bouteille de rhum, pour lui comme pour moi (rires). Je lui ai demandé d’en faire une sans les lunettes. Il a d’abord refusé puis a fini par accepter. En les enlevant, l’espace d’une seconde, il a représenté des lunettes avec ses mains : ce n’était pas prévu, on le reconnait à peine, mais c’est la photo qu’il a préférée de la séance ! Il faut être réactif, capter l’instant sans rien préméditer. En définitive, je crois que mes influences ne viennent pas uniquement de la photographie. J’ai fait plein de choses dans ma vie qui n’ont rien à voir avec le portrait et qui nourrissent mon travail… 

Joey Starr ©Joel Saget / AFP

– As-tu des projets annexes, des expos ou des livres à paraître ?

J’ai fait une expo photo, il y a quelques temps, ou je mettais en scène des jouets dans des situations un peu barrées, en les faisant parler dans des bulles de BD avec des citations latines. C’étaient des photos en couleur très fortes, comme dans les pubs des années 80. Je n’ai pas d’autre projet pour le moment. On me propose régulièrement de publier des livres, notamment de réunir mes portraits dans un bouquin. Mais pour l’instant, je suis encore dans la boulimie du chasseur de têtes…

– Hormis le portrait, quels sont tes autres centres d’intérêt ou sources d’inspiration en photo ?

Pendant la période du premier confinement, on a fermé le studio à un moment. J’ai d’abord réalisé une série de portraits de soignants, puis j’ai élargi mon travail à d’autres aspects de cette période étrange : j’ai photographié les rues, les hôpitaux, les ephad… Paris était totalement vide ; c’était une situation exceptionnelle pour un photographe. J’ai toujours un boitier, un petit Fuji avec moi. Je marche beaucoup, si bien que chaque fois que je me déplace, je trouve toujours quelque chose à photographier… Je viens de tomber sur un rideau de fer baissé, sur lequel quelqu’un a taggé Covid19-84, par référence au « 1984 » d’Orwell… Je ne pouvais pas laisser passer ça ! Quand je me rends en Normandie, pour rendre visite à ma mère, je peux aussi bien photographier une abeille qui se pose sur une fleur, qu’un paysage… La vue me sollicite en permanence. Je ne débraie jamais, tout me parle et dans tous les domaines ! Si je n’ai pas touché un boitier pendant deux ou trois jours, ça me manque et j’ai besoin de faire une photo ! C’est une véritable drogue ! (rires).

Propos recueillis par Eric Chemouny

Photos : Joel Saget/AFP (DR)

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