L’interview
« Comme un garçon »
de CHANTAL GOYA
Pour plusieurs générations d’entre nous, Chantal Goya est une icône absolue, une amie imaginaire en robe de princesse, ayant bercé notre enfance au rythme de ses spectacles féériques et de ses personnages tout droit sortis de contes de fées… Alors qu’elle reprend son spectacle « Le soulier qui vole », les 6 et 7 février 2021 au Palais des Congrès de Paris, pour la nouvelle vague de tout-petits (et leurs fans de parents…), nous avons vu en l’ex-héroïne de Godard dans « Masculin féminin », l’artiste idéale pour répondre à notre interview « Comme un garçon ». Contre toute attente, elle a relevé le défi de se glisser dans la peau d’un garçon avec d’autant plus de plaisir et d’amusement, que la chanson ayant inspiré cette rubrique a été composée pour Sylvie Vartan par son cher et tendre, Jean-Jacques Debout… Nous l’avons rencontrée et ses réponses inattendues, sont à l’image de la grande artiste qu’elle est, pleines de fraicheur, de générosité, et irréversiblement rattachées au monde de l’enfance qui est son royaume depuis toujours…

– Etiez-vous « Garçon manqué » (La Maison Tellier) dans votre enfance ?
Oui, plutôt, j’étais l’aînée de cinq enfants et je n’avais peur de rien. Très jeune, ma mère m’avait donné des responsabilités, entre autres celle m’occuper de mes frère et soeurs, et je prenais tout à bras le corps, pour pouvoir y arriver. Inutile de vous dire qu’on faisait beaucoup de bêtises… J’avais quatre ans quand on est arrivés du Viet Nam, et on n’avait rien du tout. Maman m’avait raconté que toute petite, j’étais déjà casse-cou : sur le bateau, nous étions « en bas », parce que mon père était très malade, atteint d’une forme très grave de paludisme. J’avais repéré qu’on y mangeait très mal, alors qu’« en haut », c’était un vrai festin. Je traversais donc les cuisines et j’allais m’approvisionner avant de redescendre avec plein de bonnes choses pour toute la famille… J’étais assez débrouillarde, à l’opposée de la petite fille traditionnelle avec des petites robes…
– Jouiez-vous plutôt à « Toi le Cowboy, moi l’indien » (Zazie) ou « Barbie, tu pleures » (Lio) ?
« Toi le Cow boy, moi l’Indien ». Nous n’avions pas de poupées à la maison, encore moins de Barbie. Par contre, dès que je voyais un buisson, je m’y cachais et je construisais une maison. Je m’amusais d’un rien, comme souvent les enfants qui n’ont rien… Avec des serviettes ou des chiffons, je créais des personnages que je faisais jouer, chanter… J’avais beaucoup d’imagination.
– Vous arrive-t-il de vous dire «Si j’étais un homme… » (Diane Tell) dans votre métier de chanteuse ? Dans quelles circonstances ?
Oui, et je pense que je serais roadie et conduirais les camions. Je dis souvent que dans une autre vie, je devais être un garçon.
– Si vous étiez un homme justement, quel chanteur français serait votre modèle ?
Jacques Brel, que je connaissais grâce à Jean-Jacques, car moi-même, je ne venais pas d’une famille d’artistes. Au contraire, c’était un gros mot d’être chanteur dans la famille. Mon père m’avait même demandé de changer de nom, si je devais être artiste, pour ne pas lui faire honte, au cas où ça ne marcherait pas pour moi. Je suis d’abord allée voir Brel à l’Olympia. Et puis, à une époque, Johnny a habité à la maison pendant presque un an, parce qu’il faisait des travaux dans son appartement parisien, tandis que Sylvie était à New-York. Un jour, il m’a proposé de m’emmener voir Jacques Brel dans «L’homme de la Mancha ». On avait rendez-vous avec Les Carpentier aussi. J’ai proposé d’y aller en taxi, mais Johnny a insisté pour m’y emmener en moto. A peine assise derrière, il a démarré en trombe… J’ai fait un bond ! (rires). Johnny était comme un grand frère pour moi ! Quant à Jacques Brel, c’était un artiste incroyable, avec un regard magnifique, quelque chose de très fort dans les yeux. Il ne pouvait faire que la carrière qu’il a faite, et être aimé de tout le public. Il a écrit tellement de belles chansons… On ne voit plus des artistes de cette trempe aujourd’hui. Pourtant sa carrière a été courte, quand on y repense… Il appartenait à cette génération de chanteurs qui venaient de l’école du cabaret, alors qu’aujourd’hui, beaucoup de jeunes sortent des disques sans même savoir s’ils vont faire de la scène. D’ailleurs, Jean-Jacques a du mal à dormir la nuit, parce que depuis son jeune âge, il a passé ses nuits dans les cabarets, où il a côtoyé les plus grands : Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Barbara, Philippe Noiret, et même Jean Gabin qu’il a connu étant jeune… C’est fou, et du coup, grâce à lui, je les ai aussi tous rencontrés à mon tour.

– Et quel chanteur international serait votre modèle ?
Frank Sinatra, que j’aime beaucoup, une voix extraordinaire. J’ai d’ailleurs une anecdote à son sujet. Un soir, il était venu diner avec des amis, chez nous à Paris, et avait dit qu’il viendrait avec une surprise. Et voilà que je vois arriver Sammy Davis Jr. Je n’en croyais pas mes yeux… Heureusement, j’avais préparé un bon diner. Sammy m’a demandé, en Anglais, ce que je faisais. Je lui ai répondu que je chantais pour les enfants. Il a voulu entendre une chanson et je lui ai chanté « Pandi Panda ». Là-dessus, Jean-Jacques est arrivé, et m’a grondée de l’embêter avec cette chanson… Il me trouvait totalement inconsciente de faire cela face à un ami de Frank Sinatra, de Dean Martin et des plus grands. Je m’en fichais puisque Sammy semblait aimer la chanson, et qu’elle le faisait rire, au point de faire les mêmes gestes que moi. Il n’étais pas plus grand que moi, donc on les faisait ensemble. Ensuite, il nous a invités à son concert au théâtre des Champs Elysées. Il y avait toute la Jetset parisienne, très snob… Tout ce que je déteste, moi qui suis assez casanière. A un moment, pendant la chanson « New York, New York », il a arrêté l’orchestre d’une trentaine de musiciens, et a déclaré au public en anglais : « mesdames et messieurs, je vais vous chanter une chanson pour Chantal Goya ». Et il a chanté « Pandi Panda »… C’était incroyable. Je me suis levée pour l’applaudir et toute la salle a suivi. Seuls les américains sont capables de choses comme ça !
– Feriez-vous un style de musique différent ?
Je serais Crooner ou Jazzman…

– Dans les 60’s, auriez-vous été davantage séduite par la sexy Sylvie (comme Johnny), ou la cérébrale Françoise (comme Jacques) ?
Sylvie, que je connais bien. On se voyait souvent à l’époque avec Johnny. On a eu nos enfants ensemble : elle attendait David, né en août 1966, et moi mon fils Jean-Paul, né en juin 1966. On a fait beaucoup de télés ensemble, dans les shows des Carpentier, que Jean-Jacques écrivait pour elle. À l’époque, je n’étais pas encore vraiment dans la chanson. Sylvie rigolait et le taquinait en lui disant : « tu verras, ta femme ne dit rien. On dirait une petite souris qui balaie toute la journée, mais un jour, tu entendras parler d’elle… ». Et Johnny renchérissait : « Oui, je suis d’accord avec Sylvie. Chantal, ça va être une artiste incroyable ! ». Je leur répondais que j’étais très bien chez moi, comme femme au foyer, à faire le ménage et la cuisine. Je n’avais aucune envie d’être une artiste connue, d’autant que je ne savais pas trop chanter. Mais Johnny me disait : « Oh, ne t’inquiète pas ! Tu te débrouilleras très bien… ». On était très amies toutes les deux, avec Sylvie. Quand j’attendais ma fille Clarisse, en plein mai 68, j’habitais rue des Saint-Pères, dans le 7ème. Elle venait souvent à la maison… Quant à Jean-Jacques, il me ramenait tous les blessés du boulevard Saint-Germain. J’étais furieuse ! Je lui faisais remarquer que j’étais enceinte jusqu’au cou, et que Sylvie n’était pas une infirmière… Il fallait nous voir, toutes les deux, avec notre mercure au chrome à la main, à faire des bandages aux manifestants blessés… J’ai aussi bien connu sa famille, sa maman Néné, qui adorait Jean-Jacques, son père, son frère Eddie… On allait les voir à Loconville, où Sylvie m’emmenait dans sa voiture de sport, dans laquelle la pauvre a eu son premier accident. On se voyait tout le temps… Je me rappelle qu’ils nous avaient prêté la maison de Johnny à Grosrouve aussi. Nos enfants étaient petits. C’était en 1969, l’année du premier pas sur la Lune… Sylvie m’avait dit : « tu peux regarder dans mon armoire, tu y verras toutes mes robes de scène… » Je suis tombée sur la robe bleu ciel de Réal dans laquelle elle chantait « La plus belle pour aller danser ». Elle était magnifique ! Sylvie trouvait qu’elle me serait bien allée, mais c’était trop beau pour moi.

– Avec quelle chanteuse aimeriez-vous enregistrer un duo d’amour sulfureux comme «Je t’aime moi non plus » (Gainsbourg / Birkin) ?
Barbara, mais je crois qu’on n’aurait jamais pu le faire tellement on aurait rigolé. Elle avait beaucoup d’humour et je la respectais beaucoup. Elle venait souvent diner chez nous, ou voir Jean-Jacques à la maison, mais il arrivait qu’il ne soit pas là. Elle répondait alors en s’amusant : « Ah bah c’est charmant ! Il m’a oubliée… ». J’étais embarrassée, car on ne savait pas comment le joindre. C’est l’époque où il s’était mis en tête de sauver le Châtelet appelé à devenir un parking. Cette idée la faisait rire beaucoup car elle était très drôle. Alors, elle se mettait au piano et elle chantait. Elle me disait : « on va chanter, on va faire de grands duos d’amour toutes les deux !». C’était très amusant. Un jour de 1981, alors que j’avais fait une radio, elle m’a appelée pour me dire qu’elle m’avait écoutée, et que d’après elle, je serais encore là dans 20 ans. « Tu seras une institution ! » me disait-elle, alors que dans ma tête, je pensais que j’aurais disparu l’année suivante… Une fois la promo terminée, je me voyais rentrer à la maison avec mes enfants et mon balai. Elle m’a répondu : « Non, non, non, tu te trompes, tu verras !». Aujourd’hui, je pense souvent à elle…
– Dans la peau de Gainsbourg, quelles actrices actuelles aimeriez-vous faire chanter ?
Isabelle Carré, que j’aime beaucoup. C’est une grande actrice, toujours très juste, qui me touche énormément.
– Accepteriez-vous de changer de sexe pour les besoins d’une pochette de disque comme Gainsbarre sur « Love on The Beat » sans craindre pour votre image ?
Non. Cela dit, je me suis souvent déguisée dans le cadre d’émissions de télé, notamment en Poulbot avec Mireille Mathieu, pour les Carpentier. Sans compter celles de Stéphane Collaro. Ça le faisait rire, parce que je me prêtais à toutes ses idées folles. J’ai joué les ivrognes alors que je ne bois jamais. Il m’a glissée aussi dans la peau d’un mec du Bronx, une sorte de casseur avec les cheveux en pétard. Comme j’aime bien m’amuser, je jouais le jeu à fond.

– Si vous deviez faire une reprise jouant sur l’androgynie aujourd’hui, plutôt « Comme un garçon » (Sylvie Vartan) ou « Sans contrefaçon » (Mylène Farmer) ?
« Comme un garçon », bien sûr. Jean-Jacques m’a raconté une anecdote à ce sujet : Il avait rencontré Mylène Farmer en Italie, sur une émission de Berlusconi. Elle était très déprimée. C’était à ses débuts, et elle pensait même tout arrêter. Il lui avait conseillé de chanter une chanson dans l’esprit de « Comme un garçon », de jouer un personnage un peu androgyne. Peu de temps après, elle a enregistré cette chanson, « Sans contrefaçon, je suis un garçon… ». Il faut dire que Jean-Jacques est une sorte de médium, qui voit tout à travers les gens qu’il croise.
– Et dans la peau d’un séducteur, plutôt « Femme des années 80 » (Michel Sardou) ou « Femmes, femmes, femmes » (Serge Lama) ?
J’adore Serge Lama. C’est un héritier de Brel. La force de son âme ressort sur scène… C’est un artiste authentique et vrai, et un véritable ami. C’est un grand poète, qui a les mots qui chantent. C’est fabuleux. Pour les Carpentier, il s’était déguisé en Guignol. On lui a souvent demandé ensuite si ça ne l’avait pas gêné d’incarner un personnage de Chantal Goya. Il ne s’est pas démonté et a répondu : « au contraire, tout le monde en rêvait, pour faire de l’écoute ! Elle était numéro 1 partout ! ». Il n’a pas du tout la grosse tête, c’est cela qui est bien avec lui.
– Plutôt « Un homme heureux » (William Sheller) ou « Un homme debout » (Claudio Capéo) ?
« Un Homme Heureux ». J’aime beaucoup William Sheller, qui a beaucoup de talent.
– Au registre gay friendly, plutôt « Comme ils disent » (Charles Aznavour) ou «Kid » (Eddy de Pretto) ?
« Comme ils disent » de Charles Aznavour. Il a écrit tellement de belles chansons… J’aime beaucoup aussi « Emmenez-moi ». C’est un monument de la chanson. C’est amusant parce qu’un jour, nous avions remarqué Charles et moi, que nous faisions la même taille, et étions Gémeaux du mois de juin, tous les deux.
– Si vous deviez chanter « Je suis un homme », ce serait la chanson de Polnareff ou celle éponyme de Zazie ?
J’adore Polnareff ! Je me rappelle que cette chanson avait particulièrement choqué à l’époque, mais venant de lui, tout passait. Comme Gainsbourg dans un autre style, il était avant-gardiste et osait tout. Montrer ses fesses sur une affiche, c’était quelque chose…

– Quelles devraient être les qualités de la femme idéale ? plutôt « je serai douce » (Barbara) ou « Libertine » (Mylène Farmer) ?
Plutôt douce, c’est davantage dans mon caractère aussi.
– Quel type de femme n’aurait aucune chance de vous séduire ?
Une femme qui se mêle de tout. Je n’en peux plus des pipelettes, ce que je ne suis pas du tout. Je me sens toujours décalée quand des femmes me racontent leur vie pendant des heures. C’est sans doute pour cela que je n’ai pas beaucoup d’amies femmes. J’ai davantage de copains. Je m’entends mieux avec les hommes. Je ne suis pas cancanière et je me fiche de ce que font les autres. Quand Jean-Jacques sortait et qu’il rentrait tard, je ne m’inquiétais pas. J’étais très bien dans mon lit, tranquille à la maison, et je ne faisais pas mon enquête. Ce n’est pas dans ma nature. C’est important aussi de se laisser un espace de liberté dans un couple. Quand on s’est mariés, on avait oublié les bagues. J’ai eu l’idée de récupérer des anneaux de rideaux dans la cuisine. Et hop, on a eu nos bagues… Jean-Jacques m’a répondu qu’il avait l’impression d’être un pigeon voyageur (rires). Du coup, je n’ai jamais eu de bague. De toute façon, je n’aime pas les bijoux sur moi. On est toujours en train de les regarder, etc. C’est aliénant. Et si j’en porte un très beau, tout le monde va croire que c’est un faux… (rires).
– Accepteriez-vous d’être un homme au foyer, si votre compagne était artiste, par exemple ?
Oui, je serais un très bon homme au foyer, j’adore ranger, faire le ménage…pendant qu’elle irait sur scène.
– Epouseriez-vous sans problème une femme de 20 ans votre cadette, comme beaucoup de Rock-stars ?
Non. Je comprends et je respecte les couples qui ont un grand écart d’âge, mais je trouve que c’est plus simple de se comprendre quand on est de la même génération. En revanche, mes amis sont souvent beaucoup plus jeunes. Ils me disent tous que je ne suis pas une mamie à leurs yeux, ou une « dame », comme dans la chanson de Brel, avec son sac à main, qu’elle porte bien comme il faut. C’est vrai que je n’ai aucun snobisme : je m’habille n’importe où, aussi bien chez Monoprix que chez Zara. Je suis allée chez Hermès un jour. Ils m’ont fait une haie d’honneur et ont bousculé tous les clients chinois pour me laisser passer : j’avais l’impression d’être la reine d’Angleterre. Ils m’ont sorti tous les sacs de la collection. Quand j’ai demandé le prix, ils m’ont répondu : 15.000 euros. Je suis partie en courant (rires). Cela dit, ce n’était pas grave, car les chinois ont tout acheté derrière moi… Enfin bref, tout ça pour dire que je ne suis pas quelqu’un de compliqué.

– Et de 20 ans, votre aînée ?
Non, pour les mêmes raisons.
– Quelle est pour vous la plus belle déclaration d’amour, jamais chantée par un homme à une femme ?
« Ne me quitte pas », de Jacques Brel.
– Quelle chanson du répertoire masculin est « la chanson de votre vie » ?
« Nos doigts se sont croisés » que Jean-Jacques Debout a écrite et chantée pour moi. A l’époque, je vivais en Angleterre et je ne savais pas du tout qui il était en France. Je l’avais rencontré à un mariage. Il m’a dit : « on se mariera, nous aurons deux enfants, vous serez célèbre à 30 ans et vous chanterez à l’Opéra ». J’ai pensé : « Oh la la, quel dragueur celui-là ! ». Je l’ai tout de suite prévenu que je ne voulais avoir qu’un seul homme dans ma vie. Je n’avais pas envie de chercher à droite à gauche. C’était trop compliqué pour moi… Il m’a donc déposée à la maison, en tout bien tout honneur. Le lendemain, je repartais à Londres, mais il était tombé tellement amoureux qu’il a écrit cette chanson pour moi. C’était une belle preuve d’amour…
– Celle que vous trouvez inchantable par une femme ?
« Viens poupoule » (Félix Mayol), ou « Le zizi » (Pierre Perret). Je vous laisse le choix ! (rires).
Propos recueillis par Eric Chemouny
Crédit photos : Damien Nogarède (DR) / Collection personnelle de Chantal Goya (DR)
