VIANNEY
Quelqu’un de bien.
Avec son sourire renversant, sa simplicité naturelle et sa gentillesse à toute épreuve, rien ne semble avoir de prise sur Vianney… Depuis ses débuts, ni les succès (très nombreux), ni les échecs (plus rares…) n’ont changé le jeune chanteur, égal à lui-même et toujours aussi attaché à l’humain, à la solidarité, à l’essence même de la vie… Bref, à de vraies valeurs, héritées d’une éducation exemplaire. À l’occasion de la sortie de son troisième album « N’attendons pas », et alors qu’il s’apprêtait à endosser le costume de coach dans « The Voice », nous nous sommes longuement entretenus avec l’ami Vianney, qui en plus d’être un artiste talentueux, s’est plus que jamais révélé être aussi dans la vraie vie, quelqu’un de bien…

– Quel est ton état d’esprit actuel et quel était ton objectif avant de te lancer dans la conception de ce troisième album « N’attendons pas » ?
Avant tout, mon objectif était de progresser. Dans mon cas, cela signifie maitriser musicalement toute une série de choses, comme l’écriture des cordes, auxquelles j’accorde une grande importance. Mieux connaitre ma voix aussi, avoir une interprétation plus sentie, mieux contrôlée. Au niveau des textes également, j’avais le choix entre : soit continuer à faire ce que je sais faire, soit décider de me botter les fesses, parce que sinon je ne me renouvellerais jamais. J’y ai passé beaucoup plus de temps qu’avant ; j’ai été beaucoup plus critique envers moi-même. Quant à mon état d’esprit, autant j’ai été obsédé par cet album pendant des mois, autant désormais ce n’est que du bonus… Ce qui compte par dessus tout pour moi aujourd’hui, c‘est de faire des chansons qui me ressemblent, et qui traduisent une évolution pour moi. J’ai le sentiment d’y être arrivé…
– Dans quelles circonstances les chansons ont-elles été écrites ? En confinement ?
Je mets des mois à écrire, donc beaucoup ont été commencées avant, mais pas vraiment terminées. J’en ai toujours un peu sur le feu. Il faut prendre le temps… Comme au tennis, tu construis ton match point par point. Quand j’ai commencé à enregistrer l’album, si j’avais regardé la montagne de travail en face de moi, je me serais découragé dès le début, car peu de chansons étaient finies. Mais je sais que quand je travaille chanson par chanson, sans rien lâcher, je peux arriver à achever un album. Pendant 7 mois en fait, entre février et septembre dernier, j’ai pris le temps de le terminer. Je ne pensais qu’à cela, je n’en dormais pas, pour arriver finalement à ces onze chansons.
– En as-tu écrit beaucoup pour n’en retenir que onze ?
Je ne suis pas du tout prolifique, comme beaucoup de mes copains. Je sais très vite quelle chanson va être importante, et je m’y accroche. Du coup, je ne m’éparpille pas sur quarante chansons. En l’occurence, comme sur le précédent album d’ailleurs, j’en ai écrit treize pour n’en garder que onze. Sur le premier, j’en avais écrit treize aussi, pour n’en garder que douze. Je sais que par souci de construction de l’album, j’en enlève toujours une ou deux, même si j’aimais beaucoup les deux autres. Il a fallu trancher…
– Seront-elles sur une édition limitée ou en bonus d’un autre disque ?
Peut-Être, si elles s’y prêtent, mais pour l’instant, ce n’était pas le cas. Il y en a une dont je sais déjà que je la chanterai en Live, par exemple, dès la tournée, même si personne ne l’a jamais entendue. Je l’aime beaucoup, et c’est peut-être son destin de n’exister qu’en Live…

– Comment as-tu vécu ton confinement ? On sait que tu as été malade du covid19 ; as-tu hésité avant de communiquer sur le sujet, notamment au JT de 20 heures chez Laurent Delahousse ?
Je n’en ai jamais parlé moi-même. Pour tout te dire, j’avais un interview de prévue, que le label a du annuler en expliquant que j’étais très malade, avec de la fièvre, etc. Donc, ça s’est su malgré moi. A l’époque, il n’y avait même pas de tests, donc j’étais plutôt dans la logique de ne pas en parler, pensant surtout que ça n’intéresserait personne. Ce ne me semblait pas important, en comparaison avec la sortie d’un album. Et puis, je n’ai pas l’habitude de communiquer quand j’ai un rhume ou la grippe…
– Qu’est ce que ça a changé dans ton quotidien, ta façon de penser ?
Franchement, pas grand chose. Ça n’a fait que me conforter dans l’idée qu’on est peu de choses finalement, ce qui était déjà ma façon de voir la vie, bien avant la crise sanitaire. Nous ne sommes que des humains, et même des tout-puissants peuvent se sentir tout petits face à cette maladie. Pour ma part, j’estime être privilégié ; je n’aimerais pas être restaurateur par exemple, même si le monde du spectacle est aussi défoncé, très affecté… Malgré tout, l’air de rien, on a beaucoup de chance, pour certains d’entre nous : je n’aimerais pas être dans un autre pays que le nôtre, où n’existe aucune aide. Il faut être conscient de ces réalités-là. On peut être très critique, comme je le suis, à l’égard de notre gouvernement et de notre pays, mais il faut reconnaitre qu’on a été aidés par rapport à d’autres pays.

– Le visuel de l’album tranche avec les deux précédents, plus sages et statiques : as-tu le sentiment qu’il donne une image plus juste, plus dynamique de toi ?
Non, pas spécialement, je pense que les gens ont généralement une image assez réaliste des artistes, à part deux ou trois exceptions, dont tout le métier sait qui ils sont vraiment, à l’opposé de leur image. Pour ma part, je pense qu’ils me cernent de façon assez juste. Après, c’est vrai que j’ai de base une certaine timidité, qui s’évapore avec les années, petit à petit…
– Le succès aide-t-il à prendre confiance en soi ?
Franchement, c’est assez paradoxal, car j’ai toujours eu confiance en moi et j’ai toujours été déterminé, lucide sur ce que je savais bien faire, ou moins bien faire. J’ai toujours été conscient de mes forces et de mes faiblesses, mais toujours aussi eu une forme de retenue, que je conserve, mais qui s’estompe avec les années, parce que je me sens plus légitime, plus à ma place…
– On te sent davantage ouvert aux autres aussi…
En privé, je n’ai jamais eu de souci sur ce plan, mais c’est vrai qu’en public, je me suis toujours senti comme le petit nouveau dans une classe. Je m’améliore…
– Que t’inspire justement le jeune Vianney période « Idées blanches » ? Que lui conseillerais-tu ?
De continuer à ne pas s’inquiéter, parce qu’en fait, je n’ai jamais paniqué. Je me suis parfois senti en décalage, mais je me suis toujours dit : fais ce que tu aimes, et garde cette détermination à proposer un truc qui te ressemble. C’était ma seule ambition et elle n’a pas changé. On n’est jamais meilleur que quand on est soi-même ! Je suis le seul à pouvoir faire mon style de chansons, quand bien même il ne répond pas à la musique que tout le monde écoute en ce moment. C’est ce que je suis, et je m’y accroche !
– Tu fais référence aux musiques urbaines omniprésentes dans le paysage musical actuel ?
C’est vrai que bizarrement, les vrais rebelles sont ceux qui n’entrent pas dans ce créneau. Je ne vais pas me plaindre, je suis écouté et populaire, mais nous ne sommes pas beaucoup dans mon cas. Je n’y pense pas, en fait. Tout cela renvoie à la notion de succès. Avoir du succès, consiste pour moi à avoir un public. Point barre. C’est tout ce qui compte pour moi, qu’il s’agisse de chanter devant cent personnes, de mille ou d’un million. J’ai été heureux, dès le moment ou j’ai commencé à faire des concerts. Même devant peu de gens, je trouvais cela extraordinaire. Je considère qu’on a de la chance, mon équipe et moi.

– On t’a vu aussi te transformer physiquement et acquérir un physique d’athlète : le métier de chanteur exige-t-il d’avoir une forme olympique et une discipline de sportif ?
Un physique d’athlète, ah bon ? (rires). C’est vrai qu’il faut être en forme, et honnêtement j’ai mis du temps à le comprendre. Quand le premier album a commencé à marcher, j’étais toujours chez mes parents. Ensuite, je me suis mis en coloc’, et je me suis mis à bouffer n’importe quoi, à ne pas dormir… Je faisais la FIFA tout le temps, et c’est vrai que j’étais dans une nouvelle vie de « coloc’ célibataire ». On faisait n’importe quoi. J’ai vite compris qu’il fallait que je discipline les choses, parce qu’en tournée, j’allais être deux heures sur scène, tout seul, quatre fois par semaine. Il fallait que je commence à faire la sieste et à faire du sport, même si c’était aussi un plaisir pour moi. C’est important d’être en forme physique et de se discipliner dans nos métiers. On n’est plus au temps où les Rockstars prenaient beaucoup de drogues pour tenir le coup… C’était une autre époque ; il y avait plus d’argent qui circulait aussi.
– Le premier single « N’attendons pas », a une histoire particulière…
Oui, elle a été écrite pour Johnny, dont j’ai fait une première partie. C’était un super souvenir. Je n’étais pas trop connu encore : j’étais seul avec ma gratte, et me suis retrouvé seul face aux fans de Johnny, qui ont été super cools. Pour toutes les autres premières parties que j’ai faites, j’ai toujours eu de super échanges avec les artistes : Julien Clerc, Florent Pagny, Dick Annegarn… Avec Johnny, les choses ont été différentes : ce n’étais pas spécialement chaleureux. Je découvrais un monde à part. Beaucoup de gens gravitaient autour de lui. Il y avait beaucoup d’histoires d’argent. C’était une toute autre ambiance. Je l’ai vu être déposé en Mercedès, arriver sur scène au dernier moment, monter sur scène, m’impressionner… Il m’a plié. Son regard m’a transpercé. Il était hallucinant, d’un charisme monstrueux. Une fois qu’il a eu versé ses trois litres de sueur et tout donné, il est remonté dans sa voiture et il est parti.
– Pourquoi n’a-t-il pas enregistré cette chanson finalement ?
Je ne sais pas. Elle était écrite pour son dernier album, quelques mois avant qu’il ne parte malheureusement…

– Tu as enchainé avec « Beau-papa » dédié à la fille de ton épouse Catherine : As-tu hésité avant de livrer une histoire si personnelle ?
Non, j’écris très naturellement sur tous les sujets. Pour le coup, on ne pourra jamais me reprocher d’être trop pudique en chansons. Je me suis toujours senti beaucoup plus libre de parler de ma vie privée. Je ne fais même que cela. Mais la poésie me permet de bien mesurer ce que j’ai à dire, et de trouver le bon angle. Je parle de ce qui compte pour moi, de ce qui me bouleverse, et je me suis senti obligé de parler du sentiment d’aimer un enfant qui n’est pas le sien, et de l’aimer à ce point-là, à s’en occuper l’esprit au quotidien. C’était important et normal pour moi d’en parler.
– Comment Catherine et sa fille l’ont elle reçue ?
J’ose espérer qu’elles savaient déjà tout cela, que la chanson n’était qu’une illustration de plus.
– As-tu reçu des témoignages de gens qui se sont reconnus dans cette situation ?
Plein, des dizaines de milliers… On est très nombreux à être dans des situations de familles recomposées. Il y a plein de formes différentes de familles aujourd’hui. Mon propos est de dire que ce n’est pas forcément le schéma idéal, à savoir un papa et une maman qui aiment leur enfant, et qui s’aiment eux-mêmes. Çà, c’est incontestablement la forme idéale. Il suffit de poser la question à un enfant orphelin. Chacun a besoin de savoir d’ou il vient, qui est son père, sa mère… En revanche, je pense qu’à force d’amour, on peut constituer une formidable famille, même si à la base elle ne correspond pas à ce schéma idéal. C’est ce que dit ma chanson : on peut être très heureux, mais cela demande encore plus d’amour… Et puis, tant qu’on y est, il y aurait une autre chanson à écrire sur les mères célibataires : honnêtement, je ne sais pas comment elles font ! Ca demande une telle force de gérer seule un boulot, un enfant, la vie en général… Stromae avait frappé fort avec sa chanson « Papaoutai ».
– Quel type de beau-papa es-tu ?
Je n’en sais rien… J’essaie de transmettre ce que je sais de la vie ; il faudrait lui demander comment elle me perçoit, mais c’est un peu notre histoire à nous.

– Le nouvel extrait « Merci pour ça » est dédié à un SDF… Quelle est histoire de cette chanson ?
Elle est dédiée à Karim et à tous mes autres amis de la rue, qui m’apportent beaucoup. Karim est devenu un ami et j’ai du mal à le voir comme un SDF : il fait partie de ma famille.
– Est-il sorti de la précarité ?
C’est toujours compliqué pour lui. Comme pour tous les gens qui ont connu la rue, ce sera toujours le cas hélas, à part quelques rares exceptions. En revanche, il fait partie de ma vie. On a perdu beaucoup de copains de la rue, certains sont décédés, d’autres ont disparu, mais quoiqu’il arrive ce sont des gens qui m’ont beaucoup apporté et qui m’apportent encore beaucoup au quotidien. Je n’en ai jamais parlé, parce que j’avais beaucoup de pudeur et de timidité sur le sujet, mais même dans ma vie de chanteur, quand j’étais dans la bourrasque des débuts, que je commençais à être sur une autre planète et à autre niveau de notoriété, les gens n’imaginaient pas que quand je rentrais le soir et que je passais du temps avec les gens de la rue, cela me ramenait à la vraie vie. Ça m’a beaucoup canalisé et équilibré. Je leur dois énormément.
– Ton emploi du temps te le permet toujours ?
Pas en période de sortie d’album comme actuellement, mais sinon j’essaie de toujours trouver du temps pour eux.
– Y compris celui de chanter dans une église du 9ème arrondissement ?
C’est vrai que j’ai chanté pour eux, mais surtout je fais partie d’associations qui font un boulot de malade pour leur venir en aide. Il se trouve qu’on en parle parce que je suis connu, mais tous mes copains sont des anonymes : ils sont des milliers à faire des choses pour Karim et les autres. On ne soupçonne pas la générosité et la solidarité qui existe dans ce pays : c’est dingue ! C’était important pour moi de commencer l’album avec cette chanson : on nous explique partout qu’il y a les premiers de cordée et les autres, les petites gens qu’on ne regarde pas, et qui pourtant ont mille fois plus de choses à nous apporter. Le sentiment d’avoir tout vu chez les premiers assèche le coeur. Karim, Michel, Marcel et tous les autres m’ont enrichi le coeur, comme on n’imagine pas… Dès lors qu’on prend du temps pour écouter ces gens, on réalise qu’ils ont eu un vécu, une histoire, avant de basculer et de devenir SDF. Rien n’est plus émouvant que de parler de l’enfance avec un mec de la rue… Je leur devais une place sur l’album, aussi importante que celle qu’ils occupent dans ma vie.
– Tu explores de nouvelles capacités vocales sur ce titre, et d’autres, en chantant en voix de tête…
Je le faisais beaucoup en concert, j’adorais ça, mais effectivement sur album, je me contentais de le faire sur les choeurs, mais jamais en frontal.

– « Pour de vrai » renvoie-t-elle à un évènement personnel récent ?
(rires). Je dis tout dans « Pour de vrai » ! Le plus important est contenu dans cette chanson : il n’est pas utile de préciser le contexte…
– Tu chantes « Mode » : faut-il y voir un clin d’oeil à tes études à l’ESMOD ?
Franchement non, parce qu’à l’ESMOD, ils respectaient totalement les raisons pour lesquelles j’avais intégré cette école : j’y étais davantage par amour de l’artisanat que par réel intérêt pour la mode. Je n’y connais rien à la mode d’ailleurs. Seule la couture me plaisait.
– Qu’aurais-tu fait à la sortie de cette école, si la musique ne t’avait pas rattrapé ?
je voulais ouvrir ma propre boutique et fabriquer des robes. J’aurais vendu des robes, comme dans la chanson de Nino Ferrer… (rires).
– Es-tu soucieux de ton image ? Redoutes-tu parfois d’être un chanteur à la mode ?
Pas du tout, et je peux même te dire qu’au fond de moi, j’ai la conviction que tout s’arrêtera une jour. Je suis très honnête là-dessus. On fait un métier dont on dit qu’il y a des hauts et des bas. De mon point de vue, c’est très subjectif. Il y a simplement des périodes d’une énergie différente. Il faut savoir ce qui compte pour soi-même : je vois autour de moi des artistes qui sortent des albums sublimes, mais qui n’ont pas spécialement de reconnaissance. Je les aime profondément et préférerais être à leur place, qu’à celle d’autres, très populaires, qui sortent des daubes… J’ambitionne, avant tout, de ne pas tourner en rond et de progresser, pas de vendre autant d’albums que le précédent. J’ai bien conscience qu’on a vécu un truc fou ! Je me réjouis déjà de cela, en sachant au fond de moi, que je ne serai pas aussi populaire toute ma vie. Ça ne me pose aucun problème…
– L’album compte un instrumental « Funambule » : pourquoi ce choix ? As-tu essayé de le paroler ?
Non, c’était volontairement un instrumental. C’est toujours sympa d’en avoir un, sur un album de musicien. Et puis j’avais trouvé cet accordage que je trouvais chouette… J’ai fait écouter l’album à un copain, au stade des maquettes, et il a pensé qu’il y avait un bug au moment d’écouter le titre : j’espère que les gens ne vont pas avoir la même réaction et comprendre qu’il s’agit d’une respiration (rires). Après, c’est sûr qu’il faut aimer la gratte et que ça groove un peu !
– Sur « J’ai essayé », tu renoues avec une veine Folk qui renvoie à Maxime Le Forestier, Dick Annegarn… On a du mal t’imaginer dans une situation d’échec comme dans la chanson !
Pour tout te dire, je l’ai aussi écrite pour Johnny à la base. Quand j’essaie d’écrire pour un artiste que je ne connais pas, comme je l’ai fait pour Céline Dion, j’essaie de trouver un sujet qui me touche. Or, je trouvais beau chez Johnny qu’il ait connu des périodes de loose absolue et d’échec dont il s’est toujours relevé : on les a oubliées et elles ne l’ont rendu que meilleur et plus beau. J’ai connu aussi des gros échecs professionnels, même si on ne le sait pas, des arrangements que j’ai ratés, ou des chansons en lesquelles je croyais et qui n’ont pas marché…. Ça arrive à tout le monde, mais c’est beau au final. L’échec nous rend plus vivants et meilleurs. J’adore les sportifs pour cela : j’ai plus d’amis dans le monde du sport que dans celui de la musique. Il y a dans le sport un rapport à la défaite qui force l’humilité. Il n’y a jamais qu’un vainqueur à la fin. Tous les autres se tapent des taules : l’échec, c’est leur école de la réussite ! C’est aussi ce qui me rend meilleur dans ma vie d’humain et de musicien.
– Quelle était ton intention sur « Les imbéciles », sur laquelle tu t’engages plus que d’ordinaire … Dans quelle situation as-tu l’impression d’être un imbécile heureux ?
Cette chanson s’adresse à tous ceux, et ils sont nombreux, qui ne se retrouvent pas dans la société qu’on leur propose. Je suis super bien dans mes pompes, et très heureux dans ma vie, mais il y a beaucoup de valeurs dans lesquelles je ne me retrouve pas. Je suis davantage sur le court terme et la création, que dans l’ambition financière et le business… Je n’ai pas la même notion de réussite, que beaucoup de gens qui m’entourent. J’ai voulu préciser les choses dans la chanson. J’ai l’impression que d’ambitionner la notoriété, la réussite matérielle, appartient à l’ancien monde. Sur le plan politique, le clivage droite-gauche aussi est dépassé : dans mon éducation, ce qui comptait, ce n’était ni la religion, ni le parti politique, mais les valeurs que l’on défend. Or, je vois bien que ma génération revient à ce schéma droite-gauche. Pour beaucoup, la réussite passe par l’accomplissement financier, le matériel, la notoriété, la télé réalité… Mais au fond, je crois qu’il y a toujours eu de jeunes cons qui évoluent dans un mode de la frime et ne pensent qu’à faire du blé. Ce n’était pas forcément mieux avant…

– Te sens-tu en décalage par rapport à ta génération ?
Je ne sais pas si les gens comme moi sont anachroniques, ou si au contraire, nous sommes en avance… Je le pense sincèrement parce que nous voyons les choses à long terme, à tous les égards. Pour moi, c’est le seul avenir possible, car nous sommes dans une société du déchet, en laquelle je ne crois pas. Je considère au contraire qu’avec moins de moyens, on peut vivre mieux. Il faut juste avoir moins d’ambition, accepter de réfréner ses envies sur beaucoup de choses. J’observe beaucoup ces différences de comportements dans mon milieu. Il faut être attentif à l’intention des gens. Je me reconnais beaucoup plus dans celle d’un Ben Mazué, que dans celle d’autres artistes que je respecte, que je ne citerais pas, mais qui sont dans une logique très « business ». Je préfère écrire des chansons que de monter des boites…
– Malgré tout, tes derniers succès ont indéniablement changé ta situation financière : quel est ton rapport à l’argent ?
Je suis très à l’aise avec le fait de gagner de l’agent. Je n’y pense simplement pas. Je reconnais ma chance. Mon luxe est de ne pas devoir me poser de questions. Je ne sais pas du tout combien je gagne, mais je sais que je ne manquerai jamais. C’est une grande liberté, mais c’est une donnée secondaire pour moi. Bien sûr, ma vie a changé : je peux me permettre sans problème d’habiter sur Paris, mais je n’ai pas de belle voiture, de belle montre, etc. Ce n’est pas mon truc… Ce qui compte pour moi, c’est juste de vivre convenablement.
– À qui s’adresse « Tout nu dans la neige » ?
A mon grand-père maternel qui a beaucoup compté pour moi, et dont l’absence parfois me questionne, me pèse, m’attriste. Il était beaucoup dans la transmission. Il voulait nous montrer de belles choses, nous aider à grandir… Il m’a appris à distinguer ma droite de ma gauche, par exemple. C’est tout bête, mais ce moment me revient… Il m’a aussi transmis l’amour du travail : il était fils de meunier, puis a monté un bureau de tabac. Ensuite, il est devenu papetier. C’était un petit commerçant, qui avait le goût de l’effort. Il avait beaucoup d’humanité, aimait venir en aide aux petits, en toute discrétion. Il était aussi d’une grande politesse, saluait tout le monde, tout le temps… C’est un modèle pour moi. D’ailleurs, mon ami Karim me parlait dernièrement de son grand-père, qui était le chibani, le grand sage… Jaime beaucoup l’idée que les anciens ont beaucoup de choses à nous apporter. Certaines civilisations sont plus proches que nous de leurs anciens, comme au Maghreb. Il faut les regarder avec tendresse et admiration, tout comme je regardais mon grand-père. Il avait beaucoup de choses à me dire et j’ai appris l’essentiel à ses côtés.
– Vianney c’est aussi un auteur-compositeur pour les autres : après Céline Dion, Kendji Girac, ou Patrick Bruel, as tu des projets ?
Pas en ce moment, non. Tout est sorti…
– As-tu refusé des collaborations ?
Oui, bien sûr, si je ne suis pas inspiré…
– Pour qui rêverais-tu d’écrire ?
Franchement, je ne saurais pas dire. Tout dépend du moment et de la rencontre…
– As tu été déçu des résultats de l’album d’Erza Muqoli ?
Non, je suis fou de cette petite et de sa voix. Elle sera toujours ma petite Erza. Je l’aime profondément. Je suis déçu que sa tournée ait été annulée en raison du covid19. Je ne saurais pas du tout expliquer pourquoi l’album n’a pas marché, tout comme je ne m’attendais pas du tout au succès de chansons que j’ai écrites pour d’autres, comme Les Frangines. Je n’y avais pas réfléchi et je n’imaginais pas que ça marcherait aussi bien pour elles. Je les voyais comme des copines avant tout. Quand on s’est connus, elles avaient deux-trois chansons, et n’étaient même pas signées. On a fait des chansons ensemble par pure amitié. De toute façon, j’ai pour habitude de ne rien trop attendre de mes collaborations …
– L’amitié, ça compte pour toi dans ce métier ?
Ce n’est que ça…

– On t’a vu dernièrement sur Instagram en loges avec Pagny, Obispo et Bruel : as-tu réalisé le rêve de devenir pote avec des artistes dont tu étais fan adolescent ?
Oui, avec Patrick ou Pascal, par exemple. Après, c’est dur pour moi de me considérer comme « ami » avec des gens que j’ai admirés quand j’étais petit, qui m’ont inspiré… Dans le sport aussi, hormis Vincent Clerc ou Fabrice Santoro, qui est vraiment mon ami de coeur, comme je le lui ai dit mille fois déjà. Ces gens-là ont tellement compté pour moi, que ce sera toujours compliqué d’oublier le regard que j’ai porté pour eux. Ça n’empêche pas qu’au final, ce sont des êtres humains, et j’ai donc des relations très simples et très saines avec eux. Ce qui m’importe aujourd’hui c’est l’être humain, l’ami, dans la vraie vie. Aujourd’hui, je suis peut être moins attentif à Patrick quand il est sur scène, que quand on est ensemble pour déjeuner. La vie est comme ça, plein de surprises et d’ironie… je ne connaissais personne dans ce milieu de la musique, je n’avais jamais vu que deux ou trois concerts quand j’étais petit, et aujourd’hui ce monde qui était si loin, fait partie de ma vie. C’est drôle et beau à la fois.
– Tu es beaucoup sollicité en duo, de Véronique Sanson à BigFlo et Oli : le duo de rêve que tu n’as pas encore fait, ce serait avec ?
Ce sera toujours de chanter avec Damien Rice ou Bon Hiver, mais c’est du domaine du rêve…
– On espère te retrouver bientôt sur scène dans des salles que tu as choisies pour leur taille humaine : étais-tu déçu de l’expérience à l’AccorHotels Arena ?
J’ai adoré chanter à l’AccorHotels Arena, et on y reviendra. Mais pour des retrouvailles, après plus de deux ans sans concerts, c’était plus chouette de commencer par des petites salles ! Franchement, c’est pour la symbolique, parce que je peux te dire que dans l’équipe technique, ça ennuie tout le monde de devoir construire deux spectacles différents (rires). Mais tout le monde a été compréhensif sur ce coup, parce que ça me faisait du bien, et très plaisir avant tout.
– Quels enseignements as-tu tiré de ta première expérience au cinéma dans « Ma mère est folle » aux côtés de Fanny Ardant ?
J’ai adoré Fanny Ardant ; c’était un luxe de commencer avec elle… J’ai eu énormément de chance, je n’ai réfléchi qu’à cela, et j’ai adoré jouer la comédie, même si je ne prends pas de cours.
– Vincent Delerm n’était-il pas jaloux ?
Ah ah, je lui en ai parlé en tout cas, évidemment (rires) !
– As-tu reçu d’autres propositions au cinéma ?
Oui, beaucoup, mais qui ne m’inspiraient pas trop, ou ne tombaient pas au bon moment. Mon album m’a pris beaucoup de temps. Ce n’est pas évident de gérer les deux en même temps, comme peut le faire Benjamin Biolay. Il y a un temps pour tout…
– Tu as signé « On trace », l’hymne des Enfoirés : envisages-tu de participer à toutes les prochaines éditions ?
Franchement, je leur serai fidèle et j’irai là où ils le souhaitent. J’ai besoin de temps pour m’acclimater, mais cette chanson a été un premier pas ensemble, pour défendre une cause qui leur est chère. À eux, comme à moi. J’en étais très fier, et je serai là…
– T’arrive-t-il encore de partir à vélo, pour des voyages spirituels et initiatiques ?
Non hélas, j’aimerais beaucoup mais je n’en ai plus le temps…
– Te déplaces-tu à vélo dans Paris ?
Non, je suis en scooter et c’est très bien.

– Envisages-tu de retourner à Jérusalem en auto-stop avec 100 euros en poche, voyage que tu n’as pu mener jusqu’au bout ?
J’y suis retourné depuis, mais pas en stop. Pour tout te dire, c’était un de mes premiers voyages roots, à dormir dehors, etc. J’ai juste découvert à cette occasion que je n’étais pas un forceur… Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Il me manquait de l’argent pour passer la frontière à Chypre, et j’ai du m’arrêter là. Mais le voyage était trop beau : j’ai traversé les Balkans, la Turquie… C’était génial, mais je n’ai pas de revanche à prendre sur ce coup-là.
– Tu as accepté d’être juré de The Voice avec Amel Bent, Florent Pagny, Marc Lavoine : pour quelles raisons ?
J’ai mis du temps avant de dire oui. Les précédentes années, j’ai toujours refusé. Ce n’était pas le bon moment. Je n’avais pas l’expérience suffisante pour coacher. Il faut pour cela avoir beaucoup bossé avec des gens en studio, ce que j’ai fait ces deux dernières années. Ma participation me paraissait plus plausible. Et puis, toute l’équipe de The Voice est adorable… Je l’avais constaté chaque fois que j’allais y chanter, mais je leur expliquais que pour l’instant, je ne me sentais pas légitime comme coach… Ils ont toujours compris cette position. À présent, l’idée m’éclate de faire devant la caméra, ce que je fais pour les autres en studio. Ca va être super sympa ! En plus, face à de jeunes talents, on retrouve une certaine candeur que tu croises rarement quand tu as les deux pieds dans le métier. Forcément, on est tous un peu pervertis par ce métier, même si j’essaie toujours de garder mon âme d’enfant et mes yeux d’explorateur, quand j’écris une chanson… C’est un travail de conserver cette forme d’innocence. Je vais être confronté à des jeunes qui l’ont toujours en eux, et je le vis comme une chance ! Je sais qu’ils vont beaucoup m’apporter…
– As-tu été tenté par l’expérience du radio-crochet comme candidat ?
Quand je commençais à écrire mes chansons, tous mes copains m’y encourageaient, mais ça n’a jamais été mon truc. Je n’ai pas de jugement car je sais que de super artistes viennent de là, comme Julien Doré, Kendji, les Fréro Delavega… Mais honnêtement, je ne me serais pas battu dans la peau d’un candidat. Je me sens davantage à ma place comme coach…
– Tes parents t’ont toujours encouragé dans cette voie. Comment vivent-ils ton succès phénoménal aujourd’hui ?
Super bien, tant que je reste fidèle à ce qu’ils m’ont enseigné, et à là d’où je viens. Ils sont heureux de voir que je fais ce que j’aime… Il faut dire que sans avoir cherché à être artistes eux-mêmes, ils ont toujours eu un vrai sens artistique qu’ils m’ont transmis : il n’y a pas de secret…
Propos recueillis par Eric Chemouny
Crédit Photos : Julien Mignot (DR/ label Tôt ou Tard), Jérôme Witz (DR / label Tôt ou tard)

Magnifique même si je connaissais les valeurs de Vianney 🫶✨c’est pour ça qu’on l’aime certes ces chansons mais son côté humain humble sa gentillesse ♥️