LA GALERIE JSM
de CAROLE BELLAÏCHE
Photographe chérie du cinéma français, Carole Bellaïche a immortalisé tout ce que le Septième Art compte de stars, d’Isabelle Huppert (à laquelle elle vient de consacrer un superbe livre, Ed. La Martinière) à Fanny Ardant, Juliette Binoche, Emmanuelle Béart ou Catherine Deneuve… Son regard empreint de délicatesse, de tendresse et d’une bienveillance infinie envers ses célèbres modèles, est désormais une marque de fabrique d’une élégance intemporelle. Pour autant, c’est par amour de la musique et de la chanson française que la photographe, disciple de Dominique Issermann, est venue à l’art du portrait et a commencé son oeuvre impressionnante. Nous avons voulu la rencontrer pour lui déclarer humblement toute notre admiration, en lui dédiant notre galerie JSM…

– Comment est née ta vocation de photographe ?
J’ai commencé très jeune, à l’âge de 13 ans. J’en avais 14 quand j’ai rencontré Dominique Issermann, qui photographiait le couple Lewis Furey – Carole Laure, dont j’étais fan. Je m’étais dit que la meilleure façon de rencontrer ces deux artistes que j’adorais, était d’appeler leur photographe, dont j’admirais le travail, ce que j’ai fait. Quand elle a vu mes premières photos, Dominique m’a dit : il faut que tu sois photographe ! ». Elle m’a convaincue et ses encouragements ont été déterminants pour la suite ; il aurait été vraiment dommage que je ne suive pas son intuition. J’étais pourtant totalement autodidacte : je n’étais alors que lycéenne et je me contentais de photographier de jolies filles, qui n’étaient autres que mes copines de classe.
– Pourtant, aujourd’hui ta réputation de photographe est plutôt rattachée au monde du cinéma et des acteurs/actrices…
Oui, c’est amusant effectivement, parce que le déclencheur a été Lewis Furey, un musicien. Pendant deux ou trois ans, Dominique Issermann a suivi mon travail, et un jour, elle m’a demandé si je me sentais capable de photographier des acteurs pour leur book. J’ai été propulsée comme çà dans le monde du travail, avant même que je ne passe mon bac. Assez rapidement, s’est déclenché un effet boule de neige dans ce milieu des acteurs et actrices… Je me suis retrouvée à photographier énormément de jeunes talents, comme Emmanuelle Béart, alors âgée de 18 ans, Géraldine Pailhas, ou Juliette Binoche, qui n’avait que 21 ans et venait de tourner « Rendez-vous » avec Téchiné. Juliette était très jeune, mais déjà très palpitante, je dois l’avouer… J’ai fait pas mal de photos d’elle par la suite. J’ai énormément travaillé à cette époque, sans être forcément publiée d’ailleurs. Quand j’ai eu 20 ans, j’ai lancé une grande série de photos pour faire ma propre expo, et à cette occasion, j’ai demandé à des actrices, acteurs, réalisateurs et à quelques chanteurs aussi, comme Lio ou Julien Clerc, de poser pour moi, dans des musées. Je voulais réaliser leur portrait dans des décors magnifiques, parce que j’adorais ces lieux. Pendant un moment, j’ai bénéficié en quelque sorte d’un laisser-passer dans les musées pour faire ces photos. On me laissait venir le mardi alors que le musée était fermé, j’avais des salles pour moi toute seule… Cette expo qui se tenait dans une très belle galerie du Marais, a beaucoup fait parler de moi à cette époque. J’ai véritablement été lancée par cette série de portraits de personnalités dans les musées…
– Tu es la photographe fétiche de nombreuses actrices : comment expliquer ce rapport privilégié ? Qu’ont-elles de différent comme modèles ?
Les actrices ont un réel engagement vis à vis de l’image, de la photographie. Elles s’impliquent dans le jeu avec le photographe également. Pour celles qui aiment faire des photos, bien entendu. Faire des photos avec des actrices est une véritable recherche à deux, un jeu à deux. Photographier des gens très impliqués rend le travail très agréable. Ce n’est pas toujours le cas quand les modèles n’ont pas ce rapport à l’image. Ça peut même être une corvée pour eux. Au fil des séances avec des actrices, j’ai fini par avoir une vraie complicité, pour celles que je connais bien en tout cas…
– Des amitiés sont-elles nées avec certaines actrices au fil des années et des séances photos ?
Oui, des amitiés photographiques surtout. Je me suis fait beaucoup d’amis au début. J’avais 20 ans et tout était nouveau pour moi. Et puis, petit à petit, je me suis protégée de ce milieu : j’ai bâti des « amitiés de travail », je dirais.
– En général, les séances sont-elles très préparées ou plutôt improvisées ?
J’ai tellement d’années de travail derrière moi, que j’ai exploré toutes les possibilités, mais par nature, je suis assez instinctive. J’improvise pas mal en fonction de l’instant. Je donne des indications aux modèles sur les endroits où se placer, etc, mais j’ai toujours besoin au minimum d’un décor qui raconte un peu une histoire… Sinon, je ne me sens pas très à l’aise.
– Tu photographies souvent, avec beaucoup de douceur et de bienveillance, des actrices de plus de 40 ans… C’est une forme de militantisme ?
Non, pas spécialement, j’ai aussi photographié des filles de 20 ans. Certaines se sont attachées à moi entre temps, et j’ai continué à les photographier à 40 ans, mais je n’ai pas de préférence. Mon regard n’est pas différent sur les femmes jeunes ou plus âgées. C’est vrai que j’ai une relation assez facile avec les femmes plus matures, mais j’adore aussi photographier des jeunes filles.
– La plupart des actrices et acteurs du cinéma français ont posé pour toi : qui manque à ton palmarès ?
Je n’ai jamais photographié Gérard Depardieu. Ca va au-delà du fantasme de photographe… C’est d’autant plus dommage que j’ai photographié ses deux enfants. Précédemment, j’avais déjà fantasmé également sur Michel Piccoli, mais j’ai heureusement réussi à le photographier, avant qu’il ne nous quitte. C’était très important pour moi.
– En parallèle, tu as beaucoup oeuvré dans le milieu de la musique, réalisé des pochettes de disques, de Jane Birkin à Sylvie Vartan…
Oui, j’ai réalisé une séance coup de foudre assez étonnante avec Jane, où on la voit courir dans la rue en imperméable. Elle n’était pas spécialement faite pour la pochette de son album « Fictions », mais la photo était tellement réussie qu’elle s’est imposée pour la maison de disques, si bien que nous l’avons complétée par d’autres photos dans Paris… On s’est rencontrées à ce moment-là, et un rapport de confiance s’est installé entre nous depuis. J’en étais d’autant plus flattée, qu’elle avait une fille photographe. Avec Kate Barry, nous étions dans la même agence de presse, mais je l’ai très peu connue. Nous n’avons fait que nous croiser. Dans le milieu de la musique, la différence avec les acteurs ou les actrices, c’est que quand on fait une séance photo, il y a toujours six personnes autour, tandis que les actrices arrivent toutes seules… Les chanteuses et les chanteurs sont très protégés : il y a toujours une sorte de contrôle de la maison de disques, qui laisse moins de liberté au photographe… Avec Jane, ça s’est passé autrement, fort heureusement : j’ai pu faire des photos d’elle dans un café, et divers endroits… Comme généralement avec les actrices, on a fait des photos sans réel but précis.
– Certains chanteurs t’ont-ils laissé un souvenir plus particulier ?
Oui, notamment Jacques Dutronc. J’étais très jeune, j’avais 23 ans… Il a déboulé chez moi avec sa bande de potes. Je travaillais alors pour le magazine Sept à Paris. Je gagnais bien ma vie par ailleurs, si bien que je travaillais gratuitement pour eux. C’étais assez incroyable… Dutronc était une idole pour moi : je l’adorais ! J’ai aussi rencontré Léo Ferré quand j’avais 26 ans : c’était irréel. J’avais le coeur battant ; j’étais tellement impressionnée… Mon père nous avait bercé avec les chansons de Ferré pendant toute notre enfance. C’était incroyable pour moi qui avait passé tant de soirées avec des copains, tous dingues de Ferré, à écouter ses disques, et à débattre ensuite sur notre chanson préférée. Je suis arrivée dans sa loge à Déjazet. Il était là, très gentil… J’ai notamment fait une très belle photo en noir et blanc, que j’adore. On le voit fumer une cigarette en me regardant dans le miroir. Ensuite, on a fait des photos sur scène, en couleurs et en noir et blanc. On a passé un bon moment ensemble. Il a été adorable et très disponible. Du coup, pendant une semaine, je suis allée le voir tous les soirs en concert au Déjazet. J’étais partout, sur scène, dans la loge… J’étais frappée qu’il y ait des gens de tous âges dans son public, de très jeunes gens comme de plus âgés. Mais notre rencontre s’est arrêtée là : il m’a invitée en Toscane, mais je n’y suis pas allée. J’ai appris sa mort, trois ans après, il me semble…
– Acteurs ou chanteurs, l’approche est-elle différente avec des modèles masculins ?
Dès mes débuts, j’ai toujours photographié des garçons et des filles, à parts égales. Mes premiers modèles, étaient même plutôt des acteurs, donc je ne fais pas de différence, même si mes photos d’actrices sont peut-être plus connues… J’ai aussi photographié beaucoup de cinéastes, car j’ai travaillé aux Cahiers du Cinéma pendant une quinzaine d’années. C’était très différent des relations avec les acteurs… J’ai eu des relations assez complices avec eux, qui sont toujours derrière la caméra. D’ailleurs, les chanteurs aussi ne sont pas dans la même logique que les acteurs. Une séance est toujours liée à la sortie ou à la promo d’un disque. Du coup, ils font beaucoup moins de photos que les acteurs qui ont souvent une activité plus soutenue, plusieurs films qui sortent dans une année…
– Quelles sont tes sources d’inspiration parmi les grands photographes mythiques ?
De loin, celui que je préfère est Brassaï, dont j’adore l’univers dans le Paris noir, celui des années 30. J’adore aussi les portraits de Koudelka, Kertész, Sarah Moon, Giacomelli, Avedon… Et bien sûr Issermann, dont j’ai suivi l’évolution au fil des années. Il y en a tellement, j’en oublie certainement …
– As-tu été tentée par la réalisation de clips ou de long-métrages comme beaucoup de photographes ?
Complètement. Pour l’instant, je n’ai réalisé qu’un court-métrage avec Fanny Ardant, pour laquelle j’écris actuellement un long-métrage. Mais l’écriture n’est pas mon métier, donc ça me demande plus de temps.

– Tu viens de publier un livre sur Isabelle Huppert aux Editions La Martinière : as-tu d’autres projets de cette nature ?
En effet, c’est un livre sur mes 25 ans de photo avec Isabelle Huppert. J’ai un autre projet de livre sur l’appartement de mon enfance où j’ai vécu, à la Bastille, « 25, boulevard Beaumarchais », lequel est devenu mon studio. J’y ai photographié un nombre impressionnant de gens : d’abord mes copines que j’ai commencé à faire poser en 1978, et dont j’ai déjà fait un petit livre il y a deux ans. Ensuite, énormément de personnalités, notamment des actrices que j’ai connues très jeunes comme Juliette Binoche ou Emmanuelle Béart… Mais ce sera davantage un projet sur mon travail personnel, puisqu’on y trouvera aussi des photos de mes parents, et de l’appartement lui-même…
– En dehors des portraits d’artistes, quels sont tes centres d’intérêt en photographie ?
Les portraits, c’est ce qui m’a fait vivre jusqu’ici, donc ensuite, c’est difficile d’élargir son domaine, ou même d’entrer dans le milieu de la photo pure et dure. Je navigue un peu entre tout ça. Je n’ai pas fait beaucoup de photos de voyages, par exemple, car j’ai eu deux enfants, et j’ai beaucoup travaillé, ce qui m’a laissé peu de temps finalement pour voyager… Il y a deux ans, j’ai fait une série de photos au Balajo, où j’allais beaucoup quand j’avais 20 ans, qui a donné lieu à un petit livre, “Les danseurs du Balajo”… À l’origine, j’y étais allée pour faire des repérages en vue d’une séance avec Emma De Caunes, car j’ai une rubrique dans le magazine de déco Côté Paris, pour lequel j’emmène des personnalités dans des lieux parisiens. Ça me permet d’investir des endroits assez beaux, comme des musées, des théâtres, des églises, etc. On a fait un très beau sujet avec Emma. En repérages, je me suis retrouvée en plein bal du lundi après-midi. On y passe des musiques incroyables, sur lesquelles dansent des gens sortis d’une autre époque. C’est comme ça que je me suis retrouvée à y passer la plupart de mes lundis après-midis, pour faire des photos. Au final, je me suis faite adopter par ces personnes âgées. J’étais devenue copine avec elles, je leur donnais des tirages… C’était merveilleux, il y avait tout ce que j’aimais dans cet endroit, des personnages extravagants, des femmes très élégantes, un décor fabuleux… J’étais transportée dans un autre monde tous les lundis. Je n’ai pas encore exposé ces photos, mais j’ai très envie de continuer ce travail personnel qui me passionne. Malheureusement, depuis le mois de mars, le Balajo est fermé…
Propos recueillis par Eric Chemouny
LA GALERIE JSM
de CAROLE BELLAÏCHE

Lewis Furey en 1985
©Carole BellaïcheCarole Laure en 1985
©Carole Bellaïche

©Carole Bellaïche

©Carole Bellaïche

©Carole Bellaïche

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Jane Birkin en 2005
©Carole BellaïcheAlain Souchon en 1995
©Carole Bellaïche

©Carole Bellaïche ©H&K

©Carole Bellaïche ©H&K

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Arthur H en 2018
©Carole BellaïcheHéléna Noguerra en 2006
©Carole Bellaïche ©H&K

©Carole Bellaïche ©H&K

©Carole Bellaïche

©Carole Bellaïche ©H&K
Une exposition réalisée par Eric Chemouny et Gregory Guyot
Toutes les photos : ©Carole Bellaïche (DR) – Photos de Jane Birkin, Charles Aznavour, Julien Doré, Helena Noguerra, Sylvie Vartan, Marie Laforêt ©Carole Bellaïche ©H&K – La reproduction même partielle est strictement interdite et reste la propriété de son auteur – JE SUIS MUSIQUE remercie infiniment Carole Bellaïche.
