VINCENT DELERM
“l’attrape-temps”
Il y a un an sortait “Panorama”. Il y a un an, c’était presque un autre monde. De celui-là à celui-ci, Vincent Delerm a mené sa barque, faisant se succéder un spectacle autour de son panorama, un film singulièrement beau, un confinement photographique désormais consigné dans un livre qui vient de sortir et de 6 ultimes concerts avant couvre-feu, pour refermer ce chapitre de vie, trace d’un passé que le temps va emporter ou marquer. C’est dans cette ligne de vie que résonnent ses deux ultimes Olympia, après Bruxelles et Lille, ultimes villes survivantes de sa tournée écourtée. Nous y étions…

C’est très sagement que s’étire la queue devant un Olympia qui, dans quelques heures encore incertaines, baissera son rideau rouge sur l’horizon de la nuit, pour applaudir Vincent Delerm qui y chantera deux fois d’affilée, mesures sanitaires obligent. Même billet en poche depuis de nombreux mois, l’avenir inquiétant de la culture et de la nuit donne à cette file d’attente, à cette attente, à ces derniers concerts avant couvre-feu, une force résistante, une forme d’appétit aussi, un hédonisme du quotidien. A bien y réfléchir, ce n’est pas un hasard pour nous si c’est lui, Vincent Delerm, “l’attrape-temps”, qui marque symboliquement ce couvre-feu annoncé, nouvelle marque au fer rouge d’une époque qui, décidément, change. A l’entrée de la célèbre salle, les hôtesses improvisent une rigueur avec douceur, chacun respecte des règles qui s’écrivent au fur et à mesure que chacun cherche un numéro de place qui n’existe plus au milieu de sièges et de rangs laissés vides. Et pourtant, entre le vide et le plein, traversent la vie, l’envie, le contact, les mots et les voix sous les masques de gens qui ne se connaissent pas et qui se trouvent. Un panorama de sentiments humains s’exalte avant ceux de l’artiste.


Comme strictement convenu, Vincent Delerm entre en scène à l’heure, discrètement filmé pour la postérité. Le spectacle commence sous un tonnerre d’applaudissements que la salle en jauge très réduite offre avec une intensité touchante. Un fil de vie passe entre ces mains qui claquent, cela s’entend, cela se ressent, et soulève le cœur. Cette période si particulière aura fait au moins s’intensifier nos sentiments. Et c’est l’essence même des œuvres de Vincent Delerm qui convergent ici.
Si ce spectacle, présenté notamment l’année dernière à La Cigale et que nous avions alors chroniqué (à lire ici), a gardé son extrême pouvoir de séduction, d’émerveillement permanent, de beauté visuelle à la fois simple et très technique, son pouvoir de faire rire et d’émouvoir en moins d’une minute, son pouvoir de faire passer le temps trop vite quand paradoxalement, le chanteur ne cherche rien d’autre que de le retenir en permanence dans sa boîte à mémoire, nos mémoires. Ce spectacle, l’un des plus beaux que l’on ait vus, a gardé sa forme, toujours sobre et si élégante, toujours aussi créative et inspirée.
Ce qui change ici est ailleurs, en dehors de cette mise en scène si intelligente. Ce qui change ici, c’est l’air du temps que Vincent Delerm cherche en permanence à attraper, à capturer, à transformer en mots et en images pour le rendre plus solide, à la fois fort et si fragile. Ce qui change ici, c’est le visage d’une société balafrée par un virus, un confinement, une déconfiture de libertés et un couvre-feu qui s’appliquera immédiatement après les deux concerts de ce panorama ultime. Ce qui change ici c’est une forme d’audace d’être sur scène, coûte que coûte, pour que le temps marque de son empreinte cette résistance à la culture et à la scène. Et cette phrase en porte-drapeau, au milieu des mercis mérités : “Ce soir, les techniciens jouent deux fois pour le prix d’un” qui résume un moment d’urgence, un besoin vital.
Ainsi, sans quasiment rien changer dans l’extrême précision de son spectacle, Vincent Delerm arrive en quelques mots à nous figer dans ce temps qui passe, voyage immobile dans une vie qui défile… comme des trains dans la nuit qu’il écrit dans sa chanson “Panorama”, l’empruntant à François Truffaut, appuyée par des images extraites de son film “Je ne sais pas si c’est tout le monde”, bouleversante traversée dans la mémoire collective et intime à la fois, ovni cinématographique sensoriel et hypnotique.
« En vous regardant masqués, j’ai l’impression qu’on est un peu la secte du couvre-feu » et il ajoute « pour moi, ça change de vous voir comme ça ». Ovation de ces premiers instants. Et rires aussi auxquels Vincent Delerm réplique avec un sourire: “l’avantage, c’est que comme on a perdu l’habitude, on réagit à tout“. Le public rit encore… “Vous voyez…“. Pendant 1h45, il balaie à nouveau, encore et toujours cette palette de sentiments, le rire, beaucoup, et quelques larmes aussi dans la dernière partie du spectacle, sur les “Photographies” si belles et si pudiques de sa famille, sa femme, ses enfants, ses moments d’évasion, de bonheur, de liberté avec une délicatesse si noble, ou encore sur “La vie Varda” où le chanteur semble lui-même submergé par l’émotion de son texte si fort, “simplement dire ce qui nous touche”. Et là, tambourine alors en nous l’urgence de nos cœurs qui battent la chamade, à la vie avant feu la nuit, avant le couvre-feu.

Cet homme qui court vers le passé, cet homme qui se pose sur son présent ne semble jamais regarder vers le futur. Le futur n’a pas d’images, pas de souvenir, pas de matière pour l’artiste. “No future” comme disaientt les idoles de sa jeunesse qu’il épingle sur grand écran via Clothilde Hesme, sa compagne de scène lumineuse. Ce n’est pas l’horizon de l’avenir qui semble intéresser le chanteur, le photographe, le réalisateur, l’homme des souvenirs collectifs émouvants, à peine évoque-t-il le couvre-feu. Non, c’est ce qu’il y a derrière, qui le remplit et nourrit son œuvre. Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il vit, il le consigne minutieusement, le fait rejaillir dans ses albums, ses spectacles et aussi dans ses livres, ses photos. Le dernier en date, “Home”, est un témoignage photographique de son confinement, prolongement de ses émotions panoramiques, preneur en otages du temps qui reste, plus que de celui qu’il reste.
Aussi, lorsque se referme son spectacle sur ces palmiers noirs en grand écran, l’envie de garder ce temps contre lui se fait plus forte. Il revient dans les lumières déjà éteintes de l’Olympia, invoque Alain Souchon, témoin dans son film, mais aussi déjà debout dans la salle et comme un hommage, un remerciement, il entame, dans une urgence de chanter encore et encore “La vie ne vaut rien” avant que son auteur ne le rejoigne, masqué, sur la scène comme une ultime forme poétique et musicale de résistance.
“La vie passe et j’en fais partie” chante Vincent Delerm. Nous aussi… jusqu’à nouvel ordre…
Gregory Guyot.
Credit photos: Gregory Guyot (DR/ JSM) prises le 16 octobre 2020 a l’Olympia / couverture du livre “Home” / couverture du DVD “Je ne sais pas si c’est tout le monde”.

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