LES ÉMANCIPÉÉS :
Quand Vannes fait de la résistance !
Prévu en mars dernier, puis annulé pour cause de crise sanitaire, le formidable festival Les Emancipéés de Vannes a finalement pu se tenir du 28 septembre au 5 octobre dernier : nous y étions, pour le plaisir, mais aussi pour saluer l’exceptionnel acte résistance à la morosité ambiante de ses organisateurs, mais aussi la générosité et la fidélité des artistes initialement programmés et (presque) tous présents !

Enthousiasmés l’an dernier par l’éclectisme et l’audace de ce festival qui mêle théâtre, littérature et musique avec un même souci de qualité, d’innovation et d’ouverture d’esprit, nous étions brûlants d’impatience d’ouvrir la saison des festivals avec Les Emancipées, fin mars dernier, mais hélas, la situation sanitaire en a décidé autrement. C’est dire si nous étions heureux d’y retourner en octobre, d’autant qu’à de rares exceptions près, tous les artistes programmés au printemps ont répondu présents cet automne. Et le récent couvre-feu imposé aux spectacles vivants ne fait rétrospectivement que plus encore apprécier ce privilège d’avoir pu s’oxygéner de paroles et de musiques, au bon air marin de la très belle ville de Vannes…
Parmi les spectacles délicatement sélectionnés par la formidable Ghislaine Gouby et Arnaud Cathrine, on pouvait ainsi s’enivrer de littérature et de belles lettres avec de nombreux spectacles, toujours sur le fil du rasoir entre lectures et concerts : à commencer par la belle Amira Casar, avec Da Silva à l’accompagnement musical, ayant choisi de lire des extraits du livre de la dramaturge Chantal Thomas, « Comment supporter sa liberté », ou comment saisir au vol les instants, qui parfois insignifiants de l’extérieur, s’inscrivent en nous comme les moments décisifs de notre histoire. Envoûtant !

Plus autobiographique, Philippe Besson avait choisi de se mettre à nu, plus que jamais, en lisant de poignants extraits de son roman « Un certain Paul Darrigand », accompagné du pianiste Edouard Ferret. Un moment d’une grande vérité, qui dévoilait un Besson incarnant véritablement, et avec une hypersensibilité touchante, son personnage d’adolescent introverti, découvrant son homosexualité… Toute aussi bouleversante était Julie Depardieu, accompagnée de Mathieu Baillot, et venue lire en toute humilité et sans artifices, hormis un habillage vidéo de toute beauté, des extraits du livre « Girl » d’Edna O’Brien s’inspirant de l’histoire de lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, en particulier de celle d’une adolescente nigérienne kidnappée dans son école, violentée, mariée de force à un djihadiste, jusqu’à sa fuite avec l’enfant qu’elle a eu de lui…
Les amateurs de littérature pouvaient, entre autres, retrouver aussi Christine Angot, déjà présente en 2019, venue cette fois avec sa fille Léonore Chastagner, sculptrice, pour la lecture de deux textes inédits écrits pour l’occasion, chacune écrivant sur l’autre : un dialogue mère-fille sur la vie et l’art en général, ultra privilégié et dont ne pouvaient émerger que des moments de vérité, comme autant d’éclats de miroirs renvoyant à une histoire universelle, celle de la filiation.
De création, il était encore question côté théâtre également, avec « Le discours » de Fabcaro, joué par Benjamin Guillard, mis en scène par le « Molièrisé » Emmanuel Noblet (cf. « Réparer les vivants »), l’acteur et le metteur en scène s’étant amusés à inverser leurs rôles pour l’occasion : l’histoire folle, ordinaire et pour autant surréaliste d’Adrien, apprenant qu’il vient de se faire quitter alors qu’il doit faire un discours pour la mariage de sa soeur… Une brillante et surréaliste variation sur le même sempiternel thème : Famille, je vous hais !
Côté musique enfin, loin de se contenter d’attraper au vol quelques artistes en tournée dans la région, la programmation a – là encore – misé sur l’exigence, et la créativité. Et c’est à la romancière à succès, Olivia Ruiz qu’il appartenait d’ouvrir le bal avec son spectacle « Bouches cousues », entourée d’images projetées et mêlant titres en français et en espagnol, parfois chantés, parfois simplement chuchotés, dans le parfait prolongement de son roman entre fiction et autobiographie « La commode aux tiroirs de couleurs » sur le thème de l’exil, un livre dont elle lit également un extrait avant de se prêter à la traditionnelle séance de dédicace… Car Les Emancipées, c’est aussi une librairie, dans laquelle écrivains et public peuvent se rencontrer, échanger, avec une chaleur et une proximité bienvenues par les temps qui courent…
© Gilles Vidal © Gilles Vidal
Hasard de la programmation, c’est Jeanne Cherhal, également auteure d’un livre « A cinq ans, je suis devenue terre à terre », qui lui succédait, avec un spectacle au piano tout entier dédié à sa quarantaine flamboyante, et à son album « L’an 40 », dans lequel s’entrechoquent sans tabous, les thèmes qui lui sont chers, comme son enfance, son adieu à Higelin, ou la naissance de son enfant par césarienne. Son ami Vincent Delerm, ne cachait pas sa joie non plus de pouvoir jouer son « Panorama », seul en scène, après des mois d’abstinence, devant un public masqué et très sage certes, mais ô combien à l’écoute de ses chansons bouleversantes, et admiratif de la minutie et de l’inventivité de son splendide spectacle. Pour sa part, Raphaële Lannadère donnait un avant-goût des chansons de son album « Paysages », entrecoupées de titres de Barbara, pour la première date de sa tournée, entourée d’une formation assez brute, puisque uniquement composée d’une batterie, d’une guitare et de deux violoncellistes, laissant à sa voix et à sa poésie tout l’espace pour nous emporter ailleurs, comme dans un voyage immobile des plus oniriques.

On a adoré retrouver aussi notre amie La Grande Sophie, flamboyante dans sa veste dorée, et débordante d’énergie et de sensibilité, escortée de sa bande en tenue de travail, à savoir une combinaison de peintre blanche, du plus bel effet scénique. Ouvrant le spectacle par une chanson spéciale confinement hyper émouvante de simplicité, c’est à un festival de tubes qu’elle nous conviait, entrecoupé d’un hommage à Juliette Gréco dont elle a assuré la première partie à ses débuts (« « Un petit poisson, un petit oiseau »), d’un inédit en forme de dialogue poétique avec la lune, d’une reprise de « Le large » initialement écrite pour Françoise Hardy, et même une chanson spécialement écrite pour la ville de Vannes, comme elle le fait à chacune des dates de sa tournée… Pas étonnant que face à une artiste aussi sincère et généreuse, le public masqué eut envie de se lever dès les premières mesures, et lui crier tout son amour !

De l’amour, les fans de l’immense Anne Sylvestre, assurément LA star du festival cette année, en débordaient lorsqu’elle est apparue sur scène, entourée de son parfait trio de musiciennes pour quelques tours de « Manèges », du nom de sa nouvelle tournée. C’est une légende vivante qui se présentait à lui, la mémoire vivante de plus d’un demi siècle de chanson française et de poésie. La dame en noir à la chevelure flamboyante se déplace désormais avec difficultés sur scène, mais son courage et sa ténacité n’en sont que plus touchants encore. On lui pardonne volontiers ses trous de mémoire (dont elle est la première à s’amuser, en dépit de son prompteur, à savoir des fiches posées sur le piano et qu’elle mélange avec confusion), ses difficultés de prononciation, ses maladresses diverses, ou qu’elle fasse l’impasse sur ses plus grands tubes (“Les gens qui doutent” notamment), puisqu’elle le dit elle-même : « On est venues à la bonne franquette ! ». Ses grands classiques « Le deuxième oeil », «Douce maison », ou « Violette » lui valent des ovations tellement méritées…
© Gilles Vidal © Gilles Vidal

Enfin, alors que Cali et Tania de Montaigne clôturaient le lundi 5, une édition historique à plus d’un titre, c’est l’ami Didier Varrod qui s’essayait à un exercice tout nouveau pour l’homme de radio et de télé exceptionnel qu’il est, en ce dimanche après-midi, juste avant la « Sieste acoustique » proposée par le brillant Bastien Lallemant : en toute simplicité, le journaliste a choisi de nous convier à une causerie entre amis, nous racontant son itinéraire pas banal, son amour pour la chanson française (et les chanteuses en particulier) ayant largement contribué à son émancipation personnelle. Au fil des réflexions, et de cette auto-analyse qui pose sans prétention quelques questions fondamentales sur l’acceptation de sa sexualité, ou la création artistique, on croise sur des documents d’archives devenues cultes, ses idoles Véronique Sanson, Barbara, Jeanne Moreau mais aussi Léo Ferré, Guy Béart ou encore Serge Gainsbourg. Pour ce « grand oral », Varrod pouvait compter sur la présence d’amis venus lui prêter main forte et alimenter cette conversation autour de la création musicale : le fidèle Alex Beaupain reprenant au piano « Sur mon cou » (Genet) ou « Réversibilité » (Murat), le comédien-chanteur Antoine Bienvenu rendant entre autres hommage à Juliette Gréco (« Un petit poisson, un petit oiseau ») ou encore le prodige de l’Electro Gabriel, alias Superpoze, et François Atlas, venus alimenter le large débat sur « le chant des possibles »… Un très beau spectacle, dont ne peut que regretter qu’il ne devienne pas un rendez-vous régulier sur les scènes de France et de Navarre avec notre « Monsieur chanson française ».
Alors plus que jamais, merci, merci, merci Les Emancipées d’avoir fait acte de résistance et démontré qu’en respectant les règles sanitaires, la littérature, le théâtre et la musique, avaient plus que jamais leur place dans nos tristes vies, si esquintées par la pandémie… En 2021 ou en 2022, nous serons toujours là, à vos côtés, pour que vivent la culture et la création, dans ce qu’elles ont de plus noble et de plus ambitieux en faveur de la curiosité et de la tolérance !
En attendant, on vous embrasse : force et courage à vous !
Eric Chemouny
Crédit photos : couleur de Gilles Vidal (Les Emancipéés / DR) – téléchargement et reproduction strictement interdits / en NB, backstage : Eric Chemouny (DR / JSM)

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