CHRISTOPHE INTIME
par Yann Zitouni
Le journaliste de la RTS a eu le privilège de rencontrer et photographier Christophe, quelques semaines avant sa disparition, dans son antre du Boulevard du Montparnasse à Paris. Alors que deux compilations viennent de sortir, respectivement chez BMG et Universal, pour rendre hommage au génie qu’il était, Yann Zitouni nous a confié ses précieux clichés volés et raconté sa rencontre avec l’artiste dans son intimité…


– Dans quelles circonstances as tu rencontré et photographié Christophe ?
J’étais venu réaliser une interview chez lui, à Paris, à l’occasion d’un concert qu’il devait venir faire à Lausanne. Il était disponible pour la promo et j’ai saisi cette occasion pour venir le rencontrer. Je savais, parce que c’était notoire, que cela se passerait chez lui, et à la tombée de la nuit. Pas avant. Ce n’est pas très original, car tous les gens qui ont eu accès à cet appartement ont vécu la même chose, dans les mêmes conditions. Je suis arrivé vers 19h30 et suis reparti vers 23h00, après avoir mangé avec lui dans un restaurant asiatique, au pied de son immeuble, qui lui servait de cantine. Il y avait deux autres personnes présentes, un musicien avec lequel il collaborait, et un copain journaliste suisse, venu l’interviewer comme moi, mais pour un autre media. Quand les interviews ont été terminées, il s’est tourné vers son ordi et nous a fait écouter des trucs…
– En rapport avec un album à venir ?
Non, puisque c’était en octobre dernier. Il voulait surtout nous faire découvrir des morceaux et des artistes, totalement obscurs, dont on n’arrivait même pas à retenir le nom sur le moment. Christophe était un peu le « digger » des temps modernes. Sauf que lui n’allait pas chercher des trucs de trente ou quarante ans en arrière. Il prospectait ce qui n’était pas encore sorti…
– T’a-t-il semblé méfiant ou difficile à apprivoiser ?
Pas du tout. Il était au contraire très ouvert. En revanche, j’étais moi-même très intimidé au début de notre rencontre : il avait une telle aura, un tel look… Sa taille, sa voix, sa tenue vestimentaire, sa coiffure, ses lunettes, tout dans son apparence générale, lui donnait un coté extra-terrestre. Mais très vite, je me suis senti très à l’aise, d’autant qu’il était hyper drôle… Il m’a raconté que des gens l’arrêtaient dans la rue pour s’assurer qu’il ne chantait plus et lui ne les contredisait pas… Juste pour faire plaisir aux mecs qui pensent que c’est dans l’ordre des choses d’arrêter les conneries à son âge. Il préférait répondre cela, que d’essayer d’expliquer qu’il sortait toujours des albums : ça l’amusait… De même qu’il m’a raconté qu’on le confondait parfois avec Michel Polnareff, et qu’il ne rectifiait pas …

– C’est rare d’avoir autant d’auto-dérision et de lucidité chez les artistes de sa génération et de son statut…
C’est vrai. Il m’a raconté que Pierre Lescure l’avait invité à un événement, pour lequel il l’avait placé à côté de Prince. Or, Christophe ne parlait pas anglais, mais le Yop, une sorte de yaourt franglais, comme il disait lui-même. Finalement, il n’y est pas allé, parce qu’il a eu une forme de lucidité et d’exigence envers lui-même. Dans son esprit, quand on avait l’occasion de rencontrer quelqu’un du statut de Prince, il fallait être à la hauteur des circonstances. Il ne se voyait pas rencontrer Prince et ne pas échanger avec lui, au motif qu’il ne parlait pas anglais…
– A-t-il accepté facilement que tu fasses des photos de lui et de son studio ?
J’avoue que les ai un peu « volées », même s’il me voyait les faire avec mon téléphone… J’étais avec un autre journaliste qui est un fou furieux, mesurant 1m85, et qui lui n’a aucune gêne… Pour ma part, j’ai toujours un peu de réticence à faire des photos à l’insu des artistes, mais ce gars avait bonne conscience et me disait que les artistes le savent et sont complices de cela de toutes façons. C’est vrai que Christophe ne se cachait pas, mais quand je suis en train de discuter avec quelqu’un, de la vie, de la musique, ou de Paris, je trouve bizarre de sortir mon téléphone et de le prendre en photo pendant la conversation. Il faut que je sente la personne en face disponible et conciliante… J’ai besoin d’une dynamique commune, que je ne ressens pas toujours, mais tout cela reste du domaine de l’intuition… à tort, ou à raison.

– Etais-tu fan de Christophe avant de le rencontrer ? Quelles sont tes chansons préférées de son répertoire ?
Je n’ai jamais été fan de personne, mais c’est un artiste et une personne, très respectable à mes yeux : il fait partie de ces gens qui ont fait du bien à la création artistique de ces quarante dernières années, par son audace, son obstination à travailler, et son acharnement à se remettre en question. Comme David Bowie ou Peter Gabriel, Christophe avait une forme d’exigence artistique. Il faisait partie de cette famille-là. Quant aux chansons, je pourrais citer ses classiques comme tout le monde, mais j’aime particulièrement « Daisy », parce qu’elle est d’un kitsch incroyable… Christophe était kitsch au même titre qu’un Dick Rivers, mais sans jamais être ringard, au point d’avoir travaillé avec Alan Vega. C’est toute la nuance… Il était d’un kitsch cohérent et référencé, qui n’a rien de ridicule… Et puis, j’adore son dernier album « Les vestiges du chaos » qui compte de très belles chansons.


– On découvre, sur une de tes photos, que lui-même était fan de Bashung…
Oui, c’est une des photos qui m’a beaucoup ému rétrospectivement. Il avait une profonde amitié pour Bashung, au point de mettre son portrait sur la console, et de l’avoir tous les jours devant lui. C’était comme un petit frère pour lui. Il aimait aussi beaucoup Lou Reed, qui était en photo dans son appartement musée, un peu pareil à celui de Gainsbourg, chez lequel j’ai eu la chance d’aller aussi. Il y avait, chez l’un comme l’autre, plein d’objets accumulés qui racontent leur histoire… Chez Christophe aussi, chaque objet avait son importance, quelque chose à raconter de lui… C’était très encombré, car il était très collectionneur, mais chaque chose était minutieusement à sa place, comme ce fameux Jukebox…
Propos recueillis par Eric Chemouny
photos : collection personnelle Yann Zitouni / DR



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