VINCENT DELERM

Les émotions panoramiques

Deux ans après la fin de la tournée «  À présent », merveilleux tour de chant minimaliste et inventif, qui s’était achevé à la Cigale le 29 novembre 2017 par la lecture de quelques pages de carnets en hommage très personnel à Jean Rochefort, encore marqué par son dernier tournage avec lui, Vincent Delerm revient parcourir le panorama de sa vie : il nous a bouleversés, amusés, impressionnés, et plus encore, toujours à la Cigale, en prolongeant l’introspection intime de son passé, la nostalgie d’une enfance révolue, de temps révolus, de générations révolues, transposées cette fois sur un écran qui mange la scène comme pour mieux donner vie à ses souvenirs et ses fantasmes.

Je ne sais pas si c’est tout le monde, mais assister à un concert de Vincent Delerm, c’est vivre un voyage immobile dans son propre passé, et ne pas en ressortir totalement indemne des secrets qu’on déterrerait au fond d’une boîte à souvenirs. Le pouvoir de Vincent Delerm est toujours de tenir en équilibre malin sur le fil de sa propre vie. une vie, qui mine de rien, mine de tout, à profil égal, ressemblerait fort à la nôtre. Et de savoir ainsi exactement nous émouvoir là où il le faut, au moment où il le faut, funambule des sensations d’une certaine idée de la France moyenne et quotidienne, une France qui faisait moins de clivages qu’aujourd’hui, qui stigmatisait moins les écarts (même s’ils existaient), laissant l’innocence de l’enfance, les gourmandises de l’adolescence et les incertitudes sentimentales de la vie d’adulte se vivre pleinement, uniquement concentré sur le simple sujet de profiter de jolies choses comme des plus embarrassantes, de se projeter dans des hypothèses aussi futuristes que quotidiennes. Une vie quoi, « Une vie Varda » chante-t-il, une vie Delerm dirions-nous . Le talent de Vincent Delerm est de toujours réussir à dessiner cette délicatesse autour des événements les plus quotidiens d’une vie française, convoquant cette créativité enfantine, cette sensibilité adolescente, cette fatalité dans un regard d’adulte, balisé de madeleines de Proust qui ont jalonné sa vie, mais aussi la nôtre.

Avec ce panorama, il réussit à transposer les recoins de notre mémoire collective en un album de souvenirs sur grand écran, images souvent mises de côté dans nos cerveaux, trop occupés à suivre la modernité marathonienne du monde, empruntant majoritairement ces images à son remarquable film documentaire « Je ne sais pas si c’est tout le monde » qui tourne en même temps dans les salles de France (diffusé sur Arte en janvier et qui sort en DVD avec le bonus CD de sa magnifique B.O). 60 minutes hypnotiques et puissantes qui ne laissent pas le spectateur indemne.

Ainsi, Vincent Delerm est devenu au fil des ans, plus qu’un chanteur, plus qu’un artiste, il est devenu l’homme qui vit en chacun d’entre nous, dans une mémoire collective dont il fait habilement le lien. Il offre ainsi plus qu’un tour de chant, faisant converger toutes les expressions artistiques qui l’habitent, allant même jusqu’à une tentative de ventriloquie hilarante, mélangeant anecdotes en formes de sketches et chansons d’hier et aujourd’hui, enrichissant de façon totalement réjouissante et jubilatoire les chapitres musicaux de ce panorama, mariant à merveille la simplicité de l’homme au piano et le gigantisme des images cinématographiées, d’une plage bondée en noir et blanc à celles du grand et beau visage en couleur de Clotilde Hesme, de ses poésies urbaines aux chorégraphies oniriques de Yann Bourgeois.

Cet écran c’est son compagnon de route, son double, l’extension de sa tête si bien faite : avec lui, il fait totalement corps, se fondant, se confondant lui-même dans ses projections, comme ce double au piano, vision hypnotique d’une conversation symbolique entre un homme de chansons et de musique, fait de chair (et d’humour) sur cette scène de La Cigale, et un homme de cinéma et d’image, dématérialisé en noir et blanc.

Sans jamais se répéter, sans jamais réutiliser un effet du passé, Vincent Delerm se réinvente à chaque fois, variant sur ses même thèmes (la nostalgie, le temps qui passe, les choses de la vie). Je ne sais pas si c’est tout le monde, mais quand on va voir Vincent Delerm, on sait toujours ce qu’on va voir et on est pourtant cueilli d’emblée par sa nouvelle proposition : il joue avec lui-même, dès son entrée en scène avec la voix de sa pensée diffusée dans la salle qui réfléchit et qui crée le spectacle en direct, se montrant déjà devant nous. Simple mais terriblement efficace, il enchaîne avec le titre éponyme de son film « Je ne sais pas si c’est tout le monde », annonçant la couleur de son panorama, mélangeant des visages et des figures, connues et inconnues, des lieux, des attitudes, des gros plans, des architectures, des mouvements, des objets, des sensations, ce vent si puissant des rémanences de notre histoire. Indissociables finalement, la scène et son film se répondent : « Panorama » la chanson titre est une compilation sonore et sensitive à la fois de son film documentaire, album feuilleté trop vite.

Seul avec son piano et cet écran, il dirige ses lumières, sa voix, ses couleurs, nos émotions, tantôt rejoint sur le grand écran par des ombres noires sur un fond orange criard, tantôt accompagné de musiciens sur fond blanc immaculé, tantôt spectateur lui-même de son propre spectacle, comme ce moment suspendu où, dos au public, il écoute Albin de la Simone qui tente une histoire (pas) drôle… Bien entendu, c’est drôle.

Entre cette vie en couleur et cette mise en scène en noir et blanc, il y a des fulgurances oniriques comme ces apparitions d’étoiles, d’Alain Souchon à Aloise Sauvage. Et puis il y a toutes ces petites touches bouleversantes, ces morceaux de sucre, ces cartes postales des égéries pop 80’s punaisées sur un mur, ces photos d’immeubles de banlieues, ces plages de vacanciers, ces carnets noirs exposés, toutes ces petites pierres du chemin de notre enfance, panorama nostalgique de ce qu’on ne vivra plus, boîte à trésors de notre simple condition humaine.

Submergé en permanence d’émotions, ce panorama s’achève sur le contraste saisissant d’une Cigale de pourpre et d’or, avec des palmiers en noir et blanc figés grand écran. Je ne sais pas si c’est tout le monde, mais « nous étions là à applaudir une vie », sa vie mais aussi un peu la nôtre…

Gregory Guyot


Setlist (non-exhaustive) de La Cigale octobre-novembre-décembre : Je ne sais pas si c’est tout le monde / Les piqûres d’araignée / L’heure du thé / Pardon les sentiments / La chamade / Un temps pour tout / Allan et Louise / Quatrième de couverture / Carver / Le baiser Modiano / La vipère du Gabon / Déja toi / Un sentiment / Panorama // Na na na / Les filles de 1973 ont trente ans // Une vie Varda / Photographies // A présent / Le monologue Shakespearien.



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