CLAUDE FRANCOIS
Souvenirs, souvenirs…
par Jean-Marie Périer
Photographe, réalisateur, auteur, homme de scène et désormais éditeur avec la création de la marque « Loin de Paris » qu’il dirige, Jean-Marie Périer demeure le symbole des années « Salut Les Copains », celui qui a marqué de son empreinte ces fameuses 60’s, en façonnant l’image d’une génération d’artistes en herbe, devenus grâce à ses photos légendaires des icônes de la chanson, mais aussi les figures emblèmatiques d’une époque joyeuse, insouciante et néanmoins révoltée et avide de liberté. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son beau livre, « 1960-1970 », préfacé par Patrick Modiano, et rassemblant 400 clichés de stars françaises et internationales, dont 150 inédites, d’une modernité toujours aussi éclatante : une véritable « pléiade », dont nous avons sélectionné 8 portraits, prétextes à évoquer avec l’éternel jeune homme de 80 ans, ses meilleurs souvenirs avec ses copains Françoise, Sylvie, Johnny, Jacques, et les autres.

– Cette photo de Cloclo lisant un manuel de communisme entre une jeune soviétique et une jeune chinoise a -t-elle provoqué un mini-scandale ?
Non, c’est encore une de ces idées que j’avais eues pour me marrer, alors que le parti communiste était encore important en France. Ce serait totalement impensable aujourd’hui… En plus, Claude était totalement l’inverse d’une personne qui pouvait s’intéresser au communisme. C’était marrant ! On n’avait pas spécialement l’impression d’être gonflés de faire cela : c’était tout à fait normal ! On jouissait d’une liberté totale.
– Il y avait beaucoup de messages politiques en filigranes dans vos photos finalement…
Vous trouvez ? Je ne m’en rends pas compte. J’étais un enfant gâté qui ne s’était jamais intéressé à la politique. Pour moi, c’était du théâtre. J’ai eu tort, mais c’est comme ça. A l’époque, ça me faisait marrer, y compris mai 68, qui me faisait hurler de rire. A mes yeux, c’est la première révolution française qui n’a fait aucun mort, et a été totalement inventée par les médias. Je suis désolé, mais il n’y avait que trois radios à l’epoque, qui toutes les 15 minutes, claironnaient : « Paris est à feu et à sang ! » Or, tout se passait dans trois rues du Quartier Latin, tout au plus ! Mais quand on est Province, et qu’on entend cela à longueur de journée, on finit par croire que tout le monde était dehors. C’était complètement bidon cette affaire-là !
– Quels étaient vos rapports avec Cloclo ?
Je l’aimais beaucoup, même si je n’aimais pas beaucoup ses chansons. De toute façon, je n’aimais pas beaucoup les chansons en français, car je venais du Jazz et du Blues, si bien que j’ai toujours préféré les chansons en anglais des Beatles ou des Rolling Stones, ou les chansons américaines. En grande partie, parce que je ne comprenais pas ce qui se chantait. Ca me dérangeait de comprendre les paroles. Claude avait la réputation de ne pas être facile dans le boulot : il se trouve que je ne travaillais pas « pour » lui, mais « avec » lui. C’est différent, donc il était facile à vivre avec moi. Il était d’accord sur toutes mes idées et me faisait une confiance totale.
– Il avait pourtant la réputation d’être très méticuleux et de vouloir tout contrôler…
Oui, mais ce n’était pas le cas avec moi. Il me demandait des conseils pour s’habiller. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’épatais. Quand j’ai acheté une Mustang, par exemple, il a aussi voulu une Mustang…
– Peut-être parce que vous étiez photographe et qu’’il avait le sens de l’image…
C’est certain, il était même le premier à avoir le sens de l’image. les autres n’y pensaient pas. Aujourd’hui, c’est l’inverse, ils ne pensent qu’à cela.. En tout cas, il m’aimait vraiment beaucoup : à un moment, alors qu’il partait en tournée, il a voulu que je vienne avec lui, et j’ai ainsi passé une semaine à dormir avec lui dans son lit. Il voulait qu’on parle et on n’en avait pas le temps dans la journée, avec la route, les concerts… Il me racontait sa vie, son enfance en Egypte, etc. C’était vraiment touchant. Il y a un document que j’aimerais retrouver : il était interviewé pour TF1, et on lui demandait qui était son meilleur ami. Il m’a alors cité. J’avais trouvé cela sidérant !
– Vous a-t-il sollicité lorsqu’il a créé Podium et son groupe de presse ?
Non, pas du tout. Je ne le voyais plus, et puis j’avais arrêté définitivement de faire des photos au printemps 1973. Cela a duré jusqu’aux années 90. J’ai donné tous mes appareils pour faire tourner Dutronc ; je ne pensais plus qu’à cela. J’ai cessé de voir Claude en 1972 exactement. Il avait beaucoup changé… Il voulait être Filipacchi et était obsédé par lui. Il voulait tout : un journal, une maison de disques…. Il devenait un peu fatiguant, un peu aigre et difficile. Et puis, je ne faisais plus de photos de lui par manque de temps. J’avais mes têtes, Johnny, Sylvie, Françoise, Jacques et Mick Jagger… Je me concentrais sur eux. Cela dit, quand il a monté sa maison de disques Flèche en 1967, il m’avait demandé de lui trouver le nom et le sigle. J’ai ensuite demandé à Régis Pagniez de le dessiner. J’ai même fait la photo où on voit Claude ruiné devant le logo inversé, avec une flèche descendante, en lui disant : comme ça, si un jour tu te casses la gueule, tu pourras toujours t’en servir… Il a accepté avec humour, alors qu’il était en clodo sur la photo ! (rires).
– Avant sa disparition, il était autant chanteur qu’homme d’affaires : pensez-vous qu’il aurait persévéré dans la chanson, ou le business aurait-il pris le dessus selon vous ?
Quand il est mort, je me suis dit : au fond, c’est mieux comme cela. Je n’ose pas imaginer ce qu’il serait devenu aujourd’hui s’il était encore vivant. Il dirigerait peut-être une chaine de télé, avec des jeux, des concours, etc. Il serait aigri comme personne et affreusement malheureux d’être devenu cela. D’ailleurs, je trouve hallucinant que les gens écoutent encore ses dernières chansons disco comme « Alexandrie Alexandra » dans les boites… Ca me sidère encore que Claude ait accepté les paroles de Roda Gil qui ne veulent strictement rien dire… Julien Clerc fait semblant de croire à ses textes, mais venant de Claude, je n’en reviens toujours pas… Ca ne me touchait pas du tout, et je n’aimais pas sa façon de chanter de toute façon, avec ce vibrato calculé en mesure, trop réfléchi…

Propos recueillis par Eric CHEMOUNY
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