PATRICK BRUEL
Ce soir, on chante !
Depuis la sortie de son dernier album « Ce soir on sort… » (dont vient d’être clippé l’extrait “Stand up”), Patrick Bruel n’en finit pas de collectionner les succès et de triompher sur scène : en cette rentrée, il sera plus que jamais présent avec pas moins de deux films à l’affiche, une biographie (*) et une tournée qui se poursuit un peu partout en France, et s’achèvera en beauté à La Défense Arena les 6 et 7 décembre prochain. Nous l’avons rencontré, juste avant son concert – ô combien symbolique – aux Francofolies de la Rochelle…

– Que représente pour toi le fait de revenir aux Francofolies de La Rochelle ?
Concrètement, c’est un rendez-vous incontournable pour un artiste en tournée, quand on à la chance d’y être invité et d’y être fêté par le public. En ce qui me concerne, ça fait pas mal d’années déjà que je viens y chanter… Symboliquement, La Rochelle représente quelque chose d’important pour moi en raison de ce concert de 1987. Il était 16 heures environ sur le parking du Gabut. Je jouais devant 400 personnes et c’était la fête ! C’était déjà plein d’énergie, plein de promesses… Et puis ce soir-là, je n’ai pas voulu rentrer à Paris, pour rester sur La Rochelle et aller voir le grand Jacques Higelin qui chantait sur l’esplanade Saint-Jean d’Acre. Je crois que j’ai bien fait, parce que j’ai vu ce qu’était un artiste libre, et en tout cas une projection de l’artiste que je voulais devenir. Je n’étais peut-être pas tout à fait en harmonie avec moi-même à ce moment-là de ma vie, si bien que cette nuit-là à La Rochelle a été très fondatrice. J’ai erré ensuite de rencontres en rencontres, de bars en bars, dans un moment d’immense solitude, pour finir dans ma chambre d’hôtel et écrire « Casser la voix », à 6 heures du matin. Revenir ici a donc forcément du sens pour moi…

– Après tant d’années de scène et de tournées, certaines salles t’impressionnent-elles plus que d’autres ?
Oui, il y a des rendez-vous qui sont impressionnants, dont font partie les Francofolies, tout comme Les Vieilles Charrues, Le Festival d’été de Québec, ou encore les Nuits Bressanes où je chantais hier soir … Finalement, chaque fois qu’on se présente devant un public, rien n’est acquis. C’est un nouveau match à chaque fois qu’on met le pied sur une scène. il y a forcement une appréhension, mais c’est normal, je pense, même si le spectacle est prêt… Je dis cela, mais en fait, sur les festivals, ce n’est pas complément le spectacle que l’on donne en salles depuis février, puisque les contraintes de festivals font que le spectacle est plus court au final. Donc il a fallu tailler dedans… Transformer un spectacle de 2h45 en 1h45, en essayant de tenir les délais par respect pour les autres artistes, est un exercice pour nous. Il y a du coup des enchaînements qui ne sont pas forcément naturels, mais on s’y emploie. C’est toujours un peu aléatoire les festivals : on n’a pas trop le temps de répéter, on arrive comme ça à l’arrache, mais comme on est un groupe et qu’on joue ensemble depuis très longtemps, on peut se permettre d’arriver comme ça, comme à la grande époque…

– On constate que ton public est désormais multi-générationnel ; c’est un phénomène nouveau…
C’est exact et c’est très flatteur de voir un renouvellement générationnel qui s’opère de plus en plus. Il avait commencé déjà sur la tournée de 2014, mais avec cette nouvelle tournée, çà s’est complètement avéré. En festivals, c’est normal de le constater, car on sait bien que les gens qui sont dans le public, ne sont pas spécialement là pour moi, mais plutôt pour l’ensemble des artistes d’une affiche, qui est elle-même très hétéroclite. Mais quand j’en ai pris conscience pendant ma propre tournée, c’était une très très belle surprise de voir un retour flagrant des 15-30 ans, et une présence très affirmée de ces femmes qui avaient 15 ou 20 ans aussi, il y a 20 ans… Tout cela finit par faire bon ménage. Et puis, j’ai réalisé l’arrivée des mecs dans les rangs : ils ne viennent plus uniquement pour accompagner leurs copines. Ils ont l’air de venir par grappes de 7 ou 8 ensemble, pour participer, lever le poing, chanter… C’est vrai que ma proposition musicale est assez intense et assez dense sur ce spectacle. Il y a aussi une proposition scénographie qui semble plaire au plus grand nombre…

– A l’occasion de la 35ème édition, les Francofolies ont inauguré une série de conférences, autour des chansons qui ont marqué la vie d’une personnalité : « J’ai la mémoire qui chante ». Quelles sont les chansons qui t’ont marqué ou construit ?
Oh la, il y en a tellement… J’ai littéralement grandi au milieu des chansons. Mon premier souvenir de chanson très forte que j’ai entendue est probablement « Amsterdam » de Jacques Brel. C’est sans doute la chanson qui a été très fondatrice pour moi. Je l’ai découverte à l’âge de 5 ans, et va savoir pourquoi on tombe amoureux d’une chanson à l’âge de 5 ans… Peut-être Jacques Brel disait-il un gros mot dedans qui m’a plu ? Quelque chose dans son interprétation, dans sa façon de balancer les mots, ne m’a pas laissé indifférent. D’ailleurs, deux ans plus tard, j’ai été bouleversé par « Jeff », au moment où ma mère pensait, elle, que je serais davantage touché par « Les bonbons ». Moi, j’ai préféré la face B. « Jeff » est sans doute la chanson la plus marquante de mon enfance… En tout cas, jusqu’à ce que je découvre Brassens. Quand Brassens est arrivé, il a pris énormément de place dans ma vie, comme aussi Barbara lorsque je l’ai découverte… bref, plus j’y réfléchis, plus des chansons m’arrivent dans la tête : je pourrais en parler pendant trois heures… (rires). En tout cas, je me serais prêté avec plaisir à cet exercice, « J’ai la mémoire qui chante » : je trouve que c’est une très jolie initiative…

– Les Francofolies sont engagées cette année sur la question de l’écologie, avec « Le village FrancOcéan » : c’est une préoccupation majeure aussi pour toi ?
Oui bien sûr, il serait temps de se retrousser les manches… La question est de savoir quel sera le bon vecteur pour faire prendre conscience aux gens de cette réalité folle. C’était très touchant de voir à quel point les jeunes se sentent concernés ; ils se sont dernièrement engagés dans des actions concrètes et très pragmatiques. Ce n’était ni trop, ni pas assez. Comme à chaque fois, le monde a été interpellé, mais est-ce bien réel ? A-t-on bien compris ce qui est en train de se passer ? Je ne sais pas. A mon petit niveau, j’essaie d’en tenir compte au quotidien et d’apprendre à mes enfants à faire des mêmes. En tout cas, je soutiens toutes les initiatives comme celle du « Village FrancOcéan ».

– La parenthèse Barbara dans ta carrière, avec l’album hommage suivi du spectacle à Mogador, a-t-elle changé ton approche de la scène pour cette nouvelle tournée ?
Ca va bien au-delà de cela : il y aura eu pour moi un avant, et un après-Barbara. Je pense que l’album « Ce soir on sort… » n’aurait pas été le même s’il n’y avait pas eu cette introspection à travers Barbara. A travers les chansons de Barbara, je me suis davantage livré que je ne l’avais jamais fait auparavant. Peut-être parce qu’en chantant du Barbara, je chantais les mots de quelqu’un d’autre, et je laissais un peu de ma pudeur naturelle au vestiaire. Au sortir de ce spectacle, j’étais nourri d’une exigence, forcément différente. Ca s’est ressenti sur ce disque. J’ai pris plus de temps que d’habitude ; j’ai été plus difficile sur les textes, sur les sujets abordés… Sur scène aussi, le spectacle que je donne passe par des stades émotionnels très différents. J’ai le sentiment de dire les choses autrement par rapport à mes précédents spectacles. Donc en effet, cette période constitue une jolie parenthèse, très enrichissante pour moi…

– On imagine par exemple qu’une chanson comme « Louise » aurait été abordée autrement…
Peut-être, quoique sur l’album précédent, j’avais déjà écrit une chanson qui s’appelait « Maux d’enfants », une chanson en prise directe avec le harcèlement. C’était parti d’un petit épisode qui s’était passé dans l’école de mes enfants, avec un de leurs copains. « Louise » va un peu plus loin ; il ne s’agit plus de harcèlement, mais d’enrôlement sur le net, avec ces salopards planqués derrière des écrans, qui proposent aux enfants des défis aussi absurdes que meurtriers, et qui conduisent les enfants au suicide (n.d.l.r : Patrick fait notamment allusion au jeu du foulard faisant de nombreuses victimes parmi les adolescents challengés)… J’aurais pu choisir de nombreux autres prénoms hélas, mais il s’avère que c’est une petite Louise, ayant mis fin à ses jours, qui m’a inspiré cette chanson. J’en avais écrit d’abord la musique, sans trop savoir de quoi la chanson allait parler. Et ce thème m’est ensuite apparu avec évidence. C’est pourquoi aussi l’arrangement musical est très puissant, avec ce son très Rock Electro, très violent, qui corrobore complètement le propos. C’est une chanson qui touche beaucoup les ados, et même les pré-ados. Beaucoup de gens viennent au concert avec des gamins de 10 ou 12 ans… J’ai la chance de pouvoir leur parler, discuter un peu avec eux après le concert. Les filles comme les garçons évoquent cette chanson comme celle qui les a le plus marqués pendant le spectacle… pour moi, ça veut dire beaucoup de choses.

– Quel sens donner au titre de l’album « Ce soir on sort… » ?
C’est le maitre mot de cet album : on sort malgré tout… C’est la sensation que nous avions tous au lendemain du 13 novembre. J’ai écrit ce texte quelques jours après la vague d’attentats. Peut-être qu’en effet, il y a quelques années, là encore, je n’aurais pas dit les choses de cette manière-là. J’aurais peut-être rajouté de la violence à la violence. Là justement, je ne voulais pas entrer dans ce jeu. Et puis, il y a cette Marseillaise, qui est venue se greffer au fil du temps sur cette chanson et qui a pris une vraie place dans le spectacle. C’est assez touchant de voir l’hymne national murmuré par les gens, comme une envie de signifier quelque chose, une envie… Après, on est dans une salle de spectacle : on voudrait tant que ce moment de réconciliation prôné par tout l’album et par tout le spectacle dure plus longtemps, mais on sait bien que la réalité est toute autre. Même si elle ne dure que dix minutes, ou deux heures, je me dis que c’est déjà ça. Mais pour moi, sur le moment en tout cas, c’est très touchant : Entre la chanson « Héros » et « Ce soir on sort » qui s’enchaine, je vis un moment bouleversant sur scène. Les musiciens et les techniciens qui m’accompagnent aussi. Quand je regarde le public, j’ai l’impression que c’est un sentiment très partagé…

– Quel est ton secret pour être en forme après 2h45 sur scène ?
L’enthousiasme ! Le plaisir ! C’est tellement interactif ce qui se passe avec les gens, que même si on est épuisé, on ne peut pas rester insensible et on est obligé d’y aller… Cela n’arrive jamais de toute façon ; je ne suis jamais fatigué, et on s’envoie mutuellement beaucoup d’énergie avec le public. Il se passe beaucoup de choses, et je ne vois pas le temps passer sur scène. J’ai l’impression que sur ce spectacle, les gens ne voient pas le temps passer non plus, sans quoi j’aurais réduit sa durée, supprimé des chansons… J’ai tendance naturellement à ne jamais aller au-delà du seuil de tolérance. Après toutes ces années, avoir ce public qui vient me voir, qui me fête, avec lequel il existe des codes : il y a beaucoup de choses qu’on n’a plus trop besoin de se dire entre eux et moi. Les choses se sont installées. C’est à moi du coup de les surprendre, de ne pas être là où l’on m’attend… Et surtout de m’amuser, et de m’interroger aussi de temps en temps…

– Quelle sera ton actualité à cette rentrée ?
J’ai tourné deux films. Le premier, d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, « Le meilleur reste à venir », sortira à l’automne, avec Fabrice Luchini. C’est l’histoire de deux amis qui décident de tout plaquer pour rattraper le temps perdu… L’autre, avec Niels Arestrup, et réalisé par Bernard Stora s’intitule « Villa Caprice ». C’est une sorte de garde à vue entre un avocat célèbre et un homme d’affaires tordu, que j’incarne.
– Tu entretiens effectivement un rapport privilégié sur scène avec le public, mais aussi au cinéma ou au théâtre : où te sens-tu le plus dans ton élément ?
Quand on est artiste, on est au summum du bonheur dans la relation frontale avec le public sur scène : c’est un peu la finalité tout ce que l’on fait. Mais je me sens aussi très bien sur un plateau de cinéma, notamment lors du tournage des deux films dont je viens de te parler et qui ont été très agréables à tourner pour moi. En studio d’enregistrement, c’est un peu plus difficile, car je suis constamment dans une forme de remise en question, d’interrogations et de doutes. Je n’arrive jamais à rendre ma copie à ma maison de disques… On peut toujours s’améliorer, mais une fois enregistrées, les chansons sont figées. Au théâtre, c’est différent : après une représentation, on a 24 heures pour réfléchir et recommencer différemment le lendemain, espérer être meilleur… Enfin, dans ces trois domaines que j’adore, tout cela reste quand même très agréable : après toutes ces années de complicité avec le public, je réalise que j’ai beaucoup de chance et je me sens très privilégié…
Propos recueillis par Eric Chemouny
(*) à lire : “Patrick Bruel, des refrains à notre histoire” par Frédéric Quinonero (éditions L’Archipel)
Crédit photos : Daniel Millet (DR) sur la tournée “Ce soir on sort…” / photo page de gauche : Sandrine Gomez (DR/ Sony Music)
