ALEX BEAUPAIN
« Pas plus le jour que la nuit »
(Polydor / Universal)

Après l’album « Loin » en 2016, et celui qu’il a entièrement conçu pour l’immense Françoise Fabian en 2018, désormais reconnu comme un expert de la chanson sentimentale et introspective depuis le succès de la B.O du film musical de Christophe Honoré, « Les chansons d’amour », Alex Beaupain a éprouvé l’envie de se renouveler et d’aborder une nouvelle façon de faire un disque.
Pour ce sixième album, il a choisi d’abord de s’entourer de gens plus jeunes, faisant de la musique d’une autre manière, selon ses propres dires. C’est ainsi qu’Ambroise Willaume, alias Sage (cf. Woodkid, Clara Luciani) ou Gabriel Legeleux, alias Superpoze (cf. Lomepal) sont venus élargir son inspiration du côté de sonorités plus électroniques, sans pour autant dénaturer son lyrisme naturel et sa sensibilité à fleur de peau, ni faire appel aux sempiternels arrangements de cordes, absentes de l’album construit plutôt autour de claviers, de guitares et de quelques batteries. A noter également la contribution sur deux titres de son complice Nicolas Subréchicot, avec lequel il avait déjà travaillé sur « Après moi le déluge ».
Côté textes, comme soucieux de s’éloigner de cette veine autobiographique qu’il maitrise pourtant à merveille, l’auteur-compositeur interprète a décidé d’ouvrir son inspiration à d’autres thèmes, tout en ne perdant pas de vue la notion (devenue rare en ces temps de consommation aléatoire et compulsive de musique) de construction globale d’un album. A l’ancienne…
En résulte une savante architecture de chansons sentimentales (« Tout le contraire de toi », pudique constat de l’incapacité à faire le deuil d’un amour, « Sitôt » sur la difficulté à conserver la magie des premiers instants de la séduction une fois que les corps ont exulté, une bouleversante « Ektachrome », ou une entêtante « Pas plus le jour que la nuit … je ne trouve le repos ni la paix», inspirée du texte de Charlotte Brontë), habilement tressées à des chansons nées de sa fine observation de ses contemporains ou de l’actualité.
A commencer par le premier extrait « Cours camarade », sur le cynisme et la perte des idéaux de la génération 68, « Orlando », pleine de compassion envers les victimes du massacre survenu dans un club gay de Floride (un chef d’oeuvre, osons le dire !), « Les sirènes », magnifique métaphore sur la vague d’attentats ayant frappé la France ces dernières années, ou encore l’inquiétante et sombre « Poussière lente », magnifique partition d’anticipation sur la fin du monde.
Riche de cette nouvelle collection de 10 chansons plus réussies les unes que les autres, Alex Beaupain confirme son excellence et sa singularité, tout autant qu’il s’approche un peu plus encore, par sa concision, sa simplicité d’interprétation, et le regard qu’il porte sur le monde, à la fois tendre et désabusé, du titre de digne héritier d’un Souchon, non loin des De La Simone et autre Delerm.
Eric Chemouny
