COEUR DE PIRATE

Avis de tempête sur La Rochelle…

Des Francos de Montréal aux Francofolies de la Rochelle, il y avait un océan que Coeur de Pirate n’a pas hésité à franchir pour venir à la rencontre de ses nombreux fans français : dans l’après-midi précédent son concert au Grand Théâtre de la Coursive le 12 juillet dernier, elle s’est entretenue avec nous, avec le caractère et la détermination qu’on lui connait, mais aussi une sagesse toute nouvelle, à propos de son dernier album « En cas de tempête, ce jardin sera fermé », ainsi que sur ses (déjà !) 10 ans de carrière
JE SUIS MUSIQUE 20 : Interview Cœur de Pirate / Francofolies de La Rochelle
– Dans quel état d’esprit as-tu enregistré ce dernier album « En cas de tempête, ce jardin sera fermé » ?

Il est sorti depuis quelques mois maintenant, ça c’est cool. J’étais vraiment contente d’enregistrer cet album qui m’a permis d’effectuer un changement sur le plan psychologique et dans ma façon de fonctionner. J’ai pu parler de choses importantes pour moi, et en retour, je pense que les gens se sont vraiment retrouvés dedans. Ce sont les échos que j’en ai eus, en tout cas et j’en suis très heureuse…

– Tu es une des rares artistes féminines francophones à tout prendre en main dans la confection d’un album, paroles et musiques…

C’est vrai, je fais tout, de A à Z, sans l’aide de personne. Je suis très têtue, donc personne ne peut intervenir. C’est con, mais c’est comme ça. Malgré tout, je l’ai enregistré très rapidement, à Paris. J’avais un besoin irrépressible d’écrire à ce moment-là, donc c’est allé assez vite. Pour ce qui est de la dernière chanson, elle s’est un peu faite à la blague, mais elle a pris toute sa place, parce que finalement je l’ai sortie en extrait.  Mais c’est moi qui en ai assuré la prod’ toute seule chez moi devant mon ordi. C’était quand même assez drôle de me dire que cette chanson, la première que j’ai produite toute seule, se retrouve dans l’univers commun. C’est peut être le début de quelque chose de nouveau pour moi : j’ai toujours écrit et composé mes morceaux, mais j’ai pris goût désormais à produire mes propres chansons… 

– Le fait d’avoir étudié le graphisme est-il utile dans ta démarche ?

Oui, ça me permet d’avoir un peu le contrôle sur tout et d’être légitime sur tout ce qui relève de l’image, etc. Donc, forcément ça m’a aidé.

JE SUIS MUSIQUE 20 : Interview Cœur de Pirate / Francos de Montréal
– La dernière chanson, « Ne m’appelle pas », marque une évolution musicale… Faut-il y voir la couleur d’un prochain album, alors que tu avais laissé entendre que celui-ci serait peut-être le dernier ?

Oui, c’est une chanson très drôle (rires). Je ne sais pas si elle ouvre la voie d’un nouvel album : tout dépendra si elle fonctionne ou pas. Je suis actuellement en tournée, et je n’ai pas le recul suffisant pour m’en rendre compte. Elle a bien marché au Québec, et il semble qu’ici aussi. Donc si les gens sont persistants, et qu’ils me le demandent, j’irai peut être enregistrer un autre album. Forcément…

– Y-a-t-il eu des réactions justement ?

Oui, c’était étonnant : certaines personnes se sont reconnues dans cette chanson et m’ont envoyé un petit texto juste après. C’était très touchant…

– Cet album est plus personnel et profond que les précédents : certains morceaux ont-ils été plus difficiles à finaliser que d’autres ?

C’est vrai que je me suis livrée davantage que d’habitude : je ne me suis pas auto-censurée, parce que pour la première fois, je me disais que je n’avais plus rien à perdre. Les gens pouvaient en penser ce qu’ils voulaient, ce n’était pas très grave. Je ne sais pas si c’est lié à l’approche de la trentaine, mais j’étais plus calme que d’ordinaire. La chanson intitulée « Je veux rentrer » par exemple parle de viol conjugal, un sujet rarement abordé, encore moins en chanson. Les gens concernés ne savent parfois même pas qu’ils le vivent au sein de leur couple. Je voulais explorer le sujet et en parler. Aujourd’hui sur scène, c’est comme si je m’appropriais moi-même les événements dont je parle, et qu’ensuite l’agression n’avait plus aucun effet sur moi, un peu comme si je prenais le contrôle sur ce qui m’était arrivé.

– As-tu eu des retours particuliers autour de cette chanson ?

Oui, je le vois dans les concerts. Je sens que c’est quelque chose qui parle à certaines personnes dans le public. C’est ma grande victoire et c’est aussi pour cela que je fais de la musique : faire des chansons en lesquelles les gens se retrouvent… Je reçois sans arrêt des témoignages assez touchants de gens qui me disent que ma musique a changé leur vie. On oublie souvent qu’on a un tel impact sur le public, mais quand les gens me disent que je les ai aidés à surmonter une épreuve personnelle, ça me donne envie de continuer…

– Cette chanson t’a-t-elle donné envie justement d’explorer des sujets plus graves et profonds sur l’éventuel prochain album ?

Je ne sais pas ce qui va se passer s’il y a un cinquième album. J’ai dernièrement fait une chanson plus joyeuse pour l’été, et c’est sûr que j’aimerais bien explorer davantage ce registre aussi. Les gens ont souvent dans l’idée que ce que j’écris est très triste, et que je passe mon temps à broyer du noir, etc, etc. Ce n’est pas vrai : je peux être un peu sympa et un peu drôle, quand je le décide. Sans aller dans une direction humoristique, j’ai envie de davantage de légèreté, même si sur mon deuxième album, j’étais déjà plus rentre-dedans, plus directe que sur le précédent… Je pourrais revenir dans cette direction aussi. Je ne sais pas encore…  

JE SUIS MUSIQUE 20 : Interview Cœur de Pirate / Francos de Montréal
– Tu as fait de nombreux featurings et duos au cours de ta carrière : quels sont les artistes avec lesquels tu rêves encore de chanter ou de collaborer ?

Les collaborations sont des choses qui se font souvent assez organiquement : la plupart du temps, ce sont des amis ou des gens que je connaissais d’avant, et avec lesquels je m’entends très bien. Si ce n’est pas le cas, je ne pense pas que ça vaille la peine d’être exploré…

– Comment as-tu sélectionné les morceaux qui composent la setlist de ce soir ?

En fait, j’ai choisi les chansons préférées des gens. Tout simplement. Après plusieurs albums, c’est confortable de pouvoir choisir les plus connues, parmi toutes les chansons que j’ai enregistrées. Au cours des précédentes dates, j’ai éprouvé une vraie communion avec le public. Depuis la scène, je ressens que les gens sont vraiment investis. Ils sont très présents, et écoutent les chansons avec beaucoup d’attention. Ca leur permet de redécouvrir leurs titres préférés d’une autre façon, chose qu’ils ne peuvent pas nécessairement faire ailleurs… Compte tenu de la configuration de la salle, je serai forcément plus calme que si je devais chanter sur la grande scène de l’esplanade Saint-Jean d’Acre. Je serai essentiellement au piano et je ne vais pas sauter partout, mais mon interprétation restera assez similaire que si j’étais sur l’esplanade en fait…

– Tu as chanté en juin dernier aux Francos de Montréal : as-tu une approche différente des publics de chaque côté de l’Atlantique ?

C’est surtout au niveau des blagues que mon spectacle diffère d’un pays à l’autre : il faut les changer un peu quand je chante en France. C’est fascinant de voir à quel point le Québec rit d’une autre façon sur certaines choses comparé à la France. Après tout, c’est normal. Culturellement parlant, on a pas mal de différences, même si on parle la même langue. Sinon, au niveau de la setlist, c’est assez similaire. Les chansons restent les mêmes d’un pays à l’autre. C’est toujours cool de voir comment les gens réagissent là-bas comme ici : je sens qu’il y a une forte attente pour le concert de ce soir, et j’en suis très heureuse…

– Tu sembles très attachée à la Francophonie et à la langue française…

Oui, et d’ailleurs cette année, j’ai chanté dans toutes les Francos… Ca me semble naturel de se battre pour garder la langue française en vie. Je trouve qu’écrire en français permet d’utiliser des images et faire de la poésie, comme je ne pourrais le faire dans aucune autre langue. Le Français est ma langue maternelle et je chante en Français dans le reste du monde sans aucun problème. Je donne des concerts aux Etats-Unis, et dans le reste du Canada principalement anglophone, ce qui est bien la preuve que la langue française peut aussi être universelle et qu’on peut provoquer des émotions artistiques chez les gens, sans qu’ils parlent nécessairement notre langue. 

– Comment les Québécois réagissent-ils à ton succès en France ?

Ils en sont heureux, bien sûr. Si je peux faire rayonner le Québec à ma façon, c’est tant mieux. C’est vrai qu’au début de ma carrière, ils pouvaient difficilement évaluer mon succès, parce qu’il n’y avait pas les réseaux sociaux, etc. Depuis, j’ai reçu quelques prix récompensant des artistes québécois s’étant le plus illustrés en dehors du Québec. Ca signifie qu’ils sont fiers de moi : je l’espère en tout cas…

– Depuis le début de ta carrière, les réseaux sociaux ont en effet pris beaucoup d’importance dans la gestion d’une carrière artistique : quel est ton rapport à ces nouveaux vecteurs ? Gères-tu toi-même les tiens ?

Oui, je les gère moi-même et je suis très active sur les réseaux, surtout sur Twitter. Récemment, des gens sont même venus me voir dans le métro pour me dire qu’ils aimaient mon compte Twitter, et non ma musique. Peut-être faut-il y voir une transition vers quelque chose que je ne maitrise pas encore… comme l’humour (rires). En tout cas, je trouve ça cool, car ça me permet de prendre le contrôle sur ce que j’ai envie de dire. Un jour, les journalistes ont compris que tout ce que je disais sur Twitter, c’était des conneries, et depuis ils ne me citent plus. Ca me fait bien marrer ! Les gens me répondent et parfois ça devient une sorte de karaoké de groupe virtuel : je le fais souvent et je trouve cela très drôle…

– Tu as connu l’expérience du doublage pour le cinéma (ndlr: « Les Schtroumpfs », en 2011, où elle était la voix française de la Schtroumpfette) : as-tu envie d’aller plus loin et de jouer la comédie ?

Si on me le demande, pourquoi pas ? Je ne sais pas si je serai à la hauteur, mais l’expérience me tente et je le ferais avec plaisir. Cela dit, je fais beaucoup de tournées, et c’est toujours un peu compliqué de coordonner tout cela avec les castings. Et puis, je préférerais éviter les rôles trop dramatiques, car c’est un domaine que j’ai pas mal exploré en chanson… Si on pouvait me voir sous une autre facette, ce serait l’idéal ! (rires).

Propos recueillis (à La Rochelle) par Eric Chemouny

crédit photos: Francos de Montréal (DR / Spectra), Francofolies de la Rochelle (DR) / Eric Chemouny (DR/JSM)

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