LES EMANCIPEES
Vannes, en toute liberté !
Du 18 au 24 mars dernier, dans la très jolie ville médiévale de Vannes dans le Morbihan, se tenait la 3ème édition du festival Les Emancipéés (avec deux é, svp !) : une manifestation pas comme les autres, à la programmation multi-sensorielle aussi ambitieuse que variée, à mi chemin entre la chanson et la littérature, laissant également une large place au théâtre, à la danse, à la bande dessinée et même à la gastronomie… Avec pour seuls mots d’ordre l’innovation et la liberté de créer !

A l’origine de ce jeune festival se distinguant par sa ligne directrice originale et exigeante, on retrouve la dynamique directrice de Scènes du Golfe, Ghislaine Gouby, une femme curieuse et gourmande de cultures sous toutes ses formes : loin de se contenter de croiser des tournées d’artistes divers, elle s’est attelée à proposer une programmation de haute voltige, comptant non moins de 10 créations, croisant pour l’essentiel littérature et musique, à l’instar des spectacles de la Maison de la Poésie à Paris ou des soirées parisiennes « A définir dans un futur proche», associant diverses artistes, actrices, chanteuses, romancières, conférencières autour de la question du genre.
Au fil des 7 jours, côté lectures ou théâtre musical, les festivaliers pouvaient ainsi se délecter sur les diverses scènes du Golfe, théâtre de Vannes et Arradon, de spectacles littéraires finement choisis, comme la lecture musicale « L’hiver du mécontentement », donnée par Thomas B. Reverdi et JP Nataf (moitié des Innocents), ou encore celle, illustrée d’images vidéos, « J’entends des regards que vous ne voyez pas » par Mathieu Baillot et Arnaud Cathrine, un spectacle conçu à partir d’extraits du roman de celui-ci, suite de 65 récits brefs, captant les vies de ceux et celles qu’il croise, entre fantasmes et réalité. Un spectacle ultramoderne aussi sobre qu’intense, qui donnait aussi l’occasion au romancier (très impliqué dans la programmation du festival aux côtés de Ghislaine Gouby) de pousser à nouveau la chansonnette, après l’heureuse expérience de Frère Animal, qui l’avait associé à Florent Marchet et Valérie Leulliot. Autre spectacle, autre genre, Benjamin Guillard (cf. « Vous n’aurez pas ma haine ») donnait vie au quadra déprimé et désespéré, héros malgré lui, du roman « Le discours » de Fabrice Caro lors d’une lecture remarquable, mise en scène par Emmanuel Noblet.


De son côté, la journaliste-romancière Christine Angot proposait une lecture de son denier roman « Un tournant de la vie », avec beaucoup de conviction et un réel talent de comédienne : une prouesse d’autant plus respectable, qu’elle était l’objet de menaces et de tags antisémites nauséabonds sur les murs de la ville et du théâtre les jours précédents son spectacle : triste époque… Le samedi soir, c’est la journaliste Claire Chazal, décidément de plus en plus à l’aise sur scène (elle était la conteuse dans la version théâtrale de « Peau d’Ane » à Marigny cet hiver), qui lisait « Tous les hommes désirent naturellement savoir », de Nina Bouraoui, avec précision, sobriété et dans une mise en scène très fluide, mettant en lumière ce texte ciselé de la romancière, explorant des thématiques aussi délicates que l’homosexualité féminine, le déracinement, le passage à l’âge adulte, ou la double culture, le tout avec pour cadre les très bouillonnantes années 80. De quoi donner à regretter que Nina Bouraoui ait déclaré forfait pour la rencontre avec ses lecteurs au programme de cette édition…

Les amateurs de théâtre n’étaient pas en reste, avec le magnifique spectacle à trois voix donné par Béatrice Dalle, Virginie Despentes, et David Bobée : « Un soir avec David Bobée » joué à La Lucarne d’Arradon. De son côté, l’imposant Joey Starr y clôturait magistralement la programmation le dimanche soir, avec son très politique « Eloquence à l’Assemblée ». Un triomphe…
Si malheureusement, pour cause d’heureux évènement prochain, Raphaële Lannadère, alias L, désormais installée en Bretagne, ne put honorer ses engagements (ni le spectacle musical, avec Thomas Jolly, « Le jardin de silence, hommage à Barbara », ni son concert « Chants de l’Atlantique », autour des textes et chansons de marins), on se dit que ce n’est que partie remise, tant la programmation musicale était exaltante par ailleurs : à commencer par l’immense comédienne Françoise Fabian, proposant son magnifique spectacle autour des chansons de son premier album à 85 ans, concocté pour elle par Alex Beaupain. Désormais plus à l’aise que jamais dans ce rôle de chanteuse et ce répertoire signé entre autres par Beaupain, Aznavour, Delerm, Dominique A, Julien Clerc, La Grande Sophie, elle s’offrait aussi la reprise de « J’attendrai » (Rina Ketty / Dalida) et d’ »Un jour, tu verras », entre deux souvenirs sur son enfance en Algérie. Loin d’être fatiguée par sa prestation, elle proposait ensuite une lecture de son choix restée secrète jusqu’au soir du spectacle : ce fut finalement un extrait de « Je ne sais rien de la Corée » d’Arthur Dreyfus…
Si les très poétiques garçons rockeurs de Feu!Chatteron, menés par le charismatique Arthur Teboul, donnaient la dernière représentation de leur tournée autour du superbe album « L’oiseleur », dans une salle extérieure habituellement destinée aux musiques urbaines (« L’échonova » de St-Avé), une large place était faite à la jeune chanson française au féminin : à commencer par l’excellente Blondino, proposant de découvrir son répertoire, puisant ses références chez Bashung ou Christophe, dans l’attente d’un premier album, et alors que l’addictif « Le silence » fait office de nouveau single. Au programme également, une reprise des « Filles d’aujourd’hui », la chanson de Brigitte Fontaine qui fut la première apprise par la jeune et prometteuse artiste.
Barbara Carlotti, quant à elle, animait avec Alexandre Fillon une conférence autour de l’oeuvre d’Etienne Roda-Gil, saisissant au passage l’occasion de reprendre à sa manière plusieurs titres écrits par le génial parolier comme « Le crabe » (F. Hardy), « Mal » (Christophe), « Souffrir par toi n’est pas souffrir » (J.Clerc), « Cette chose molle » (I. Caven), « Cadillac » (J. Hallyday), « Joe le Taxi » (V. Paradis ), mais surtout « Magnolias for Ever » (C. François) dans une version piano-voix ralentie de toute beauté, qu’on ne peut que lui conseiller de mettre à son propre répertoire. C’est précisément ce répertoire qu’elle présentait la veille, vendredi 13 mars, avec les chansons de son dernière album « Magnétique », augmentées de quelques titres plus anciens.
Ce soir-là, Barbara partageait la scène avec la Pop-girl du moment, alias Clara Luciani. Alors que son tube « La grenade » n’en finit pas de grimper dans tous les classements, un an après sa sortie, la chanteuse toujours aussi élégante inaugurait un nouveau décor de toute beauté inspiré du titre de son album « Sainte Victoire ». Au programme, la quasi totalité des titres de ce petit bijou augmenté des bonus de l’édition limitée, émaillés de quelques moments mémorables comme la montée sur scène d’un Eddy (une première depuis qu’elle tourne !), et celle au final, et à son invitation, des élèves de la CHAM du collège St Exupéry de Vannes sur sa reprise de « Jean Bleu », adaptée de Lana Del Rey… Un grand moment d’émotion pour tous, petits et grands, à commencer par Clara elle-même !

Histoire de combler tous les amateurs d’art innovant et libre, Les Emancipéés donnaient aussi à admirer une trentaine de planches de BD, permettant de plonger dans l’univers de Fabcaro, à visionner en avant-première « Joséphine Baker première icône noire », ainsi que « Delphine et Carole, insoumuses », deux documentaires inédits proposés par Arte, et même à danser le samedi soir, au «grand bal littéraire » avec Marion Aubert, Emmanuelle Destremau, Samuel Gallet, Fabrice Melquiot et Eddy Pallaro, cinq auteurs réunis autour de leurs chansons préférées pour élaborer une fable commune, chacun écrivant un texte court dont chaque fin énonce le titre d’un des tubes choisis, après lequel les auditeurs sont appelés à danser follement ! Une belle idée !

Enfin, en cette région hautement gastronomique, cette grande fête des sens ne pouvait s’achever sans un régal des papilles : pour ce faire, la chef Alexia / Miam proposait aux convives ayant réservé leur place à « La grande tablée », un repas dominical inventif et délicieux, né de son imagination fertile et raffinée, s’autorisant toutes les associations de saveurs et d’ingrédients…
Liberté, liberté chérie, Vannes te va si bien !
Eric Chemouny
crédit photos: Gilles Vidal / organisation Les Emancipées (DR) – reproduction strictement interdite, sauf Blondino par Eric Chemouny (JSM)
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