CLARIKA

Les chemins de traverse

Depuis ses débuts en 1993, à force d’exigence et de ténacité, Clarika s’est construit un répertoire impeccable et une riche carrière scénique qui forcent le respect et l’admiration de tous. Femme et artiste résolument libre et toujours sur le fil, entre émotion et légèreté, elle a trouvé sur ses chemins de traverse une inspiration et une originalité qui font d’elle aujourd’hui un modèle et une référence en matière d’écriture féminine. A l’occasion de la sortie (le 8 mars) de son 8ème album, « A la lisière », annoncé par le splendide clip “Même pas peur”, tourné à Venise, elle a accordé à Je Suis Musique la toute première interview de son planning promo, pour évoquer la genèse de cette nouvelle pierre à son superbe édifice discographique… 

– À la veille de la sortie de ce 8ème album, dans quel état d’esprit es-tu ?

Je suis impatiente qu’il sorte et fébrile à la fois, parce que je prépare aussi la prochaine tournée. C’est plutôt une bonne chose d’ailleurs, parce que ça m’occupe l’esprit et m’empêche de penser à la sortie du disque.

– Il sort le 8 mars : hasard de calendrier ou es-tu sensible à la symbolique des chiffres ?

C’est juste un joli hasard. Le 8 mars est aussi la journée de la femme, et j’aime bien cette idée.

– Il s’intitule « A la lisière » : quel sens donner à ce titre ? Te sens-tu à la lisière de ta vie, de ta carrière ?

Il y a un peu de tout cela : la chanson « La lisière », qui ouvre l’album, était pour moi une chanson de passage entre l’album précédent, « De quoi faire battre mon coeur », et celui-ci. Ce titre s’est imposé de lui-même quand j’ai réfléchi à un titre d’album. C’est un beau titre, au-delà de son sens. Il représentait bien mon état d’esprit du moment, à une période charnière de ma vie sur tous les plans.

– Tu n’as jamais semblé aussi bien dans ta peau, au point que pour la première fois, tu joues le jeu du plan serré sur la pochette…

C’est vrai. Je n’avais pas envie de me cacher derrière des artifices. Comme d’habitude, les chansons de cet album sont proches de moi, de ce que je suis, mais j’ai voulu proposer quelque chose de plus direct, de plus frontal…

Tu n’as jamais été aussi productive, puisque tu sors désormais des albums régulièrement, tous les 3 ans : es-tu davantage inspirée ?

Pas spécialement, mais j’éprouve peut-être une sorte d’urgence à faire les choses. Depuis quelques années, je suis dans une dynamique plus régulière, c’est vrai. Après, il n’y a pas que les albums ; j’ai toujours fait beaucoup de concerts qui prennent du temps. Même quand quatre ans s’écoulaient entre deux albums, il se passait des choses sur scène pendant deux ans au moins…

– Cet album sort chez At(h)ome : es-tu davantage dans ton élément sur un label indépendant, après avoir été en majors ? Retrouves-tu l’esprit des Boucherie prod. de tes débuts ?

Je dois reconnaitre que même quand j’étais signée en major, chez Sony ou Universal, j’ai toujours eu la chance de ne pas faire de compromis artistique. Je n’ai jamais éprouvé de contrainte ou de pression. C’était assez cool. Aujourd’hui au sein d’At(h)home, je me sens plutôt bien. Le fait d’avoir une proximité, un retour direct sur ce qui se passe, est assez agréable. Evidemment, l’économie n’est pas celle d’une major, il faut composer avec, mais j’ai pu enregistrer le même album que celui que j’aurais fait dans une major. Sur le plan artistique, je n’ai éprouvé aucune frustration liée à un manque d’argent. Et puis les gens qui ont travaillé avec nous ont tenu compte du fait qu’un petit label a moins de moyens et tout le monde s’est adapté. C’est le bon côté de la crise du disque : les gens travaillent plus librement et choisissent les projets qui les motivent vraiment…

– C’est un album assez court : as-tu écrit davantage de titres pour n’en retenir que 11 ?

Comme à chaque fois, j’ai enregistré toutes les chansons abouties, même si j’avais des brouillons abandonnés… Quand il y avait une certitude sur un texte, il a été mis en musique. Je suis incapable d’écrire 25 très bonnes chansons pour n’en sélectionner que 11 ou 12 ensuite. Chacun sa technique… C’est aussi pourquoi je n’ai jamais de fonds de tiroirs en commençant un nouvel album. C’est assez angoissant d’ailleurs.

– Après Fred Pallem  et Raoul Tellier sur le précédent disque, tu as fait appel à Florent Marchet (rencontré sur « Moi en mieux » en 2009) et François Poggio ?

Florent a composé l’essentiel des musiques avec moi, hormis deux chansons composées par Jean-Jacques Nyssen. Il a assuré le rôle de réalisateur et arrangeur, même si j’étais là pour donner mon avis, et superviser le tout. Il a notamment écrit les beaux arrangements de cordes et s’est entouré de François Poggio, qui n’a pas tout réalisé, mais était très présent sur la moitié de l’album. C’était un vrai laboratoire : ils ont exploré beaucoup de pistes.

– Quelles sont leurs principales qualités selon toi ?

J’aime beaucoup l’idée de travailler avec des chanteurs, en tout cas des gens qui ont une vraie sensibilité sur la chanson en général. Ils aiment les textes et sont à leur service. Florent et François, sont de super musiciens, dotés d’une grande culture musicale. Ils m’apportent beaucoup par leurs références. Et puis on s’étend bien, c’est important. Avec Florent, on se suit depuis longtemps maintenant. Ils forment un duo hyper productif ; ils se renvoient la balle tout le temps… J’étais au milieu de cet échange et les musiciens sont venus nous rejoindre ensuite.

– C’est toi la patronne en studio ?

En tout cas, c’est moi qui décide. Ils proposent, je dispose (rires). Il m’arrive aussi de faire des propositions, mais ce sont toujours eux qui sont à l’origine des bonnes idées : je me contente de donner des directions, des climats… Je suis très déterminée sur ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Quand j’écris un texte, j’ai toujours en tête, plus ou moins consciemment, une ambiance musicale. Après, je peux être totalement déroutée, et le compositeur et l’arrangeur vont totalement à l’encontre de ce que j’avais imaginé, mais en général les textes induisent une mélodie, une ambiance…

– Globalement, cet album est plus optimiste et positif que le précédent qui était très marqué par le thème de la séparation : c’était une volonté de départ ?

Non, il représente un instant t de ma vie. J’avance, comme tout le monde. Même s’il est encore empreint d’angoisses et de peurs, il est effectivement moins sombre que le précédent, et je suis aussi revenue aux chansons portraits, que j’avais un peu abandonnées dernièrement.

– De même, tu emploies plus volontiers la première personne qu’à tes débuts, où tu dressais en effet davantage de portraits de personnages un peu pittoresques …

c’est vrai ; mais quand j’écris un album, je ne me pose pas la question de savoir quel en sera le concept ou la couleur. Il est le reflet de mon inspiration du moment, de mes envies, avec des chansons parfois très personnelles et d’autres qui résultent de mon observation, de ma curiosité envers le monde extérieur…

– L’album s’ouvre sur un bel instrumental assez inattendu : c’était un choix de ta part ?

Oui vraiment, c’était une demande que j’ai exprimée très tôt à Florent. La chanson « La lisière », renvoyait pour moi à une image de douceur, d’espace, dénuée de paroles… je lui ai demandé de m’écrire une ouverture instrumentale. Je trouve cela très beau. je me dis qu’aujourd’hui, il faut aller jusqu’au bout de ses choix, et ne pas trop réfléchir de façon stratégique. Les gens viennent à toi pour un ensemble de choses, surtout pour une artiste comme moi. Mon public n’est pas du genre à zapper la chanson sous prétexte que l’album s’ouvre sur un instru. Je trouve au contraire qu’il pose quelque chose, installe un climat, exactement comme je l’entendais. Ce morceau, « La lisière » s’est tout de suite imposé comme celui d’ouverture de l’album d’ailleurs.

– Comment est né « Même pas peur », premier single extrait ? Difficile de ne pas y voir une référence aux attentats…

Et pourtant, pas du tout. Je n’ai absolument pas pensé aux attentats en écrivant cette chanson, même si évidemment, ils font partie des peurs de nos vies. C’est une sorte de mantra cette chanson : on est terrifié par plein de choses, mais on essaie de se donner du courage. Je donne l’apparence d’une image positive, mais au fil du texte, on sent que tout cela est fragile : on essaie de se convaincre, comme des enfants, qu’on n’a pas peur, et on y va ! Il y a une part de mauvaise foi assumée tout au long de la chanson. On fait semblant d’y croire, parce qu’on n’a pas d’autre choix. C’est aussi pourquoi la musique est un peu triste et nostalgique… 

– Avez-vous hésité avec d’autres titres en single ?

Oui, en faisant les écoutes, on a pensé à « La belle vie (Tout, tout de suite) », mais j’avais quand même envie d’une chanson avec un fond de gravité, parce que cela fait partie de moi aussi.

– En réalité, on te sent plutôt anxieuse : qu’est ce qui te fait peur dans ce monde ?

Je suis une maman assez inquiète : je ne veux pas jouer la vieille conne, mais quand on a des enfants en passe de devenir des adultes, on se rend compte que c’est difficile d’évoluer dans le monde actuel, tant sur le plan politique qu’en matière d’écologie. Heureusement, j’ai aussi en moi une part d’inconscience et d’insouciance. J’essaie en tout cas de ne pas leur transmettre mes angoisses…

– Le clip de « Même pas peur » a été tourné à Venise dans une ambiance très Viscontienne  : qui en a eu l’idée ?

Raphaël Neal, son réalisateur anglais, dont je connaissais le travail de photographe et le premier long-métrage assez remarqué. J’avais envie de travailler avec lui. Quand on s’est rencontré, je faisais alors une mise en scène pour un spectacle du cabaret Madame Arthur. En discutant, on s’est dit que ce serait bien de solliciter une créature du spectacle, par rapport au thème de la chanson. On est partis là-dessus, et l’idée de tourner à Venise s’est imposée assez rapidement. C’était aussi un clin d’oeil presque involontaire à une autre chanson de l’album, « Venise », en duo avec Pierre Lapointe. Cette ville représente bien ce mélange d’enlisement et de beauté dans lequel notre monde se trouve.

– As-tu des souvenirs particuliers liés à ce tournage ?

On est partis très peu de temps, en équipe réduite. Ce genre de conditions soude les gens : il faisait extrêmement froid. On a pris un avion à 6 heures du matin. Arrivés à 8 heures et demi, on a posé nos affaires, et on est partis habillés et maquillés dans Venise, où les repérages avaient été faits auparavant. On a tourné toute la journée, complètement gelés. On est rentrés le soir, dans la maison louée pour le tournage de nuit : on s’est fait des pâtes, on a tourné et le lendemain, on est repartis tourner toute la journée et on est rentrés à Paris. C’était très intense, une aventure artistique et humaine géniale et hyper forte…

– Vous n’aviez pas peur que la fin très décadente et sulfureuse du clip limite sa diffusion ?

Oui, et on l’a d’ailleurs beaucoup édulcoré. On l’a montré assez vite à M6 qui n’a pas émis de censure particulière. On s’est interdit de fumer dans le clip, et la comédienne a du volontairement se cacher le sein : si on avait juste vu son téton, ça ne passait pas ! C’est dingue…

– En avez-vous profité pour tourner d’autres images, justement pour le duo « Venise » avec Pierre Lapointe ?

Malheureusement non, par manque de temps. Le réalisateur et le chef opérateur sont restés le lendemain pour faire des vues de Venise, etc. Et puis justement, si je devais tourner un clip pour cette chanson, je ne le tournerais pas à Venise, mais dans un endroit un peu décadent, ou beaucoup moins beau, comme un supermarché… (rires).

– As-tu une telle aversion pour cette ville dans la vraie vie ?

Non, au contraire, j’adore Venise : je m’en moque un peu dans le duo, avec une mauvaise foi totale, mais tous les refrains évoquent au contraire le Venise que j’adore, un Venise en hiver, avec ses références au cinéma italien, de Fellini à Visconti…

– Pourquoi avoir fait appel à Pierre Lapointe ?

On avait fait ensemble le grand choral des Nuits de Champagne à Troyes, ou nous étions les interprètes de Brel, il y a 3 ou 4 ans. C’est un artiste que j’aime beaucoup. La chanson n’avait pas été écrite comme un duo à la base, mais l’idée  m’est vite venue à l’esprit, et quand on s’est posé la question avec Florent de qui me donnerait la réplique, c’est un des premiers noms qui s’est imposé.

– As-tu déjà chanté au Québec ?

Oui, j’y ai beaucoup chanté au début de ma carrière. J’y ai fait les Francofolies plusieurs fois, mais j’y suis moins allée ces derniers temps, notamment parce que mes derniers albums n’y sont pas distribués… J’aimerais beaucoup refaire Montréal.

– Est-ce le début d’une collaboration fructueuse avec Pierre Lapointe ?

On n’en a pas parlé, mais il fait partie des artistes avec lequel je pourrais effectivement faire des choses… C’est un bel artiste.

– Cette chanson, c’est un peu votre version revisitée des « Gondoles à Venise » de Sheila et Ringo… Y as-tu pensé pendant l’enregistrement ?

Oui, pendant l’écriture de la chanson en tout cas, en faisant rimer Venise et Tamise, j’y ai immédiatement pensé… C’était drôle. 

– d’ailleurs, tu as écrit pour Sheila…

Oui, c’était pour un projet d’album qui a pris l’eau, c’est le cas de le dire. Didier Varrod, à son initiative, voulait rassembler des chansons uniquement conçues par des signatures féminines. Le projet s’est cassé la gueule, mais Sheila a gardé les deux chansons écrites avec Marie Nimier, qui figurent sur une compile et qu’elle a chantées sur scène. Je suis allée la voir à l’Olympia : elle commençait le spectacle par une de ces chansons, « Donne-moi ta main », après quoi elle a déclaré : « je suis très émue, car Clarika est dans la salle ce soir ! ». Tout le monde s’est tourné vers moi, j’étais gênée mais ça m’a fait très plaisir (rires) ! C’était déjà assez surréaliste pour moi d’écrire pour Sheila… Cela dit, on avait vraiment envie de lui écrire une super chanson, en lien avec la femme qu’elle était à cette époque, sans se référer à son image ou ce qu’elle avait fait auparavant. On était très contentes du résultat, et apparemment elle avait été très touchée aussi par ces chansons. 

– Depuis tes débuts, tu aimes beaucoup les duos (La Grande Sophie, Jil Caplan, Bernard Lavilliers, Michel Jonasz…), au point d’avoir construit un spectacle « Ivresses » avec Daphné : comment est-il né ?

Je connaissais peu Daphné : je la croisais de temps en temps, j’aimais beaucoup ses albums, mais c’est tout. Nos managers respectifs savaient que nous étions toutes les deux dans l’envie d’un projet à part, pas forcément centré sur nos propres chansons et notre nom. Ils ont pensé à nous mettre en contact. A ce même moment, on nous a proposé une carte blanche pour “La fête des vendanges de Montmartre”, à la Cigale. On a alors eu cette idée autour des ivresses, au sens large… On a monté ce spectacle pour cet événement, qui s’est très bien passé. On est ensuite retournées le travailler en résidence, pour finaliser un concert avec lequel on a pas mal tourné.

– Que t’a apporté cette expérience de pure interprète quasiment  ?

J’adore faire des reprises. J’en fais quelques unes sur mes spectacles, avec toujours cette problématique de se dire qu’il faut apporter quelque chose de soi, détourner la chanson. Sinon, ça ne vaut pas la peine. On chantait chacune quelques chansons de son propre répertoire, mais c’était sinon un plaisir immense d’aller chercher ces très grandes chansons et les chanter ensemble. C’était très beau et plus on tournait, plus le spectacle avançait, s’enrichissait… Daphné et moi avons des personnalités très différentes et complémentaires : ça fonctionnait bien au niveau des voix et de nos univers respectifs.

– Es-tu restée amie avec elle ?

Oui, elle vit à la campagne, mais on s’appelle de temps en temps et on se suit…

– As-tu des envies d’autres duos ? Ton duo idéal, ce serait avec… ?

On me pose souvent la question. Il y a plein de gens avec lesquels j’aurais beaucoup de plaisir à enregistrer, mais il y a une chanteuse que j’adore depuis toujours et que je n’ai jamais rencontrée, c’est Catherine Ringer !

– Ca ne me parait pas irréalisable…

C’est vrai, mais ça ne s’est jamais fait encore, alors qu’elle m’a beaucoup inspirée. Elle fait vraiment partie des chanteuses qui m’ont donné envie de faire de la scène.

– Tu chantes « Ame ma soeur âme » : pratiques-tu l’introspection ou la méditation ?

Très peu, je cogite beaucoup mais je ne suis pas du tout dans ces délires… Je suis trop dans l’action.

– « Sous ton cortex » est écrite quasiment sous forme d’un examen clinique : d’expérience, as-tu le sentiment que le cerveau des hommes est différent ?

Le cerveau de l’Homme en général, oui. La chanson aurait pu être chantée par un homme, comme par une femme : on peut partager beaucoup de choses avec quelqu’un, mais il y a toujours une part de l’autre qu’on n’atteindra jamais, tout comme une part de soi-même nous échappe aussi. Ce grand mystère m’a toujours fascinée…

– Qu’est ce qui t’a inspiré cet hymne à la patience qu’est « La belle vie (Tout tout de suite) » ? tu en es le parfait contre-exemple, pour avoir pris le temps de t’installer artistiquement…

C’est vrai que je n’ai pas voulu tout, tout de suite, dans mon métier. Je suis pourtant très impatiente dans la vie en général, mais j’ai besoin de temps pour écrire, étant incapable d’écrire trois albums en deux ans : j’ai besoin de me ressourcer, de recevoir avec force ce que la vie et cette activité m’apportent. Si on veut se surprendre soi-même, pour éviter de se redire et essayer de durer, de continuer à intéresser les gens, ça prend du temps. A chaque sortie d’album, on éprouve cette angoisse de savoir s’il va toucher son public…

– La chanson met aussi le doigt sur la surconsommation…

Absolument, ce qui est important à mes yeux est de réussir sa vie, pas de réussir dans la vie : c’est l’état d’esprit que j’essaie d’inculquer à mes enfants. On s’en fout de gagner plein d’argent, etc. C’est déjà un luxe énorme de faire ce qu’on aime… C’est bien plus magnifique que la réussite matérielle.

– « Le désamour » fait le pont avec le précédent album sur le thème de la rupture : tu ne crois pas en l’amitié après l’amour ? Disons que j’y crois peu en effet. Je crois pourtant à l’amitié entre hommes et femmes. J’ai beaucoup de potes, sans aucune ambiguïté entre nous. C’est peut-être possible, mais tout dépend d’où l’on vient, de la relation qu’on a eue. J’ai des amies qui arrivent à créer de vrais liens d’amitié avec leur ex compagnon, mais dans certains cas, c’est plus difficile… (rires).

– Pourtant Jean-Jacques Nyssen, ton ex compagnon et papa de tes filles, a signé deux titres sur l’album…

C’est vrai. Ils les a écrites spécialement pour l’album, de même qu’il avait collaboré sur le précédent disque qui tournait pourtant autour du thème de la séparation. Artistiquement, il reste quelqu’un qui a beaucoup de crédit pour moi. J’aime beaucoup ce qu’il fait, et son avis sur mon travail est important. Il a une patte, une couleur qui lui sont propres. Après toutes ces années, mon identité artistique reste liée à la sienne, même si aujourd’hui elle prend une autre direction. Ce n’est pas pour autant que je lâche tout en route…

– « L’astronaute » t’a-t-elle été inspirée par les exploits de Thomas Pesquet ?

Non, c’est justement Jean-Jacques qui l’a écrite, paroles et musique. C’est typiquement le genre de chansons qu’il va apporter et qui va me surprendre. Quand on fait appel à un autre auteur, on attend de lui qu’il nous propose quelque chose qu’on n’aurait pas écrit soi-même. J’avais envie d’un personnage décalé, et il a trouvé cette idée, qui renvoie à un rêve d’enfant.

– « La dentellière » évoque le personnage du tableau de Vermeer, mais elle rêve de nuits d’amour avec la Joconde : il faut toujours que tu trouves une idée pour faire déraper le thème d’une chanson…

Je trouvais belle cette idée de parler de cette fille, coincée dans son tableau depuis des siècles, et qui la nuit rêve de faire des choses un peu… (rires).

– Passes-tu beaucoup de temps dans les musées ? Quel est ton musée préféré à Paris ?

Je vais surtout au musée quand je visite des villes. J’en profite, car sur Paris, j’y vais très peu. J’en ai un peu honte, mais je ne vais pas te mentir. Déjà, pour les grosses expos, je déteste faire la queue comme c’est toujours le cas. Il faut réserver longtemps à l’avance et la perspective d’attendre une heure et demi me déprime totalement. Je suis sinon beaucoup allée au Louvre avec mes enfants et j’aime bien aller à la fondation Cartier : c’est un petit musée, avec peu d’attente en général. J’aime aller au Jeu de Paume aussi.

– Une chanson s’intitule « Je suis ton homme » : as-tu le sentiment qu’il faut se battre et se comporter en mec pour s’imposer dans ce métier ?

Non, on m’a souvent posé la question, mais sincèrement,  je n’ai jamais éprouvé de handicap par rapport au fait d’être une femme, ou un quelconque sexisme ambiant. J’ai pourtant travaillé avec des hommes ; je n’ai pas tout pris en main… A un moment donné, je dirais même que ça a été un plus pour moi. Quand je suis arrivée, on était peu nombreuses à écrire et interpréter ses chansons. Il y avait surtout beaucoup d’interprètes féminines. On a davantage suscité un certain intérêt, qu’une défiance… Je n’ai pas ressenti cela comme un poids. Pour revenir à la chanson, elle a été écrite par Jean-Jacques, donc pour le coup, c’était vraiment un exercice de style. C’était drôle qu’il m’écrive cette chanson d’ailleurs, quand on se penche en détails sur le texte…

– Te définis-tu malgré tout comme féministe ?

Oui, bien sûr, sans être une féministe active, je le suis profondément. Je suis très attachée à la cause féministe et très admirative de toutes celles qui la défendent. A commencer par la génération de nos mères, qui a beaucoup oeuvré pour que les choses s’améliorent, même s’il reste beaucoup de combats à mener. J’en suis bien consciente, bien que je ne sois pas personnellement la plus touchée, étant même assez privilégiée. Ca ne m’empêche pas de regarder autour de moi et constater qu’il y a a encore une discrimination énorme à l’encontre des femmes, dans le travail, en matière de précarité, etc.

– « L’azur » traite du thème des réfugiés, ou de l’exil en tout cas…  En tant que fille de réfugié politique hongrois, est-ce un sujet qui te touche plus particulièrement ?

Sans doute, puisque j’avais déjà écrit « Bien mérité », sur ce thème, même si sur le moment, je n’ai pas forcément fait le lien. Mais je pense qu’on n’a pas besoin non plus d’avoir un papa exilé pour être concerné par ce sujet. C’est un des sujets d’actualité qui me touche, me met en colère, et face auquel je me sens très impuissante aussi.

– Tu es une référence pour beaucoup de jeunes talents : à l’inverse, quelles sont tes derniers coups de coeur ?

En vrac et sans hiérarchie aucune, j’aime beaucoup Clara Luciani et son album. J’aime aussi beaucoup Angèle dans un registre plus léger. Et puis Maissiat, avec laquelle j’ai chanté l’an dernier, à son invitation, et qui a un très bel univers. Enfin, ce ne sont plus vraiment des découvertes maintenant…

– Chacun de tes albums détermine la couleur de la tournée qui suit ; faut-il s’attendre prochainement à un concert rétrospectif de 25 ans de carrière ?

Je commence déjà à tourner le 8 mars, et je serai à la Cigale à Paris le 3 avril : je suis en pleine construction du concert. Je viens de faire une semaine de répétitions, et il m’en reste deux, dont une semaine de montage de décors, etc, dans un théâtre. Je chanterai quasiment toutes les chansons du dernier album. Sur le précédent, je m’étais déjà posé la question de savoir la place accordée à l’album en cours, pour finir par toutes les chanter. Construire une setlist est toujours problématique : je ne peux échapper à « Lâche-moi », « Bien mérité », « Ca se peut pas » et « Les garçons dans les vestiaires ». Au-delà de ces quatre incontournables, je suis allée en chercher des chansons plus anciennes aussi. C’est toujours agréable et je suis aussi dans le choix des reprises…

– Pierre Lapointe viendra-t-il sur scène à La Cigale ?

Il est vraiment invité, et j’espère qu’il pourra venir. Tout dépendra de son  agenda en avril.

– Quel regard portes-tu sur la petite Clarika qui démarrait chez Boucherie Prod. ?

Quand j’y repense, ça me semble très loin et très proche. Bien entendu, j’ai évolué mais bizarrement, mon état d’esprit est resté plus ou moins le même. J’ai gardé la même envie, la même curiosité, le même enthousiasme…

– Quels conseils lui donnerais-tu rétrospectivement ?

C’est un peu anecdotique, mais je lui conseillerais d’être moins sauvage. Ce n’est pas vraiment lié à l’artistique, quoique le relationnel compte dans ce métier : j’étais vraiment sauvage, mais uniquement par timidité. Souvent, j’évitais tout ce qui était soirée ou représentation. J’ai appris à être un peu plus sociable… J’avais le sentiment qu’aller voir quelqu’un était associé à de l’opportunisme, donc j’évitais de le faire. En contrepartie, j’ai eu des retours comme quoi j’étais perçue comme quelqu’un d’extrêmement distant et prétentieux. Je ne pense pas que ce soit le cas… je lui conseillerais aussi peut être d’être plus rigoureuse, et de se bouger un peu pour écrire davantage pour les autres. En parallèle bien sûr, parce que ce que j’aime par dessus tout, c’est de faire de la scène. Je ne me suis jamais trop boostée pour cela, mais il n’est pas trop tard. C’est vrai aussi que quand j’ai une bonne chanson, j’ai envie de la garder pour moi. Les rares fois où j’ai écrit pour d’autres, j’étais heureuse de le faire, mais ça ne m’est pas naturel, et ça me demande une énergie folle. J’ai tendance à me concentrer sur l’essentiel : la scène qui me nourrit beaucoup, et pour laquelle je conçois les albums comme des passerelles.

– Petit bilan rapide, de quoi es-tu le plus fière dans ta carrière ?

Ca peut paraître banal, mais je suis heureuse d’être toujours là et d’avoir encore des choses à dire. Je suis fière d’avoir un public qui m’accompagne et évolue, mais aussi qu’il y ait encore des gens qui me découvrent. Où que j’aille, il y a toujours un tiers ou la moitié de la salle, qui me voit pour la première fois. C’est génial et ça m’oblige à me surpasser pour les convaincre. Je suis fière d’avoir construit un parcours dans la longévité… Plus qu’une fierté, c’est une satisfaction, qui me donne encore la flamme !

Propos recueillis par Eric CHEMOUNY

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