CHRIS(TINE)

La neige et le feu

Avec la sortie de son deuxième album, plus musculeux que le premier, Chris(tine & the Queens) est repartie à l’assaut du monde, s’installant pour deux soirs à l’Accor Hôtels Arena de Paris. Il faut avouer que nous étions très sceptiques sur l’adéquation Chris / Bercy et sa proposition, pour emporter un public venu en masse, bien que ces deux rendez-vous aient affiché complet en quelques minutes. Et nous y sommes allés. Et ce fut un choc.

JSM 15 je Suis Musique CHRISTINE AND THE QUEENS par Delphine Champion

Chris(tine) est une déroutante, une aventurière en sortie (volontaire) de route comme on aime les prendre, une marcheuse des chemins de traverse, une effaceuse de sentiers (trop) balisés, l’héroïne d’une odyssée humaine épique, une chrysalide de la liberté, un vent soufflant sur les conventions, la neige et le feu d’un cœur qui bat, embrasant le monde en le débarrassant du superficiel. Elle est le résultat du voyage d’une introspection façonnée par la nature que l’on dit contrariée, contrariante qui reprendrait ici tous ses droits : celui d’être libre, forte, dominante, faisant fi de tout, à commencer par tout ce qui encombre notre pureté, de la ville et du béton et une remise à nue, un recommencement, un commencement, une (re)naissance. Il y a de tout cela dans cette proposition osée de Chris(tine) sur cette scène trop grande de l’Accor Hotels Arena et bien plus encore. Bien, bien plus encore…

JSM 15 je Suis Musique CHRISTINE AND THE QUEENS par Delphine Champion

Audacieuse, courageuse, Heloise-Christine-Chris, peu importe le nom qu’elle s’est choisie au final, présente un spectacle à l’exact opposé de ce qu’on attendait d’elle, de ce qu’on attend d’un artiste après le succès mondial d’un premier album, l’un des meilleurs de la décennie, à l’exact opposé du semblant d’esbroufe du second, de poser là, comme ça, deux concerts à l’Accor Hôtels Arena alors même que le second album attendu n’était pas encore sorti, et qui a laissé de côté beaucoup de ceux qui l’on vue naître sur « Chaleur Humaine », à l’exact opposé des concerts de cette ampleur que l’Accor Hôtels Arena accueille d’habitude, à l’exact opposé des codes balisés des nouvelles reines de la Pop dont Chris fait désormais mondialement partie. Et oui, ceux qui attendaient un show tout en démesure, aussi grand qu’elle est petite, ayant espéré que le virage Funk donne le ton d’un show à la Bruno Mars ou d’un Kanyé West dont elle emprunte à nouveau le sample sur « Paradis Perdu », auront très vite été déçus de tant de désuétude, de tant de dénuement. Et c’est précisément ce qui étonne d’emblée quand le spectacle commence et c’est ce qui fait terriblement de bien au milieu du qui-mieux-mieux des shows d’aujourd’hui. Une vraie secousse sismique.

Dans cette proposition brute, il y a pourtant dans celle-ci qui a de quoi dérouter, des forces invisibles qui passent par la puissance du message, du concept, des symboles, des émotions qui accompagnent chaque proposition, chaque chanson, chaque geste, chaque élément que l’on est transportés, submergés, emportés par le déchaînement sournois des éléments avec un indéniable sens de la dramaturgie presque silencieuse et cette forme  moderne d’une nouvelle conception d’un spectacle qui serait à la fois populaire et exigeant, transposant le public loin de ce qu’il était en droit d’attendre, loin de notre monde : Chris propose un incroyable retour organique à l’origine du monde, comme pour ne pas oublier d’où l’ on vient, comme pour nous faire réaliser ce qu’on a perdu comme paradis. Se chercher, se (re)découvrir, se ressentir, se laisse vivre, écouter les battements de nos corps et de nos cœurs, le souffle sourd des profondeurs d’une planète en souffrance, faîte d’un même sang, dans une même veine.

C’est autour de ces thématiques organiques que s’articule donc la proposition de ce ChrisTour, un retour aux sources du monde, à la simple reconstruction d’une planète en perdition, un retour à la Terre, à la mer, à l’air, aux airs du vent, à la rencontre de la glace et du feu transformant ce tour de chant en véritable big bang de l’industrie musicale, comme un acte de naissance d’une nouvelle forme de spectacle dont l’artiste va briser tous les codes : à commencer par son entrée en scène qui se fait au milieu d’entre-chocs de corps et de sons de La Horde, sa compagnie de danseurs urbains, entamant sans manière « Comme si on s’aimait ». Ce qui frappe ici d’emblée, c’est déjà cette voix, de plus en plus juste et parfaite, puissante, capable d’abattre des murs (plus tard dans le spectacle résonnera dans l’Arena, puissant et déchirant, le « Ever Ever » sur son titre « Machin-Chose »).

JSM 15 je Suis Musique CHRISTINE AND THE QUEENS par Gregory Guyot

Elle a posé comme décor de ce premier tableau, l’image imposante et figée sur une bâche d’une terre verdoyante, vallonnée et déserte, sombre et sublime, qui durant les cinq premiers titres impose d’emblée le temps suspendu des grands espaces sur une scène volontairement vide de tout artifice. Une autre image lui succède, un autre élément : l’eau, la mer et le mouvement glacé de la vague qui va se transformer un peu plus tard avec un effet de lumière en vague de feu sur « Here » où solo, elle laisse parler son corps jusqu’à une contorsion finale qui, dans un jeu d’ombre et de lumière, dans un combat du jour face à la nuit, laisse se libérer le mouvement animal.

Les images de ces éléments laissent alors s’installer le concret, le palpable avec une ode à l’hiver et aux vents, à la neige qui vient tomber sur la scène et à l’air, au ciel, à l’univers, matérialisé par la formation de nuages phosphorescents dans l’enceinte de la salle ( sur la transition « L’Etranger » / « Goya! Soda ! »), à ce brouillard, recraché et avalé par l’antre de l’Arena qui vient dévorer la scène d’une bouche vaporeuse et dense, offrant là une chorégraphie de toute beauté en jeu de cache-cache, révélant les corps (sur « Follarse »).

Ou encore à ces tornades fines qui dansent du sol au plafond, de la terre jusqu’aux cieux de l’Arena (en final sur « La marcheuse »). Sobrement spectaculaire.

JSM 15 je Suis Musique CHRISTINE AND THE QUEENS par Gregory Guyot

L’ensemble est une échappée du monde actuel, d’un autre soi, d’un autre temps que Chris casse pour son unique rappel : retour à la civilisation, comme un atterrissage brutal, elle réapparaît au milieu de la foule, au fond de la salle sur « Saint Claude » qu’elle fend ensuite, pour retrouver sa scène sur un ultime titre: « Intranquilité », comme seul mot d’excuse et de justification à tout ce voyage auquel elle nous a convié.

Entre deux chansons, celle qui est transfigurée par son art, redevient Héloïse Christine, Chris peu importe ce foutu nom, pour distiller ses messages, certes à la façon ampoulée et à l’air emprunté qui lui a valu parfois l’agressivité de ses détracteurs, mais surtout et avant tout avec une sincérité dans le sens de ses mots choisis, une justesse dans ses propos qui forcent l’admiration et l’adhésion comme quand elle lance à un public ébahi : « Je déclare qu’ici est un espace de liberté absolue » . Liberté de déjouer tous les artifices, dans une scansion trop appliquée qui tranche avec le langage de son corps et de ses interprétations et avec cette honnêteté dans la démarche, dont la sincérité et la force des messages nous bouleverse pourtant. « Je suis née il y a peu de temps, car je suis une décision». Ainsi, contre vents et marées, littéralement incarnée sur cette scène nue, Chris dans ses vérités, ses messages, ses espoirs, comme la remise à zéro d’une société qui s’est perdue, se met aussi à nue . « J’ai décidé d’arrêter d’essayer », aveu de l’instinct, animal, élan viscéral vers le possible, quelque part vers une utopie.

JSM 15 je Suis Musique CHRISTINE AND THE QUEENS par Delphine Champion

Dans cette mise à nue, ce retour à soi, elle OSE se passer ici de tous les artifices que l’on exige avec le prix de son ticket : ici, pas lasers multicolores, pas de murs digitaux dont on abuse aujourd’hui, pas de lancé de paillettes, pas de strass, pas de changements de tenue… sans outrance, sans mystère aussi, sans aucune volonté de se mesurer à la démesure des shows d’une Madonna ou d’une Mylène Farmer, laissant la plupart du temps la grande Arena presque salle allumée et nous emporte dans la virée sauvage d’un retour à la valeur humaine, à ses liens forts entre les individus, dans ce comportement presque animal chorégraphié comme une fresque épique sortie d’une peinture du Caravage ou de Delacroix, avec ses danseurs, La Horde.

JSM 15 je Suis Musique CHRISTINE AND THE QUEENS par Gregory Guyot

Ensemble, ils forment cette créature hybride qui donne vie à des chorégraphies à couper le souffle, comme sur «L’étranger », monstre tentaculaire contorsionné dans un ralenti absolument hypnotisant. Lorsqu’elle n’est pas seule sur scène, Chris fait corps avec eux pour recréer des moments de rue, de rage et d’amour, des rencontres violentes aux chocs épidermiques, de la vie et de la mort aussi.

Lorsque le voyage (car c’est un voyage) se termine, il faut du temps pour revenir à nous, à soi, à notre monde car Chris vient de nous bouleverser avec le sien…

Gregory Guyot

Photos: Gregory Guyot (DR/ @I_am_Gregg / JSM) + Delphine Champion (DR / @Del1997 / JSM) prise à l’Accor Hotels Arena les 18 et 19 décembre 2018.

Setlist Bercy, 18.12.18. : 1er Tableau : Comme si on s’aimait / Damn-Dis-moi / le G. / Science Fiction / Paradis Perdu / 2e tableau : It / Feel so good / Christine / 5 Dols / Machin-Chose / 3e Tableau :  Here / L’étranger / 4e Tableau : Goy! Soda! / Follarse / Nuit 17 à 52 / It doesn’t matter / La Marcheuse / Rappel : Saint Claude / Intranquilité.

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JSM 15 Je Suis Musique Nolwenn Leroy

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