JEAN-PAUL GAULTIER
La folie du spectacle
Jean-Paul Gaultier, le plus populaire des grands couturiers, nous invite à explorer les chemins créatifs et les grandes étapes de sa vie dans un show dédié à la France et à son histoire, proposant un Fashion Freak Show” qui fourmille d’énergie, actuellement aux Folies Bergère, à Paris.
Sans aucun doute, Jean-Paul Gaultier est le couturier vivant le plus aimé. De tout le monde. Il est le chouchou des stars, de la haute-société dévergondée et libre, mais aussi de la société populaire. Enfant terrible de la mode, il est aussi un enfant de la télé, du cinéma, de la musique, de la culture, de la France. Il est le seul créateur à faire ce grand écart entre ce monde très élitiste du marché de la mode et les gens de la rue, auxquels il s’offre dans toutes les déclinaisons. Aussi, lorsqu’il fait jaillir de sa tête encore pleine de rêves “Fashion Freak Show”, il y insuffle de la magie permettant à tous ces inconnus de se projeter, de s’identifier, de rêver, d’être soi et de se sentir beau.
Et c’est donc pour eux, pour nous, qu’il a imaginé ce Fashion Freak Show et c’est avec cet œil simple qu’il faut regarder dans le trou de la serrure de ce spectacle, à la fois humble et extravagant, même si de nombreuses stars du monde entier se sont déjà déplacées aux Folies Bergère pour le voir, de Madonna (qui a tweetésimplement et efficacement #genius) à Rihanna.
Présenté comme la mise en scène du grand bordel qui se bouscule dans sa tête, entre rêves d’enfant devenus réalité et réalité devenue durement adulte, JPG ouvre les portes de sa mémoire mais aussi de la nôtre, à laquelle il nous renvoie constamment, continuant de tisser ce lien entre lui et les gens du quotidien, à savoir nous. Avec les siens, il nous renvoie à nos souvenirs en compte à rebours, de notre France d’hier, celle de l’après guerre, de ces années yéyés, de la télé paillettes des Carpentier, des nuits blanches aux virées noires des années 80, des extravagances acidulées des années 90, Madonna en tête, séquencés à coup de tableaux cadencés, d’images et de sons, de chorégraphies et de chansons.
Ce n’est pas un hasard si le show s’ouvre sur Nana, son doudou, son ours en peluche, ici chorégraphié, démultiplié, insolent et audacieux. Nana est le lien ultime avec son enfance qui l’aura suivie jusqu’à aujourd’hui et la réalisation de ses rêves et de ses créations les plus folles. Nana nous parle d’emblée à tous. Symbole de cette proximité unique que le couturier génial a su garder avec les gens du quotidien alors qu’on l’attendait dans de la démesure distanciée des fastes défilés, folle et créative.
En réalité, c’est un show bien plus sérieux qu’il n’y parait où la douce folie juvénile des débuts laisse vite la place à la gravité du monde adulte (avec un tournant très marqué, vénéneux et sublime, sur les années SIDA dans un tableau en rouge et noir orgiaque), son histoire va bien au delà de celle du créateur, de l’artiste, du génie pour toucher la notre, dans ce que nous avons de commun avec lui : notre humanité, notre propre destinée, de notre naissance à la mort de cette vie qui défile si vite : les sixties, le swinging London, Madonna, le SIDA, les amours et les mises à mort, la télé, les magazines, la mode, la mode, la mode, le paradis. Retour à soi. Éternel recommencement.
Cerise sur ce gâteau, il a trouvé dans cette expression du populaire, l’icône qu’il lui fallait : Demi Mondaine, repérée dans The Voice qui incarne ici tout l’esprit Gaultier : rebelle, sensuelle, sexuelle, androgyne, elle libère la force de sa voix dans des passages intenses comme quand elle chante et nous bouleverse sur « It Is a Man’s World » . Elle est la fille de la rue, de la gouaille, de la scène et des bordels, elle est la séductrice et la veuve blanche, la Madonne des rues de Paris, l’amante et la soeur, elle est Gaultier de la tête aux pieds, du corps à l’âme. Avec elle, une troupe de Freak Show intense et incandescente, avec des gueules comme on n’en voit peu, des corps comme on n’en fait plus, taillés dans ceux qui ont fait la renommée des défilés du bienveillant couturier et qu’il a méticuleusement choisis.
Ensemble, ils évoluent dans des tableaux thématiques sortis de la tête du couturier pour marquer les grands passages de sa vie au son des musiques de sa vie, imagés des icônes de sa vie, de sa naissance (celle de Nana en réalité, l’ellipse n’est pas anodine) au défilé final comme une voie vers un paradis blanc, immaculé et nu, ultime paradoxe pour le couturier, un retour à soi, une mort pour renaître. Et questionne: et si le nu était notre plus bel habit ?
Si la première partie qui remonte aux souvenirs des débuts est une classique succession de numéros que l’on croirait calibrés pour une grande émission de télé, à la façon des Carpentier, la seconde partie est – avouons-le – beaucoup plus excitante et réussie, car elle offre des scènes de défilés absolument grandioses, jubilatoires, habituellement réservés aux privilégiés et que nous découvrons ici, rien que pour nous. C’est là que tout le talent de JPG éclate et que la magie opère : ses créations les plus iconiques, les plus extravagantes, les plus folles vivent devant nous. Les robes, les pantalons, les pantalons-robes, les capes, les traînes, les corsets s’enchaînent ici avec majesté et on en regrette presque que tout ce Fashion Freak show n’ait pas été pensé comme un grand défilé de cette vie.
Des écrans géants font défiler des images d’archives, des sketches, les copains, les copines, les actrices, les chanteuses avec une mention spéciale à Catherine Ringer absolument bouleversante et magistrale sur deux titres carrefours d’une vie de joies et de pertes : “I want your love” aux couleurs pastels des amis Pierre et Gilles quand Jean-Paul rencontre Francis, l’amour de sa vie et plus tard dans la vie, “I’ve got you under my skin” de Cole Porter (en français) marquant l’ère SIDA, ses ravages et la disparition de l’ange Francis.
A l’instar la chanteuse des Rita Mitsouko (qui avait porté avant Madonna le soutien gorge conique, que JPG avait crée enfant pour Nana), c’est un vrai défilé de pastilles de stars en musique et sur l’écran : de Amanda Lear à Catherine Deneuve, de Micheline Presle à Rossi de Palma, etc. les stars défilent pour ponctuer la cadence, la danse, le rythme, la musique, de Chic à Guesch Patti, de Bronski Beat à Madonna. La mégastar est d’ailleurs très présente, héritière de Nana et de son soutien gorge conique, incarné notamment par Demi Mondaine sur “Express Yourself”.
Ainsi oscillant entre les stars de sa vie et les gens sublimés de la rue, entre l’histoire de France et les histoires de son quotidien, Jean-Paul réussit, comme un effet miroir fascinant, à nous emporter dans son Fashion Freak Show. Et le public ne s’y trompe pas: c’est est un immense succès: le spectacle se joue jusqu’au 10 mars prochain… The (Fashion Freak) show must go on…
Grégory GUYOT
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crédits photos et oeuvres : Affiche illustrée par Marc Antoine Coulon (DR) / photos du spectacle : Boby (DR/TS3/ Fashion Freak Show Presse) / Portrait de gauche : Peter Lindbergh (DR/ Fashion Freak Show Presse) / photo fond blanc : Laurent Seroussi (DR/ Fashion Freak Show Presse) / Oeuvre : “Une Histoire d’Amour” par Pierre & Gilles (D.R.) / Photo Crew & JPG : Luke Austin (DR/TS3/ Fashion Freak Show Presse) – JeSuisMusique remercie infiniment Emanuel Hutin (Hep!)
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