ROCH VOISINE

En toute intimité


30 ans déjà que le troubadour Roch Voisine, promène sa voix de velours et ses airs de guitare des deux côtés de l’Atlantique, avec une force tranquille, une décontraction et une assurance dans ses choix artistiques qui lui ont plutôt bien réussi. Nous avons rencontré l’interprète d’ « Hélène » à Montréal dans le cadre des Francofolies, juste avant sa série de 4 concerts intimistes sobrement intitulés « Une heure avec… ».

FRANCOS DE MONTREAL 2018 Roch Voisine JSM Je Suis Musique

– 30 ans après, quel regard portes tu sur toi-même et sur ton métier ?

C’est difficile à dire : on ne se voit pas comme les autres nous voient. Moi-même, je trouve toujours intéressant de suivre le parcours d’un jeune artiste, de voir d’où il est parti, et d’observer où il est arrivé, en particulier grâce aux conseils de son entourage. Mais je ne peux pas faire de comparaison avec mon parcours personnel, parce que les choses ont beaucoup beaucoup changé… On ne commence pas du tout de la même façon dans ce métier aujourd’hui.

– Après tant d’années, pourquoi avoir voulu donner quatre concerts intimes, d’une heure seulement, dans une salle de 400 places ?

Le concert se réduira à une heure en effet ; c’est le concept et on va essayer de s’y tenir. Cela aurait moins d’impact si le spectacle s’appelait « une heure un quart avec Roch Voisine » (rires). J’ai déjà donné des concerts acoustiques et fait des choses inhabituelles, comme de lever le voile entre le public et la scène par exemple, avec un micro ouvert dans la salle. J’ai fait une tournée sur ce principe au Canada français, au Canada anglais et en Europe, soit trois cultures différentes, et cela a suscité des réactions assez différentes du coup. Ca donnait lieu à une véritable conversation entre le public et moi, sans aucun modérateur. C’est moi qui de la scène décidait ou pas de donner la parole au public. J’aime aussi faire des gros shows, c’est le fun, mais je n’avais jamais exploré cette formule. Musicalement, on s’est beaucoup préparé à ces quatre concerts, qui ne tourneront pas ailleurs qu’aux Francos, pour lesquelles c’est vraiment une création. Ce sera difficile de faire tenir toutes les chansons en une heure, mais on verra bien… J’aime me mettre en danger ; c’est important pour avancer. J’avais envie aussi de faire juste une heure de concert, mais assez tôt dans la soirée : en fait, c’est moi qui fait la première partie de tous les autres shows que les gens pourront aller voir après mon concert (rires). Ca me permettra aussi d’aller voir d’autres artistes et de découvrir pas mal de jeunes talents… J’ai fait le Lac Saint-Jean, il y a deux ans et cela a été l’occasion de rencontrer de jeunes artistes québécois avec lesquels j’ai ensuite eu la chance de travailler. C’est toujours étonnant et rassurant de constater qu’il y a tant de jeunes talents ici comme 2 Frères que j’ai invités sur le show. J’aime faire des duos, des rencontres improvisées comme au temps de Simon et Garfunkel. C’est devenu rare aujourd’hui, où les artistes sont plus individualistes.

– Ces concerts s’inscrivent en dehors de ta tournée principale, qui n’est pas passée par Montréal d’ailleurs…

C’est vrai, pour diverses raisons, notamment de disponibilité de salles. Je ne veux critiquer personne, mais ici, on aime beaucoup les spectacles d’humour, et ça prend énormément de place dans les salles qui sont réservées trois ans à l’avance. C’est une particularité de la ville de Montréal…

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– Tu as chanté dans les deux langues, mais jouer aux Francos t’impose-t-il de te limiter à ton répertoire francophone ?

Pas nécessairement. Je vais m’échapper vers l’anglais sur un ou deux titres, mais c’est vrai que compte tenu de la durée du show, j’ai du faire des choix sévères et me limiter au répertoire francophone.

– Qu’est-ce qui détermine d’ailleurs en période d’écriture et de création, si une chanson sera en anglais ou en français ?

Presque toutes les chansons que j’ai faites sont nées en anglais, à l’exception de quelques unes. Cela dit, j’ai évolué dans ma façon de travailler ces dernières années. C’est très compliqué de partir d’une chanson anglophone et d’en faire une chanson francophone, comme j’ai pu le faire pendant les quinze premières années de ma carrière. Toutes les chansons que vous connaissez ont d’abord été écrites en anglais. On adaptait ensuite les chansons en partant d’une idée nouvelle. C’est un travail très particulier et difficile. A un moment, je me suis posé des questions sur cette démarche, qui a donné lieu à des résultats plus ou moins réussis. Il est arrivé que la version française soit meilleure que la version anglaise d’une chanson, et inversement. Un jour, quelqu’un m’a suggéré d’écrire, ou de faire écrire, le texte avant, et de composer ensuite dessus. Cela m’a obligé à adopter une autre façon de travailler : habituellement, je faisais d’abord une mélodie, avec des bribes de textes qui arrivaient en même temps. Sur les deux derniers albums, j’ai travaillé à l’envers, en faisant appel à des auteurs bien plus talentueux que moi en français, auxquels j’ai suggéré des idées, des phrases accrocheuses… J’ai sélectionné les textes que j’aimais et me suis ensuite enfermé en studio avec ma guitare et deux musiciens pour trouver des mélodies. C’est très libérateur de travailler comme cela : le texte en lui-même a son propre rythme, comme si quelqu’un te tenait par la main, pour t’accompagner dans la création… C’est moins ardu que de tout faire en même temps, selon mon ancienne technique. Avec l’âge et l’expérience, j’ai appris tant dans le sport que dans la musique, qu’il était important de savoir déléguer et de s’entourer de gens meilleurs que soi. J’ai été présenté à des auteurs et des compositeurs bourrés de talent, notamment des grands guitaristes, au début de ma carrière que j’ai été obligés de suivre, alors que j’étais un « gratteux » à la base : j’ai bien été forcé de m’améliorer.

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– Te considères-tu comme un ambassadeur de la dualité linguistique si propre au Canada ?

Forcément, car je suis né dans une région du Canada où on parle les deux langues, et je me suis toujours attaché à chanter dans les deux, en alternance. Etonnament, j’ai commencé à chanter en anglais, et le français est arrivé un peu par accident. Je le revendique totalement : je suis bilingue et j’ai deux carrières, deux répertoires bien distincts. Très peu de chansons existent dans les deux langues d’ailleurs : comme l’eau et l’huile, elles ne se mélangent pas tant que ça. Le français et l’anglais ne se travaillent pas de la même façon, les règles ne sont pas les mêmes. C’est toujours un grand honneur, quand je rencontre des gens dans le Canada anglophone qui connaissent et me parlent de mes chansons en français, d’autant que je ne suis pas un grand auteur.

– Tu es acadien, originaire du New Brunswick en effet, mais on parle encore souvent de toi en France comme d’un chanteur québécois…

C’est vrai, peut-être parce que j’ai vécu au Québec. En général, on me présente comme un chanteur « canadien » pour éviter les erreurs et les indélicatesses… On connait moins les acadiens en France, et pas davantage au Québec. J’ai animé les East Coast Music Awards, il y a quelques années : c’est tout un monde musical qu’on ne connait pas du tout ici. C’est incroyable pourtant comme la musique y est très ancrée dans les familles, depuis la petite école déjà.

– Avec l’expérience, as-tu un rituel d’écriture plus particulier ?

Pendant des années, j’écrivais entre 21 heures et 3 heures du matin. C’était comme une horloge. Je comparais cela à un entrainement sportif. Mais au fil des albums, j’ai découvert d’autres techniques, et appris à m’ouvrir à la co-écriture, comme je le disais, à travailler avec les autres et à m’adapter. Il y a quelques années, j’étais à Los Angeles et le rythme était différent : les américains sont très « corporate » dans leur démarche créative. On déjeunait à midi, et on discutait d’idées de chansons. Il fallait ensuite écrire une chanson dans l’après midi. C’était très cadré. Aujourd’hui, je n’ai plus d’horaires ni de méthodologie. Ma vie a changé ; j’ai des enfants et d’autres choses à faire. Il faut tout planifier, trouver des créneaux pour écrire des chansons. Je ne peux plus me coucher à 3 heures du matin, quand il faut ensuite se lever à 6h30 parce qu’il y a école… (rires). Quand je sais qu’il faut faire un album, alors une forme de machine se met en route. Et puis, les choses ont changé depuis : on peut communiquer et écrire à distance via internet. Avant, on s’écrivait par fax, et on s’appelait au téléphone, avec une guitare à la main. A présent, des logiciels permettent d’écrire des bouts de chansons et de les envoyer à un ami de l’autre côté de l’Atlantique. Comme quoi, il y a aussi de bonnes choses dans la technologie…

– Cela signifie qu’en dehors de ces périodes, tu n’écris pas du tout ?

La porte de l’inspiration n’est pas complètement fermée, mais disons que la vie quotidienne l’emporte sur le reste. Ma vie personnelle a changé, ma façon d’écrire aussi, mais je note des idées en permanence, surtout des titres, des directions pour des chansons. L’inspiration, ça ne s’explique pas. C’est un coup de vent, un soupir qui te traverse en quelques secondes et qui risque de marquer les gens pendant des années : c’est assez fou quand on y pense. J’écris assez vite en général, mais il y a aussi des chansons qui pourront rester en gestation pendant des années, en particulier si j’ai l’impression au final que je ne suis pas l’interprète idéal pour les chanter. D’ailleurs, c’est une autre étape dans ma carrière vers laquelle j’aimerais évoluer : travailler pour les autres. Je ne l’ai jamais fait, non pas parce que je voulais garder toutes mes chansons, mais j’étais trop occupé. J’ai publié 30 albums en 30 ans, dont 22 originaux. Ce serait une autre aventure, nouvelle pour moi…

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– Ton dernier album s’intitule « Devant nous » : évites-tu de regarder en arrière ?

Absolument, je ne regarde jamais en arrière. C’est peut-être la recette pour durer dans ce métier, ce qui va être de plus en plus difficile pour les jeunes artistes, j’imagine. Ce sont les gens dans le public qui m’y obligent, car ils sont attachés au passé, comme si au travers de ma musique, ils avaient des références, des jalons, des souvenirs… Au bout du compte, ça sert à cela les chansons : elles jouent le rôle de bouées, de marqueurs, face au temps qui passe. Elles évoquent les 20 ans de l’un, le premier amour de l’autre…

– Contrairement à beaucoup d’artistes, tu n’as pas commencé par des petites salles … Regrettes-tu de ne pas avoir connu ce parcours formateur en soi ?

C’est vrai, et honnêtement je ne le regrette pas : j’ai eu la chance d’éviter cette dure école et je respecte beaucoup les artistes qui sont passés par là. J’ai commencé par de très grandes salles. Je suis passé par une autre école finalement, celle de la pression et non celle de l’indifférence. C’était aussi une épreuve, à laquelle je n’étais pas préparé. J’arrivais à Paris ; je me produisais dans les mêmes salles que Madonna. Il fallait être à la hauteur de tout cela. J’ai heureusement eu la chance de travailler avec les meilleurs qui m’ont appris beaucoup de choses, parce que je n’étais qu’un joueur de hockey qui grattait un peu de la guitare, et ne connaissait que trois ou quatre accords. Tout est allé à une vitesse vertigineuse pour moi, si bien que je n’ai pas connu cette première étape formatrice des petites salles et des shows acoustiques, même si on essayait dans les concerts, d’introduire des parenthèses plus acoustiques sur deux ou trois chansons. Mais les fans criaient trop dans la salle, on ne s’entendait pas beaucoup (rires). Aujourd’hui, ça m’amuse de donner des concerts acoustiques, après 30 ans de carrière, parce que l’approche n’est pas la même : je ne vais pas chercher à convaincre, mais juste prendre du plaisir avec le public, à revisiter des chansons, en découvrir d’autres… Il y a une vraie communion, comme si on évoquait de vieux souvenirs entre amis. A un moment, cette intimité devient presque gênante d’ailleurs : c’est beaucoup plus dur de chanter devant des gens qui sont tout proches, que devant 30.000 personnes qui représentent une sorte de vague, plus impersonnelle, qui réagissent parfois avec un peu en retard, avec lesquels il est difficile d’avoir une vraie conversation musicale… A l’inverse, dans une petite salle, il y a une proximité qui a ses revers d’ailleurs : si tu fais une grimace ou si tu manques un accord, tout le monde le voit.

– Avec le recul, de quoi serais-tu le plus fier professionnellement ?

Simplement d’être encore là, trente ans après, alors qu’à mes débuts, on ne me donnait pas plus qu’une année ou deux. C’est ma plus grande fierté. Après, j’ai eu la chance de faire des choses de grande envergure, très intenses, qui n’ont rien à voir avec la taille des salles. Je me souviens notamment d’un concert de Noël pour le Secours Populaire en France. On nous avait fait venir pour chanter pour des enfants et leurs parents, mais en France, il n’y a pas de tradition des chansons de Noël comme en Amérique du Nord, où tous les chanteurs font leur album de Noël. Ce n’est pas dans la culture française où on a l’impression que les gens ne connaissent que « Petit Papa Noël ». Je me voyais mal chanter des chansons que les gens ne connaissent pas. Pourtant, ça a été une expérience formidable, inédite pour moi. Je suis aussi fier d’avoir travaillé avec beaucoup de gens que le grand public ne connait pas forcement, qui sont dans l’ombre, mais qui ont beaucoup de talent.

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– Y-a-t-il un endroit où tu aimerais encore te produire ?

Oui, il y a encore beaucoup de festivals en Europe que je n’ai pas encore faits. J’en ai très peu faits d’ailleurs, à la différence du Canada.

– Aujourd’hui, quel serait ton projet professionnel le plus fou ?

J’ai eu la chance de faire beaucoup de choses musicalement, alors disons que j’aimerais beaucoup faire un film. Pas un film musical : si c’est pour jouer un chanteur, ça ne m’intéresse pas. J’ai cette curiosité envers le cinéma, que le cinéma n’a pas du tout envers moi (rires). Je dis souvent que ça fait trente ans que les gens me parlent de cinéma, sauf « les gens de cinéma » justement. Quand j’étais jeune, j’étais fan de Bob Morane. On se battait à l’école pour avoir le dernier : on attendait à la bibliothèque de l’école pour pouvoir le réserver en premier. Il y avait toute une petite mafia organisée autour de cela. Plus tard, j’ai eu la chance d’aller déjeuner un jour avec Henri Vernes, son créateur. Je lui ai confié que j’aurais aimé jouer ce rôle. Il m’a répondu qu’il m’y voyait bien aussi, mais qu’il ne détenait plus les droits et ne pouvais rien faire pour moi… J’ai envie d’apprendre des textes au contact d’autres acteurs : c’est un vrai métier, fait de patience et de concentration, et qui m’impressionne beaucoup, car j’ai bien conscience qu’il ne suffit pas d’avoir une belle gueule et d’être populaire pour être un bon acteur…

Propos recueillis par Eric Chemouny

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Crédit photos : D.R. / Spectra / Les Francos de Montréal 2018

conférence de presse : Frederique Menard-Aubin / Concert : Victor Diaz Lamich

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2 commentaires sur «  »

  1. Ping : JSM #11
  2. une personne humble dans ces souvenirs ou sa carriere ; c est etaler avec le succer ; mais j avoue que Mr roch a bien raison en precisant que le passer et derriere et penser au futur mais la musique c est qui nous aide a avencer quand ont a dans la peux bravo MR roch

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