CLARA LUCIANI

La victoire en chantant…


Elle est sans conteste la révélation féminine de l’année : avec son premier album « Sainte-Victoire », carnet intime de la revanche d’une brune, la belle Clara Luciani s’est installée pour longtemps dans nos coeurs. Bien sûr, on adore ses chansons nerveuses, modernes et racées, ultra-référencées au meilleur de la Pop française et chantées d’une voix grave renversante comme sur son tube « La grenade ». Mais on aime tout autant la chic fille, simple, clairvoyante et chaleureuse, qu’elle est dans la vraie vie. Elle s’est racontée en exclusivité pour Je Suis Musique…

Clara Luciani par Philippe Mazzoni JSM Je Suis Musique (1)

– Dans quel environnement as-tu grandi ? Quelle était la place de la musique dans ta famille ?

J’ai grandi dans le Sud de la France, avec des parents issus d’un milieu très simple, et qui n’avaient pas fait beaucoup d’études. En revanche, la lecture a toujours été au coeur de notre éducation : le mercredi, ma mère nous obligeait à aller à la bibliothèque par exemple. Il y a toujours eu de l’argent pour acheter des livres à la maison. On ne me l’a jamais refusé, même quand ce n’était pas facile. Mes parents m’ont transmis leur soif de culture, de musique et de lecture. Mon père, musicien, m’a appris à aimer William Sheller et surtout Mc Cartney : c’est une institution pour lui. D’ailleurs, on l’écoute chaque fois que je redescends dans le Sud.

– Tu as écrit tes premières chansons à l’âge de 11 ans : quelles étaient tes références musicales et tes sources d’inspiration à l’époque ?

Quand j’ai acheté ma première guitare à 11 ans, c’était parce que mon père avait compilé tous les clips des Pretenders sur un DVD. Je trouvais que sa chanteuse, Chrissie Hynde avait une classe dingue ! J’étais très inspirée par elle. Elle a été la première que j’ai admirée, à laquelle je voulais ressembler, bien avant de découvrir Patti Smith et les autres. Je me rappelle que j’essayais de me faire la même coupe de cheveux. Après, ma musique ne ressemblait pas à grand chose… C’était embryonnaire et maladroit. Mon père en a gardé quelques enregistrements. C’était presque comique (rires).

– Il parait que tu étais aussi particulièrement fan des comédies musicales de Jacques Demy…

Ca a été le début de tout ! Je me rappelle qu’à 8 ans, avec ma classe, on est allés voir « Les Demoiselles de Rochefort », en sortie extra-scolaire. J’ai complètement halluciné ! En rentrant, je ne parlais plus qu’en chantant, comme dans le film. Ma mère n’en pouvait plus ! J’ai voulu avoir la cassette, et dès que j’ai eu un peu d’argent, je me suis acheté le best of de Michel Legrand au Auchan de Martigues. Un vrai déclic s’est produit ! A partir de ce moment, je me suis mise à chanter tout le temps. En parallèle, je demandais à ma mère de m’acheter de grands chapeaux jaune et rose comme dans le film. J’ai fait une vraie fixation, ne parlant plus que de ce film. Au point que quand mes parents m’ont offert un hamster pour mon anniversaire, je l’ai baptisé Maxence.

JSM Je Suis Musique ALEX BEAUPAIN FRANCOISE FABIAN CLOTHILDE HESME 171003 Pierre Olivier Signe (6)

– Avec qui aimerais tu reprendre la « Chanson des jumelles » aujourd’hui ?

Sans hésiter Clotilde Hesme. C’est une de mes plus belles rencontres (n.d.l.r : elles ont participé au spectacle « Les gens dans l’enveloppe », avec Alex Beaupain et Françoise Fabian), et le duo serait crédible comme soeurs jumelles. Si je choisissais Juliette Armanet, personne n’y croirait, même si je l’adore. Clotilde pourrait très bien être ma soeur ; il y a un lien très fort entre nous.

– On a du mal à croire que tu a longtemps été complexée par ta taille et ton physique…

C’est vrai mais ça va beaucoup mieux, même si ce n’est pas encore la mega-fête ! J’ai appris à vivre avec. C’est comme toutes les choses qui me tourmentaient plus jeune, au point de me complexer. J’ai appris à les accepter, à me dire que c’est aussi ce qui fait ma différence. J’essaie de voir le côté positif des choses. Après tout, aujourd’hui sur scène, c’est peut-être un atout d’être grande…

– Du coup, éprouves-tu un sentiment de revanche quand des magazines de mode te demandent de jouer les topmodels ?

Oui, bien sûr. J’ai tellement été malmenée par les autres enfants, que de façon générale, monter à Paris, sortir un album, c’est un peu pour moi la revanche du vilain petit canard…

CLARA LUCIANI aux Francos de Montréal 2018 par Eric Chemouny JSM Je Suis Musique (6)CLARA LUCIANI aux Francos de Montréal 2018 par Eric Chemouny JSM Je Suis Musique (7)

– Quel a été le déclic de ta carrière ?

A 19 ans, j’habitais à Aix-en-Provence, et une amie m’a proposé d’aller voir La Femme sur un festival. Je n’en avais jamais entendu parler, mais elle pensait que ça pouvait me plaire, en tant que groupe un peu hybride. C’était un peu compliqué pour moi : je ne travaillais pas, mais j’ai regroupé mes économies pour me payer un billet de train, une chambre d’hôtel minable à Cannes, au dessus d’un sex-shop et une place pour le concert. Effectivement, j’ai trouvé le groupe super. La soirée se déroulait bien, quand je me suis retrouvée à danser avec un mec que je n’identifiais pas trop, mais mes copines m’ont dit que je dansais avec Marlon, le leader de La Femme. Je n’avais pas du tout capté, mais du coup, on a passé la soirée avec lui. En discutant sur la plage, je lui ai raconté que j’étais étudiante en histoire de l’art, et que je m’ennuyais un peu, ayant le sentiment que je n’étais pas du bon côté, celui plutôt analytique de l’art, alors que j’avais  envie d’être créative, de faire de la musique… Il m’a demandé de lui chanter quelque chose, après quoi il m’a dit que j’avais une voix yéyé, et que le groupe cherchait souvent des voix. Il m’a donc proposé de le contacter si jamais je passais à Paris…

– Quelle est la définition d’une voix yéyé selon toi ?

Je la cherche encore, je ne sais pas ce qu’il a voulu dire, d’autant que je n’avais pas l’impression de me situer musicalement dans ce courant… Toujours est-il qu’il ne m’a pas filé un numéro de téléphone, mais juste une adresse mail. En rentrant à Aix, j’ai réfléchi et me suis demandé s’il fallait que je retourne à la Fac en histoire de l’art, ou s’il fallait, comme dans « Les Demoiselles de Rochefort », que je vienne tenter ma chance à Paris. Je n’avais que 19 ans, c’était le moment ou jamais. Au pire, je pouvais toujours revenir et reprendre mes études, mais j’avais envie de le tenter. J’ai pris ma guitare sur le dos, et je suis montée à Paris. En une semaine, j’avais trouvé un travail chez Zara, et une chambre de bonne. J’ai envoyé un mail à Marlon pour lui annoncer mon arrivée. Il se trouvait que Clémence, leur chanteuse, avait du mal à chanter sur une chanson, « It’s Time to Wake Up », et il m’a proposé de l’essayer. La suite s’est faite très naturellement… Je me suis retrouvée à tourner avec eux.

_ Quelle a été la réaction de tes parents à ta décision de partir ?

Leur première réaction a été glaciale, et difficile à gérer. Ils avaient juste peur. Ils avaient fondé beaucoup d’espoirs en moi : j’avais de super notes à l’école, alors que je suis issue d’une famille très simple, où presque personne n’a le Bac. Ils me voyaient comme l’érudite de la famille : tout d’un coup, je mettais un coup de pied dans la fourmilière, en leur annonçant que j’allais jouer de la guitare avec des mecs teints en blond… Mais très vite, ils ont compris que j’étais hyper droite, que je n’étais pas du genre à me mettre en danger, plutôt même toujours prête à travailler pour gagner ma vie… Je me suis toujours débrouillée, si bien qu’au fil des années, ils ont réalisé que je rebondirai toujours et ils ont appris à me faire confiance. Dernièrement, avec la sortie de l’album, me voir à la télé ou voir mon nom dans les journaux est devenu une fierté pour eux. Ils sont heureux que j’aie réussi à construire quelque chose, même si c’est encore modeste et fragile.

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– Tu cites volontiers Raphaël, Benjamin Biolay, Calogero, Nekfeu ou encore Alex Beaupain parmi les « chics types » qui ont compté dans ton parcours : quels ont été leurs conseils ?

Je n’ai jamais reçu trop de conseils de leur part, mais plutôt une forme d’approbation sur mon travail, pour me signifier que j’étais sur la bonne voie et que ça irait bien pour moi. C’est tout ce dont j’avais besoin, après tellement de moments de doutes et d’interrogations… Chaque fois que j’ai traversé ces moments très pénibles dans la vie d’une artiste, j’ai rencontré une bonne fée, prête à me faire la courte échelle et à me soutenir. Etre encouragée par des artistes pour lesquels on a de l’admiration est la chose la plus motivante qui puisse arriver dans un carrière. J’ai tellement écouté Alex Beaupain et Benjamin Biolay…

– Je me rappelle t’avoir croisée avec Albin de la Simone au concert de Pierre Lapointe, « La science du coeur »…

Je les adore tous les deux : ce sont mes artistes contemporains préférés avec Juliette Armanet. Avec Pierre, on a d’ailleurs écrit une chanson ensemble, et je vais peut-être profiter de mon passage aux prochaines Francofolies de Montréal pour l’enregistrer… C’est vraiment devenu un ami, en plus d’être un coup de coeur.

– Dans un autre registre, tu cites ta cousine Zula Zazou, danseuse au Crazy Horse, comme une de tes initiatrices à la vie parisienne…

Oui, c’était génial ! Quand j’ai débarqué, j’étais « un indien dans la ville » ! je ne connaissais personne, et elle m’a fait découvrir le Paris nocturne, glamour et insolite. Elle m’a emmenée chez Michou, au Crazy Horse ou dans les soirées de Nicolas Ullmann, des endroits totalement loufoques, où je croisais des gens comme Matthieu Chédid, que je voyais comme des stars. Je trouvais cela génial. Ma vie était là, à Paris. C’est elle qui m’a aussi présenté Marc Collin de Nouvelle Vague, avec lequel j’ai chanté. Pour le coup, lui m’a donné des conseils très aiguisés, très intelligents, à un moment où j’en avais vraiment besoin. J’avais 19 ans et j’écrivais des chansons Folk en Anglais. Il m’a dit très concrètement : c’est bien ce que tu fais, mais tu n’as pas encore trouvé ton style. Il m’a encouragé à travailler avec des groupes, pour trouver ma voie. C’est ce qui s’est effectivement passé.

– Parmi ces expériences, il y a eu le duo Electro anglophone Hologram…

Oui, c’était une étape dans ma quête de soi. Je me suis dit que je préférais sortir un album plus tard. Comme disait Coco Chanel, on n’a pas deux fois la chance de faire une bonne première impression. J’attendais de m’être vraiment trouvée avant de me lancer dans un projet en solo. Au sein de ce duo, je me dissimulais à la fois derrière la langue anglaise, et derrière mon partenaire Maxime Sokolinski. J’en avais vraiment besoin.

CLARA LUCIANI Olympia 180601 par Delphine Champion JSM Je Suis Musique (1)

– Dans quelles circonstances as-tu écrit les premières chansons de ce premier album « Sainte-Victoire » ?

Certaines chansons sont issues de mon premier EP. Ce sont pour beaucoup des chansons d’amour déçu, que j’ai écrites après une rupture. Les autres ont été écrites dans d’autres circonstances, comme « La dernière fois », que j’ai écrite après avoir moi-même quitté un garçon.

– As-tu écrit beaucoup de chansons pour n’en retenir que 11 ?

Oui, beaucoup de chansons sont passées à la trappe. J’avais envie d’un album très ramassé. J’aurais pourtant pu en enregistrer davantage, mais mon vrai souci était que l’album soit très direct, très intelligible, comme une flèche. Je n’avais pas envie de m’égarer, ni dans le style, ni dans le message. Je trouve que certains albums trop longs manquent de modestie et pêchent par grandiloquence. Je voulais vraiment rester simple.

– J’imagine que tu as été très vigilante sur le choix des réalisateurs Benjamin Lebeau (des Shoes), Ambroise Willaume (Sage) et Yuksek : quelle couleur générale avais-tu en tête, après avoir exploré divers styles musicaux ?

Je voulais justement que l’album ne soit ni trop connoté variété française, parce que ça ne me correspond pas, ni trop pastiche des années 60-70, que j’écoute pourtant beaucoup. Je voulais plutôt me situer dans une couleur plus moderne et contemporaine, et que ça sonne plus Rock anglo-saxon que la chanson française actuelle. Du coup, je crois avoir trouvé les partenaires idéaux pour ce son. L’association de Sage et de Benjamin Lebeau a été parfaite, et l’intervention de Yuksek sur certains titres également.

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– T’es-tu impliquée dans le choix des visuels et de l’iconographie qui entoure la sortie de l’album ?

Oui, je voulais que le livret de l’album ait la dimension d’une cartographie imaginaire, avec des visuels déchirés et reconstitués, à mon image : je ne sais pas vraiment d’où je viens, toujours partagée entre Marseille et Paris. J’avais envie de montrer que j’étais moi-même un collage, le résultat de tas d’expériences, une sorte de « cadavre exquis »…  On est à une époque où sont diffusées beaucoup de photos de soi, et pas que des jolies. J’essaie de contrôler un minimum l’image parce que dans mon esprit, tout est lié, tout se répond : la musique que je propose et l’iconographie. C’est très important à mes yeux.

– Quel sens donner au titre de l’album « Sainte-Victoire » ?

Il y a clairement un double sens à ce titre. Déjà, Sainte-Victoire est une montagne à côté d’Aix-en-Provence. Je voulais faire un clin d’oeil à mon lieu de naissance. Par ailleurs, la figure religieuse de la Sainte est toujours dans un coin de ma tête, pour diverses raisons, et qui me fascine un peu. Quand j’étais en histoire de l’art, en spécialité « art byzantin », j’ai eu beaucoup de cours sur la représentation des saints et des saintes dans l’art. D’un autre côté, le mot victoire est un des plus festifs de la langue française.

– Te considères-tu comme une guerrière, une amazone, comme on te qualifie parfois…

Un peu, car j’ai du me battre. Il y a peut-être des gens pour lesquels, les choses sont plus faciles, mais je pense que la plupart du temps, faire une carrière musicale nécessite d’être un vrai combattant : c’est un chemin de croix, plein d’embuches et de moments de découragement…

CLARA LUCIANI Olympia 180601 par Delphine Champion JSM Je Suis Musique (2)

– Avec des titres comme « La grenade », peut-on qualifier cet album de féministe ?

Je m’en défends un peu, car ce n’était pas mon intention de départ. Ca me dérange, d’autant plus que le mot féministe est devenu fourre-tout, utilisé à tort et à travers. C’est très attendu, très à la mode de parler de féminisme. Or pour moi, se battre pour le droit des femmes n’est pas une tendance, mais un combat permanent. Voir des magasins de fringues proposer des T-shirts « girl power » pour l’été m’agace un peu. Etre féministe n’a rien d’une tendance, c’est le combat d’une vie.

– A l’instar de ce qui a été révélé dans le milieu du cinéma, as-tu le sentiment que les filles sont aussi maltraitées ou moins considérées dans le milieu musical ?

Disons que le mot juste concernant les filles dans la musique est sous-estimées. Je raconte souvent ce détail sans importance, mais agaçant : dès que j’arrive dans une salle de concert, tout le monde se rue sur moi pour m’aider à faire mes branchements, etc, comme si j’étais en situation de handicap. C’est quand même étonnant comme comportement.

– As-tu le sentiment d’appartenir à un nouveau courant de la chanson française au féminin, auquel on pourrait rattacher Juliette Armanet, Fishbach, Corine, etc ?

Non, pas vraiment. Pour le coup, ce raccourci est fait dans les medias de façon assez maladroite et machiste. Sous prétexte que nous sommes des femmes, de la même génération et chantant en français, on nous met dans le même panier, alors que si on écoute nos albums respectifs, peu de choses nous rapprochent. Ce n’est pas péjoratif dans ma bouche, car vraiment je les adore. Mais nous sommes tellement différentes. Je ne me sens pas d’une famille musicale particulière. Ca ne nous empêche pas de très bien nous entendre. Il y a une ambiance très bon enfant entre nous, comme au temps de Salut les Copains. Juliette est quelqu’un que j’adore artistiquement et humainement : c’est assez rare pour le souligner. Elle est très généreuse et élégante. Elle m’a appelé très simplement pour me proposer de faire la première partie son Olympia. Elle est dans le partage permanent. Je ne suis pas certaine que toutes les chanteuses soient comme cela. C’est assez unique même.

CLARA LUCIANI à l'Olympia 180601 par Gregory Guyot JSM Je Suis Musique (27)

– Pourquoi avoir voulu adapter « The Bay » de Metronomy (2011), alors que tu es auteure-compositrice ? C’est une démarche rare de nos jours…

J’avais envie de faire un clin d’oeil symbolique à cet album, sorti l’année où je suis montée à Paris. Je me revois à faire mes aller-retours dans le train, avec mes sacs, à l’écouter des centaines de fois. J’aimais beaucoup cette chanson, qui m’offrait la possibilité daller sur un terrain de jeu intéressant : j’avais envie de l’emmener dans un registre tropical, exotique, baudelairien… J’y suis allé franchement, en prenant des libertés par rapport au texte d’origine. J’étais très heureuse de cette expérience, très ludique, très excitante. On l’a envoyé à Metronomy qui a beaucoup aimé cette version.

– Tu a cité Marie Laforêt chantant des adaptations des Stones comme une de tes références en la matière…

Oui, j’avais adoré sa démarche et c’est effectivement ce qui m’a inspiré cette envie d’adapter cette chanson en français. Les adaptations se faisaient beaucoup dans les années 60 et 70 et ça s’est perdu. L’exercice est pourtant vraiment intéressant. Quand on fait une reprise, elle n’est réussie que quand on y met beaucoup de soi, mais il demeure que les paroles et la mélodie sont imposées. Avec une adaptation, le champ des possibles s’ouvre : ça devient plus facile d’incarner une reprise quand en plus, on a personnalisé le texte en l’adaptant de façon un peu différente.

CLARA LUCIANI à l'Olympia 180601 par Gregory Guyot JSM Je Suis Musique (22)

– Quel sens donner à « Drôle d’époque » ? Te sens-tu en décalage avec le temps présent ?

Non, au contraire. En ce qui concerne le statut des femmes, j’ai l’impression d’être au meilleur endroit et au meilleur moment. Pour autant, ça reste hyper difficile pour nous. Nous sommes mitraillées, d’images de femmes idéales, qui me pèsent beaucoup personnellement. Dans mon fil Instagram, j’ai l’impression de ne voir que des mères parfaites, qui cuisinent tous les jours, des filles superbes qui font du fitness en permanence, ou encore des Kim Kardashian qui voudraient me faire croire qu’il faudrait que mes fesses fassent cinq fois leur volume. En face de cela, il y a des femmes comme Michelle Obama, et on se retrouve à se demander quelle doit être sa juste place. Quand tu vois les nanas dans des émissions de Télé réalité, elles sont toutes refaites des pieds à la tête. C’est compliqué de résister et de revendiquer le droit d’être imparfaite, de n’être même pas la moitié de ce que la société attend de toi. C’est le sens de cette chanson. Etre une femme de son époque, c’est refuser ce diktat et se contenter d’être soi.

– Pour autant, on te sent très attachée aux 60’s, au point de citer souvent Nico comme une de tes références absolues…

Je me souviens du jour où j’ai découvert le Velvet Underground : j’avais 12 ans et j’étais amoureuse d’un mec au collège qui prenait le même bus que moi. Il s’asseyait toujours devant moi, et avait déjà un iPod à l’époque, ce qui me paraissait déjà génial en soi. C’était très américain. Il me faisait écouter des trucs, et un jour il m’a fait découvrir « I’ll Be Your Mirror » du Velvet Underground, avec Nico. J’ai complètement craqué. Tout m’a plu : le son, sa voix, sa nonchalance. Depuis ce jour, je suis fan absolue du Velvet, de Nico, de Lou Reed…  J’aime la façon à fleur de peau et corrosive dont ils faisaient de la musique.

– Quelle est selon toi la définition d’un « Monstre d’amour » ?

C’est une personne qui se perd dans une relation amoureuse fusionnelle, passionnelle et intense, au point de devenir une créature d’amour, qui ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était auparavant. Elle se referme sur cette relation, à ne plus voir sa famille, ses amis. Son amour est exclusif et dévastateur.

– Tu as déclaré avoir été jusqu’à repasser les slips de ton copain !

Oui (rires) ! J’étais dans la dévotion totale et l’idée de trouver mon bonheur dans la satisfaction qu’on tire des taches ménagères, de la cuisine… Mais je peux t’assurer que ça m’est passé. J’étais à une période de ma vie, où les choses n’avançaient pas dans la musique. Je commençais à me poser des questions, et j’ai transposé toute mon énergie et ma passion sur quelqu’un, pensant que ça irait beaucoup mieux, alors que c’est la dernière des choses à faire. Cette personne était devenue le centre de ma vie. A présent que je vis pour moi et ma passion, mes relations amoureuses sont beaucoup plus saines.

– Françoise Hardy a beaucoup écrit sur le sujet de la dévotion amoureuse, et elle te cite d’ailleurs comme un de ses coups de cœur. Vous êtes-vous rencontrées ?

Oui, chez Fip radio. J’ai du mal à en parler tellement c’était fort. Je savais qu’elle parlait de moi et elle savait que je la citais comme une référence. J’ai entendu sa voix avant de la voir arriver dans le studio. J’étais pétrifiée. Je n’ai éprouvé cette peur et cette émotion avec personne d’autre, même quand j’ai rencontré Benjamin Biolay que j’adore. C’est un personnage très intimidant ; je la vois comme une icône. Elle m’a dédicacé son dernier disque. J’adore sa façon de chanter très droite, sans manières : c’est pour moi notre plus grande chanteuse française. Elle a été la première à chanter de cette façon, à une époque yéyé, où au contraire ce n’était pas la tendance. Elle est vraiment unique.

– J’imagine qu’elle doit se reconnaître un peu en toi physiquement…

Elle dit que non, que j’ai quelque chose de plus affirmé, de plus Rock, d’un peu « effrayant » même… C’est vrai qu’en dehors de la taille et de la coupe de cheveux, on ne se ressemble pas tant que ça physiquement.

– Vos albums sont sortis le même jour ; y vois-tu un signe du destin ?

C’était la cerise sur le gâteau… J’espère faire quelque chose avec elle un jour. J’ai l’impression que je ne ferai jamais de chansons assez bien pour elle, mais j’aimerais au moins chanter avec elle.

171130 CLARA LUCIANI au Zenith de Paris par Gregory Guyot JSM Je Suis Musique (3)

– Le Nouvel Obs t’a qualifiée de « Barbara armée d’une guitare «  : la définition te convient ?

J’adore (rires) ! Sérieusement, je ne peux même pas en parler, tellement c’est trop. Barbara est intouchable, comme les Beatles… On ne peut pas être comparée à elle.

– Quels sont tes rapports avec Eddy de Pretto, autre artiste en développement de ton label ?

Aucun, hormis le fait d’être signée sur le même label. Je me sens très loin de sa musique. Je ne vois pas de passerelle entre nous, même si j’aime bien faire des choses inattendues comme j’ai pu le faire avec Calogero ou Nekfeu. Ce ne serait pas très naturel.

– Comment envisages-tu l’avenir ? As-tu déjà du matériel pour un deuxième album ?

Oui, je suis en train d’écrire à fond. On est partis en Angleterre avec deux de mes musiciens avec lesquels j’avais envie de travailler et on a déjà pas mal de chansons de côté…

– Sera-t-il placé sous le signe du bonheur amoureux cette fois ?

Ouh la, je ne peux pas te le garantir (rires) !  A quoi bon écrire une chanson pour dire que tout va bien ? C’est difficile d’écrire sur le bonheur…

Propos recueillis par Eric Chemouny

Clara Luciani par Philippe Mazzoni JSM Je Suis Musique (2)

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En concert le 1er juillet au festival « Cabourg mon amour », le 6 juillet à « Calvi On The Rocks », le 7 juillet à la Philharmonie de Paris (« Days Off »), le 13 juillet aux Francofolies de la Rochelle, le 11 octobre à la Gaîté Lyrique et le 29 janvier 2019 à La Cigale à Paris.

crédit photos: Session 2018 en noir et blanc : Philippe Mazzoni (D.R.), reproduction strictement interdite / Session Sainte Victoire : Manuel Obadia Wills / Photos en concert : Gregory Guyot (D.R./ @I_am_Gregg/ JSM) + Delphine Champion (D.R. / @Del1997 / JSM)  / Photos Francos de Montréal : Eric Chemouny (D.R./JSM) / Photos « Les gens dans l’enveloppe » : Pierre Olivier Signe (D.R.) avec avec Françoise Fabian et Clotilde Hesme, prises le 3 octobre 2017.

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CLARA LUCIANI . LES FRANCOS DE MONTREAL 2018 . ROCH VOISINE . CAMILLE . JULIETTE ARMANET . ALEX BEAUPAIN . HOLLYSIZ . LOUANE . COEUR DE PIRATE . CHACUN SA FAMILLE avec ENZO ENZO . NINA MORATO .CONCERTORAMA #11 .
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