FRANÇOISE FABIAN

Le charme des débutantes…


Après une carrière monumentale comme comédienne au théâtre et au cinéma, c’est avec l’enthousiasme et la fièvre d’une débutante que l’immense Françoise Fabian se lance aujourd’hui dans la chanson : elle publie un splendide premier album réalisé par Alex Beaupain, auquel ont, entre autres, participé La Grande Sophie, Vincent Delerm, Dominique A., Julien Clerc ou Charles Aznavour… Nous  l’avons rencontrée chez elle, dans son cocon parisien, peuplé de tant de jolis souvenirs d’une vie d’artiste bien remplie…

JSM Je Suis Musique Françoise Fabian Album

– Dans quel état d’esprit êtes-vous  à la veille de la sortie de cet album ?

J’ai le coeur qui bat un peu plus fort que d’ordinaire. C’est un challenge, une magnifique aventure qui m’arrive aujourd’hui : j’ai conscience d’avoir beaucoup de chance. J’espère que ça va marcher très fort et recommencer… Figurez-vous que je pense déjà à un autre disque, avec d’autres chansons, avec tous ces musiciens de grande qualité qui m’ont entourée et que j’aime énormément. C’est une folie, mais ils m’ont écrit de si belles chansons, qui racontent de vraies histoires, magnifiées par les arrangements d’Alex Beaupain. Ca ne m’empêche pas de dire aussi que si c’était à refaire, je referais peut-être ce disque autrement ; mais on me répond à cela que tous les chanteurs ont ce sentiment, cette envie de parfaire leur travail jusqu’au bout. Alors ce sera pour le prochain disque, si j’ai la chance d’en enregistrer un autre… (rires).

– Appréhendez-vous les critiques ? Y serez-vous davantage sensible qu’à celles qui précédent la sortie d’un film ?

Oui, j’ai le trac, mais ce n’est pas le même. A la sortie d’un film, on n’est pas seul. Alors que là, je me sens seule, même si je suis entourée de gens de qualité, y compris au sein de ma maison de disques Wagram, où je me sens très en confiance, aimée et respectée. Malgré cela, je suis toute seule au final. Je ne partage avec personne ma présence sur un disque et plus tard sur une scène. Je ne sais pas comment cela va se passer…

JSM Je Suis Musique Françoise Fabian par Christophe Roue (1)

– Comment est née l’idée de cet album ?

Elle est née d’une rencontre, comme à chaque étape importante de ma vie. J’ai toujours eu beaucoup de chance en matière de rencontres. Alex Beaupain a demandé mon téléphone à mon ami Dominique Besnehard. Je ne sais pas pour quelle raison à l’origine. Probablement m’avait-il entendue chanter dans un film… Il a absolument voulu que j’interprète deux chansons (« C était fini la guerre », « S’étendre sur la table ») sur un CD accompagnant un livre d’Isabelle Monnin, « Les gens dans l’enveloppe ». J’ai accepté et suis allée jusqu’à faire la lecture de ce bouquin sur scène. J’ai chanté ces chansons et le spectacle a eu beaucoup de succès. Là-dessus, il a découvert que j’aimais beaucoup la musique et que j’avais été musicienne. Je jouais du piano mais ne peux plus en faire depuis que je me suis cassé la main. Je connais des chansons depuis l’âge de 5 ans ; je m’en souviens encore. La chanson compte énormément et a véritablement illustré tous les moments forts de ma vie. Du coup, on s’est dit : pourquoi ne ferait-on pas un album ensemble ? Après tout, pourquoi ne pas oser ? On en a parlé comme ça, et il m’a apporté une chanson de La Grande Sophie, « La vie modeste ». Il m’a aussi proposé une chanson de sa composition. De mon côté, je suis allée voir Aznavour, pour lui exposer mon envie de faire un album et lui demander une chanson. Il a trouvé l’idée formidable et m’en a proposé deux. Je les aurais bien prises toutes les deux, mais il m’a demandé de n’en choisir qu’une seule, alors j’ai choisi « Ce diable d’homme ». Cela dit, il doit être content du résultat, puisque depuis, il m’en a adressé une nouvelle. Je suis aussi allée voir Jean-Claude Carrière, que j’estime énormément, et dont je savais qu’il avait écrit pour Juliette Gréco. Il m’a offert le texte de « Passages ». De même, j’ai rencontré dernièrement Etienne Daho auquel j’ai demandé une chanson, et qui m’a répondu :  avec joie ! Mais ça n’a pu se faire dans les temps. Bref, je n’ai essuyé aucun refus ; c’est un peu miraculeux…

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– Vous avez commencé votre formation artistique au Conservatoire de musique d’Alger, où vous avez appris le piano et l’harmonie, avant d’entrer au Conservatoire d’art dramatique à votre arrivée à Paris… Qu’est-ce qui a déterminé ce choix de privilégier la comédie sur la musique ?

Là encore, c’est une rencontre ! Mon premier flirt était un comédien, qui est maintenant dans le milieu du pétrole. Il m’a fait venir dans sa classe de comédie, alors que je faisais effectivement du piano et de l’harmonie au conservatoire, en parallèle de mes études. Je travaillais beaucoup. J’ai fait la connaissance d’une professeur, qui a trouvé que j’étais douée, que j’avais une bonne voix. J’aimais la poésie, et je lui ai lu un poème de Baudelaire, qui lui a plu. Elle a demandé à mon père s’il consentait à ce que je prenne des cours de comédie. Il a accepté, et après un an de travail, elle lui a demandé s’il aurait le courage de m’envoyer à Paris pour tenter d’entrer au Conservatoire national supérieur d’art dramatique : mes parents qui me faisaient tellement confiance et m’ont tellement adorée et respectée, ont accepté. J’ai été reçue au Conservatoire et ça a été le point de départ de ma carrière…

– En qualité de musicienne, j’imagine que vous vous êtes beaucoup plus impliquée qu’une interprète ordinaire dans la confection de ce disque…

Globalement, j’ai totalement fait confiance à Alex, pour lequel j’ai une amitié profonde et vivace. Il a écrit de très beaux arrangements, mais nous avons en effet discuté du style des chansons. Je tenais à avoir une Bossa Nova, un tango avec un bandonéon, etc. On s’est mis assez rapidement d’accord sur tout. C’est lui qui m’a apporté les deux chansons magnifiques de Vincent Delerm, « La conversation » et « Bonsoir », ainsi que celle de Nicolas Kerr, « Tant de choses que j’aime », absolument sublime. Depuis, j’ai attrapé le virus : j’ai envie qu’on m’écrive des chansons alors que l’album n’est même pas encore sorti… (rires).

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– Saviez vous que Vincent Delerm tient « Ma nuit chez Maud » de Rohmer comme un de ses films préférés ?

Oui, il me l’a confié ; c’est pour cette raison qu’il m’a écrit « La conversation », un peu inspirée de ce film.

–  Avez-vous le sentiment d’être intimidante comme le suggère justement cette chanson, qui appelle à une certaine intimité ?

Je ne sais pas ; la chanson appelle à une intimité, mais elle n’est pas brutale… C’est une mise en confiance progressive : rien n’est dit, tout est suggéré. Les deux personnages ont toute la nuit pour discuter, sans savoir où cela les mènera… C’est toute la délicatesse de cette chanson. Hormis Vincent, j’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui m’ont écrit des chansons, parce qu’elles veulent toutes dire des choses intelligentes. Elles sont écrites en bon Français, sur de belles musiques. C’est très rare aujourd’hui et j’en suis personnellement très fière. Je ne pouvais pas rêver mieux…

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– Avez-vous refusé des chansons ?

Oui, j’en ai refusé deux. L’une d’entre elles, n’était pas dans ma tessiture. L’autre, que j’aime énormément, faisait un peu trop « cabaret » : ce n’était pas la couleur de l’album, mais je la chanterai peut-être plus tard. Il fallait que j’impose un style de chansons, que je trouve une cohérence à l’ensemble…

– C’est un album éponyme ; quel titre lui auriez-vous donné sinon ?

C’est une question piège ! Je ne sais pas ; peut-être celui du premier extrait, « Tant de choses que j’aime »…

– Quelle est la part d’autobiographie d’une chanson comme « Au bout du compte » ? Dans votre rapport aux hommes, on vous imagine plutôt en position de séductrice, de femme fatale…

(rires). Dans mon rapport aux hommes, je ne me suis d’abord jamais sentie agressée par eux, sauf pendant mon adolescence, vers 13-14 ans. Mais ma mère m’avait appris à me défendre avec une pointe de compas quand on me touchait dans la rue. Ensuite, je ne crois pas avoir été une séductrice envers tous les hommes, mais simplement envers ceux qui me plaisaient. Jacques Becker m’a séduite comme je l’ai séduit. J’ai eu quelques histoires qui n’ont pas duré, entre la mort de Becker et l’existence de mon autre époux, Marcel Bozzuffi, mais je suis difficile à séduire…  Sans doute suis-je un peu trop exigeante. J’aime les échanges, que les rapports soient vrais. Ca ne m’intéresse pas qu’on me fasse la cour pour me faire la cour…

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– Sur cet album, il est question du temps qui passe, de la mort : êtes-vous aussi sereine que le laissent entendre des chansons comme « L’idée » ou « Cligner des yeux » ?

Il n’y est pas question de la mort, je le nie totalement, mais plutôt de l’acceptation d’une chose avec laquelle il faut savoir se familiariser sans en avoir peur. J’ai véritablement apprivoisé l’idée que je vais partir. Cela nous arrivera à tous, et j’envisage ce départ très calmement : cela fait partie de la vie, et pour moi, cette expérience de la mort est encore une forme de vie.

– C’était important pour vous d’avoir, en contrepartie, des chansons plus légères comme « Passages », « Ce diable d’homme » ou « Monsieur vous vous trompez d’épaule » ?

Oui, bien sûr, même si la composition de l’album est le travail exclusif d’Alex. Je lui ai fait confiance ; il a la recette pour construire de beaux albums.

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– Comment expliquez-vous que les actrices aient toutes, à un moment ou un autre, envie de chanter, de Jeanne Moreau à Rachida Brakni ?

C’est naturel après tout, car une vraie chanson n’est rien d’autre qu’une histoire mise en musique. C’est un petit scénario. A l’inverse, on pourrait écrire un film à partir de certaines chansons. Toutes les anciennes chanteuses, comme Jacqueline François ou Léo Marjane, chantaient des chansons à partir desquelles on aurait très bien pu écrire des histoires et  faire des films. Petite déjà, j’aimais beaucoup cela, à la différence des « Roses blanches » que je trouvais déjà un peu cucu. J’aimais plutôt les chanteuses réalistes qui chantaient des chansons d’amour et de passion. J’adore aussi le Jazz et la Bossa Nova, et ne peux me passer de musiques finalement.

– J’ai appris que avez failli faire un album avec Gainsbourg…

Pas exactement. J’ai failli faire un album avec plusieurs auteurs, avec lesquels j’étais entrée en contact. C’était à une période de ma vie où je ne tournais pas beaucoup. J’étais un peu en « stand by », comme on dit. Serge Reggiani m’avait bien expliqué qu’entre le choix des chansons et l’enregistrement, jusqu’à la sortie du disque, il fallait bien compter deux ans, mais il se trouve que j’étais assez disponible. J’avais signé pour un album chez CBS, qui travaillait avec deux auteurs privilégiés, lesquels écrivaient pour Sheila et cette famille d’artistes de l’époque. J’ai refusé, et j’ai décidé de choisir moi-même mes chansons, sans me laisser imposer des gens qui ne me correspondaient pas : Françoise Sagan, Guy Béart, et beaucoup d’autres m’ont ainsi écrit des chansons. Je suis aussi allée voir Gainsbourg pour lui exposer mon projet, lui dire que je le trouvais génial etc. Il a été d’accord et a même sorti des fonds de tiroirs, qu’il m’a joués sur son piano, chez lui, rue de Verneuil. Mais il refusé de ne me donner qu’une ou deux chansons, me répondant :  Moi, je ne partage pas ! C’était tout l’album ou rien. Sa réponse m’a vraiment refroidie.

– L’avez-vous regretté quand il a ensuite conçu de superbes disques pour Catherine Deneuve ou Isabelle Adjani ?

Non, pas du tout. Il avait dit cela trop méchamment. Il aurait pu présenter les choses différemment. J’étais en contact avec des personnes que j’estimais beaucoup et je ne me voyais pas les rejeter pour ne travailler qu’avec Gainsbourg. J’avais le sentiment qu’il prenait de haut ces artistes et cela m’a déplu. Je n’aimais pas du tout ce mépris. Et puis, il s’est avéré qu’à ce moment-là, comme j’ai toujours beaucoup de chance, j’ai eu plusieurs contrats avec l’Italie (1974-1976). J’y ai tourné quelques films pendant deux ans environ, et le projet d’album est finalement passé à l’as.

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– Les chanteuses se plaignent souvent que le cinéma est un milieu plus fermé, peu d’entre elles réussissant à mener de front deux carrières, comme Jane Birkin, Charlotte Gainsbourg ou Vanessa Paradis…

Je ne pense pas qu’on soit hostile aux chanteuses dans le milieu du cinéma. Tout est une question de charisme, de rôle et de rencontres. Par exemple, quand j’ai vu Vanessa Paradis chanter « Joe le taxi », j’ai tout de suite pressenti qu’elle allait faire un malheur. Les chansons qu’elles a faites ensuite m’intéressaient moins, mais elle touchait là à quelque chose de formidable qui s’est confirmé au cinéma. Le problème au cinéma, c’est qu’on n’est pas seul : il faut beaucoup compter sur les autres, jouer avec les autres, se plier à d’autres idées que les siennes, obéir à certaines règles, se plier à une autre discipline de groupe… C’est aussi un métier d’expression, mais il y est peut-être plus difficile de se distinguer pour une chanteuse dans ces conditions et compte-tenu de tous ces paramètres.

– Vous avez joué dans « Trois places pour le 26 » de Jacques Demy avec Yves Montand : y chantiez-vous ?

Non, et je l’ai beaucoup regretté d’ailleurs. Il n’y avait pas de passage chanté pour mon rôle. Jacques m’avait précédemment proposé le rôle de la fée dans « Peau d’âne », et je devais même y chanter sans doublure voix, à la différence des autres comédiens du film. Il connaissait ma voix et m’avait déjà entendue chanter chez Sagan, Béart ou Jean-Christophe Averty. J’avais une passion pour Jacques Demy. Mais j’avais alors d’autres engagements. Delphine Seyrig de son côté rentrait des Etats-Unis, où elle avait joué une pièce qui n’avait pas marché. Il lui a confié le rôle, dans lequel elle était d’ailleurs merveilleuse. Quel beau rôle ! C’est pourquoi quand il a fait « Trois places pour le 26 », il m’a bien avertie que ce n’était pas le rôle de ma vie, mais qu’il avait envie de travailler avec moi. Je lui ai répondu que je n’avais même pas besoin de lire le scénario pour lui donner mon accord. J’étais prête à faire n’importe quoi, du moment que je tournais avec lui : il est venu à la maison, avec des photos, la musique du film, son synopsis, les maquettes de décor… Il m’a exposé tout son projet, comme un amour qu’il était, alors qu’il avait déjà mon accord… C’était un cadeau magnifique.

 – Etes-vous toujours en contact avec Catherine Deneuve, actrice fétiche de Demy,  et autre grande amoureuse de la chanson, depuis votre collaboration sur « Belle de jour » de Bunuel ?

Non, pas du tout, mais je sais qu’elle a aussi chanté avec Alex pour Christophe Honoré.

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– Comment envisagez-vous de porter ce disque sur scène (*) ?

Je ne sais pas du tout encore. Tout cela se mettra en place cet été. Je ferai appel à Vincent Huguet, qui m’a déjà mise en scène sur le spectacle autour de Marcel Proust et Reynaldo Hahn. Il a été l’assistant de Patrice Chéreau pendant 10 ans, puis celui de Luc Bondy avec lequel j’ai travaillé pour « Tartuffe ».

– Vous semblez avoir une ambition théâtrale pour ce spectacle, qui va au-delà de celle d’un simple tour de chant ?

C’est exact. Vincent ne souhaite pas que j’arrive et déroule mes chansons toute seule au micro. Il voudrait que je m’adresse aux musiciens, dans une forme de spectacle un peu plus travaillée… Pour l’instant je répète les chansons chez moi, et je vais déjà me préparer à chanter avec Alex à la mairie de Paris, pour le festival Fnac Live en juillet prochain. C’est déjà une aventure pour moi… J’ai un trac fou. Je ne sais pas dans quel état je serai, quand je me retrouverai toute seule en scène devant un public… J’espère que cela se passera bien, comme quand l’an dernier, les Yeux Noirs m’ont invitée aux Folies Bergère (le 24 septembre 2016). Ils m’avaient proposé de venir chanter « Un jour, tu verras » de Mouloudji, une chanson de rêve, que j’adore. J’ai accepté dans une inconscience totale. Je suis allée répéter l’après midi, avec cet orchestre de musiciens adorables, tous très bienveillants à mon égard. Pour autant, j’étais morte de trac toute l’après midi, à me demander ce que je faisais là, et pourquoi j’avais accepté cette proposition. Je ne savais plus comment me dérober. Des coulisses, je voyais la salle pleine à craquer. On m’a dit qu’il fallait que je rentre sur scène avec le micro en main. J’ai suivi ces conseils, et le fait de tenir ce micro, d’entendre ma voix portée sur la scène, en plus de la sympathie de l’orchestre, a fait que je me suis finalement sentie totalement épanouie… Je n’ai jamais éprouvé cette sensation de plénitude au théâtre. Il n’y a pas cette mise en danger, cette part d’improvisation : quand on chante, on est sur la proue du bateau avec la mer qui gronde autour !

– Avez-vous vu le spectacle de Depardieu autour de Barbara ?

(silence). Oh oui… J’ai pleuré comme jamais. J’étais inconsolable. Quand je suis allée le féliciter en coulisses, il m’a dit : mais pourquoi pleures-tu comme cela ? Je ne pouvais pas m’arrêter. Il était si merveilleux… Personnellement, j’ai toujours aimé Barbara à dose homéopathique. Elle avait une gestuelle qui me dérangeait. J’aimais davantage ses chansons qu’elle-même. Je l’ai pourtant vue débuter à l’Ecluse, avec Jacques Becker, dans les années 50. Elle y était magnifique : elle y chantait deux chansons de Brel, et une chanson de Brassens. Elle avait alors beaucoup de présence, et une grande simplicité. Jacques Dufilho faisait un numéro juste avant, avec des petites cuillers dont il faisait un ban de sardines. C’était très amusant. J’ai appris d’ailleurs dans ses mémoires, que Barbara était restée fidèle à l’Ecluse, où elle allait très souvent. C’est très touchant. Mais c’est vrai que sur scène, elle a ensuite adopté des regards appuyés et une gestuelle très complexe qui me dérangeaient. Peut-être avait-elle besoin de se rassurer, alors qu’elle était magnifique, si pleine de présence, d’allure, d’élégance… Elle était si touchante. A sa différence, Gérard a chanté ses merveilleuses chansons avec simplicité : on pouvait en entendre tous les mots, toute la délicatesse… C’était irrésistible. Tout d’un coup, je n’ai plus vu Barbara, mais simplement écouté ses chansons, dites par Gérard avec un respect, une simplicité, une gentillesse très touchantes. C’était génial de sa part d’arriver à faire oublier l’image tellement présente de Barbara. Et puis, il a su éviter les pièges, les clichés, comme celui de reprendre « L’aigle noir », en choisissant parfaitement les chansons qui lui allaient bien. Il a chanté Barbara avec une pureté totale, sans effet de voix, simplement accompagné d’un piano. Le texte pour le texte, la musique pour la musique. C’était somptueux. Je serais prête à retourner le voir tous les soirs quand il reprendra son spectacle…

– Qu’est ce que ça vous inspire quand on parle de vous comme d’une icône du cinéma français ? Vous sentez-vous privilégiée d’être encore sollicitée de toutes parts, notamment par les jeunes cinéastes ?

Une icône… Ca ne veut rien dire (rires). Tout le monde est une icône aujourd’hui. Je trouve au contraire que je n’ai pas fait assez de choses pour mériter cela. Je me sens privilégiée de travailler et je n’ai pas de regrets par rapport à ma carrière d’actrice, hormis celui de ne pas avoir joué certains auteurs au théâtre, par manque de temps ou parce qu’on ne me l’a pas proposé. Il y a aussi des metteurs en scène avec lesquels j’aurais aimé jouer, sans jamais oser le leur demander. A la différence de beaucoup d’actrices qui font savoir leur désir de tourner avec untel ou untel, je n’ai jamais rien fait en ce sens, sauf avec Bunuel. Je le savais à Paris, et j’en ai profité pour lui dire que je voulais travailler avec lui. En dehors de ce cas, j’étais trop terrorisée à l’idée qu’un metteur en scène me réponde qu’il n’avait aucune envie de travailler avec moi. J’étais probablement trop orgueilleuse : j’aime être désirée…

propos recueillis par Eric Chemouny

(*) : à l’Athénée Louis Jouvet à Paris, les 19 et 26 novembre, et le 3 décembre 2018.

Crédit photos : Christophe Roué (D.R./Wagram) / Photos de scène: Pierre Olivier Signe (D.R.) « Les gens dans l’enveloppe »: Françoise Fabian avec Alex Beaupain, Isabelle Monnin, Clara Luciani et Clotilde Hesme, prises le 3 octobre 2017.

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