CHARLOTTE GAINSBOURG
la lumière des mots…
Sorti le 17 novembre dernier, “Rest”, le nouvel album de Charlotte Gainsbourg, offrait un recueil de chansons très personnelles sur son père, sa soeur Kate, ses enfants, sa vie, chantées pour la première fois en français. Cette totale mise à nue, artistiquement bousculée par sa collaboration avec SebastiAn, s’est transposée sur scène en chambre forte d’une mémoire à jamais domiciliée au 5 bis rue de Verneuil…
C’est dans un décor très noir, presque annihilé, transpercé de néons, semblant symboliser des zones d’ombre en quête de lumières, que ses musiciens puis Charlotte entrent en scène, tous habillés de jeans, évoquant immédiatement l’esthétique Gainsbourg, et qui marque indéniablement le concept-même du concert.
Dès le départ, Charlotte donne le ton d’un tour de chant déroulé en confessions intimes, quand assise devant son piano, elle entame le premier titre d’une setlist compactée : c’est “Lying with you” qui évoque la mort de son père, enchaînée avec “Ring-a-ring o’Roses”, chanson sur le temps qui passe.
La voix est là, assumée, plus sûre qu’auparavant et toujours aussi pure. Sa timidité, qu’elle expose dans “I’m a lie” ensuite, l’excuse d’un contact quasi-silencieux avec son public, resté immuablement fervent et amoureux, mais qui doit retrouver dans le labyrinthe de ces mises à nues, sa propre relation à l’artiste et au temps de sa dévotion. Charlotte lui sourit souvent, malgré la gravité de ses textes, puis bat en retraite : elle évolue ainsi sur scène dans l’ombre, à la lumière de ses mots.
En effet, entre subtil jeu de scène et malicieux cache-cache savamment étudié, Charlotte disparaît presque, derrière des structures de néons, pour mieux nous livrer des morceaux de (sa) vie. Sur “Kate”, elle se retire littéralement au fond de la scène, très (trop) surchargée, pour mieux évoquer sa sœur disparue. Et là est tout l’intérêt et toute l’intelligence d’une telle démarche artistique qui peut rendre ce concert parfois déroutant : plus la femme se met à nue dans des mots souvent crus et authentiques de ses évocations personnelles, plus l’artiste se rend invisible dans des lumières d’une quiétude effleurée, comme si les mots comptaient plus que tout le reste, comme si ses chansons supplantaient la propre performance de l’artiste.
S’enchaînent ainsi 15 chansons bouleversantes qu’il faut lire entre des lignes de lumière, parmi lesquelles Charlotte, translucide, comme transpercée, reste sobrement charismatique. Entre son piano et son micro, c’est une évanescente débraillée qui se déplace au ralenti, comme un hommage en filigranes au Johnny Jane échappé du film pudique impudique de son père Serge, avec sa mère Jane et le charismatique Joe D’Alessandro.
Et c’est lorsqu’elle laisse place à un long passage instrumental dans une déferlante Techno plutôt bienvenue sur “Deadly Valentine”, lorsque les mots ont disparu, que Charlotte ose enfin s’avancer au devant la scène, s’offrir au public, se rendre tout d’un coup visible, à fleur de scène d’une audience bouche bée.
Plus que sur la tournée précédente, cette présence de Serge Gainsbourg est palpable du début à la fin. Et ce n’est sans doute pas un hasard si Charlotte choisit précisément d’interpréter deux des trois chansons qu’elle a chantées en duo avec lui : “Charlotte Forever” et “Lemon Incest” (elle laissera silencieuse “Plus doux avec moi”), comme pour mieux le rendre présent. Sans aucun artifice ou effet nostalgique facile, c’est elle qui fait les deux voix, comme pour rappeler que c’est elle qui assume tout, qui s’en sort seule, comme si elle reconnaissait enfin que le flambeau était passé et qu’elle s’était affranchie de toutes les hésitations à porter cet impressionnant héritage : elle assume cette absence si présente, rappelant au passage que toutes ses blessures du coeur, comme du corps, l’ont rendue plus forte encore.
C’est ainsi que le concert fait la part belle à cet album “Rest” quasi tout entier (il manque et c’est vraiment dommage “Dans vos airs”, le plus beau titre de l’album pour ses enfants), mis à part “The Songs that We Sing” et “Heaven Can Wait” qui semblent être des évocations polies de ses précédents opus ou cette reprise improbable de Kanye West, “Runaway” que l’on dirait avoir été taillée pour elle.
Gregory Guyot.
Crédit photos: Pierre Olivier Signe (D.R.) / crédit photos: Team Together : Gregory Guyot (D.R./ @I_am_Gregg/ JSM) + Delphine Champion (D.R. / @Del1997 / JSM) – concert du mercredi 28 mars 2018, à la Cigale.
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Setlist, La Cigale, 28 mars 2018 : Lying with you / Ring-a-ring o’Roses / I’m a lie / Songbird in a cage / Sylvia says / The songs that we sing / Les crocodiles / Deadly Valentine / Kate / Charlotte for ever / Rest / Heaven can wait / Les Oxalis / encore: Runaway / Lemon Incest.
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