DAPHNE

La belle ensorceleuse


Quelques jours après la sortie de son nouvel album, le 6ème déjà, intitulé « Iris Extatis » , le 16 février dernier, signé sur le label indépendant At(H)ome et produit par la talentueuse Edith Fambuena, Daphné, désormais installée près de Clermont Ferrand, est revenue à Paris pour un concert unique au Flow, le 8 mars dernier. Un instant lumineux et suspendu dans la nuit noire, sur ce bateau des bords de Seine…

Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Gregory Guyot (2) JSM Je Suis Musique

Daphné est une véritable ensorceleuse, une magicienne des mots, une charmante charmeuse de la langue française, une vestale fragile et décidée à la fois, une sirène terrestre qui ondule comme une flamme dansante, une amoureuse enivrante à la voix de velours, d’une captivante et singulière beauté dont les yeux perçants et hypnotisants semblent jeter ses sorts.  Elle est l’indicible mélange d’une héroïne des temps légendaires et d’une moderne militante de la vie et des aspirations au bonheur, tutoyant chaque vibration des espaces et de la nature, des eaux et du feu, ne manquant pas d’air en sa terre, qui se cristallisent tout en elle. C’est une sauvageonne et une sage à la fois, une rêveuse for ever…

Lorsqu’elle fait son entrée sur la scène du Flow sur « L’Amour » (extraite de son nouvel album), traversant le grand rideau blanc, Daphné est tout cela à la fois, telle une boîte de Pandore de la chanson française, aussi rare et précieuse qu’une pierre d’émeraude à peine taillée dont sa longue robe verte et foncée semblait faîte ce soir-là. Celle qui se fait trop rare sur nos scènes transperce en une seconde notre cœur d’une émotion très forte et restée intacte depuis ses débuts timides et incertains.

Revenue plus forte aujourd’hui, Daphné conserve heureusement cette fragilité à fleur de peau qui tient en équilibre sur le fil de ses chansons, dont la voix, comme le souffle du vent, nous transporte loin dans nos émotions les plus douces et éreintées. Sous cette délicate vulnérabilité se cache une juste guerrière de la vie et de la liberté, comme elle le prouve dès « Ultraviolet », la 4e chanson du concert, qu’elle enchaîne juste après son nouveau single « Faîte à l’envers », superbe ode à ses maladresses et qui semble révéler quelques-uns de ses nombreux secrets. Déjà très forte sur l’album, «Ultraviolet » gagne en intensité sur la petite scène du Flow dont les mots délicieusement hésitants de son petit discours n’atténuent pas le propos d’un beau pays comme la France face aux extrémistes de tous bords. Celle qui dit ne pas savoir parler fait pourtant passer tous ses messages de sa belle voix si singulière, si douce. Ses mots oubliés laissent deviner d’honorables combats de tous les jours, mais sans jamais éclipser ne serait-ce qu’une seconde l’essence de ses 20 chansons choisies.

Daphné poursuit en s’épanchant sur le souvenir d’un film qu’elle a vu petite, « Par le trou d’une serrure », avec Natalie Wood (le film c’est « This property is condamned ») sur la condition de la femme et le refus des conventions, « le jour de la journée des droits de la femme, quelle connerie, pourquoi pas la journée de l’homme barbu…» dit-elle. De ce film, elle en extrait : « Wish me a rainbow », qu’on aurait dit écrite pour elle et qu’elle marie musicalement avec « The death of Santa Claus » (chanson de l’album « Bleu Venise ») : accord parfait et presque évident sur l’enfance perdue.

JSM Je Suis Musique Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Gregory Guyot (5)

Comme pour rendre un hommage discret mais pourtant très demandé à Barbara, elle poursuit sobrement et délicatement son bouquet de chansons avec « Göttingen », assise sur un tabouret au fond de la scène, vibrante version dont on regrettera presque qu’elle soit la seule évocation de la dame en noir, tant Daphné chante bien ses mots et ses chansons (son album « 13 chansons » qui rendait hommage à Barbara bien avant l’heure est une pure merveille à (re)découvrir d’urgence) . Un peu plus tard, elle rendra aussi hommage à une autre artiste désormais immortelle : France Gall, reprenant l’une de ses plus belles chansons et pourtant l’une des moins connues aujourd’hui : « Ce soir je ne dors pas », en premier rappel d’un concert trop vite passé.

JSM Je Suis Musique Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Gregory Guyot (14)

JSM Je Suis Musique Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Gregory Guyot (17)Cet unique rappel de 4 chansons est absolument bouleversant quand elle enchaine le titre de France Gall avec « Mourir d’un œil » (de l’album « Carmin »), dans une version déchirante qui touche à l’absolu divin, ou lorsqu’elle chante « la vie ne fait pas semblant »… Et pourtant, l’émotion monte encore d’un cran quand Edith Fambuena (qui produit l’album) la rejoint si timidement sur scène pour le très beau duo de l’album « Iris Extatis » : « On n’a pas fini de rêver ». Alors, au milieu de cette demie pénombre, s’installe un indescriptible moment suspendu et saisissant de deux grandes artistes que tout oppose et qu’ici tout unit, renversante rencontre des voix et des corps de deux femmes si gracieuses, si sensibles et si riches. L’expression de l’art musical trouve en elles l’esperluette de tous les talents.

JSM Je Suis Musique Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Delphine Champion (2)

Si Daphné fait la part belle aux titres de son dernier album, elle prend le risque déjà pardonné de laisser de côté d’autres titres attendus comme par exemple « Venise sous la neige » ou « Rocambolesque Morocco » pour ne citer que ceux-là. Mais une frustration presque oubliée quand on réalise la suffisante richesse d’«Iris Extraits », magnifié sur scène comme rarement un disque ne l’avait été, une œuvre inspirée venue de loin qui revisite les folklores du monde (comme « Flores Negras » ou « Mohini Moranda ») tel un train musical traversant tous les pays des sentiments, exalté par les trois musiciens qui l’accompagnent. Un pari artistique osé et intéressant, qui n’est pas sans rappeler en son temps, celui qu’avait choisi de faire Marie Laforêt, fragile fille aux yeux d’or à contre-courant de la variété et des yéyés, puisant son inspiration dans les folklores du monde entier. A ce titre, on pourrait imaginer Daphné s’approprier « Prière pour aller au Paradis » tout comme « Le tango rabia al silencio »…

JSM Je Suis Musique Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Gregory Guyot (13)

Ainsi, au fil d’un tour de chant clôturé par la chanson « Resteras-tu amoureux ? » (à laquelle notre réponse est : « oui, bien sûr »…), le Flow, qui avait été submergé par les eaux de la Seine en crue quelques jours auparavant, était cette fois totalement noyé… par tant d’émotions palpables. Et ce n’est pas le parterre de stars amies qui s’étaient déplacées pour la voir et l’écouter qui nous contrediront parmi lesquelles Zazie, Clarika, La Grande Sophie pour ne citer qu’elles.

Daphné, sirène remise à flot à la voix si envoûtante, devrait revenir cet automne et l’impatience se fait déjà grande et insoutenable. Nous voilà bien ensorcelés…

Gregory Guyot.

JSM Je Suis Musique Daphné au Flow 8 mars 2018 Photos cc Gregory Guyot (18)

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Nous avions rencontré Daphné à l’occasion de la sortie de « Iris Extatis ». (re)lisez son interview ici.

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Crédit photos : Team Together : Delphine Champion (D.R./JSM) + Gregory Guyot (D.R. / @I_am_Gregg  / JSM)

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Setlist Flow, 08.03.18. L’amour / Les Phenix / Faite à l’envers / Ultraviolet / Wish me a Rainbow + The death of Santa Claus / Supercalifragilis / Göttingen / Melodie à personne / Musicamor / Le corps est un voyant / La lune est une femme africaine / Une prière aux étoiles / Mohini Moranda / Flores Negras / Song for rêveurs / Encore : Ce soir je ne dors pas / Mourir d’un œil / On n’a pas fini de rêver / Resteras-tu amoureux ?

3 commentaires sur «  »

  1. Ping : JSM #8
  2. Superbe hommage à une grande dame de la chanson.Cette lecture m’a ému profondément.Voici un écrit sur la chanson,qui me parle et me charme.J’espère d’autres découvertes.Merci beaucoup. MAURICE MOTTOULLE

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