ETIENNE DAHO

Le printemps Pop !


Le printemps musical 2018 sera plus Pop que jamais et marqué du sceau de son prince absolu, Mister Etienne Daho. Récemment honoré par les Victoires de la Musique pour l’ensemble de son itinéraire, et alors que l’exposition « Daho l’aime Pop » à la Philharmonie de Paris se prolonge jusqu’au 29 avril, vient de sortir « Le jardin », nouvel extrait de son album « Blitz », aux accents psychédéliques, fleuris et paradisiaques… En pleine préparation d’une tournée qui démarrera le 11 juin prochain aux Nuits de Fourvière, et passera le 7 juillet à Paris par le festival Days Off, ED a pris le temps de se livrer à JSM avec une sincérité touchante et une passion inaltérée pour la Pop…

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Chacun de tes albums est porteur d’une identité musicale forte et en rupture avec le précédent ; comment qualifierais-tu le dernier « Blitz » ? Quel a été son point de départ ?

Le point de départ a été un album de Unloved, « Guilty of Love », que j’ai découvert et qui représente absolument tout ce que j’aime. J’avais envie de me glisser dans cet univers sonique, qui mélange plein de choses que j’affectionne : les 60’s, les productions de Phil Spector, les girlsgroups, les Paris Sisters, mais aussi certaines bandes originales de films, comme celles de Nino Rota, etc, tout en restant très contemporain et très Pop. Ca a été vraiment le déclic. La musique Psyché est celle qui m’a fait éclore : le premier album que j’ai acheté à 13 ans, était « The Piper At The Gates of Dawn », de Pink Floyd. Depuis quelques années, cette musique revient avec des groupes de San Francisco et Los Angeles, et j’ai une telle familiarité avec, que j’ai pensé que je pourrais me glisser dans ces ambiances, mais que ne j’avais jamais exploitées jusqu’ici, parce que j’ai toujours essayé de me tenir à l’écart du Rock, et de ne pas utiliser du tout ma culture Rock. Je n’en avais pas peur, mais je trouvais que j’étais plus créatif en utilisant ma culture française. En faisant de la musique Psyché, je craignais de reproduire malgré moi quelque chose que j’aime et qui m’a tellement imprimé. Ca m’a toujours un peu retenu. Là, je me suis accordé cette liberté. J’ai commencé à travailler avec Fabien Waltmann que j’ai retrouvé, et avec lequel j’avais travaillé sur « Eden ». Elli (Medeiros) m’a demandé un jour si je voyais toujours Fabien, et elle m’a alors appris qu’il habitait près de chez moi à Londres. On s’est revus comme ça. On a commencé à travailler et la première chanson qui est arrivée a été « Voodoo Voodoo ». Je me suis dit : c’est bon ! Et on a continué sur la lancée…

– Pourquoi le choix de ce titre « Blitz », du nom du fameux club londonien ?

Quand on habite à Londres, comme ce fut mon cas pendant tellement d’années, ce mot revient tout le temps, par référence au Club, ou à un magazine qui s’appelait Blitz aussi. Il revient d’autant plus qu’il y a un trauma général du Blitz (n.d.l.r : le 7 septembre 1940, Londres était bombardé par les Nazis. C’est le début du Blitz qui durera 9 mois et causera 14.000 morts, rien qu’à à Londres). Quand on y est, on sent vraiment à quel point c’est présent. Et dernièrement, le climat des attentats, du brexit, a créé une espèce de zone d’incertitude : j’ai eu l’impression de voir le mot Blitz partout, à la télé, dans les news, etc. Le titre s’est imposé à moi comme une évidence. Pourtant, le titre de départ était « Canyon ». J’avais même commencé à faire une pochette et à envisager l’album sous ce titre…

– Qui a eu l’idée de sa pochette ? A quelle imagerie se réfère-t-elle ? 

C’est moi, mais je ne sais pas véritablement à quoi elle se réfère. Il n’y a pas toujours de raison évidente aux choses. Pour moi, une pochette de disque est comme une affiche de film : bien sûr, ce n’est pas moi. Les gens me connaissent depuis 40 ans et le savent bien. C’est une manière de faire un peu de provocation, mais surtout d’incarner un personnage, comme si j’étais un serial killer dans un film. Je trouvais que c’était une belle image. En y réfléchissant, on peut y retrouver beaucoup de références, à Marlon Brando, Lou Reed, Vince Tayler, au Velvet ou au film « Portier de nuit »… Beaucoup d’imageries cultes font partie de ma culture Pop. Avec le recul, je me rappelle aussi que la première fois que j’ai vu Lou Doillon, chez Jane à l’occasion de son anniversaire,  elle était habillée comme cela. J’avais été très marqué par son image ce soir-là. Je la trouvais sublime ! Je pense qu’au bout du compte, toutes ces images m’ont influencé inconsciemment.

– A-t-elle été facilement acceptée par ta maison de disques après les remous créés par la précédente, sur laquelle on voyait une fille aux seins nus à tes côtés ?

Oui, on me fait confiance maintenant. Ce sont des images qui restent. C’est facile de choquer, il ne faut pas s’arrêter à cela. Je n’en ai rien à secouer : ça a commencé avec la pochette de « La Notte, la Notte » dont ne voulait pas la maison de disques. Idem pour « Paris, ailleurs ». Je me suis souvent retrouvé confronté à des frilosités, mais je suis le seul à savoir ce qui est bien, puisque c’est moi qui ai fait le disque. Contrairement à ce qui était annoncé, qu’il allait y  avoir un rejet de cette pochette, je me rends compte que plein de gens l’adorent.

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– Comment as-tu travaillé avec Fabien Waltmann (cf. l’album « Eden ») qui a co-signé beaucoup de titres ? En avez-vous écrit beaucoup pour en retenir 12 ?

Oui, on a du laisser de côté quelques titres. C’était monumental de faire ce disque, au niveau sonore et de la composition. Il suffit de l’écouter pour se rendre compte que les chansons sont hyper-arrangées, que c’est un montage de ses idées, des miennes… J’avais des tas de pistes de mélodies par chanson. Il a fallu faire des choix compliqués, des découpes… Si bien que par moment, on peut être surpris d’entendre comment une mélodie se déploie, alors qu’elle n’est pas annoncée comme cela. C’est un disque qui a annoncé des surprises, y compris pour Fabien et moi. C’était un album fabuleux à faire. Et puis, je tiens à souligner aussi la participation de Jean-Louis Pierot avec lequel j’ai fait beaucoup de belles chansons, comme « L’étincelle » ou « Hôtel des infidèles ».

– Le choix du premier extrait « Les flocons de l’été » s’est-il imposé d’emblée, comme celui qui faisait le mieux la couture avec le précédent ?

Pas pour moi (rires) ! Mais j’ai signé avec Natacha Krantz chez Virgin et j’ai totalement confiance en elle. Il y a des choses sur lesquelles je ne transige pas, parce que j’ai une intuition intime, quitte à aller dans le mur. En ce qui concerne le choix des extraits, j’ai fait confiance à son équipe et aux filles qui travaillent en radio. Je n’ai pas de préférence : j’aime tous les titres indifféremment. Je m’en fous, en fait. J’avais une réticence à l’égard des « Flocons de l’été », que j’adore, uniquement parce qu’il ne représente pas du tout l’album : il est hors-album, au même titre que « Heures hindoues », était différent du reste de « Pour nos vies martiennes ». Sauf que cet extrait était sorti après « Bleu comme toi », et non comme premier extrait. Mon idée première était « Le jardin », qui sort à présent…

– « Les flocons de l’été » se réfère aux problèmes de santé dont tu as réchappé  : vois-tu la vie différemment aujourd’hui ? 

Pas du tout (rires) ! On me pose souvent la question, mais j’ai l’impression que cela n’a rien changé, si ce n’est que j’ai traversé l’enfer, pour en ressortir plus fort. Globalement, j’étais déjà dans le déni quand j’étais encore à l’hôpital, alors que j’étais véritablement moribond. Il m’a fallu beaucoup de temps avant de remonter sur scène. La première fois, c’était à la Philharmonie. Tout mon entourage était là, et ne donnait pas cher de ma peau : ça a été très long avant de retrouver l’énergie… Je n’ai pas communiqué pour dire à quel point c’était grave parce que c’était un accident finalement : une appendicite, qui a tourné à la péritonite prise en charge au tout dernier moment. Mais ça a été très difficile…

– « Le jardin » évoque le souvenir de ta sœur récemment disparue : t’es-tu beaucoup interrogé sur la façon dont il fallait aborder ce deuil en chanson…

Non, je l’ai écrite en un week-end, en allant à Rennes chez ma mère. La mélodie était obsédante en moi. Pour écrire des chansons, on trempe sa plume dans ce qui nous arrive. Le départ de ma sœur a été un très gros choc, un très gros chagrin… Je n’avais pas envie de faire une chanson avec une énergie basse, mais au contraire lui rendre hommage en l’imaginant dans un endroit paisible, avec des fleurs, des senteurs, et une ambiance de fête presque paradisiaque, d’autant qu’elle était très pieuse, très catholique.

– Quelle est l’histoire de la chanson « Chambre 29 » ?

29A est le numéro de l’appartement de Syd Barrett à Londres. j’ai rencontré Duggie Fields, un peintre post-moderniste qui a habité avec Syd Barrett, et a partagé sa vie pendant les années où il faisait ses albums solo. C’étaient des années de désintégration de Barrett, en quelque sorte. Je crois beaucoup aux signes : on m’a offert une biographie de Barrett, mon idole absolue. c’est un peu Dieu pour moi, ni plus ni moins, après quoi vient Lou Reed. J’aime tout en lui. Son personnage, sa musique, son charisme, son parcours : tout m’émeut. Au bout d’un certain moment, Duggie m’a invité dans l’appartement, et je me suis retrouvé dans la chambre de Barrett, cette chambre dans laquelle il a écrit toutes ses chanson, et où il a souffert aussi… Je suis très sensible aux endroits, et j’avais l’impression que les murs transpiraient encore toute son énergie. Je l’ai ressenti, et cela m’a vraiment transpercé. Duggie m’a laissé seul dans la chambre pendant une demi-heure : c’était véritablement une expérience, comme une convocation du fantôme de Syd. Après cela, la soeur de Syd nous a invités à Cambridge à une célébration  de sa musique par un orchestre. J’ai fait comme cela une succession de rencontres de personnes qui l’avaient connu. Çà en devenait presque flippant… (rires). Je me sentais comme poursuivi par Barrett dans Londres, comme dans un jeu de cache-cache entre lui et moi. Ecrire cet album a été un drôle de moment que je n’aurais pu vivre qu’à Londres. Je n’aurais pu le faire à Paris, avec la personne que j’aime, dans mon appartement, avec mes amis, etc. C’était impossible. Il fallait que je sois complètement dans cette ambiance pour aller au bout de ce truc dingue qui m’est arrivé. Je vois cela comme une espèce d’obsession anormale, presque dangereuse, même si j’ai un caractère obsessionnel par nature . Mais là, je suis allé un peu loin…

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– Tu passes beaucoup de temps à Londres : pourquoi ce choix ?

J’y retrouve un peu d’anonymat, et surtout j’ai besoin de m’isoler pour mener à bien un projet. Ici, toutes les obligations m’en empêchent. J’y loue une garçonnière, toujours la même, quand j’y retourne. J’ai trouvé cet endroit par l’intermédiaire de Jane. Il appartient à une de ses amies, du temps où elles étaient étudiantes en théâtre. Là bas, j’oublie ma vie parisienne et je ne fais qu’écrire : je ne peux pas travailler sur un tel projet si je suis distrait et détourné de mon objectif. Je coupe tout et ça me fait un bien fou. Je me suis toujours isolé pour faire mes albums, et de plus en plus. Je ne sais pas travailler autrement. Il suffit de répondre à un coup de fil et l’inspiration s’en va… On est tributaire de cette fragilité-là… Dès 6 ou 7 heures le matin, je prends une douche, je ne déjeune pas, j’écris, j’écris, j’écris jusqu’à midi. Je n’ouvre pas mon téléphone avant. Voilà ma journée type.

– Quels sont les prochains singles pressentis ?

J’aimerais que sorte un double single, « L’étincelle » et « Après le Blitz » dans une nouvelle version à laquelle je travaille actuellement sous forme de remixes.

– Comment as-tu reçu la nouvelle d’une récompense honorifique aux dernières Victoires de la Musique ? On t’a senti très ému…

Je l’étais, contre toute attente (rires) ! Pour tout te dire, je n’en voulais pas de ce prix. C’est la troisième fois qu’on me le proposait, et on m’a laissé entendre que ce serait la dernière si jamais je le refusais. J’ai réfléchi et puis j’ai accepté, mais j’avais peur que ce soit un truc de vieux. J’avais l’impression d’avoir un pied dans la tombe. Ce n’est pas l’image que j’ai de moi : je me vois toujours comme un débutant. Etre célébré comme ça me donnait un coup de vieux, à mes yeux. Et puis finalement, j’ai été saisi par l’émotion, d’autant que Charlotte Gainsbourg, que je connais depuis toute petite, m’a fait, ce soir-là, une déclaration d’amitié devant des millions de téléspectateurs. Le fait aussi que Eddy De Pretto, Juliette Armanet et les BB Brunes chantent mes chansons m’a totalement attrapé, tellement leurs versions étaient jolies. Tout cela m’a m’a beaucoup touché.

Avec la sortie quasi-simultanée de vos albums, Charlotte et toi vous êtes beaucoup croisés en promo : t’avait elle consulté au sujet de son nouvel album en Français ?

Oui, on est proches, comme avec le reste de la famille, même si j’ai des rapports très cloisonnés avec chacun d’entre eux. Comme pour chacun de ses précédents projets, elle m’a appelé. Je fais partie des gens qui l’ont incitée à écrire en Français. On avait travaillé tous les deux sur une chanson en Français sur son précédent album, qui n’est jamais sortie. J’avais écrit un texte auquel elle avait un peu contribué. Je lui avais alors suggéré d’écrire davantage en Français, pour prendre le pouvoir sur ses chansons ; c’est ce qu’elle a fait. Elle m’a envoyé tous ses brouillons sur lesquels je lui ai donné mon avis.

– Qu’est ce que ça t’inspire quand la presse titre à ton sujet : le patron, le roi, le modèle… c’est un peu lourd à porter, non ?

Je me sens toujours débutant et ça me sauve par rapport à la musique. Ca me donne toujours envie de me surpasser, de transgresser quelque chose, de me surprendre moi-même. J’aurais toujours cela en moi. Donc à côté de cela, tous ces titres ne me dérangent pas du tout, au contraire : c’est génial de recevoir toute cette affection du public et ce respect des médias, parce que ce n’est jamais gagné.

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– On a vu dernièrement émerger toute une scène Pop, très inspirée par les années 80, mais qui peine à confirmer les espoirs placés en elle, de Lescop à Francois & The Atlas Mountain… Le chemin est long et difficile pour eux : à quoi l’attribuer selon toi ?

Je pense qu’il y a plusieurs facteurs : tout est une question de cycles. Les petits sont très intéressés pas le Rap et le Hip Hop. C’est une musique qui leur parle, celle de leur génération, comme d’autres ont pu aimer la Pop, le Punk… Ca fait partie d’un cycle logique. Le revers de la médaille est que la Pop est devenue la musique de la marge, ce qui est intéressant aussi en soi. Toute cette scène dont tu parles, avec aussi Catastrophe, Calypso Valois, etc, sont dans la marge mais ce sont aussi les artistes les plus intéressants à mon goût. Les media ont décidé que le Rap et le Hip Hop devaient prédominer pour attirer les plus jeunes, car tout cela est commercial. Mais ça a toujours été le même schéma. C’était le cas avec les yéyés dans les années 60. Tout n’est que répétition… Le Rap et le Hip Hop ne sont que la nouvelle variété de toute façon. Il faut laisser les choses se faire, même si c’est un peu compliqué pour ces petits qui démarrent.

– As-tu vu la création de Julien Doré aux Francofolies de la Rochelle autour de « La Notte, La Notte » ?

Je ne l’ai pas vu, mais j’en ai écouté la diffusion à la radio, et Julien m’en a envoyé le disque. C’était super !

– Reconnais-tu en lui une forme de descendance dans la façon qu’il a de gérer sa carrière ? Il te cite, avec Christophe comme une de ses références absolues…

Je ne sais pas, n’ayant pas moi-même l’impression de gérer ma carrière. Je suis très spontané et je vais vers ce qui me convient. C’est ma seule intelligence. On a fait un festival ensemble à Carcassonne, sur lequel on a chanté en duo « Week-end à Rome ». C’était un joli moment. Et puis, je vais lui emprunter les arrangements qu’il a fait justement sur « Poppy Gene Tierney » sur ce spectacle autour de « La Notte, La Notte ». C’est un titre très mineur pour moi, que je n’aime pas spécialement à la base. Mais j’ai trouvé ses arrangements tellement intéressants, que tout d’un coup, je l’adore maintenant et j’ai envie de la reprendre sur la prochaine tournée (rires).

– Tu as rassemblé ton Panthéon Pop dans un exposition à la Philharmonie à Paris : comment est née cette idée ?

Au départ, j’avais fait des photos de la nouvelle scène Pop française quand la Philharmonie m’avait laissé carte blanche, toute une semaine, pour « Une jeunesse moderne ». Je jouais « Pop Satori », et tous mes tubes, mais pour la troisième soirée, j’ai eu envie de faire de la place à toute cette nouvelle scène. Je les ai tous invités. A cette occasion, j’ai repris mes appareils et je les ai photographiés, tandis que j’ai demandé à Antoine Carlier de les filmer. Ca a été un beau moment, visuellement très fort. La Philharmonie m’a alors demandé d’exposer ces photos. Entre temps, j’ai été président du Midi Festival à Hyères, un génial festival de Pop, au cours duquel j’ai photographié quelques artistes dont Flavien Berger, par exemple. je me suis retrouvé ainsi avec une quarantaine de portraits. Et j’ai envie de continuer d’ailleurs, de photographier Françoise, Sylvie, Christophe et tous les gens qui m’ont inspiré… En attendant, au final, tout cela n’aurait constitué qu’une petite expo : en réfléchissant, on est convenus que je serais le commissaire d’une expo dont je serais aussi le narrateur et le guide de 70 ans de Pop française, vue à travers mon oeil. Certains artistes n’y figurent pas. Soit parce que je ne les connais pas bien, soit parce qu’ils ne m’ont pas inspiré ou touché. Ce n’est pas une sanction. C’est comme quand on fait une K7 pour un pote : on sélectionne les chansons que l’on aime. C’était un exercice compliqué : 200 portraits pour résumer 70 ans de Pop française, c’est très réducteur. J’ai été obligé de faire des coupes franches. Et puis ce n’est pas évident de s’extraire d’un mouvement dont on fait partie, pour en parler…

– On t’a découvert un vrai talent de photographe…

A la base, je voulais faire de la photo quand j’étais adolescent. J’étais trop timide pour imaginer être sur le devant de la scène, même si j’écrivais des chansons en cachette. Je n’en avais jamais parlé à personne d’ailleurs. La première fois, c’était aux Stinky Toys. Ils étaient restés bloqués à Rennes, à cause d’une tempête de neige. Je leur ai dit que je faisais de la musique, leur ai fait écouter mes chansons, et ils m’ont encouragé à continuer.

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– As-tu encore le sentiment de te faire violence quand tu chantes ?

Non, pas quand je chante, ou que je me produis sur scène. Je me fais violence quand je suis à la télé, quand je sens des caméras braquées sur moi. C’est un vieux trauma, qui s’estompe avec le temps. Je m’en fous un peu aujourd’hui. Quelque chose a changé : je montre la vraie personne que je suis dans la vie, alors qu’avant, dès que j’avais une caméra sur moi, ça ma rendait farouche. Je me refermais sur moi-même. Je n’éprouve plus trop cela, beaucoup moins en tout cas.

– Sais-tu si les artistes exposés sont venus voir l’expo ?

Beaucoup d’artistes de la jeune génération sont venus. Les plus âgés m’ont promis de le faire, mais je ne sais pas s’ils l’ont fait…

– Elli et Jacno tiennent une place importante dans cette expo : qu’est-ce qui t’a motivé à t’impliquer dans la carrière de chanteuse de leur fille Calypso Valois ?

J’ai été très distant finalement. J’ai juste initié quelque chose, en finançant ses premières maquettes, lui ayant permis de signer ensuite avec Pias. Je la connais depuis qu’elle est dans une poussette. Je ne voulais pas que ça la desserve d’aller plus loin dans mon implication. Je me permets de parler d’elle uniquement parce que j’aime ce qu’elle fait : elle a une singularité, un truc un peu Punk, quelque chose de très français aussi. Elle a sorti un très bon disque, avec une super production de Yann Wagner…

– Outre le catalogue de l’expo, un autre livre de photos est sorti, « Avant la vague… » de Pierre-René Worms et Sylvie Coma… 

C’est un super livre ! Le texte qu’a écrit Sylvie Coma est sans doute celui qui me représente le plus. C’est une fille qui était très proche de moi dans les années où j’ai commencé à faire des maquettes. Elle a organisé le concert des Stinky Toys à Rennes avec moi et me connait parfaitement. J’ai habité chez elle quand j’ai enregistré « Mythomane ». Le livre est sorti chez un éditeur qui publie des livres d’art d’ordinaire. L’idée géniale a été de définir une période, 1978-81, qui part de mes années de lycée, jusqu’à mon entrée en studio.

– C’est incroyable qu’existent autant de documents de cette période où tu étais encore anonyme…

C’est incroyable. Pierre-René Worms m’a beaucoup photographié. Il avait senti quelque chose en moi dont je n’étais pas conscient. A l’époque, c’était dur pour moi qu’il me photographie autant. Je le vivais très mal. Aujourd’hui, je suis tellement content d’avoir tous ces documents…

– Tu as récemment de nouveau posé pour Pierre et Gilles : qui a eu l’idée de cette mise en scène ? Faut-il y voir un lien symbolique avec les soucis de santé qui ont inspiré « Les flocons d l’été » ?

Je ne pense pas qu’il y ait un lien avec cet épisode que j’ai complètement oublié pour ma part. C’était un accident de parcours. Ce sont Pierre et Gilles qui en ont eu l’idée de cette image, à laquelle ils ont pensé comme à une vanité. C’est la troisième image que je fais avec eux : à chaque fois, leur image annonçait un nouveau cycle pour moi. « La Notte » en 1984 coïncidait avec mon ouverture, ma découverte du succès. Ensuite, en 1995, l’image sublime me représentant en Saint-Etienne lapidé, a coïncidé avec cette rumeur dont j’ai été victime. C’était une manière de faire une blague, une plaisanterie à ce sujet… Elle a annoncé l’album « Eden », la possibilité d’un futur. Les années 80 étaient clôturées, et j’attaquais autre chose avec davantage de maturité et de fond… Ca a été une époque de grande ouverture pour moi avec des albums comme « Corps et armes », « L’invitation »… Et là, je pense que cette dernière image qui a coïncidé avec la sortie de « Blitz » correspond également à une nouvelle période qui s’ouvre pour moi…

– L’année dernière a été marquée par la disparition de ton amie Jeanne Moreau : quelle image voudrais-tu qu’on garde d’elle ?

Celle d’une jeune femme impétueuse. C’est vraiment comme ça qu’elle était, et que je la voyais. C’était très rafraîchissant de travailler avec elle, parce qu’elle gardait toujours l’artistique au-dessus de toutes les autres considérations. L’artistique a toujours été au centre de ses choix, de ses décisions et de sa vie. C’est pareil pour moi. Je ne fais jamais le choix du fric. Jamais. Je ne sais pas faire ça (rires). On s’est beaucoup appris mutuellement : on a partagé nos univers. Elle a partagé son monde du théâtre avec moi, et moi celui de la Pop avec elle. C’est pour ça qu’on a eu une relation extrêmement équilibrée : ce n’était pas évident de se retrouver avec Jeanne Moreau sur scène, surtout dans des endroits comme le festival d’Avignon. C’était un peu : cherchez l’intrus ! (rires). Elle était la plus jeune d’entre nous : la jeunesse, c’est le coeur et la résistance. Savoir se mettre en colère, savoir dire non, savoir dire merde…

– Sylvie Vartan a dernièrement posté une photo sur Instagram sur laquelle vous dinez avec Françoise Hardy : on est curieux de savoir de quoi vous parlez dans ces circonstances…

Ah ah ! De la vie en général, du quotidien…  Ce sont des amies, mais je les vois toujours comme deux figures très importantes de mon enfance. Ce soir-là, on a évidemment parlé de Johnny.

– Eprouves-tu le regret de ne pas avoir travaillé avec lui, comme beaucoup d’auteurs-compositeurs en ont rêvé ?

Non, vraiment. J’en ai dernièrement parlé avec Brigitte Fontaine, qui lui avait donné une chanson. Ca n’a jamais été mon fantasme, alors que c’était une voix exceptionnelle. Quand on lui proposait une chanson, il avait une manière de rentrer dedans qui la faisait crépiter de façon impressionnante. J’ai toujours travaillé avec des gens avec lesquels il y avait une certaine évidence. Je n’ai jamais rien provoqué, jamais rien demandé… A part Jeanne, quand elle est venue me voir dans ma loge pour me dire qu’elle adorait ma version de « Sur mon cou » de Jean Genet. C’est là que j’ai pris l’initiative de lui proposer de reprendre l’intégralité de l’oeuvre. Elle a dit oui. J’ai eu cette audace parce que je sortais de scène et que j’étais grisé par le succès. Je planais complètement. Autrement, je n’aurais jamais osé.

– As-tu écouté le nouvel album de Françoise ? A quel titre la remercies-tu sur « Blitz » ?

Non, je ne l’ai pas encore écouté, mais il sort bientôt. Françoise est toujours présente. Depuis que je la connais, je lui fait écouter des maquettes ; elle me fait écouter les siennes. Elle a confiance dans mon goût, et réciproquement. Elle a beaucoup parlé de « Blitz » en très bons termes. Elle m’a même envoyé un mail dithyrambique sur l’album et sur la pochette, à mon grand étonnement d’ailleurs, parce qu’elle peut avoir le croc assez acéré parfois.

– Comment vas tu aborder la scène ? quelle place accorderas-tu à « Blitz » et aux anciens tubes ? Plus tu avances, plus on attend de toi un concert « best of »…

On commence par les Nuits de Fourrière (n.d.l.r : avec Calypso Valois, en première partie) et j’enchaine sur beaucoup de festivals d’été, La Route du Rock, Le Midi Festival à Hyères, etc, de juin à août prochain. Et puis à Paris, je ferai le festival « Days off », notamment (le 7 juillet prochain à la Philharmonie). Il y a suffisamment de très bonnes chansons sur l’album pour que j’aie envie d’en chanter le maximum. Après, il y a deux situations bien distinctes : j’ai conscience que sur les festivals, les gens ont envie d’entendre des tubes. Quand j’ai joué avec Les Libertines à Rock en Seine, le public était galvanisé d’entendre des tubes. C’est une ambiance particulière, un esprit très collectif… Après, sur la tournée d’hiver ce sera différent : ce sera un spectacle basé sur « Blitz » dont je pense chanter huit ou neuf titres, et des chansons plus anciennes que j’ai aussi envie de reprendre. Ce sera assez compliqué, car les chansons de « Blitz » sont difficiles à chanter pour moi et à jouer pour les cinq musiciens. C’est un disque très sophistiqué, mais on y travaille ! (rires).

Propos recueillis par Eric Chemouny.

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crédit photos: Nicolas Despis (D.R./Virgin/ Universal Music)

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