JOHNNY HALLYDAY :
L’esprit de famille
Aussi curieux que cela puisse paraître, le roi Johnny n’avait encore jamais fait l’objet d’un album «Tribute »… Le concept est pourtant courant aujourd’hui et de nombreux artistes y ont eu droit de leur vivant, de Souchon à Daho, sans compter les albums hommages aux légendes disparues, de Delpech à Salvador ou Barbara. Après plus de 56 ans de carrière, l’omission est désormais réparée avec ce « Quelque chose de Johnny », reprenant 16 standards de celui dont les chansons ont accompagné nos vies depuis trois générations.
Alors qu’on annonce un nouvel album chez Warner Music, et que sa maison de disques historique Philips Mercury Universal publie deux coffrets intégrales de 20 CD (les années 1961-1975 et les années 1976-1984), tout en poursuivant sa vague de rééditions vinyle albums cultes (« Salut les Copains », avec « Retiens la nuit » (1961), le 25cm « Le pénitencier » (1964) « Rivière… ouvre ton lit », avec « Je suis né dans la rue » (1969), « Flagrant Délit », sa première collaboration avec Philippe Labro (1971), « Insolitudes » avec « La musique que j’aime » (1973) et l’album de reprises de standards des années 1950 « Rock à Memphis », sorti en 1975), l’idole des jeunes, assisté de son épouse Laeticia, a supervisé de A à Z ce « Quelque chose de Johnny » si bien nommé.
Tout d’abord en confiant sa présentation argumentaire destinée aux médias, à l’ami romancier, journaliste et biographe, Daniel Rondeau, mais aussi sa production et réalisation à Yarol Poupaud, le guitariste régnant sur l’univers musical du chanteur depuis quelques années, garant d’une certaine cohérence artistique et d’un certain esprit de famille, en dépit des horizons très divers des 16 intervenants.
Car à la différence de l’album « La même tribu » de son confrère Eddy Mitchell, paru en même temps et auquel Johnny participe d’ailleurs, ce « Quelque chose de Johnny » ne réunit pas à proprement parler sa tribu, sa famille de sang ou ses amis (même s’il en a beaucoup rassemblé au cours de sa carrière marathonienne). Car si certains sont effectivement des proches (Thomas Dutronc, Patrick Bruel, Florent Pagny…), ou si d’autres se sont déjà frottés à l’exercice périlleux du duo avec lui (Calogero, Louane, Nolwenn Leroy…), beaucoup d’entre eux (et notamment les plus jeunes), font ici leur entrée dans l’univers du «patron» : Slimane, Gauvin Sers, Lisandro Cuxi…
Une façon de signifier, qu’au-delà des générations et des styles musicaux, le chanteur aura irréversiblement marqué tous les Français de son empreinte, par sa voix, son charisme, ses frasques et son incroyable capacité à rebondir de ses erreurs et de ses échecs. Bref, à revenir de tout et à tout se faire pardonner. Encore et toujours, comme on pardonne à un enfant turbulent, ou à un homme infidèle, parce qu’on l’aime tout simplement.
Chacun d’entre nous a sa chanson préférée de Johnny, celle avec laquelle il entretient un rapport affectif personnel, qui le renvoie à un moment, sombre ou joyeux, de son existence…. Johnny fait incontestablement partie de toutes les familles. C’est dire si aujourd’hui la France entière est suspendue à la moindre nouvelle sur son état de santé…
Ainsi la benjamine Louane se rappelant son papa aujourd’hui disparu, comme elle l’évoque dans notre interview : « A chaque réunion de famille, mon père se levait et chantait Toute la musique que j’aime ». Ou encore Nolwenn Leroy, qui reprend le culte « Quelque chose de Tennessee », et reconnait, pour avoir déjà chanté avec lui : « A chaque fois, j’ai eu du mal à m’en remettre ». Sans oublier Kendji Girac qui a toujours interprété « L’envie » avec son papa, et qu’ils ont d’ailleurs repris ensemble à l’Olympia : un titre signé Goldman, qui ouvre naturellement cet album avec toute la conviction et la fraicheur du jeune chanteur. Quant à Lisandro Cuxi (« Noir c’est noir »), il reconnaît avoir découvert le mythe Johnny en arrivant du Portugal, mais l’avoir immédiatement identifié comme un monument national…
C’est sans doute pourquoi, le tracklisting se cantonne à des tubes incontournables de la star, même si on s’explique moins pourquoi celui-ci omet les années 2000-2010 (à l’exception de « Marie », signée De Palmas), et notamment les tubes de l’album « Sang pour Sang » (1999) composé par David Hallyday, son plus gros succès discographique à ce jour avec plus de deux millions d’exemplaires vendus, tout autant que les albums des années Warner, grâce auxquels il s’est frotté à une nouvelle génération d’auteurs-compositeurs de Vincent Delerm à Jeanne Cherhal, ou Aurélie Saada de Brigitte, à défaut de s’offrir de nouveaux véritables tubes populaires. Ceci explique peut-être cela…
Pour autant, on ne boude pas ici son plaisir à l’écoute de vraies réussites reposant sur la rencontre évidente entre un interprète et une chanson : Garou sur « Ma gueule », Bruel sur « J’ai oublié de vivre », Amel Bent sur « Que je t’aime », Thomas Dutronc sur un très swinguant « Gabrielle » (on se souvient avoir aperçu dernièrement le chanteur-guitariste avec son père aux côtés de Johnny sur le concert des Vieilles Canailles à Bercy). Mais aussi et surtout pour ces reprises inattendues et terriblement émouvantes, qui viennent nous rappeler combien les ballades ont compté dans la carrière de notre rocker national : Gauvin Sers sur «Le pénitencier », Gaëtan Roussel sur « Je te promets », Calogero sur « Elle m’oublie », ou encore Raphaël sur « Tes tendres années ».
La palme revient sans conteste à Benjamin Biolay sur “Retiens la nuit”, un titre qu’il n’a sans doute pu enregistrer sans repenser à l’idole naissante Hallyday dans le film “Les parisiennes”, aux côtés de Catherine Deneuve, qui n’était pas encore la maman de son ex compagne Chiara Mastroianni. Une jolie façon de boucler la boucle de cet héritage, en l’occurence artistique, que BB a si bien chanté.
Si bien que même si certains fans, gardiens du temple Hallyday, s’insurgent déjà sur la toile face au sacrilège que représente à leurs yeux un tel projet, on ne peut s’empêcher de rêver à un éventuel volume 2, ou même à un volume 3, tant la liste de ses tubes est incroyablement longue…
Eric Chemouny
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crédit photos: en studio : Antoine Goetghebeur (D.R) / en conférence = Mathieu Foucher (D.R) / (MCA / Universal Music France)
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