BERNARD LAVILLIERS :

Entre enfer et paradis


ABLPour son 21ème album studio, « 5 minutes au paradis », après l’excellent « Baron samedi »(2013), Bernard Lavilliers a frappé fort ! Délaissant quelque peu (un peu seulement) les rythmes latinos qui ont fait sa griffe, au profit de guitares électriques, arrangements de cordes et percussions, il a choisi de placer les onze titres qui le composent, sous le signe de la poésie qui a bercé son existence. Ces mots, simples et puissants, qui l’aident, encore aujourd’hui, à faire face à la folie des hommes et à surmonter les difficultés de la vie.

A commencer par « La gloire » qui ouvre majestueusement cet album, poème écrit par Pierre Seghers en 1957, en pleine guerre d’Algérie et mis en musique par Lavilliers et Fred Pallem. « J’ai trouvé ce texte dans un vieux livre et en accord avec la famille, j’ai répété un quatrain. Le texte est fort ! » explique l’éternel voyageur. On est bien d’accord, et cette magnifique chanson donne le ton des dix autres titres. Plus en prise que jamais avec l’actualité, et les drames qui le révoltent, il dédie le suivant, « Croisières méditerranéennes » aux réfugiés qui trouvent la mort sur des bateaux de fortune, sur cette même eau, où des gens riches se paient des croisières. « Il y a quand même 20.000 morts au fond de la Méditerranée. Tu peux faire une croisière sur le Costa machin, mais au fond … C’est terrifiant» rappelle l’éternel révolté qui, à 71 ans, n’a rien perdu de sa colère.

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Un peu plus loin, en témoin lucide de son époque, c’est le pouvoir de l’argent et le capitalisme qu’il dénonce sur « Fer et défaire », allusion entre autres au drame de la désindustrialisation et au tout-pouvoir des actionnaires sur la vie d’êtres humains. Une chanson qu’on lui souhaite promise au même succès que son tube, « les mains d’or ». Sans faire de manichéisme, ni vouloir opposer les classes, il se penche aussi, avec la même distance et délicatesse, sur le sort d’un cadre sup’ mis au rebut, « Bon pour la casse », une chanson inspirée d’une histoire vraie, sublimée par les arrangements du groupe Feu!Chatteron. Sur « Vendredi 13 », il revient avec pudeur sur le drame du Bataclan, et le terrorisme qui gangrène le mode occidental. « Un peu de sang sur ma guitare, beaucoup de corps sur le boulevard », chante-t-il avec pudeur et émotion dans la voix.

Plus citadin que jamais, Lavilliers se plait à explorer la poésie urbaine : qu’il s’agisse de celle de « Charleroi », ville perdue et économiquement sinistrée, qu’il a découverte grâce a son bassiste d’origine calabraise, et néanmoins restée belle dans son regard pour sa diversité et le sursaut de vie dont fait preuve sa population cosmopolite. Et il sait de quoi il parle, l’ex ouvrier, qui embauchait à l’usine dès ses 16 ans, avait d’être viré, du fond des Mines ou de Manufrance, dans cette ville de  « Saint-Etienne » qu’il a si bien chantée. Sans oublier de célébrer Paris, éternelle source d’inspiration et de vague à l’âme pour le chanteur, qui aime rêver dans les cafés de Montparnasse, pour se retrouver  transporté à Buenos Aires sur une musique chaloupée de Pascal Arroyo (« Montparnasse – Buenos Aires »). « J’y cherche des traces de lumière et d’inspiration, ce n’est pas nostalgique. Neruda, Borges, Soutine, Apollinaire, sont bien vivants, ils sont là ». Pour ce dernier titre, comme pour « Paris la grise », le poète a choisi de confier les arrangements de ces Boléros, Jazzy et nostalgiques, à un argentin d’adoption, alias Benjamin Biolay. Excellent choix !

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Pou le reste, il est entouré de Fred Pallem aux arrangements et à la réalisation, vieux complice depuis 2010 sur « Causes perdues et musiques tropicales », de Romain Humeau le chanteur du groupe Eiffel, déjà présent sur « Baron samedi » et du nouveau-venu Florent Marchet rencontré sur le spectacle « Frère animal ». « J’aime changer. Les arrangements sont très classiques. Pour la première fois, il y a une logique. Sur « Charleroi », j’ai travaillé avec les jeunes de Feu!Chatterton. Ils ont ralenti la chanson, ils ont mis des sons 1970. Si je l’avais fait moi-même, on aurait dit que je me serais plagié ! » explique-t-il.

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Résolument convaincu que l’être humain est autant responsable de sa perte que de sa rédemption, Lavilliers le désenchanté a néanmoins choisi de clôturer cet album, aussi sombre et brillant qu’un diamant noir, sur une note féminine et optimiste, avec le superbe duo, « L’espoir », chanté d’une voix limpide avec Jeanne Cherhal. « Je me suis posé la question de l’espoir évidemment. Le lendemain de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, j’étais en scène aux Francofolies de La Rochelle (n.d.l.r : pour un spectacle concept unique autour de son album « Pouvoirs » de 1979). C’était dur de chanter.  Plus la vie croit en la vie, plus s’efface la douleur » conclue-t-il. Comment ne pas être d’accord ?.

Eric Chemouny

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Bernard Lavilliers sera en concert à l’Olympia du 24 novembre au 3 décembre 2017.

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crédit photos: Thomas Dorn (D.R / Barclay / Universal Music)

 

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