CHARLOTTE GAINSBOURG :

les paroles et musiques de sa vie.


 

Disponible le 17 novembre, le nouvel album « Rest » de Charlotte Gainsbourg est déjà un événement si attendu, qu’il a été une formidable prétexte pour provoquer, le 26 septembre dernier, une rencontre exceptionnelle avec l’artiste, organisée dans le cadre de la nouvelle édition de la RED BULL MUSIC ACADEMY à l’Eléphant Paname. L’objet de ce rendez-vous amoureux aussi rare que précieux ? Evoquer avec l’actrice-chanteuse les paroles et musiques qui ont jalonné son existence …

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Rencontrer Charlotte est toujours un moment privilégié, comme suspendu dans le temps: au point que pendant 1h30, la petite centaine de privilégiés présents est comme hypnotisée par celle qui accompagne leur vie depuis près de 40 ans déjà. Car Charlotte est un paradoxe élégant, n’utilisant jamais son héritage pourtant très marqué qui aurait pu la manger toute crue. Au contraire, elle rend quotidien une vie hors du commun comme en témoigne la sélection soignée et inspirée des musiques de sa vie qu’elle nous propose, comme autant de souvenirs personnels, de secrets révélés, véritable grand livre ouvert de ses émotions, le tout dans une pudeur racée et décontractée.

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Grâce à Géraldine Sarratia (les Inrocks) qui mène cet entretien, Charlotte, détendue et souriante, a accepté de parler de musique(s), de la sienne, de celle des autres, comme une affaire de famille(s), au singulier comme au pluriel … A commencer par Serge, son père bien sûr, puis Kate, Jane, elle enchaîne avec ses autres familles : Claude Berri, Lars Von Trier, Beck , Air, ou aujourd’hui Sebastian… Elle évoque rapidement la scène, son travail d’écriture en français sur ce nouvel album : « Sebastian souhaitait une inspiration proche de « Charlotte forever ». (…) Le français c’est la langue pour dire des choses dures ; l’anglais est plus doux », elle évoque au passage ses gouts inavoués et ses idoles, délivrant au passage mille et un secrets, passant très aisément de Michael Jackson à Bach, de Bob Dylan à Ricchi et Poveri, de Portishead à John Williams, sans oublier son père et ses propres chansons. Et contre toute attente, cet éclectisme assumé et décomplexé prend toute sa cohérence au fil des anecdotes égrainées, et toutes ses familles se rejoignent.

Au rayon des morceaux choisis, Charlotte sélectionne « Thriller » de Michael Jackson en révélant que Serge, passionné par l’artiste, leur passait le clip en boucle sur leur grand écran. Au passage, on apprend entre autres anecdotes ou révélations inédites, que chez elle, elle pouvait écouter Carlos « mais pas Dorothée, ni Annie Cordy », que Serge ne jouait pas de piano chez lui mais « uniquement dans les bars en fin de nuit » ; que l’album des variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould était le repère de ses « deux maisons » (nb : celle de Serge et celle de son beau-père, Jacques Doillon) ; qu’elle partageait sa chambre avec sa sœur Kate qui lui faisait découvrir les « musiques de grands qu’on n’écoutait pas à son âge »

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Un peu plus loin, elle raconte amusée que sa mère l’avait emmenée voir « les dents de la mer » en Angleterre, qu’elle en était revenue traumatisée par le film et nous balance les premières notes terrifiantes du célèbre thème de John Williams : « parce qu’en France c’était interdit », précise-t-elle. Evoquant Jane, elle révèle « sans trop savoir quoi en faire » qu’elle réalise actuellement un documentaire sur elle et sa tournée « Symphonique » (n.b : il n’y aura aucune chanson de Jane choisie dans sa playlist). Charlotte révèle aussi que, petite, elle passait son temps à écouter les albums de ses parents « parce qu’ils étaient bons » et note sans juger que ses enfants n’écoutent pas les siens, que ça ne leur vient même pas à l’idée.

Enfin, elle choisit un seul titre de son père pour illustrer son exceptionnelle  discographie qu’elle écoute avec une très grande émotion : « Melody », extrait de son album préféré où elle est sur la pochette (n.b : dans le ventre de Jane Birkin alors enceinte) puis elle évoque ses débuts dans la musique sur « Lemon Incest » et révèle qu’elle ne voulait pas forcément chanter et une anecdote presque saugrenue de Jane croisant, dans la rue, Catherine Deneuve, inquiète sur l’envie de Serge de la faire chanter ce duo. « Catherine » (comme elle le dit) avait répondu à Jane qu’elle ne pouvait le faire que si elle menait un projet toute seule en parallèle… C’est ainsi que Charlotte a choisi le cinéma avec « Paroles et Musique »,  « avec Catherine… Deneuve », que c’est un hasard parce qu’elle a « quand même passé le casting ». Tout s’explique, tout se tient.

Quant à son émancipation musicale, elle déclare la devoir à « « Dummy » de Portishead, « son premier album d’adulte » et sélectionne « Glory Box ». (nb : l’album entier nous accueillera musicalement d’ailleurs à notre arrivée dans l’enceinte de la conférence) elle reconnait qu’il est très influencé par son père mais que c’était quand même « un son nouveau » ; Elle s’amuse de « Sara perché ti amo » de Ricchi e Poveri que Claude Miller passait en boucle sur le tournage de « l’Effrontée » et qu’il intègre au film dans une scène devenue culte; elle glisse sur « L’un reste l’autre part » mais a une pensée émue pour Claude Berri, son « deuxième papa » ; parle aussi de Lars Von Trier qui faisait le timide avec Beck et qui passe par elle pour que vive la reprise de « Hey Joe » (sur le générique de fin de « Nymphomaniac »).  « Over the rainbow » qu’elle ne peut pas l’écouter sans pleurer.

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Enfin, si elle passe trop rapidement sur « Charlotte Forever » son premier album, elle avoue ne travailler qu’avec des gens qu’elle admire, dont Air, sans lesquels elle ne serait probablement pas revenue à la chanson, à faire tout un album ; Puis Beck, Connan Mockasin, aujourd’hui Gui-Manuel (la moitié de Daft Punk) et Sebastian. Pourtant à en croire ses dires, sa première rencontre avec celui qui lui a fait faux-bond pour cette conférence, fut catastrophique.

Assumant définitivement son éclectisme, elle déclare aimer autant l’Electro que Bob Dylan, s’excusant presque de cette admiration : « il exaspère mais je l’adore, c’est comme çà », avant de terminer cet entretien par deux cadeaux forcément musicaux : deux extraits somptueux de son prochain album « Rest ».

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Pour conclure, les derniers échanges se font entre elle et le public qui l’interroge au sujet de son retour sur scène si attendu, que Charlotte ne souhaite pas faire seule mais « accompagnée d’un autre artiste et pas tout de suite » ; du choix curieux de reprendre sur scène « Couleur café », qu’elle justifie ( » parce que c’était l’esprit Beck avec ces percussions » ) et d’« Hôtel Particulier », sublime, deux titres qui ne figurent pas sur le live « Stage Whispers » (« parce que ma voix est horrible » )…  Elle écoute le poème émouvant d’un jeune fan transporté par « IRM » que son père lui avait offert et reçoit même un cahier scolaire de photos découpées d’une maman ayant transmis à sa fille sa passion et ses coupures de journaux : « j’ai grandi avec vous, vous faîtes partie de nos vies » , lui confie-t-elle.

C’est aussi cela Charlotte Gainsbourg : la douce musique des choses de nos vies et une affaire de familles, que les paroles et les musiques choisies par elle nous ont rappelées, comme dans une parenthèse murmurée, dont on gardera longtemps l’écho en nous. (Gregory Guyot)

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photos : Gregory Guyot (D.R / @I_am_Gregg / JSM), prises à Paris lors de la Red Bull Music Academy, à l’Elephant Paname, le mardi 26 septembre 2017.

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